Vincent Grimond et Brahim Chioua, Wild Bunch : « La croissance de la VOD/SVOD pâtit clairement du piratage »

Cofondateurs de Wild Bunch, respectivement président et directeur général, Vincent Grimond et Brahim Chioua expliquent à EM@ comment évoluent leurs métiers de distribution et de co-production de films sur fond de révolution numérique du cinéma : VOD, piratage, chronologie des médias, TV connectée, « cloud », …

Propos recueillis par Charles de Laubier

VGEdition Multimédi@ : Anciens de StudioCanal, vous avez co-fondé Wild Bunch il a plus de dix ans : quel est le chiffre d’affaires du groupe en 2012, pour quelle croissance ? Comment se répartissent ces revenus entre les différents marchés : salles, vidéo à la demande (VOD), international
et télévision ? Vincent Grimond (photo) et Brahim Chioua :
Effectivement, la société Wild Bunch a été créée en 2002… Depuis cette date, le taux de croissance annuel moyen de
notre chiffre d’affaires a été de 24 % ce qui nous a permis
de constituer un joli catalogue d’environ 1.800 films tels que « La Vie d’Adèle », « The Immigrant », « Le Petit Nicolas », …
Et le chiffre d’affaires des ventes internationales est devenu inférieur à celui de la distribution directe (salle de cinéma, vidéo en DVD, Blu-ray et vidéo à la demande et télévision), secteur d’activité où nous sommes présents en Allemagne, Italie, en Espagne, et bien sûr en France, laquelle demeure notre premier marché.

« Nous croyons donc davantage à « des » chronologies
qu’à « une » chronologie des médias. Lesquelles ?
Pour qui ? Il faudra pour le déterminer faire des tests,
des analyses plus poussées et plus objectives.»

EM@ : Il y a six ans, en 2007, vous avez créé la filiale Filmoline pour lancer FilmoTV, une plate-forme de (S)VOD. La VOD en France a connu pour la première fois au 1er semestre 2013 une baisse de 6,4 % sur un an, selon GfK : pensez-vous comme le SEVN que cela est dû au piratage ? Observez-vous cette baisse sur FilmoTV ?
V. G. et B. C. :
De fait, FilmoTV est le premier service joint de VOD et de SVOD créé
en France. Nous estimions alors en particulier qu’un service par abonnement avec une « éditorialisation » forte correspondait bien à l’évolution du marché.
Apparemment, nous étions plutôt dans le vrai… Comme pour l’ensemble des modes de distribution du cinéma, la croissance de ce segment de VOD/SVOD pâtit clairement du piratage. Même étoffée, l’offre légale ne pourra pas résister aux offres illégales, surtout
si la consommation de ces dernières se fait en toute impunité. Et effectivement, les événements récents, en particulier la confusion autour de la suppression de l’Hadopi
et du transfert de son rôle de sanction au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), ne favorisent guère la prise de conscience du caractère dommageable et illicite du piratage, pour le dire diplomatiquement…

EM@ : Allez-vous en outre proposer UltraViolet qui permet de coupler la vente
de DVD/Blu-ray et de VOD, sachant que la licence du consortium DECE est prête techniquement pour la France et l’Allemagne depuis le 24 septembre ?
V. G. et B. C. :
Nous considérons qu’il y a un gros retard sur le développement du téléchargement définitif et étudions avec attention toutes les opportunités pour le développer. Cela nous concerne tout à la fois en tant qu’éditeur vidéo et en tant que service de VOD (FilmoTV). Nous sommes ouverts à tous les standards, c’est pourquoi FilmoTV vient de migrer vers le cloud en lançant FilmoCloud et que nous suivons très attentivement le déploiement d’UltraViolet en France. Nous voulons bien sûr être partie prenante dans ces développements.

