Projet de loi « Liberté de création » et lutte contre le piratage : Fleur Pellerin est à pied d’oeuvre pour 2015

La ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, promet pour début 2015 un projet « Liberté de création, architecture et patrimoine » aux contours numériques encore flous. Tandis qu’elle prépare par ailleurs un renforcement de la lutte contre le piratage, avec « listes noires », et « chartes sectorielles », préférant l’autorégulation des acteurs du Net à la loi.

(Depuis la parution de cet article le 15 décembre dernier dans Edition Multimédi@, un texte de l’avant-projet de loi « LCAP » – accessible ici – a commencé à circuler.)

Fleur Pellerin portrait« Le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine [LCAP, ndlr] sera présenté au premier trimestre 2015 en conseil des ministres », a promis à nouveau Fleur Pellerin (photo), ministre de la Culture et de la Communication, le 26 novembre dernier. Elle avait déjà eu l’occasion de le dire le 14 octobre, au cours de son audition par la commission des Affaires culturelles et de l’Education de l’Assemblée nationale.
Ce projet de loi fait l’objet de réunions interministérielles qui vont se poursuivre début 2015. Le gouvernement a encore jusqu’au 25 mars 2015, date du dernier conseil des ministres du premier trimestre, pour affiner un avant-projet de loi. Aucun texte ne circulait et n’était encore soumis à discussion au moment où nous avons publié cet article le 15 décembre dernier (une version accessible ici a été rendue publique depuis).

Vaste loi « Liberté de création, etc. » sans l’Hadopi
Promis depuis deux ans et demi, depuis que François Hollande est président de la République, le projet de loi « Création » s’est transformé au fil du temps en projet de loi à trois volets : « Liberté de création, architecture et patrimoine ». « Ce qui montre que je ne m’intéresse pas qu’à l’audiovisuel et au numérique ! », avait justifié Fleur Pellerin, comme pour rassurer le monde de la culture que ses fonctions passées de ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Economie numérique (juin 2012-avril 2014) ne l’ont pas rendue « tout-numérique ».
Ce projet de loi fera-t-il pour autant l’impasse sur le numérique ? Alors que le transfert des compétences de l’Hadopi (1) vers le CSA (2) devait être inscrit dans le projet de loi « Création » sans lendemain d’Aurélie Filippetti, cette mesure est désormais oubliée par sa successeur Fleur Pellerin. D’autant que le budget de l’Hadopi pour 2015 a d’ores
et déjà été fixé par « Liberté de Création » du futur projet de loi prévoira des mesures
« numériques », notamment en faveur des artistes et interprètes qui revendiquent une meilleure rémunération dans la musique en ligne (streaming en tête). Fera-t-elle aussi la part belle aux exceptions aux droits d’auteurs ? « Nous devons travailler sur les demandes d’exception, comme (…) sur l’”exploration des données” (text and data mining)et sur les œuvres transformatives », a déclaré Fleur Pellerin le 18 novembre devant le CSPLA (3) qui dépend de son ministère, en faisant référence au mashup,
à l’hackathon ou encore à la création par hybridation numérique.

