Vincent Grimond et Brahim Chioua, Wild Bunch : « La croissance de la VOD/SVOD pâtit clairement du piratage »

Cofondateurs de Wild Bunch, respectivement président et directeur général, Vincent Grimond et Brahim Chioua expliquent à EM@ comment évoluent leurs métiers de distribution et de co-production de films sur fond de révolution numérique du cinéma : VOD, piratage, chronologie des médias, TV connectée, « cloud », …

Propos recueillis par Charles de Laubier

VGEdition Multimédi@ : Anciens de StudioCanal, vous avez co-fondé Wild Bunch il a plus de dix ans : quel est le chiffre d’affaires du groupe en 2012, pour quelle croissance ? Comment se répartissent ces revenus entre les différents marchés : salles, vidéo à la demande (VOD), international
et télévision ? Vincent Grimond (photo) et Brahim Chioua :
Effectivement, la société Wild Bunch a été créée en 2002… Depuis cette date, le taux de croissance annuel moyen de
notre chiffre d’affaires a été de 24 % ce qui nous a permis
de constituer un joli catalogue d’environ 1.800 films tels que « La Vie d’Adèle », « The Immigrant », « Le Petit Nicolas », …
Et le chiffre d’affaires des ventes internationales est devenu inférieur à celui de la distribution directe (salle de cinéma, vidéo en DVD, Blu-ray et vidéo à la demande et télévision), secteur d’activité où nous sommes présents en Allemagne, Italie, en Espagne, et bien sûr en France, laquelle demeure notre premier marché.

« Nous croyons donc davantage à « des » chronologies
qu’à « une » chronologie des médias. Lesquelles ?
Pour qui ? Il faudra pour le déterminer faire des tests,
des analyses plus poussées et plus objectives.»

EM@ : Il y a six ans, en 2007, vous avez créé la filiale Filmoline pour lancer FilmoTV, une plate-forme de (S)VOD. La VOD en France a connu pour la première fois au 1er semestre 2013 une baisse de 6,4 % sur un an, selon GfK : pensez-vous comme le SEVN que cela est dû au piratage ? Observez-vous cette baisse sur FilmoTV ?
V. G. et B. C. :
De fait, FilmoTV est le premier service joint de VOD et de SVOD créé
en France. Nous estimions alors en particulier qu’un service par abonnement avec une « éditorialisation » forte correspondait bien à l’évolution du marché.
Apparemment, nous étions plutôt dans le vrai… Comme pour l’ensemble des modes de distribution du cinéma, la croissance de ce segment de VOD/SVOD pâtit clairement du piratage. Même étoffée, l’offre légale ne pourra pas résister aux offres illégales, surtout
si la consommation de ces dernières se fait en toute impunité. Et effectivement, les événements récents, en particulier la confusion autour de la suppression de l’Hadopi
et du transfert de son rôle de sanction au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), ne favorisent guère la prise de conscience du caractère dommageable et illicite du piratage, pour le dire diplomatiquement…

EM@ : Allez-vous en outre proposer UltraViolet qui permet de coupler la vente
de DVD/Blu-ray et de VOD, sachant que la licence du consortium DECE est prête techniquement pour la France et l’Allemagne depuis le 24 septembre ?
V. G. et B. C. :
Nous considérons qu’il y a un gros retard sur le développement du téléchargement définitif et étudions avec attention toutes les opportunités pour le développer. Cela nous concerne tout à la fois en tant qu’éditeur vidéo et en tant que service de VOD (FilmoTV). Nous sommes ouverts à tous les standards, c’est pourquoi FilmoTV vient de migrer vers le cloud en lançant FilmoCloud et que nous suivons très attentivement le déploiement d’UltraViolet en France. Nous voulons bien sûr être partie prenante dans ces développements.

