Pierre Lescure : « 40 ou 50 films par an à 2 mois et demi après la salle »

En fait. Le 14 janvier, Pierre Lescure (68 ans), ancien PDG de Canal+, a été élu futur président du Festival de Cannes par le conseil d’administration de l’Association Française du Festival International du Film, où siège deux représentants de l’Etat, pour succéder à Gilles Jacob le 1er juillet prochain.

Pierre LescureEn clair. Pierre Lescure (photo) savait, depuis près de deux mois, qu’il pouvait être nommé président du Festival de Cannes. « C’est vrai qu’on m’en a parlé. (…) Cela serait à la fois intéressé et gratifié si cela devait être moi », avait-il confié à propos de sa candidature à la succession de Gilles Jacob.
C’était le 28 novembre dernier, lors d’un dîner-débat du Club audiovisuel de Paris, où il était l’invité d’honneur. Si le monde du Septième Art français se réjouit de sa nomination, il doit aussi se préparer à une réforme de la chronologie des médias. Mais l’ancien PDG de Canal+ connaît les susceptibilités de la filière cinématographique.

Accroître les exceptions à la chronologie des médias
« On ne touche pas à la chronologie des médias. En revanche, un film qui ne marche pas en salle. Dès lors, au lieu d’attendre 4 mois, est-ce que l’on ne peut pas le mettre à 2 mois et demi ? Pourquoi ne pas le mettre un peu plus tôt en vidéo à la demande (VOD). Ceux qui aiment le cinéma vont aller regarder en VOD un film pourtant réputé ne pas avoir eu de succès [en salle], mais qu’ils ont envie de consommer », a expliqué Pierre Lescure.
Seules les exceptions seront donc renforcées. « D’où cette création de ‘commission des dérogations’ que j’ai proposée [dans son rapport, ndlr]. Il sort plus de 200 films par an : s’il y a 40 ou 50 films qui, au lieu de passer à 4 mois, passent à 2 mois et demi (1), je ne pense pas que le commerce de votre famille [du cinéma français] soit remis en cause », a-t-il détaillé. Continuer la lecture

Cinéma Paradiso

Bien enfoncés dans nos fauteuils, le temps d’aller chercher un pot de pop-corns, nous voici réunis pour savourer un grand moment de cinéma. Nous ne sommes que cinq,
même si la salle est pleine, pour assister à la première diffusion mondiale du dernier opus de l’inépuisable saga Star Wars. En sortie simultanée, comme c’est désormais la règle, dans toutes les grandes salles de cinéma de la planète, comme dans tous les foyers.
C’est, en effet, bien installé chez moi que nous attendons que raisonne l’hymne du fameux générique. Le lancement est digne de la diffusion d’un match de coupe du monde de football, mais il est désormais nécessaire. Pour les producteurs, il s’agit de trouver les moyens de financer ces blockbusters toujours plus chers à produire à l’heure de la 3D sans lunette et des effets spéciaux toujours plus réalistes et immersifs. Avec la banalisation massive de la diffusion vidéo, il était en effet plus que jamais nécessaire de trouver de nouveaux vecteurs de valorisation des nouveaux films. Et, de ce point de vue, la multiplication des lancements simultanés sur tous les écrans, publics et privés, permet de maintenir les revenus tirés de l’exploitation des films – voire de les augmenter.

« En sortie simultanée, comme c’est désormais
la règle, dans toutes les grandes salles de cinéma
de la planète, comme dans tous les foyers. »