Chartes et listes noires antipiratages
Mais le sujet le plus sensible pour la ministre de la Culture et de la Communication sera le renforcement de la lutte contre le piratage sur Internet que les industries culturelles de la musique et du cinéma disent en constante augmentation. Ralliée à l’approche de « droit souple » adoptée par Mireille Imbert-Quaretta (MIQ) dans son rapport sur la lutte contre la contrefaçon en ligne, Fleur Pellerin préfèrerait favoriser l’autorégulation plutôt que d’avoir à légiférer dans un domaine aussi sensible. La loi « Liberté de création » ne devrait donc pas compléter la réponse graduée, sauf peut-être en renforçant la coopération entre l’Hadopi et les services de l’Etat.
Le premier outil que préconise le rapport MIQ consiste à faire signer aux acteurs du
Net concernés « des chartes sectorielles avec les acteurs de la publicité et du paiement en ligne ». Selon nos informations, l’élaboration de deux chartes de bonne conduite (publicité et paiement en ligne) vient de commencer dans le cadre de discussions menées à un niveau interministériel : ministère de la Culture et de la Communication, ministère de la Justice, ministère de l’Intérieur. Le Syndicat des régies Internet (SRI)
est le plus avancé en la matière car elle dispose déjà d’une « charte de qualité » qui prévoit, depuis 2013, que ses membres (Yahoo, Microsoft, Dailymotion, Orange, Lagardère Active, HiMedia, …) s’engagent à « empêcher la diffusion de messages publicitaires sur les sites coupables de manquements répétés aux droits de propriété intellectuelle ». Une troisième charte est envisagée pour les moteurs de recherche et les hébergeurs.
Le deuxième outil « antipiratage » proposé par le rapport MIQ, et que Fleur Pellerin a déjà fait sien, consiste en « une information publique sur les sites Internet qui portent massivement atteinte au droit d’auteur et aux droits voisins ». En d’autres termes, il s’agit d’une « liste noire » portée à la connaissance non seulement de tous les intermédiaires techniques de l’Internet mais aussi des internautes et mobinautes eux-mêmes. Selon Mireille Imbert- Quaretta, qui est aussi la président de la commission
de protection des droits (CPD), le bras armé de l’Hadopi dans la réponse graduée,
cette blacklist permettrait de « renseigner le public, qui s’interroge parfois sur la licéité d’un site en particulier ». Tous les acteurs numériques intervenant dans l’écosystème en ligne (opérateurs télécoms, FAI, moteurs de recherche, régies et serveurs de publicités en ligne, système de e-paiement, …) devront prendre connaissance de
cette liste noire et prendre eux-mêmes les mesures qui s’imposent pour lutter contre
le piratage en ligne. « Beaucoup des propos du rapport [MIQ] me paraissent très intéressants et l’Hadopi pourra mettre certaines de ses propositions en oeuvre :
je suis en train de voir celles qui exigent des aménagements législatifs ou requièrent
un dialogue avec le ministère de la justice. L’établissement et la publication de listes noires me paraissent par exemple entrer dans le cadre des compétences de l’Hadopi », a expliqué Fleur Pellerin devant les députés le 14 octobre. Les acteurs de la publicité et du paiement en ligne se sont dits favorables à cette démarche d’autorégulation pour lutter contre la contrefaçon commerciale en ligne.
Il s’agit, dans le cadre de la directive « Commerce électronique » (4) de 2000,
d’« assécher » les ressources des sites web dits « massivement contrefaisants »
selon une approche dite « follow the money ». Mais avant de « frapper au portefeuille », les acteurs du Net demandent à ce qu’il y ait « l’intervention de l’autorité publique qui constaterait, notamment à partir d’informations fournies par les ayants droit, les atteintes et qui rendrait ses constatations publiques ». D’où l’instauration de listes noires officialisée par une autorité publique qui devrait être l’Hadopi. C’est ce qui se passe par exemple aux Etats-Unis, où une « Notorious Markets List » (5) recense les sites web de contrefaçon ou de violation de droits d’auteur.
Sans légiférer, Fleur Pellerin pourrait ainsi contourner la loi « LCEN » (6), promulguée
il y a dix ans (7), laquelle prévoit une responsabilité limitée des hébergeurs techniques, lesquels ne sont tenus responsables de piratage en ligne que si les contenus contrefaits leurs sont signalés par notification. Dans ce cas, conformément à l’article
14 de la directive « Commerce électronique », ils sont tenus les retirer promptement.

Impliquer les intermédiaires du Net
Bien que les hébergeurs ne puissent pas être soumis à « une obligation générale de surveiller les informations » (8), ils peuvent quand même être soumis à des obligations spécifiques dès lors qu’il y a « une violation ». C’est cette brèche législative que va exploiter Fleur Pellerin pour impliquer tous les intermédiaires dans la lutte contre le piratage sur Internet. Et ce, dès 2015. Nul acteur du Net ne sera censé ignorer la liste noire ou dire qu’il ne savait pas. Mais cette publicité sur les sites web proposant musiques et films (voire livres) piratés ne risquera-t-elle pas de tenter de nouveaux internautes prêts à braver les interdits ? L’avenir nous le dira. @

Manuel Valls fut contre l’Hadopi : il est aujourd’hui pour la réponse graduée et la répression contre le piratage

Pour la seconde fois depuis qu’il est Premier Ministre, Manuel Valls a obtenu la confiance de l’Assemblée nationale. Mais s’il est un sujet sur lequel le chef du gouvernement a bien changé, c’est sur la lutte contre le piratage – à la satisfaction du monde de culture. C’est le retour en grâce de l’Hadopi.

Par Charles de Laubier

Manuel Valls DR« Nous avons sans doute sous-estimé l’impact du piratage de masse. Il est pourtant une vraie source d’appauvrissement pour l’ensemble du secteur de la création. La réponse graduée garde toute son actualité pour lutter contre les pratiques illégales sur les sites utilisant le peer-to-peer », a lancé Manuel Valls (photo), la veille de son grand oral devant l’Assemblée nationale pour obtenir la confiance de son second gouvernement en cinq mois (1). C’était devant un parterre très sélect du monde de la Culture, le 15 septembre dernier, à l’occasion de l’inauguration d’une exposition au Grand Palais et
en présence de Fleur Pellerin, nouvelle ministre de la Culture et de la Communication.