EM@ : « Speed Bunch » fait partie des trois projets sélectionnés il y a un an par
le programme européen MEDIA pour tester la sortie (quasi)simultanée de films
en salles et VOD : c’est le cas du documentaire « L’Esprit de 45 » qui est à l’affiche dans 5 pays : en France, la prochaine chronologie des médias [délais de diffusion des films en DVD, VOD et TV après la salle] doit-elle prévoir des cas de (quasi)simultanéité ?
V. G. et B. C. :
Le film est sorti en VOD le 13 septembre, en même temps sur tous les territoires. La sortie VOD dans chacun des cinq pays est intervenue via une plate-forme multi-territoires, iTunes, et sur des services domestiques au premier rang desquels figure FilmoTV, le service filiale de Wild Bunch en France. De plus, « L’esprit de 45 » a été distribué en salle simultanément ou quasi simultanément avec la VOD en Espagne (Vertigo), en Italie (BIM Distribuzione) et en Belgique (Cinéart), mais pas en France où
la chronologie des médias ne le permet pas. A ce propos, qu’il y ait des règles de chronologie des médias pour protéger les opérateurs qui contribuent à la vitalité du
cinéma nous semble légitime.
Mais nous ne croyons pas qu’une seule et même règle puisse s’appliquer à tous les films, compte tenu en particulier de la diversité des modèles économiques des films et des attentes du marché. Nous croyons donc davantage à « des » chronologies qu’à « une » chronologie des médias. Lesquelles ? Pour qui ? Il faudra pour le déterminer faire des tests, des analyses plus poussées et plus objectives. En ce sens, le concept d’expérimentation qui sous-tend le programme de MEDIA et qui est préconisé dans le rapport Lescure nous paraît particulièrement adapté. Raisonnable et rationnel, il devrait permettre de nourrir efficacement l’indispensable débat de la profession.

EM@ : Après celui des 8-12 juillet, un second round de négociation va se tenir à Bruxelles du 7 au 11 octobre pour un accord de libre-échange commercial entre Etats-Unis et Europe : vous qui exportez des films français, pensez-vous que les services audiovisuels doivent être exclus de ces négociations ou faut-il saisir des opportunités, notamment en VOD ?
V. G. et B. C. :
Il faut sans cesse le répéter, le cinéma, comme les autres biens culturels, n’est pas un produit marchand comme les autres, et il est fondamental de préserver l’exception culturelle. Cela n’est cependant en rien incompatible avec le respect des contraintes économiques, et donc pas contradictoire avec notre acharnement à exporter au mieux les films français.

EM@ : FilmoTV est sur le web avec Filmotv.fr et sur tablettes Android et iOS,
mais aussi proposé par Orange et Numericable : quand serez-vous sur SFR, Free, Bouygues Telecom, Virgin Mobile et pourquoi pas la Xbox ? Filmo TV est aussi sur les TV connectées de LG, Samsung et Philips : entre box et cloud, quel est l’avenir de la VOD ?
V. G. et B. C. :
Nous espérons rejoindre Free, SFR et Bouygues le plus tôt possible ! Cela ne dépend que d’eux… Compte-tenu des spécificités et des atouts de FilmoTV, très en phase avec les attentes du public, sa reprise par l’ensemble des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) nous semble avoir un vrai sens commercial pour eux. Le marché français se caractérise par le poids des FAI dans la consommation VOD, largement parce que nos opérateurs ont été, et sont encore, parmi les plus efficaces. Il est très probable que les autres platesformes – téléviseurs connectés, tablettes, consoles et autres – connaissent une forte croissance, et ceci d’autant plus qu’elles permettent désormais de visionner l’oeuvre sur le terminal préféré des consommateurs, à savoir la télévision. C’est pour accompagner ces nouveaux usages que nous avons lancé à la rentrée FilmoCloud, qui permet dorénavant aux abonnés à notre service de SVOD, FilmoTV, d’y avoir accès sans conditions de lieu, de temps ou de terminal, tout en retrouvant partout son environnement personnel comme ses favoris, ses recommandations, ses commentaires ou ses achats dès qu’il se reconnecte. Il peut même reprendre la lecture d’un film là où elle s’était arrêtée. De plus, grâce au streaming adaptatif, l’abonné obtient la meilleure qualité d’image possible en fonction du débit de son accès à Internet [le passage en haut définition peut se faire sans interruption de signal, ndlr]. De là à déloger les boîtes, je ne sais pas. Les FAI ont eux aussi encore beaucoup d’arguments à faire valoir et beaucoup d’innovations dans leurs cartons… @

Maxime Lombardini, DG de Free : « Nous sommes toujours les plus innovants dans les services vidéo »

Le directeur général du groupe Iliad, Maxime Lombardini, explique à Edition Multimédi@ les raisons de la performance de Free, dont l’activité mobile a dépassé la masse critique de 10 % de parts de marché en 18 mois. Il mise sur une offre « premium TV » qui devrait contribuer à augmenter encore l’ARPU de la Freebox.

