Giuseppe de Martino, Asic : « Les services de vidéos en ligne ne sont pas concernés par le conventionnement »

Le président de l’Association des services Internet communautaires (Asic), dont sont membres Google/YouTube, Facebook, Dailymotion, Yahoo, AOL, Spotify ou encore Deezer, tient à mettre les points sur les “i” pour dire que la régulation de l’audiovisuel n’est pas transposable à Internet.

Propos recueillis par Charles de Laubier

GdeMEdition Multimédi@ : La consultation Communication audiovisuelle et services culturels numériques de la DGMIC s’est achevée le 30 octobre. Sans attendre les résultats, la loi sur l’audiovisuel public qui va être promulguée prévoit aux articles 24 et 25 que tous les services de vidéo en ligne sur Internet (SMAd) devront être déclarés auprès du CSA : est-ce justifié et craignez-vous le conventionnement de ces services assorti d’obligations ?
Giuseppe de Martino :
Vous ne pouvez pas dire cela ! Les services de vidéo en ligne ne sont pas en soi des services de médias audiovisuels à la demande (SMAd). Des plates-formes comme YouTube et Dailymotion sont expressément exclues de la définition des SMAd, et ceci tant par la directive européenne « Services de médias audiovisuels » (1) et notamment son attendu n°16 que par la loi française elle-même. Relisez le texte !
Donc nous ne craignons rien, si ce n’est – pour les SMAd que nous ne représentons
pas – un formalisme inutile et freinant leur développement balbutiant.
On souhaiterait annihiler l’écosystème français et sa capacité à se développer que l’on
ne s’y prendrait pas autrement. Qui se souvient que la culture française est l’un de nos premiers secteurs d’exportation? En empêchant des acteurs français de se développer
et de pouvoir se battre à armes égales en Europe, on va tout simplement insérer des clous supplémentaires dans leur cercueil.

EM@ : Quels types de sites vidéo (YouTube, Dailymotion, Viadeo, presse en ligne, blogs, webradios, …) seraient concernés par le conventionnement des SMAd auprès du CSA ? Ce conventionnement, sur le mode « convention contre accès aux oeuvres », doit-il être volontaire ou obligatoire ? Craignez-vous la régulation du Net par le CSA ? Y a-t-il risque pour les droits fondamentaux ?
G. de M. : Nous, plates-formes de vidéos sur Internet, ne sommes pas concernés. Après, il est vrai que le parlement a souhaité soumettre une centaine de SMAd – incluant, principalement, la presse en ligne – à une déclaration auprès du CSA sous peine de sanction pénale. Cela est sans doute regrettable. surtout que ces médias, ayant jusqu’alors une liberté de ton et d’opinion, devront, notamment à l’occasion des prochaines élections municipales, respecter les règles rigides créées pour la télévision. A l’heure où la vidéo est devenue accessible à tous, le numérique offrant une vaste diversité, est-ce qu’il y a encore un intérêt à vouloir réguler ces expressions politiques ? Et de notre côté, est-ce que nous craignons le CSA ?
Pas du tout ! Nous avons un dialogue constructif avec la nouvelle équipe et nous maintenons notre position habituelle : la régulation de l’audiovisuel, contrepartie de l’attribution de fréquences, ressources rares, n’est en aucun cas transposable à Internet. Les seuls pays qui régulent Internet sont des dictatures. Donc, la France est a priori épargnée.

EM@ : Depuis le rapport Lescure et les déclarations du président du CSA, Olivier Schrameck, la question de la redéfinition juridique du statut d’hébergeur (aux obligations limitées) et du statut d’éditeur (aux obligations renforcées) est plus
que jamais posée. Est-il envisageable de cerner et d’isoler l’activité éditoriale des plates-formes vidéo ?
G. de M. :
La question de la redéfinition juridique de l’hébergeur, alors même que ce statut est sanctifié par la Cour de cassation et par la réglementation européenne, n’est soulevée que par les lobbyistes de l’industrie culturelle française. Et ce, alors même que les membres de leurs syndicats, ceux qui évoluent dans la « vraie » vie, dans la vie économique, travaillent déjà avec nous. Arrêtons donc de donner de l’importance à
ces vagissements stériles. Les chiens aboient et la caravane passe…