Streaming : le Premier ministre fait sien le rapport MIQ
Qu’il est loin le temps où celui qui est devenu Premier ministre tenait un tout autre discours sur la lutte contre le piratage. « Le projet de loi Hadopi est attentatoire aux libertés fondamentales et n’apportant aucune réponse aux besoins de financement
des créateurs », avait-il signé dans un appel du 17 juin 2008 paru dans Libération.
L’année suivante, il avait encore fustigé la loi Hadopi dans un discours prononcé le 29 juin 2009 au Théâtre Michel, alors que le premier volet de cette loi controversée venait tout juste d’être promulgué : « La loi Hadopi a révélé au grand jour l’incapacité du pouvoir en place [Nicolas Sarkozy et François Fillon à l’époque, ndlr], et pas seulement, à saisir les enjeux et les évolutions technologiques de notre époque » (2).
Puis, cette fois lors des primaires socialistes où il était candidat à l’investiture du PS pour la présidentielle, il déclarait le 8 octobre 2011 sur son blog de campagne Valls2012.org : « Je n’ai jamais tergiversé sur l’abrogation nécessaire de cette loi qui induit la répression, soldée par une sanction pénale, administrative et financière ». Celui qui fut député-maire d’Évry (Essonne) durant dix ans (2002 à 2012), qui se disait en plus favorable à une « contribution créative adaptée » à défaut de licence globale (3), a donc changé d’avis et renié ses convictions-là, maintenant qu’il est Premier ministre depuis le 31 mars. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de discréditer la loi Hadopi – laquelle a certes entre temps été amputée de la coupure de l’accès à Internet, comme l’avait profit François Hollande. Bien au contraire : « Mais il faut aussi s’attaquer aux autres vecteurs de piraterie en se concentrant sur ceux qui diffusent massivement des oeuvres. Le rapport de Mireille Imbert-Quaretta a ouvert des pistes de travail intéressantes, impliquant notamment une autorégulation des opérateurs de l’Internet », a-t-il poursuivi dans son discours au Grand Palais.

Légiférer à nouveau contre le piratage
Mireille Imbert-Quaretta (« MIQ »), qui est au sein de l’Hadopi la présidente de la commission de protection des droits (CPD), à savoir la dernière courroie de transmission avant l’envoi des supposés pirates récidivistes devant la justice, a remis
le 12 mai dernier son rapport sur « les moyens de lutte contre le streaming et le téléchargement direct illicites » (4). MIQ y préconise d’impliquer les intermédiaires de l’Internet à la lutte contre les sites de streaming et de téléchargement direct illicites :
les moteurs de recherche en déréférençant les liens incriminés, les régies publicitaires en ne passant plus d’annonces sur ces sites, ou encore les fournisseurs de systèmes de paiement en empêchant tout règlement.
Manuel Valls a donc clairement dit que le rapport MIQ fera l’objet de transpositions législative : « Je ne doute pas que le Parlement – et je salue Patrick Bloche, le président de la commission des Affaires culturelles à l’Assemblée nationale – s’en saisira, et que Fleur Pellerin [ministre de la Culture et de la Communication], déjà une fine connaisseuse, ouverte au monde, moderne, qui n’est pas repliée sur elle-même (…), en fera une priorité de son action ». Ainsi, le Premier ministre compte bien sur Fleur Pellerin, qui fut ministre déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique (mai 2012 à avril 2014), pour réhabiliter l’Hadopi. Reste à savoir si elle fera sienne le projet de loi « Création », dont la première mouture avait été esquissée par Aurélie Filippetti (5) avant d’être repoussée à 2015.
Quoi qu’il en soit, le discours en faveur d’un élargicement de la lutte contre le piratage au streaming redonne du baume au coeur des industries culturelles, comme le montre l’Association des producteurs de cinéma (APC) qui « salue la volonté du Premier Ministre de lutter contre le piratage des oeuvres sur les réseaux électroniques » et « se félicite que cela soit désormais une priorité » – pour peu que, selon elle, les ministères de la Culture, de la Justice et de l’Intérieur placent « ce combat au coeur de leurs priorités ». De son côté, la SACD demande à voir : « On jugera l’arbre à ses fruits », a écrit son DG Pascal Rogard sur son blog. Cependant, Manuel Valls a dit qu’il ne s’en tiendra pas à la lutte contre le piratage. « Il faut ensuite encourager l’offre légale. Je connais ces débats ; j’y ai participé et je suis ici sous la surveillance d’avis très différents [sourire du ministre]… Les acteurs français de l’audiovisuel et du numérique doivent travailler ensemble pour offrir une alternative forte aux services des acteurs extra-européens ». Car, pour le Premier ministre, « l’offre culturelle ne peut être dans les mains exclusives de géants tels qu’Amazon ou Netflix, aussi attractifs pour les consommateurs que soient leur offre (et nous y participons tous) ». Selon lui, il y a déjà un grand déséquilibre entre d’une part les créateurs et de l’autre les diffuseurs et distributeurs de l’Internet. « Diffuser largement ne doit pas revenir à bafouer l’exception culturelle ou à piétiner les droits des auteurs et des créateurs. Or, cette menace existe ; ne nous le cachons pas. (…) Nous devons bien sûr savoir rapidement nous adapter en faisant tout d’abord mieux contribuer les acteurs de l’Internet à la création. L’enjeu est européen », a-t-il affirmé.
Au cabinet de Fleur Pellerin, une conseillère a justement été officiellement nommée par arrêté publié au J.O. du 11 septembre dernier « chargée du financement de la création, du développement de l’offre légale et du droit d’auteur ». Dans la dénomination à rallonge de sa fonction, l’ordre des trois préoccupations on ne plus sensibles n’est sans doute pas anodine. C’est en tout cas sur elle, Emilie Cariou, qui fut conseillère juridique et fiscale de Fleur Pellerin à l’Economie numérique, puis directrice adjointe en charge du budget et des financements au CNC (6), que le lobbying des ayants droit et des acteurs du Net va s’exercer au cours des prochaines semaines. « Emilie Cariou aura
un rôle très important dans l’écriture de la future loi Création », a confié à Edition Multimédi@ un juriste des indutries culturelles. Elle était par exemple présente lorsque Fleur Pellerin avait été invité le 8 octobre 2012 par la SACD, société de gestion collective des droits dans l’audiovisuel. Elle etait aussi à la soirée de lancement de Netflix en France le 15 septembre…