Propos recueillis par Charles de Laubier

MLEdition Multimédi@ : Les résultats semestriels confirment
que Free a désormais plus d’abonnés mobile (6,7 millions) que d’abonnés haut débit (5,5 millions) : ce basculement en 18 mois change-t-il la culture de l’entreprise ?

Maxime Lombardini : Notre culture d’entreprise ne changera pas. Nous cherchons toujours la croissance organique en restant fidèle
à notre stratégie : des offres simples, innovantes et de qualité à des prix attractifs.

EM@ : Dans le haut débit, l’ARPU est en légère augmentation à 35,9 euros par
mois et à 38 euros pour la Freebox Révolution : comment expliquez-vous cette performance (option TV à 1,99, usages, services) malgré la baisse des terminaisons d’appel et la hausse de la TVA ?

M. L. : Plus de deux ans et demi après son lancement, la Freebox Révolution reste la meilleure box du marché et rencontre un grand succès [le nombre d’abonnés ayant la nouvelle box n’est pas divulgué, ndlr]. Elle donne accès à une multitude de services
qui sont de plus en plus utilisés : c’est clairement devenu le cœur numérique du foyer ! L’ARPU suit ce succès.

EM@ : Comment se traduit dans les chiffres l’accélération de l’intégration fixe-mobile ?
M. L. : Le « quadruple play » existe chez nous depuis le lancement de l’offre mobile en février 2012. Nous proposons à nos abonnés mobiles une offre à tarif privilégié s’ils sont abonnés à la Freebox mais les deux abonnements restent indépendants. Vive la liberté
et la transparence !

EM@ : Y aura-t-il un quadruple play 4G ?
M. L. :
Sur la 4G, à ce stade pas de commentaire, nos concurrents parlent assez ! Mais rassurez vous nous serons au rendez-vous.

EM@ : Cela fait maintenant trois ans que Free a instauré l’option TV à 1,99 euros, décision encore aujourd’hui critiquée par certains [lire ci-dessous] qui y voient le moyen pour Free de moins payer au titre de la taxe TSTD : quelles taxes payez-vous pour le financement de la création ? M. L. : Nous participons au financement de la création au travers de nombreuses taxes et contributions : Sacem, Angoa-Agicoa, Cosip, taxe sur la VOD, copie privée… Et par ailleurs, nous jouons un rôle majeur dans la distribution des chaînes et dans leur évolution technologique (TV de rattrapage, services associés, VOD…). S’il y a une question à poser c’est plus celle de la contribution des OTT.

EM@ : Free met en avant son offre TV avec plus de 450 chaînes, dont 185 incluses l’option TV à 1,99 euros : les autres, environ 225 chaînes, sont proposées dans une option supplémentaire pour des prix mensuel de 1 euros à plus de plus de près de 25 euros : comment s’enrichit le premium TV et que rapporte-t-il ?
M. L. :
L’ADSL et le FTTH deviennent le vecteur principal de la réception de la vidéo dans les foyers français. Nous veillons à offrir l’offre de base la plus riche possible, d’une part, et l’accès à toutes les offres payantes du marché, d’autre part. Nous sommes toujours
les plus innovants : c’est Free qui le premier a lancé la SVOD avec Free Home Video en 2007, le téléchargement définitif avec Disneytek et ABCtek, ainsi que Canal+ à la demande. C’est Free également qui a généralisé la TV de rattrapage. C’est Free qui a,
dès 2006, offert le PVR [Personal Video Recorder ou magnétoscope numérique, ndlr] en standard inclus dans l’abonnement. Par ailleurs, le premium TV s’est enrichi avec l’arrivée de nouvelles chaînes de sport et de cinéma : BeIn Sport, Ciné+ ou encore tout récemment Paramount Channel. Nos abonnés disposent de plus de choix, à tous les prix. @

Virgin Mobile négocie avec Videofutur et TeVolution

Le 5 juillet, Pascal Rialland, DG de Virgin Mobile, nous indique que « les discussions avancent bien avec Netgem » en vue de lancer en octobre prochain une nouvelle offre de VOD à la place de Club Vidéo de SFR. Netgem, qui opère Videofutur, fournit déjà les box de l’opérateur mobile virtuel.