Au final, cette évolution n’a fait que renforcer la tendance de fond d’un cinéma à domicile, toujours plus spectaculaire : la fusion de deux marchés différents, la télévision pour tous et le home cinema de quelques-uns. Ces salles de projection privées – qui
en ont fait rêver plus d’un, avec leurs fauteuils de ciné, leurs écrans muraux et leurs catalogues de films longtemps difficiles d’accès – sont désormais devenues grand public. Bien sûr, des équipements de pointe équipent toujours pour quelques-uns les home cinema d’aujourd’hui, toujours aussi surprenants avec leurs fauteuils sur vérin
et leurs systèmes 4D, qui explorent une quatrième dimension en reproduisant les sensations comme le vent dans les cheveux, les températures extérieures ou les odeurs des lieux traversés. Mais, pour le plus grand nombre, l’expérience du cinéma à domicile a vraiment progressé, à tous les niveaux. Sur le plan technique, des écrans toujours  plus fins, plus grands et plus courbes permettent de recevoir des images en ultra HD.
En 4K, dans la plupart des cas, mais aussi, de plus en plus souvent, en 8K, introduite
à l’occasion des jeux Olympiques de 2020 au Japon.
Une qualité d’image époustouflante d’une résolution de 8.000 pixels, quand la HD encore courante en 2015, ne proposait que des résolutions de 720 et 1080 pixels. Pour soutenir une telle évolution technique, les réseaux de distribution ont dû se mettre à niveau en optimisant l’ensemble des moyens disponibles du FTTH, de la 4G et de la
5G émergeante, ainsi que les solutions hybrides tirant le meilleur du fixe et du satellite.
Une évolution indispensable, dans la mesure où les programmes en ultra HD ont rapidement déferlé sur les réseaux sous la pression des grandes plates-formes internationales, comme Netflix ou Google, lesquelles proposèrent très tôt des films et
des séries originales en 4K, pour marquer toujours plus leur différence. Ce nouvel âge d’or du cinéma se caractérise également par une redistribution des cartes, dont les principaux atouts sont tenus par des majors, soit des studios historiques toujours plus puissants, soit ceux créés par des géants du Net, seuls capables de soutenir les investissements colossaux qu’exigent les nouvelles productions. Le système original français a forcément dû se réinventer en favorisant les grandes productions, de plus en plus souvent financées par des consortiums européens, tout en tirant parti du fabuleux potentiel de création des nouvelles technologies. Des pépinières de jeunes talents sont à l’origine d’œuvres originales, certaines réalisées dans les ateliers créés, dès 2014,
à Aubervilliers par Michel Gondry pour faciliter le développement de projets à petits budgets. Cette renaissance du Septième Art illustre parfaitement la prophétie de Martin Scorsese, qui écrivait à sa fille en janvier de la même année : « Pourquoi le futur du cinéma est-il si lumineux ? Parce que, pour la première fois, les films peuvent être faits avec très peu d’argent ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : La radio.
* Directeur général adjoint de l’IDATE,
auteur du livre « Vous êtes déjà en 2025 »
(http://lc.cx/b2025).

Musique et vidéo : la bataille mondiale des métadonnées et de la recommandation en ligne

La société Gracenote veut devenir le standard dans la gestion des métadonnées décrivant les musiques et les vidéos numériques. Mais, au-delà de la reconnaissance des œuvres, se joue une bataille cruciale pour les industries culturelles : la recommandation en ligne auprès des utilisateurs.

ITunes d’Apple, Google Play, le could d’Amazon, les smartphones de HTC, le nouveau Napster de Rhapsody ou encore les TV connectées de Sony et de Toshiba : ils ont tous en commun de faire appel à la méga-base de métadonnées de la société américaine Gracenote. Y sont décrits plus de 180 millions de titres de musiques de part le monde. Cette mine d’informations sur les œuvres musicales (titre, genre, artiste, droits d’auteur, référence, illustration, paroles, …), consultée en temps réel à raison de plusieurs centaines de millions de requêtes par jour (plusieurs milliards par mois), permet aux plates-formes de musique sur Internet, aux fabricants de terminaux ou aux éditeurs
de boutiques en ligne, de proposer aux internautes ou aux mobinautes des services
de reconnaissance de musique.