Emilie Cariou, une conseillère très courtisée
Si le financement de la création est en tête de ses attributions, la fiscalité du numérique n’est pas loin. En tant qu’ancienne élève de l’École nationale des impôts (7) et avec ses treize ans passés au ministère de l’Économie et des Finances, Emilie Cariou s’y intéresse aussi de près : elle fut auditionnée pour le rapport « Collin & Colin » de 2013 sur la fiscalité de l’économie numérique, ainsi que pour celui du sénateur Philippe Marini en 2012. Reste maintenant au Premier ministre à ne pas décevoir les tenants de la répression accrue contre le piratage sur Internet. @

Eric Walter, Hadopi : « On ne peut plus légiférer en 2014 contre le piratage comme on l’a fait en 2009 »

La Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) aura 5 ans le 12 juin. « Si c’était à refaire aujourd’hui, le texte serait sans doute différent » nous dit son secrétaire général, qui dresse un bilan
« largement positif » avec le piratage « stabilisé ». Le nombre de 100 dossiers transmis à la justice est atteint.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Eric WalterEdition Multimédi@ : La loi Hadopi du 12 juin 2009, instaurant
la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, a 5 ans dans quelques jours. Quel bilan faites-vous de ce texte de loi très controversé ? Si c’était à refaire, faudrait-il l’adopter en l’état ?
Eric Walter :
Je n’ai pas à faire le bilan du texte. C’est une responsabilité qui appartient au législateur.
En revanche, nous pouvons dresser un bilan de la mise en oeuvre.
Il est largement positif, au delà des controverses qui, pour beaucoup, se nourrissent d’approximations voire souvent d’erreurs.
Le téléchargement illicite est désormais stabilisé. Nous ne nous en attribuons pas tout
le mérite, mais que l’existence même d’Hadopi et les débats qui l’ont entourée y aient contribué me semble une évidence difficile à contredire.

Au-delà, nous avons pour la première fois en France une institution publique dédiée
aux usages culturels numériques. Ce statut très particulier nous a permis d’acquérir
une connaissance et un savoir-faire rares dans la fonction publique. Enfin, tant sur les nouveaux moyens déployés pour encourager l’offre légale, réguler les mesures techniques de protection que sur le caractère très innovant de nos travaux d’études
et de recherche, il y a là une ressource publique unique qui permet à tous désormais de travailler sur des faits objectifs, et non plus seulement des idées ou des a priori. Si c’était à refaire aujourd’hui, le texte serait sans doute différent. Beaucoup de changements sont intervenus depuis 2009. Ils ont notamment été très largement analysés dans le rapport
« Lescure ». A l’international, on observe que les procédures dites de riposte graduée prennent une forme différente. On ne peut plus en 2014 légiférer sur la question comme
on l’a fait en 2009.

« Sur la création d’une « autorité du numérique’’ recommandée par l’étude du CGSP [commissariat
général à la stratégie et à la prospective, qui dépend du Premier ministre, ndlr], la présidente de l’Hadopi, Marie-Françoise Marais, trouve que c’est “une idée intéressante”
et que “les compétences numériques de l’Hadopi pourraient naturellement aussi y trouver leur place” »

EM@ : Les industries culturelles, qui affirment que le piratage repart à la hausse, estiment (à mots couverts) que l’Hadopi n’en a pas fait assez depuis trois ans et demi, au vu des quelques dizaines de dossiers « seulement » transmis à la justice. Et ce, après 3 millions d’e-mails d’avertissement et plus de 310.000 lettres recommandées envoyés d’octobre 2010 (début de la réponse graduée) au 30 avril dernier. Un malentendu ne s’est-il pas installé au fil des ans entre les ayants droits (SCPP, Sacem, SDRM, SPPF, Alpa) et l’Hadopi ?
E. W. :
Cette hausse supposée du piratage en ligne n’est pas corroborée par nos analyses. Si des données en attestent, qu’on nous les transmette et nous les analyserons. En attendant, nous observons une stabilité des faits de téléchargement illicite toutes technologies confondues et aucune donnée sérieuse ne vient contredire cette observation.
Il n’y a aucun malentendu. Les titulaires de droits connaissent dans le détail notre travail
et toute l’énergie et tous les moyens que nous déployons au travers de la procédure de réponse graduée. C’est une légende urbaine tenace que d’affirmer que le faible nombre
de dossiers transmis à la justice – au nombre de 100 au 30 avril 2014 – est une preuve d’échec. C’est tout le contraire ! Comme le dit souvent la présidente de la CPD [commission de la protection des droits, ndlr], si on avait voulu des transmissions massives, il aurait fallu écrire un autre texte, une autre loi. Celle-ci, telle qu’elle est faite, est fondée sur un principe essentiellement pédagogique qui vise non pas à transmettre
à la justice mais justement à tout faire pour ne pas avoir à transmettre. Tout dossier transmis est un échec, oui. Mais la masse des dossiers non transmis est un réel succès, qui montre bien que le dispositif remplit sa mission de sensibilisation. Les ayants droit savent très bien qu’aucun autre pays ne s’est investi aussi vite, aussi loin et aussi massivement que la France pour la protection de leurs droits sur Internet et, en particulier via l’Hadopi, les réseaux P2P. Je pense qu’il n’y a aucune ambiguïté là-dessus.