PRSelon nos informations, c’est avec Netgem – le fournisseur de
ses box – que Virgin Mobile devrait signer en juillet pour lancer
en octobre prochain sa nouvelle offre de VOD à l’acte et par abonnement. Ce fabricant français de box et de décodeurs, qui
fut la maison mère de Videofutur de 2008 à 2010, a repris en avril dernier le contrôle de ce service de VOD dans le cadre d’une fusion-absorption et l’intègre désormais dans ses box.
« Nous avons étudié deux offres dont celle de Videofutur. Le lancement en prévu en octobre », nous a indiqué Pascal Rialland (photo), le directeur général d’Omea Telecom, maison-mère de Virgin Mobile.

Remplacer Club Vidéo de SFR d’ici octobre
Le premier opérateur mobile virtuel (full-MVNO) s’intéresse en effet aussi à TeVolution,
un opérateur de VOD associé à Filmoline (éditeur de FilmoTV du distributeur de films Wild Bunch). Mais TeVolution, dont l’offre « tout-en-un » (TNT, VOD, Catch up TV) a été lancée le 1er juillet, se présente plus comme un concurrent de Videofutur.
Pour l’heure, Virgin Mobile, qui s’appuie sur les réseaux d’Orange et de SFR, propose le Club Vidéo de ce dernier depuis le lancement début 2012 de sa box triple play fournie par Netgem.
Ces négociations avec Netgem (1) interviennent quelques jours de la signature, en juin, entre Videofutur et deux sociétés de gestion de droits d’auteurs : la SACD (2) et l’ADAGP (3). Il autorise le service d’abonnement de Videofutur (offre Pass Duo) à utiliser les films dont l’exploitation a été autorisée par leurs producteurs. Ce qui vient renforcer le catalogue de Videofutur qui compte déjà 20.000 titres. En voulant rendre plus attractive son offre de VOD, Virgin Mobile entend regagner le terrain perdu depuis l’arrivée de Free Mobile. Après avoir atteint les 2 millions d’abonnés fin 2011, le premier MVNO français a vu sa base de clientèle retomber à 1,7 million aujourd’hui. Ses résultats 2012/2013 (clos le 31 mars) font état d’un chiffre d’affaires en hausse de 8 % à 560 millions d’euros mais d’un Ebitda (4) en chute de 16,6 % à 25 millions.
La VOD et sa future offre 4G pourraient lui permettre d’augmenter ses parts de marché.
« Nous n’avons pas finalisé la date de lancement de la 4G. A ce stade, la cible se situe entre décembre 2013 et Avril 2014. La 4G est intéressante quand le niveau de service rend l’existence d’un premium logique, d’où cette estimation à début 2014 », avance Pascal Rialland. @

Libre-échange : les craintes sur l’exception culturelle n’interdisent pas de s’interroger sur les quotas

Les acteurs du monde culturel sont sur le pied de guerre dans l’attente du 14 juin prochain, date à laquelle le Conseil de l’Union européenne examinera le projet de mandat transmis par la Commission européenne en vue de négocier avec les Etats-Unis un accord de libre-échange.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée et Laurent Teyssandier, avocat, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Christiane Féral-Schuhl est Bâtonnier du barreau de Paris.

Christiane Féral-Schuhl est Bâtonnier du barreau de Paris.

L’approbation par la Commission européenne, le 12 mars dernier, d’un projet de mandat pour la négociation d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis soulève d’importantes contestations dans les milieux culturels européens – français en tête.
En cause, une intégration des services audiovisuels
et culturels dans le périmètre des négociations qui porteraient atteinte à « l’exception culturelle » en Europe.