AllMusic, The Echo Nest, MusicBrainz, …
Dès qu’un utilisateur insère un CD/DVD, choisit une musique en streaming ou regarde un clip vidéo sur sa télévision connectée, il peut avoir des informations sur ce qu’il écoute. Au-delà de l’identification et de la description d’œuvres musicales, Gracenote permet une prestation cruciale : la recommandation, grâce à une expertise éditoriale et algorithmique s’appuyant sur sa vaste base de données musicales. La qualification de contenus est un élément décisif aujourd’hui au regard de l’évolution du marché de la musique en ligne, où le streaming et le flux audio (webradio, smart radio, playlists, …) prennent le pas sur le téléchargement. Sur le mode « Vous avez aimé tel morceau ; vous adorerez tel autre »,
la recommandation – émanant d’une boutique en ligne ou d’amis sur les réseaux sociaux – est devenue stratégique pour les industries culturelles et facteur de différenciation pour les plates-formes numériques (1). Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) s’y mettent aussi, comme le montre en France Free, qui a affirmé être « le premier opérateur au monde à proposer le service de reconnaissance musical Music ID de Gracenote » (2). Les métadonnées montent même en voiture avec Ford, Toyota ou Chrysler. Gracenote, qui appartient depuis 2008 à Sony, est en passe d’être vendu au groupe de médias américain The Tribune Compagny, pour 170 millions de dollars. Ce dernier compte rapprocher Gracenote, qui a aussi développé une base de métadonnées dans la vidéo,
de sa propre base données sur les programmes de télévision et de films de cinéma TMS (Tribune Media Services). Cette reconnaissance automatique de contenus audiovisuels devient essentielle. Ainsi, Gracenote compte LG, Sony et Philips parmi ses clients en télévision connectée, Syfy Sync de NBC Universal ou Zeebox dans la synchronisation du second écran et Vudu du groupe Walmart, entre autres, dans les services de cloud vidéo, en plein boom. Appelé anciennement CDDB (Compact Disc Data Base), Gracenote est loin d’être le seul à donner le « la » dans les métadonnées musicales. La concurrence s’organise. La société américaine AllMusic (ex-All Media Guide), rachetée en 2007 par Rovi et basée dans le Michigan, commercialise aussi une base de métadonnées de 30 millions de musiques. Parmi ses clients : de nouveau iTunes, Yahoo, eMusic ou encore AOL. AllMusic rivalise avec une société du Massachusetts, The Echo Nest, revendiquant une base de plus de 35 millions de titres référencés qu’utilisent Vevo, Spotify, Rdio, MTV, Warner Music, Yahoo ou encore Nokia (3). Il y a aussi MusicBrainz (utilisé par la BBC)
et Freedb (racheté par l’allemand Magix), qui ont tous les deux la particularité d’avoir été créés pour prendre le contre-pied de Gracenote, devenu payant (sous licence), en rendant libres leurs bases de métadonnées musicales. Si les gestionnaires de métadonnées sont essentiellement anglo-saxons, la diversité musicale européenne est-elle suffisamment bien couverte par les algorithmes mélomanes ? En France, il y a la société Music Story, créée en 2008 et basée à Lille. Elle gère une base de métadonnées musicale de près de 130.000 artistes francophones et près de 500.000 photos d’artistes, pour plus de 1,1 million d’enregistrements. Ses clients : Deezer, VirginMega.fr, Lagardère, Priceminister ou encore la webradio Radionomy.

Music Story : métadonnées francophones
En plus de la qualification des titres de musiques francophones, l’équipe éditoriale
de Music Story y ajoute des notes biographiques, des chroniques d’albums, des discographies, des informations commerciales (disponibilité, prix, support, …), ainsi
que les comptes sociaux des artistes sur Twitter, Facebook ou YouTube. C’est que la recommandation proposée par les Facebook, Twitter et autres Dailymotion serait devenue l’une des principales sources d’audience des plates-formes de contenus culturels en ligne. Internet devient ainsi un jukebox géant, fonctionnant sur recommandations. @

Charles de Laubier

Cloud TV : une télé nouvelle génération en gestation

En fait. Le 21 janvier, Verizon a annoncé l’acquisition à Intel de l’activité de télévision à la demande dans le nuage (« Cloud TV »). Ayant développé OnCue,
un service de Web TV à péage sur Internet, Intel Media n’a pas réussi à le lancer, faute d’accord avec de grands producteurs – Disney en tête.

En clair. La plateforme de Cloud TV d’Intel, baptisée OnCue, voulait révolutionner
la manière de diffuser la télévision aux Etats-Unis, sans passer par les quasi-incontournables câblo-opérateurs Comcast, Time Warner Cable ou encore, par satellite, Direct TV, qui fournissent déjà l’accès et les bouquets de chaînes. C’est un peu comme si, en France, un nouvel entrant dans le PAF (1) cherchait à diffuser des programmes audiovisuels (films, séries, émission, …) sans passer ni par les diffuseurs en place (TDF, FAI, satellite…), ni par les éditeurs de chaînes (TF1, M6, Canal+, …). Or, court-circuiter tout cet écosystème en place n’est pas une mince affaire, même pour le numéro un mondial des microprocesseurs en mal de diversification.