EM@ : La présidente de la CPD de l’Hadopi a remis le 12 mai son rapport « Lutte contre la contrefaçon commerciale en ligne » à Aurélie Filippetti : les acteurs de la publicité et du paiement en ligne, appelés à une « autorégulation », ne risquent-t-ils pas de jouer les « gendarmes » ou la « police privée » ?
E. W. :
C’est à Mireille Imbert-Quaretta qu’il appartient de s’exprimer sur son rapport.
Je tiens juste à mettre en garde contre l’usage excessif de termes accusateurs du type
« police privée ». C’est souvent simpliste et bien peu représentatif du fond des questions concernées. Ce n’est pas ma façon de faire.

EM@ : Alors qu’Aurélie Filippetti promet une loi Création depuis huit mois, avec absorption de l’Hadopi par le CSA, la présidente de l’Hadopi – Marie-Françoise Marais – milite contre cette perspective. Elle voit plus un lien entre propriété intellectuelle et protection des données personnelles et s’est déjà dite favorable
à une « autorité du numérique » (étude du CGSP, mai 2013) : qu’en pensez-vous ? E. W. :
Non, la présidente de l’Hadopi ne milite pas contre cette perspective. Nous avons toujours été clairs : ce qui prime ce sont les missions, et ceux qui les remplissent (les agents). Fusionner, rapprocher des institutions est un moyen. Mais pour quelle fin ? L’emballage (Hadopi, ou une autre institution) n’a pas grande importance. Et si des mouvements se justifient en termes d’efficience de l’action publique comme de rationalisation de la dépense publique, il n’y a pas la moindre raison de s’y opposer. L’hypothèse de création d’une autorité du numérique envisagée par l’étude du CGSP [commissariat général à la stratégie et à la prospective, dépendant du Premier ministre, ndlr] que vous évoquez est une toute autre question. La présidente a dit qu’elle trouvait que c’était une idée intéressante et que, si un tel projet venait à voir le jour, les compétences numériques de l’Hadopi pourraient naturellement aussi y trouver leur place.

EM@ : A ce jour, le décret de nomination de trois membres du collège de l’Hadopi pour remplacer ceux dont les mandats ont pris fin le 26 décembre 2013 n’est toujours pas paru au J.O. – malgré le courrier de la présidente de l’Hadopi au Premier ministre le 23 avril. Quelles sont les conséquences sur l’institution ?
Eric Walter : Pour l’instant les conséquences sont mineures, mais il est certain qu’il ne faudrait pas que cette situation perdure. Comme l’a indiqué la présidente de l’Hadopi,
cela crée une « instabilité juridique » dont il est délicat de mesurer les conséquences.
Concrètement, la loi prévoit un collège de neuf membres et un quorum de cinq pour délibérer valablement. Le quorum est toujours bel et bien respecté. En revanche, le nombre total de membres prévu ne l’est pas.
Cela signifie-t-il qu’il y a remise en question juridique des décisions prises par le collège ? Nous n’avons pas la réponse, d’où la formule « instabilité ». En attendant, l’institution continue de fonctionner et met en oeuvre les missions votées par le Parlement.

EM@ : Les ayants droits de la musique et du cinéma s’opposeraient à la nomination à l’Hadopi de Rémi Mathis, président de Wikimédia France et militant de la
« diffusion libre de la connaissance » : est-ce fondé et l’Hadopi y gagnerait-elle ?

E. W. : Avant de se poser la question de savoir si c’est fondé, il faudrait surtout se poser celle de savoir si cette rumeur que vous évoquez est vraie, ou non. Dans ces métiers,
on extrapole vite et facilement. Il faut savoir rester prudent sur ces affirmations.
Sous le précédent gouvernement, nous avons en effet été informés par le cabinet de
la ministre du choix qu’ils avaient retenu et j’estime que c’était un bon choix en ce sens que j’ai toujours considéré que les contenus libres d’utilisation pouvaient parfaitement coexister avec les contenus dont l’utilisation est soumise à autorisation.
C’est un choix qui appartient à l’auteur. Rémi Mathis dispose d’une véritable expertise
sur ces questions encore mal connues et elle serait, j’en suis convaincu, utile au collège de l’Hadopi.
De façon plus générale, l’offre ne se limite pas à la seule offre de contenus soumis à autorisation et je suis convaincu que faire connaître les contenus librement partageables du fait de leur licence contribue à faire reculer l’utilisation illicite des œuvres en élargissant les choix offerts à l’utilisateur.