La culture « soustraite » aux marchés
L’accord en question, intitulé « Partenariat transatlantique
de commerce et d’investissement », est présenté comme
le plus important accord commercial bilatéral jamais négocié. Il devrait permettre – selon Barack Obama, président des Etats-Unis, José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, et Herman Van Rompuy, président du Conseil européen –
de développer le commerce et les investissements transatlantiques et de contribuer à l’élaboration de règles mondiales pouvant renforcer le système commercial multilatéral.
Cependant, l’ouverture des discussions avec les Etats- Unis reste conditionnée à l’approbation par le Conseil de l’Union européenne, institution dans laquelle siègent les ministres des Etats membres, du projet de mandat qui serait donné à la Commission européenne. Déclarant que l’exception culturelle n’est pas négociable, le gouvernement français a fait savoir qu’il opposerait son veto au mandat (1).
Quels sont les termes et enjeux du débat ? La notion d’exception culturelle peut se définir comme « la volonté de sauvegarder certaines valeurs ou certaines singularités culturelles en s’efforçant de les soustraire aux lois du marché, notamment à celles du commerce international » (2). Cette exception, dont l’objet est de préserver la diversité culturelle,
se traduit en pratique par l’exclusion des activités culturelles des accords commerciaux internationaux.
Au niveau international, c’est sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU) que la diversité culturelle trouve protection. Aux termes de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005, l’Unesco érige la diversité culturelle en « un patrimoine commun de l’humanité » devant être « célébré et préservé au profit de tous » (3). Relevant que « les activités, biens et services culturels ont une double nature, économique et culturelle, parce qu’ils sont porteurs d’identités, de valeurs et de sens et qu’ils ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale », l’Unesco incite les Etats à promouvoir et protéger leurs expressions culturelles. Signataire de la convention, l’Union européenne a toujours veillé à ce que les actes législatifs qu’elle adopte en respectent les principes et que les services audiovisuels soient exclus des négociations sur les accords commerciaux de service (4). L’an dernier, le Parlement européen a à nouveau rappelé l’importance de la diversité culturelle dans une résolution portant sur les relations commerciales et économiques
avec les Etats-Unis (5).
Que ce soit dans l’Union européenne ou en France, c’est principalement par la mise en place de quotas de promotion, de production et de diffusion que les autorités assurent la protection de la diversité culturelle.

Quotas de production et de diffusion
Sur le plan communautaire, ces quotas – véritables armes de défense de la diversité culturelle qui soulèvent des questions à l’heure d’Internet (voir encadré) – ont été instaurés par la directive « Télévision sans frontière » (TVSF) du 3 octobre 1989, abrogée et remplacée par la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA) du 10 mars 2010. Qualifiée de « pierre angulaire de la politique audiovisuelle communautaire », la directive SMA opère une distinction entre la radiodiffusion télévisuelle et les services
de médias audiovisuels à la demande.
Pour la radiodiffusion télévisuelle, service linéaire, les Etats membres sont tenus de veiller à ce que les radiodiffuseurs réservent une proportion majoritaire de leur temps de diffusion à des œuvres européennes et au moins 10 % de leur temps d’antenne ou 10 % de leur budget de programmation à des œuvres européennes émanant de producteurs indépendants.
Pour les services de médias audiovisuels à la demande, services non linéaires, les obligations sont moins fortes, les Etats membres devant seulement veiller à ce que ces services promeuvent la production d’œuvres européennes et l’accès à ces dernières.
Et ce, notamment en contribuant financièrement à la production de ces œuvres ou en
leur réservant une part importante dans le catalogue de programmes proposé par ces services.