Intel a voulu, à l’instar de Google, d’Apple ou de Sony, préparer dans le nuage informatique la nouvelle génération de la télévision et se positionner par rapport à
des services de SVOD, comme Netflix ou Amazon. Par exemple, l’utilisateur pourrait regarder en direct un programme, tout en le stockant dans le cloud pour pouvoir le mettre sur pause et le reprendre au même endroit (time-shifting). Mais, comme tous
les OTT (2) qui veulent tenter l’aventure, il a rencontré l’importante barrière à l’entrée que constitue l’accès aux droits de diffusion des contenus audiovisuels et cinématographiques. Intel Media a bien discuté avec Disney, notamment pour sa chaîne sportive ESPN. Mais, en général, les majors négocient à la fois des redevances élevées et des minimums garantis en fonction du nombre d’abonnés au service (3).

Cela faisait près de deux ans que la firme de Santa Clara (Californie) travaillait à la fabrication de sa set-top-box de Web TV, en vue d’un lancement commercial fin 2013. Faute de contenus, on connaît désormais la suite : Verizon, qui vient au secours d’Intel Media en rachetant ses activités et en s’engageant à reprendre la plupart des 350 personnes y travaillant, va intégrer OnCue dans son service triple play FiOS sur son réseau haut débit fixe et fibre optique. FiOS, lancé en 2005, a généré l’an dernier 2,8 milliards de dollars de chiffre d’affaires – soit une croissance de 15 % sur un an et un poids de 73 % du total des revenus résidentiels de Verizon. Il compte 6,1 millions d’abonnés Internet et 5,3 millions d’abonnés vidéo. La Web TV d’Intel Media trouverait
là un fort potentiel de développement. @

Futures fréquences : l’Europe entend coordonner

En fait. Le 13 janvier, la Commission européenne a demandé à un « nouveau groupe consultatif sur l’utilisation future de la bande UHF pour la TV et le haut débit sans
fil », de lui faire des propositions à lui remettre d’ici à juillet 2014. C’est Pascal Lamy (ex-DG de l’OMC), qui préside cette mission.

En clair. La Commission européenne souhaite trouver un consensus entre la télévision et les télécoms, quant à l’utilisation future des fréquences de la bande UHF (470-790 Mhz). Pour cela, elle fait appel à Pascal Lamy (1), en espérant qu’il pourra démêler l’écheveau avec un rapport attendu dans six mois (2). « Je sais que ces discussions vont être assez difficiles. Personne ne pourra gagner sur tous les tableaux », a déjà prévenu l’ancien DG de l’OMC. La gestion du spectre des fréquences, ressource rare, est devenue un enjeu crucial pour la constitution d’un marché unique des télécoms, que la Commission européenne appelle de ses vœux.

Et des décisions doivent être prises avant la CMR (3) de 2015. Mais les Etats membres attribuent en ordre dispersé les fréquences, notamment celles des dividendes numériques obtenus après l’extinction de la diffusion analogique de la télévision. Ainsi, certains Etats membres envisagent d’allouer au haut débit mobile une partie de la bande de 700 Mhz.
« Ce qui provoquerait des interférences avec la radiodiffusion hertzienne dans les pays voisins. Il faut avoir une vision d’ensemble de la façon dont l’Europe va développer les plateformes hertziennes utilisées par les deux secteurs, afin de promouvoir l’investissement dans les services et l’infrastructure », prévient Bruxelles.

En France, lors du congrès de l’Agence nationale des fréquences (ANFR), le 27 juin dernier, la ministre déléguée à l’Economie numérique, Fleur Pellerin, avait tenté de rassurer le secteur de la télévision à la suite de la décision du gouvernement d’allouer
la bande des 700 Mhz aux opérateurs télécoms, soit fin 2017 au plus tôt. Ce qui inquiète les diffuseurs audiovisuels (4). Mais l’Etat français veut y voir plus clair dans l’utilisation
et le partage des fréquences qui seront disponibles à l’horizon 2030, quitte à demander aux opérateurs mobiles des contreparties (investissements). Une mission a été confiée
à Joëlle Toledano (ex- Arcep), membre de l’ANFR. Ses recommandations sont attendues d’ici le 31 mars. Entre temps, l’Europe entend bien s’inviter dans les débats nationaux.
« Les habitudes de visionnage de la TV par les jeunes n’ont rien à voir avec celles de
ma génération. Les règles doivent donc s’y adapter (…). Or l’assignation actuelle des radiofréquences sera incompatible avec les habitudes de consommation prévisibles »,
a expliqué Viviane Reding, commissaire européenne en charge du numérique. @