« Rémi Mathis [président de Wikimédia France, ndlr] dispose d’une véritable expertise qui serait utile au collège de l’Hadopi. »

EM@ : Y a-t-il un projet de l’Hadopi de légalisation des échanges non marchands contre rémunération proportionnelle par les intermédiaires ?
E. W. :
Non, aucun. Nous travaillons sur l’analyse de la faisabilité d’un projet de compensation financière du partage qui emporterait légalisation de ces pratiques, dès
lors qu’elles seraient effectivement rémunérées. Ce qui aurait également le grand intérêt de permettre aux ayants droit de recevoir une juste rémunération au titre de l’exploitation de leurs œuvres, dont seuls les services concernés bénéficient aujourd’hui.
Et dans notre esprit, le partage ne se limite pas à la technologie qui lui est généralement associée, le P2P. Il s’agit d’un travail prospectif qui s’inscrit dans notre mission d’observation des usages illicites et de proposition de moyens pour y remédier, à l’instar des actions que nous conduisons pour encourager la connaissance de l’offre légale et de la mise en oeuvre de la réponse graduée. Le législateur a élaboré une loi d’équilibre.
Notre travail, c’est de respecter cet équilibre dans les faits, et non de nous limiter à l’une ou l’autre de nos missions. @

L’Hadopi démarre 2014 sur les chapeaux de roue

En fait. Le 11 février, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) a publié les chiffres de la réponse graduée sur janvier 2014. Le moindre que l’on puisse dire, c’est que l’année commence très
fort pour la Commission de protection des droits (CPD).

En clair. On croyait l’Hadopi morte. Or elle bouge encore ; elle est même en pleine forme ! C’est ce que démontre l’envoi en janvier, par la Commission de protection des droits (CPD), de 132.000 e-mails de premier avertissement aux internautes suspectés de piratage d’œuvres (musiques ou films) sur Internet. Il s’agit du deuxième mois le plus actif d’Hadopi depuis le lancement de la réponse graduée en octobre 2010, le mois d’octobre 2013 détenant encore le record historique à ce jour avec ses 138.000 e-mails de premier avertissement. Janvier 2014 porte à plus de 2,6 millions le cumul des premiers avertissements envoyés depuis trois ans et trois mois maintenant. L’année 2013 aura donc été marquée par une hausse de 73,7 % sur un an de ces premiers avertissements. Quant aux deuxièmes avertissements, ils sont au nombre de 11.950 en janvier – soit plus du double qu’il y a un an – pour un cumul de 270.673 envois depuis octobre 2010. Tandis que 7.350 récidivistes ont reçu une lettre recommandée avec accusé de réception, dont 57 ont vu leur dossier mis en délibération à la CPD (1) – le bras armé de l’Hadopi ne communicant pas le nombre transmis à la justice…

Pour autant, comme le montre la 4e vague du baromètre des usages Ifop-Hadopi publiée le 6 février dernier, il n’y a « pas de bouleversement dans la répartition des usages licites et illicites depuis un an ». La part de consommateurs déclarant des usages illicites de biens culturels est même stable : 15 % en octobre 2013, contre 17 % en mai 2013 et 14 % en octobre 2012. Les films sont les plus piratés, suivis des séries télé, puis des musiques, des logiciels et des livres.
Mais l’Hadopi n’intervient, faut-il le rappeler, que sur les constatations d’infractions relevées – par la société nantaise TMG (2) pour le compte de la Sacem, la SCPP, la SPPF (les trois organisations représentant la musique) et l’Alpa (3) (pour l’audiovisuel
et le cinéma) – sur les seuls réseaux peer-to-peer dont l’usage décline au profit des sites de streaming. Ces derniers ne sont donc pas du ressort des compétences de l’Hadopi. Les propositions du rapport « Lutte contre la contrefaçon », que Mireille Imbert-Quaretta (présidente de la CPD) devrait rendre d’ici fin février, irait dans le sens d’une implication de tous les intermédiaires du Net (moteurs, régies, systèmes de paiement, …) dans la lutte contre le piratage en ligne et en streaming. @

Eric Walter, Hadopi : « Je ne crois pas à une régulation d’Internet, à la fois illusoire, inutile et dangereuse »

C’est la première interview que le secrétaire général de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) accorde depuis la rentrée. Il espère que le CSA saura tirer parti de trois ans d’expérience de l’institution et que le gouvernement donnera suite à plusieurs de ses propositions.