La France aux avant-postes
En France, les textes législatifs et règlementaires imposent également aux services de télévision et aux services de médias audiovisuels à la demande des quotas de promotion, de diffusion et de production des œuvres européennes et/ou d’expression originale française. Ainsi, les services de médias à la demande – qu’il s’agisse des services de télévision par rattrapage, des services de vidéo à la demande par abonnement ou par
acte – sont tenus, en application d’un décret du 12 novembre 2010, de consacrer
chaque année une part de leur chiffre d’affaires annuel net de l’exercice précédent à des dépenses contribuant au développement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes, d’une part, et d’œuvres d’expression originale française, d’autre part. Ces services doivent également garantir l’offre d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles, européennes et d’expression originale française en respectant des quotas « catalogue ».
Le projet de mandat approuvé par la Commission européenne le 12 mars 2013 n’exclut pas expressément les services audiovisuels et culturels du périmètre des discussions. Cette absence d’exclusion (6) a soulevé l’ire des acteurs du secteur de la culture en France et en Europe. Craignant la suppression de l’exception culturelle, plusieurs réalisateurs européens ont lancé une pétition appelant les chefs d’Etat européens à
se prononcer en faveur de l’exclusion des services audiovisuels et cinématographiques des négociations entre l’Europe et les Etats-Unis. Cette initiative a trouvé écho auprès des pouvoirs publics. Aux termes d’une proposition de résolution du 29 mars 2013 déclarant que « la culture ne peut être acceptée comme une marchandise comme les autres, sauf à accepter la disposition de la diversité culturelle », l’Assemblée nationale
a demandé à ce que les services audiovisuels soient expressément exclus du mandat
de négociation de la Commission européenne et, à défaut, à ce que le gouvernement s’oppose à ce mandat lors de son examen par le Conseil de l’Union européenne prévu le 14 juin 2013, si nécessaire en utilisant le droit de veto qui lui est conféré par le Traité sur
le fonctionnement de l’Union européenne. Se félicitant de cette initiative, Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, et Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, ont indiqué le 9 avril que « l’exception culturelle n’est pas négociable »
et que « le mandat de négociations du projet de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement qui sera donné par les Etats membres à la Commission devra faire pleinement état de cette ligne rouge ».
Le 24 avril dernier, la commission du Commerce international du Parlement européen
a annoncé qu’un amendement visant à exclure du mandat de négociation les services culturels et audiovisuels, notamment ceux en ligne, avait été adopté (7). Face à cette opposition, Karel De Gucht, commissaire européen au Commerce – sans dire que les services culturels seraient exclus de l’accord – a indiqué que l’exception culturelle ne serait pas négociée et que les Etats membres qui le souhaitent « resteront libres de maintenir les mesures existantes, et la France en particulier restera parfaitement libre
de maintenir ses mécanismes de subvention et de quotas. »  @

* Christiane Féral-Schuhl
est Bâtonnier du barreau de Paris.

ZOOM

S’interroger sur l’effectivité des quotas à l’heure du Net
Si la diversité culturelle doit être protégée en France et en Europe, il faut s’interroger
sur l’effectivité des mécanismes de quotas qui ont été instaurés à une époque où les services culturels étaient assurés par les acteurs nationaux sur les réseaux hertziens. Avec Internet, la diffusion des œuvres culturelles en France n’est plus le monopole de
ces acteurs et il faut compter avec des géants américains qui eux, ne sont pas soumis
à ces législations. L’évolution du marché et des techniques impose donc, si l’on veut sauvegarder la diversité culturelle, de réfléchir à de nouveaux mécanismes pour éviter les distorsions de concurrence entre les acteurs nationaux et leurs compétiteurs étrangers. C’est l’une des pistes envisagées par le rapport Lescure, remis au Président de la République lundi 13 mai, lorsqu’il propose d’expertiser la faisabilité technique d’une taxation des services gratuits financés par la publicité et d’étendre cette taxation aux distributeurs de services de médias que sont les plates-formes vidéo, les constructeurs de terminaux connectés ou encore les magasins d’applications. @

Joseph Haddad, président de Netgem et de Videofutur : « La box des FAI ne doit plus être un bundle forcé Internet-TV »

Président fondateur de Netgem, Joseph Haddad nous explique pourquoi son entreprise a lancé sur Videofutur – dont il est aussi président du conseil d’administration – une OPA qui s’est achevée le 23 avril. En outre, pour lui,
l’offre liée Internet-TV des box n’est plus tenable à l’heure de la TV connectée.