EM@ : Le gouvernement étudie à responsabiliser davantage les intermédiaires techniques _ hébergeurs, financiers, publicitaires, … _ dans la lutte contre le piratage. L’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit déjà que
« toute personne » puisse y contribuer comme dans l’affaire AlloStreaming : le gouvernement doit-il suivre les rapports de Mireille Imbert Quaretta (2) et de
Pierre Lescure (3) à ce sujet ?
G. de M. :
Il faut arrêter de penser comme si le village des irréductibles Gaulois existait vraiment : toute réflexion doit être européenne, voire mondiale. Les initiatives locales sont condamnées à échouer misérablement. On peut juste s’étonner que Bruxelles travaille activement sur la question de l’amélioration des procédures de notification ou sur la lutte contre la contrefaçon commerciale, et qu’elle ne trouve aucun soutien de la part du gouvernement français. A la place, depuis plus de dix-huit mois, plus d’une dizaine de rapports ont été demandés, sur quasiment tous les sujets traités par Pierre Lescure. A l’heure du numérique, peut-être serait-il utile d’arrêter d’abattre des arbres pour imprimer des rapports. Ce n’est pas en les abattant qu’on découvrira ce que cache la forêt. C’est en ouvrant les yeux !

EM@ : Le projet de loi Egalité femmes-hommes prévoit l’extension à de
« nombreuses infractions » de l’obligation de signalement imposée aux acteurs
et intermédiaires de l’Internet. Pourquoi l’Asic a-t-elle tiré la sonnette d’alarme
le 27 septembre dernier ?
G. de M. :
A l’occasion de son examen, le Sénat a imposé, à l’article 17, de nouvelles obligations de signalement pesant sur l’ensemble des acteurs d’Internet. Alors que cette obligation était – pour des raisons d’efficacité – circonscrite aux infractions les plus graves, les sénateurs ont souhaité étendre la mesure à de nombreuses infractions et
vont remettre en cause son équilibre. Pour l’Asic, cette mesure est contre-productive et dangereuse à plus d’un titre. Elle va aboutir à envoyer un très grand nombre de signalement aux services de police et en particulier à la plate-forme de signalement de l’OCLCTIC (4), dite « Pharos ». En effet, les intermédiaires d’Internet n’ont aujourd’hui
pas les pouvoirs, ni la légitimité, de juger si un contenu relève ou non d’un des cas de discrimination visé par cet article 17.
Le principe de précaution aboutira donc à adresser toutes ces notifications aux autorités répressives. Si l’ensemble des membres de l’Asic pense que la lutte contre les discriminations est importante, il est regrettable de constater qu’aucun moyen humain supplémentaire n’a été octroyé à ces services pour les prochaines années.

EM@ : Pourquoi craignez-vous que cela n’engorge la plate-forme policière de signalements ?
G. de M. :
Imaginez, Pharos c’est aujourd’hui uniquement 10 policiers et gendarmes qui ont dû traiter en 2012 près de 120.000 signalements. De manière pratique, chaque agent se doit donc d’analyser un signalement toutes les 5 minutes ? Comment voulez-vous que l’on ait un traitement satisfaisant ! Avec cette nouvelle loi, nous allons assister à une situation effrayante où les contenus les plus ignobles, des propos ouvertement haineux ou révisionnistes et des comportements dangereux pour la sécurité intérieure, seront noyés parmi les signalements reçus par les autorités. Avec un tel article adopté, sans aucun moyen – important et sans précédent – offert aux services de police et de gendarmerie, nous risquons de laisser certains crimes se commettre. Nous sommes étonnés que ni les parlementaires, ni le gouvernement n’aient fourni des garanties permettant de s’assurer que les autorités auront les moyens de gérer efficacement ces nouvelles obligations. Aucune étude d’impact ne semble avoir été réalisée. @