Propos recueillis par Charles de Laubier

EW-HEdition Multimédi@ : Alors qu’Aurélie Filippetti présentera
sa « grande loi sur la création » lors d’un Conseil des ministres en février 2014, craignez-vous le transfert de l’Hadopi vers le CSA ? La régulation de l’audiovisuel est-elle compatible avec une régulation du Net si tant est qu’elle soit souhaitable ?
La séparation du collège et de l’instruction suffira-t-elle ?
Eric Walter :
L’existence d’une institution n’est pas une fin en soi. C’est un outil au service de missions décidées par le législateur.
Ce qui importe, et Marie-Françoise Marais comme Mireille Imbert-Quaretta l’ont toujours exprimé très clairement, c’est l’acquis de l’expérience et les missions dont est investie à ce jour l’Hadopi.
Au delà des controverses, leur objectif est clair : préserver et renforcer la diversité et
la dynamique de tout ce qui contribue aujourd’hui au financement de la création, dans
le nouveau contexte que crée Internet. Personne ne peut vouloir prendre le risque d’assécher ces moyens grâce auxquels notre pays dispose d’une formidable variété
de création.

« Ce n’est pas de la régulation, mais de la pédagogie »
L’Hadopi ne « régule » pas Internet et je ne crois d’ailleurs pas à une régulation d’Internet.
Je pense que c’est à la fois illusoire, inutile et dangereux. Internet, au sens réseau, et non contenu, a ceci de très particulier qu’il est « régulé » par les protocoles qu’il utilise pour son fonctionnement.
L’action publique doit s’orienter, d’une part, vers les acteurs qui utilisent Internet pour leurs activités et, d’autre part, vers les utilisateurs. S’adresser aux utilisateurs, c’est très exactement ce que nous faisons. Ce n’est pas de la régulation, mais de la pédagogie,
de l’explication, de l’information.
Aujourd’hui le monde s’oriente vers un peuple connecté. C’est une passionnante évolution que nous vivons. A son tout petit niveau, l’Hadopi contribue à l’accompagner. La régulation de l’offre de contenus en ligne, c’est-à-dire la régulation des entreprises qui offrent les contenus, et non pas de l’Internet, ne relève pas aujourd’hui de la compétence de l’Hadopi.

En revanche, nous avons déjà travaillé sur la question, notamment au travers des travaux conduits par Jacques Toubon sur les exceptions au droit d’auteur et la conférence qu’il a organisée sur ce sujet. Il existe déjà des formes de régulation (concurrence, etc.), mais on ne peut pas exclure l’hypothèse qu’elles ne soient pas complètement adaptées au contexte Internet et à la rapidité avec laquelle il évolue. C’est une réflexion ouverte. Dans un tel contexte, pourquoi ne pas imaginer un élargissement des compétences du CSA grâce à celles de l’Hadopi ? Une même institution peut tout à fait exercer des métiers différents, cela relève du choix de l’autorité publique. A mon sens, les enjeux ne sont pas là ; ils sont sur la prise en compte de nos années d’expérience, qui appartiennent à la collectivité rappelons-le, pour qu’un tel élargissement intègre les évolutions nécessaires, préserve l’agilité et la réactivité très particulière dont nous avons dû faire preuve, et l’indépendance dans laquelle nous avons pu agir. Il y a en effet, sur ce dernier point, une question à regarder de près qui a été soulevée par les présidentes lors de leur audition
au Sénat (1). Je sais que le gouvernement y est vigilant.

EM@ : L’Hadopi existe depuis près de quatre ans maintenant et la réponse graduée fonctionne plus que jamais depuis un peu plus de trois ans, comme l’illustrent les 138.000 e-mails d’avertissement envoyés en octobre dernier : un record mensuel historique. S’agit-il d’un pic ou la cadence augmentera-t-elle face aux craintes de recrudescence du piratage ?
E. W. :
Ni l’un ni l’autre. La Commission de protection des droits (CPD) est souveraine dans ses choix volumétriques mais nous sommes simplement là face à un système qui, jusqu’alors, montait en puissance et, désormais, arrive à maturité. Il a fallu beaucoup de temps pour ajuster les multiples paramètres techniques et analytiques qui déterminent le choix d’envoi d’un avertissement, ou non. C’est une mécanique informatique complexe. Aujourd’hui le dispositif est rôdé.

EM@ : Le rapport d’activité 2013 – a priori le dernier de l’Hadopi – faisait état de plusieurs propositions, comme adapter la labellisation des offres légales, permettre aux auteurs de saisir directement l’Hadopi, étendre les cas de saisine aux particuliers et aux associations, doter l’Hadopi d’un pouvoir de mise en demeure
et d’injonction : quelles sont les plus importantes et avezvous été entendus ?
E. W. :
Nous reparlerons a posteriori de votre a priori… Pour l’instant, nous sommes écoutés avec attention. L’avenir dira si nous avons été entendus. Parmi les 15 propositions très concrètes énumérées dans le rapport, il me semble que les plus importantes sont celles aujourd’hui qui relèvent, de près ou de loin, de l’amélioration de l’offre légale. Je reste convaincu que l’encouragement à l’offre légale, tel que nous sommes en train de le réviser, constitue un outil utile pour valoriser les sites et services qui « jouent le jeu » face à la concurrence massive de ceux qui proposent des contenus illicites. Mais il doit être simplifié et adapté pour mieux correspondre à la réalité : on n’a pas forcément besoin d’un décret en Conseil d’Etat pour apposer un logo sur un site Internet ! Nous avons présenté cette semaine un certain nombre d’initiatives en ce sens, tels qu’un nouveau site web – offrelégale.fr – de recensement de plus de 300 offres culturelles en ligne encore non répertoriées [qui se rajoutent aux plateformes légales labellisées « Offre légale Hadopi », en remplacement du « label Pur », ndlr], des ateliers à destination des entrepreneurs ou encore de la communauté éducative et du jeune public. Au delà, il faut changer la loi. C’est le sens de nos propositions et je leur attache une très grande importance. D’un autre côté, il faut améliorer l’expérience utilisateur de ceux qui font le choix du légal. C’est un des enjeux majeurs de la régulation des mesures techniques de protection dont est chargée l’institution. Sur cette question très complexe techniquement, et donc difficile d’approche pour l’utilisateur, les propositions d’extension des possibilités de saisine de l’institution par les particuliers comme les associations ayant intérêt à agir (typiquement de consommateurs) et d’extension des pouvoirs d’action de l’institution en matière de régulation me semblent essentielles.