Propos recueillis par charles de laubier

JH

Edition Multimédi@ : Vous avez créé il y a 17 ans Netgem pour « ouvrir la télévision à la puissance de l’Internet »,
en fabricant des box et décodeurs pour les FAI et leurs services gérés IPTV. Aujourd’hui, les OTT et la TV connectée remettent en cause ces walled gardens : Netgem est-il un fabricant de mondes fermés ou d’écosystèmes ouverts ? Joseph Haddad :
Netgem est un « facilitateur » de la nouvelle télévision, un « enabler », c’est-à-dire une entreprise innovante dont le métier est d’inventer les solutions technologiques et les services permettant
d’offrir aux consommateurs de nouvelles formes d’usage de la télé et de la vidéo. Ce qui contribue à offrir aux ayants droits de nouveaux outils de monétisation de leurs œuvres. On assiste aujourd’hui à une nouvelle étape de la révolution de la télévision avec l’Over-The-Top (OTT) et la télévision connectée. Nous nous inscrivons et nous reconnaissons entièrement dans ce nouveau modèle qui ouvre de nouvelles opportunités pour le groupe.

« La marque Videofutur sera maintenue, mais l’activité de Videofutur sera totalement intégrée au sein de l’activité France de Netgem. (…) Et nous comptons lancer dès cette année une nouvelle offre innovante de télé connectée »

EM@ : En devenant la maison mère de Videofutur (après l’avoir été de 2008 jusqu’en 2010), Netgem va intégrer le cloud développé par Videofutur dans
son offre internationale : Videofutur aura-t-il les reins assez solides, notamment
sur l’acquisition de droits de diffusion, pour concurrencer dans le monde Netflix, Amazon ou Hulu ?
J. H. :
Nos objectifs en France sont raisonnables et en fonction de nos moyens, et
nous avons un contrôle complet de notre destinée (technologie, contenus, distribution, financement). Au-delà, Netgem est et reste plus que jamais une entreprise internationale : l’expertise technologique et les produits que nous développons en France ont toujours
été la base de ce que nous avons exporté dans le monde entier : 100 % de nos ventes à l’exportation aujourd’hui sont la directe conséquence de notre expérience acquise lorsque nous avons accompagné le marché français du temps de la période Neufbox. Tandis qu’une part importante de ce que nous vendrons dans les prochaines années dans le monde sera directement issue de notre déploiement Videofutur qui commencera à être intégré dans nos offres internationales dès 2014.

EM@ : La société Videofutur Entertainment Group restera-t-elle une filiale de Netgem ? En outre, comptez-vous lancer une nouvelle offre Videofutur en France ? J. H. : La marque Videofutur sera maintenue, mais l’activité de Videofutur sera totalement intégrée au sein de l’activité France de Netgem. Le patron de Videofutur (Mathias Hautefort, directeur général, ndlr) devenant le patron de Netgem France. Et nous comptons lancer dès cette année une nouvelle offre innovante de télé connectée,
qui marie l’expertise de Netgem et les services de Videofutur.

EM@ : Ayant transformé son modèle économique, en passant de l’activité de location de DVD à la SVOD pour la TV connectée, Videofutur est devenu un
OTT avec son offre passant outre les « box IPTV » des FAI. En vous emparant du
« Netflix » français, n’allez-vous pas vous-mêmes contourner les box et set-top-box que Netgem fournit à ces mêmes FAI ?
J. H. :
Comme vous le savez, Netgem n’est plus aujourd’hui un fournisseur actif sur le marché français (l’entreprise y a réalisé 28,1 millions de chiffre d’affaires en 2012, soit 34,6 % du total, et seulement 25,7 % au 1er trimestre 2013, ndlr). Il n’y a donc aucune
« concurrence » entre cette démarche et les opérateurs. De plus, le marché visé par
nos nouvelles offres vise très précisément les clients qui ne sont pas accessibles par
les offres des FAI, soit environ 35 % à 40 % des foyers en France ne sont pas éligibles par ces FAI. Ils sont beaucoup plus nombreux si l’on calcule en éligibilité HD et en éligibilité multi-écrans HD. La technologie de TV connectée, à la base des nouvelles
offres du groupe, permet d’étendre considérablement l’éligibilité audelà de la TV ADSL. C’est bien cela l’innovation !