EM@ : « Speed Bunch » fait partie des trois projets sélectionnés il y a un an par
le programme européen MEDIA pour tester la sortie (quasi)simultanée de films
en salles et VOD : c’est le cas du documentaire « L’Esprit de 45 » qui est à l’affiche dans 5 pays : en France, la prochaine chronologie des médias [délais de diffusion des films en DVD, VOD et TV après la salle] doit-elle prévoir des cas de (quasi)simultanéité ?
V. G. et B. C. :
Le film est sorti en VOD le 13 septembre, en même temps sur tous les territoires. La sortie VOD dans chacun des cinq pays est intervenue via une plate-forme multi-territoires, iTunes, et sur des services domestiques au premier rang desquels figure FilmoTV, le service filiale de Wild Bunch en France. De plus, « L’esprit de 45 » a été distribué en salle simultanément ou quasi simultanément avec la VOD en Espagne (Vertigo), en Italie (BIM Distribuzione) et en Belgique (Cinéart), mais pas en France où
la chronologie des médias ne le permet pas. A ce propos, qu’il y ait des règles de chronologie des médias pour protéger les opérateurs qui contribuent à la vitalité du
cinéma nous semble légitime.
Mais nous ne croyons pas qu’une seule et même règle puisse s’appliquer à tous les films, compte tenu en particulier de la diversité des modèles économiques des films et des attentes du marché. Nous croyons donc davantage à « des » chronologies qu’à « une » chronologie des médias. Lesquelles ? Pour qui ? Il faudra pour le déterminer faire des tests, des analyses plus poussées et plus objectives. En ce sens, le concept d’expérimentation qui sous-tend le programme de MEDIA et qui est préconisé dans le rapport Lescure nous paraît particulièrement adapté. Raisonnable et rationnel, il devrait permettre de nourrir efficacement l’indispensable débat de la profession.

EM@ : Après celui des 8-12 juillet, un second round de négociation va se tenir à Bruxelles du 7 au 11 octobre pour un accord de libre-échange commercial entre Etats-Unis et Europe : vous qui exportez des films français, pensez-vous que les services audiovisuels doivent être exclus de ces négociations ou faut-il saisir des opportunités, notamment en VOD ?
V. G. et B. C. :
Il faut sans cesse le répéter, le cinéma, comme les autres biens culturels, n’est pas un produit marchand comme les autres, et il est fondamental de préserver l’exception culturelle. Cela n’est cependant en rien incompatible avec le respect des contraintes économiques, et donc pas contradictoire avec notre acharnement à exporter au mieux les films français.

EM@ : FilmoTV est sur le web avec Filmotv.fr et sur tablettes Android et iOS,
mais aussi proposé par Orange et Numericable : quand serez-vous sur SFR, Free, Bouygues Telecom, Virgin Mobile et pourquoi pas la Xbox ? Filmo TV est aussi sur les TV connectées de LG, Samsung et Philips : entre box et cloud, quel est l’avenir de la VOD ?
V. G. et B. C. :
Nous espérons rejoindre Free, SFR et Bouygues le plus tôt possible ! Cela ne dépend que d’eux… Compte-tenu des spécificités et des atouts de FilmoTV, très en phase avec les attentes du public, sa reprise par l’ensemble des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) nous semble avoir un vrai sens commercial pour eux. Le marché français se caractérise par le poids des FAI dans la consommation VOD, largement parce que nos opérateurs ont été, et sont encore, parmi les plus efficaces. Il est très probable que les autres platesformes – téléviseurs connectés, tablettes, consoles et autres – connaissent une forte croissance, et ceci d’autant plus qu’elles permettent désormais de visionner l’oeuvre sur le terminal préféré des consommateurs, à savoir la télévision. C’est pour accompagner ces nouveaux usages que nous avons lancé à la rentrée FilmoCloud, qui permet dorénavant aux abonnés à notre service de SVOD, FilmoTV, d’y avoir accès sans conditions de lieu, de temps ou de terminal, tout en retrouvant partout son environnement personnel comme ses favoris, ses recommandations, ses commentaires ou ses achats dès qu’il se reconnecte. Il peut même reprendre la lecture d’un film là où elle s’était arrêtée. De plus, grâce au streaming adaptatif, l’abonné obtient la meilleure qualité d’image possible en fonction du débit de son accès à Internet [le passage en haut définition peut se faire sans interruption de signal, ndlr]. De là à déloger les boîtes, je ne sais pas. Les FAI ont eux aussi encore beaucoup d’arguments à faire valoir et beaucoup d’innovations dans leurs cartons… @