EM@ : Vous avez personnellement fait avancer la proposition d’une légalisation
des échanges non marchands contre rémunération proportionnelle par les intermédiaires, une sorte de licence globale que le rapport Lescure n’exclut pas mais sur laquelle il reste très réservé. Avez-vous espoir que la prochaine loi sur
la création pourrait introduire une tette disposition ? Pour quelle contribution mensuelle ?
E. W. :
Il faut être clair sur ce travail autour d’une rémunération proportionnelle du partage pour les ayants droit. Tout d’abord, les échanges visés sont marchands, dès lors qu’ils génèrent un gain pour les intermédiaires visés. Par ailleurs, il ne s’agit en rien d’une licence globale et, par voie de conséquence, elle n’emporte aucune sorte de contribution mensuelle. Le principe général, qui vient d’être détaillé dans une note de cadrage publiée en novembre (2), est de faire peser sur les intermédiaires qui tirent profit du partage entre individus une rémunération à due proportion des gains générés. C’est un système complexe pour tenter de répondre à une réalité complexe et évolutive. A ce stade, nous analysons sa faisabilité et les conséquences qu’il pourrait entraîner.
Il est donc, à mon sens, tout à fait exclu qu’une telle disposition puisse s’inscrire dans la prochaine loi sur la création, notamment eu égard au calendrier annoncé. Nous aurons
en effet terminé la première phase de nos travaux en juin 2014 et, quels que soient leurs résultats, il y a fort à parier que des travaux complémentaires seront nécessaires, ne serait-ce que pour confirmer ou infirmer nos propres conclusions (3). Nous ne raisonnons pas en termes de temps législatif à ce stade.

EM@ : Que vous inspire la décision du TGI de Paris le 28/11 autorisant blocage ou déréférencement de sites de streaming de type « Allostreaming » (lire ci-dessous) ? Elle fait écho à la décision de la CJUE (avocat général) du 26/11 dans affaire UPC/Kino.to et celle du tribunal anglais dans l’affaire SolarMovie/TubePlus. L’Hadopi est-elle dépassée par le juge ? E. W. : Classiquement il n’appartient pas à
une autorité publique de commenter une décision de justice, mais ce que l’on peut dire c’est qu’il s’agit là d’une décision pour l’avenir. Elle est bien plus importante pour la jurisprudence qu’elle crée que pour la fermeture de sites de streaming – dont il n’a échappé à personne qu’ils avaient déjà majoritairement fermés. J’ai lu, de ce point de vue, quelques analyses court-termistes amusantes qui occultent à tort ce qui me semble une évidence.
Pour aller plus loin, il nous semble intéressant d’observer les conséquences de la décision sur la circulation des contenus illicites et l’évolution du téléchargement illicite
en général (4). Nous étudions en ce moment la possibilité de mettre en place un tel protocole. Il n’est pas certain que nous puissions le faire compte tenu de la forte contrainte budgétaire actuelle, qui limite nos capacités d’action. En revanche, c’est une fausse idée d’imaginer que l’Hadopi puisse être « dépassée par le juge ». L’Hadopi intervient avant le juge pour ce qui la concerne – la protection des droits sur les réseaux P2P – et en complément des autres moyens de justice dont, heureusement, disposent les ayants droits. Nous ne sommes qu’un outil parmi tous ceux qui existent et c’est parfaitement logique.
Il n’a jamais été question de faire de l’Hadopi « l’alpha et l’oméga » de la lutte contre le téléchargement illicite. Mais la question fondamentale sous-jacente est celle de l’efficience des moyens déployés au regard des objectifs poursuivis. D’où les deux pistes que nous explorons de concert : la lutte contre la contrefaçon commerciale, suite logique du rapport « streaming » remis par Mireille Imbert Quaretta (5) à Marie-Françoise Marais, et la rémunération proportionnelle du partage.
L’avenir dira ce qu’il en est. Je formule le souhait que ces travaux soient menés jusqu’à leur terme, car ils représentent un investissement considérable et sont, à mon sens, des perspectives d’avenir très concrètes. @