EM@ : En France, Netgem fut, jusqu’en 2010, principal fournisseur de SFR – dont vous avez perdu le contrat en 2011 pour la Neufbox Evolution – et depuis juin 2011 de Virgin Mobile pour sa box, laquelle offre le Club Vidéo de SFR pour la VOD : comment va évoluer votre contrat avec Omea Telecom ? Allez-vous proposer d’intégrer Videofutur dans la Virgin box ?
J. H. :
Il est vrai que les opérateurs français ont fait le choix – unique au niveau mondial – de développer en interne leur box, alors que partout ailleurs dans le monde les FAI préfèrent mutualiser les investissements en ayant recours à des acteurs technologiques externes comme nous. Ce qui nous permet de multiplier par près de dix nos ventes internationales ces trois dernières années (à 53,1 millions d’euros de chiffre d’affaires
en 2012, soit 65,3 % du total, ndlr). Pour ce qui concerne les MVNO (opérateurs mobile virtuels), nous pensons qu’ils peuvent être les premiers bénéficiaires de nos nouvelles offres OTT, puisque ces offres leur permettent d’adresser des foyers qui ne sont pas complètement desservis par les opérateurs de réseau. Et nous pouvons leur apporter, grâce à notre rapprochement avec Videofutur, un service opéré de bout en bout, ne réclamant aucun investissement particulier de leur part.

EM@ : Videofutur n’a réalisé que 7,4 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012, avec 50.000 abonnés, plus de 10 ans (novembre 2002) après sa création sous le nom de Glowria Entertainment Group : êtesvous déçu et quels revenus visez-vous ? Quels freins à la SVOD souhaiteriez-vous voir levés en terme de réglementation : faut-il un « must offer » de la VOD ?
J. H. :
Durant ces 17 ans chez Netgem, j’ai souvent pensé que beaucoup de choses iraient plus vite, mais la force de l’entreprise est d’avoir su mûrir et se renforcer, sans perdre sa capacité d’innovation. Le débat qui m’intéresse aujourd’hui va un peu au-delà
du « must-offer ». Il est plutôt celui du « bundle forcé », c’est-à-dire de la « vente liée », pour ne pas dire « forcée » : pourquoi est-il impossible en France d’acheter un accès Internet sans se voir imposer une box TV ? Si Free a révolutionné le marché du mobile
en dissociant le forfait et le téléphone, qui osera offrir un accès Internet sans imposer sa box ? Ce découplage des offres ferait beaucoup plus pour les éditeurs de contenus que de tenter de réglementer une nouvelle fois les conditions d’un éventuel « must offer ». Offrir vraiment le choix au consommateur est au cœur de la promesse de la nouvelle télévision connectée ! EM@ : La chronologie des médias, qui relègue en France la SVOD à 36 mois après la salle, doit-elle être réformée ? Est-ce un frein pour Videofutur ? J. H. : Nous n’avons aucune prétention à demander à changer les règles du jeu. Nous souhaitons seulement qu’elles restent les mêmes pour tous. @

Edition Multimédi@ : Videofutur n’a réalisé que 7,4 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012, avec 50.000 abonnés, plus de 10 ans après sa création : êtes-vous déçu et quels revenus visez-vous ? Faut-il un « must offer » de la VOD ?
Joseph Haddad :
Durant ces 17 ans chez Netgem, j’ai souvent pensé que beaucoup de choses iraient plus vite, mais la force de l’entreprise est d’avoir su mûrir et se renforcer, sans perdre sa capacité d’innovation. Le débat qui m’intéresse aujourd’hui va un peu audelà du « must-offer ». Il est plutôt celui du « bundle forcé », c’est-à-dire de la « vente liée », pour ne pas dire « forcée » : pourquoi est-il impossible en France d’acheter un accès Internet sans se voir imposer une box TV ?
Si Free a révolutionné le marché du mobile en dissociant le forfait et le téléphone, qui osera offrir un accès Internet sans imposer sa box ? Ce découplage des offres ferait beaucoup plus pour les éditeurs de contenus que de tenter de réglementer une nouvelle fois les conditions d’un éventuel « must offer ». Offrir vraiment le choix au consommateur est au coeur de la promesse de la nouvelle télévision connectée !