Manuel Valls fut contre l’Hadopi : il est aujourd’hui pour la réponse graduée et la répression contre le piratage

Pour la seconde fois depuis qu’il est Premier Ministre, Manuel Valls a obtenu la confiance de l’Assemblée nationale. Mais s’il est un sujet sur lequel le chef du gouvernement a bien changé, c’est sur la lutte contre le piratage – à la satisfaction du monde de culture. C’est le retour en grâce de l’Hadopi.

Par Charles de Laubier

Manuel Valls DR« Nous avons sans doute sous-estimé l’impact du piratage de masse. Il est pourtant une vraie source d’appauvrissement pour l’ensemble du secteur de la création. La réponse graduée garde toute son actualité pour lutter contre les pratiques illégales sur les sites utilisant le peer-to-peer », a lancé Manuel Valls (photo), la veille de son grand oral devant l’Assemblée nationale pour obtenir la confiance de son second gouvernement en cinq mois (1). C’était devant un parterre très sélect du monde de la Culture, le 15 septembre dernier, à l’occasion de l’inauguration d’une exposition au Grand Palais et
en présence de Fleur Pellerin, nouvelle ministre de la Culture et de la Communication.

Streaming : le Premier ministre fait sien le rapport MIQ
Qu’il est loin le temps où celui qui est devenu Premier ministre tenait un tout autre discours sur la lutte contre le piratage. « Le projet de loi Hadopi est attentatoire aux libertés fondamentales et n’apportant aucune réponse aux besoins de financement
des créateurs », avait-il signé dans un appel du 17 juin 2008 paru dans Libération.
L’année suivante, il avait encore fustigé la loi Hadopi dans un discours prononcé le 29 juin 2009 au Théâtre Michel, alors que le premier volet de cette loi controversée venait tout juste d’être promulgué : « La loi Hadopi a révélé au grand jour l’incapacité du pouvoir en place [Nicolas Sarkozy et François Fillon à l’époque, ndlr], et pas seulement, à saisir les enjeux et les évolutions technologiques de notre époque » (2).
Puis, cette fois lors des primaires socialistes où il était candidat à l’investiture du PS pour la présidentielle, il déclarait le 8 octobre 2011 sur son blog de campagne Valls2012.org : « Je n’ai jamais tergiversé sur l’abrogation nécessaire de cette loi qui induit la répression, soldée par une sanction pénale, administrative et financière ». Celui qui fut député-maire d’Évry (Essonne) durant dix ans (2002 à 2012), qui se disait en plus favorable à une « contribution créative adaptée » à défaut de licence globale (3), a donc changé d’avis et renié ses convictions-là, maintenant qu’il est Premier ministre depuis le 31 mars. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de discréditer la loi Hadopi – laquelle a certes entre temps été amputée de la coupure de l’accès à Internet, comme l’avait profit François Hollande. Bien au contraire : « Mais il faut aussi s’attaquer aux autres vecteurs de piraterie en se concentrant sur ceux qui diffusent massivement des oeuvres. Le rapport de Mireille Imbert-Quaretta a ouvert des pistes de travail intéressantes, impliquant notamment une autorégulation des opérateurs de l’Internet », a-t-il poursuivi dans son discours au Grand Palais.

Légiférer à nouveau contre le piratage
Mireille Imbert-Quaretta (« MIQ »), qui est au sein de l’Hadopi la présidente de la commission de protection des droits (CPD), à savoir la dernière courroie de transmission avant l’envoi des supposés pirates récidivistes devant la justice, a remis
le 12 mai dernier son rapport sur « les moyens de lutte contre le streaming et le téléchargement direct illicites » (4). MIQ y préconise d’impliquer les intermédiaires de l’Internet à la lutte contre les sites de streaming et de téléchargement direct illicites :
les moteurs de recherche en déréférençant les liens incriminés, les régies publicitaires en ne passant plus d’annonces sur ces sites, ou encore les fournisseurs de systèmes de paiement en empêchant tout règlement.
Manuel Valls a donc clairement dit que le rapport MIQ fera l’objet de transpositions législative : « Je ne doute pas que le Parlement – et je salue Patrick Bloche, le président de la commission des Affaires culturelles à l’Assemblée nationale – s’en saisira, et que Fleur Pellerin [ministre de la Culture et de la Communication], déjà une fine connaisseuse, ouverte au monde, moderne, qui n’est pas repliée sur elle-même (…), en fera une priorité de son action ». Ainsi, le Premier ministre compte bien sur Fleur Pellerin, qui fut ministre déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique (mai 2012 à avril 2014), pour réhabiliter l’Hadopi. Reste à savoir si elle fera sienne le projet de loi « Création », dont la première mouture avait été esquissée par Aurélie Filippetti (5) avant d’être repoussée à 2015.
Quoi qu’il en soit, le discours en faveur d’un élargicement de la lutte contre le piratage au streaming redonne du baume au coeur des industries culturelles, comme le montre l’Association des producteurs de cinéma (APC) qui « salue la volonté du Premier Ministre de lutter contre le piratage des oeuvres sur les réseaux électroniques » et « se félicite que cela soit désormais une priorité » – pour peu que, selon elle, les ministères de la Culture, de la Justice et de l’Intérieur placent « ce combat au coeur de leurs priorités ». De son côté, la SACD demande à voir : « On jugera l’arbre à ses fruits », a écrit son DG Pascal Rogard sur son blog. Cependant, Manuel Valls a dit qu’il ne s’en tiendra pas à la lutte contre le piratage. « Il faut ensuite encourager l’offre légale. Je connais ces débats ; j’y ai participé et je suis ici sous la surveillance d’avis très différents [sourire du ministre]… Les acteurs français de l’audiovisuel et du numérique doivent travailler ensemble pour offrir une alternative forte aux services des acteurs extra-européens ». Car, pour le Premier ministre, « l’offre culturelle ne peut être dans les mains exclusives de géants tels qu’Amazon ou Netflix, aussi attractifs pour les consommateurs que soient leur offre (et nous y participons tous) ». Selon lui, il y a déjà un grand déséquilibre entre d’une part les créateurs et de l’autre les diffuseurs et distributeurs de l’Internet. « Diffuser largement ne doit pas revenir à bafouer l’exception culturelle ou à piétiner les droits des auteurs et des créateurs. Or, cette menace existe ; ne nous le cachons pas. (…) Nous devons bien sûr savoir rapidement nous adapter en faisant tout d’abord mieux contribuer les acteurs de l’Internet à la création. L’enjeu est européen », a-t-il affirmé.
Au cabinet de Fleur Pellerin, une conseillère a justement été officiellement nommée par arrêté publié au J.O. du 11 septembre dernier « chargée du financement de la création, du développement de l’offre légale et du droit d’auteur ». Dans la dénomination à rallonge de sa fonction, l’ordre des trois préoccupations on ne plus sensibles n’est sans doute pas anodine. C’est en tout cas sur elle, Emilie Cariou, qui fut conseillère juridique et fiscale de Fleur Pellerin à l’Economie numérique, puis directrice adjointe en charge du budget et des financements au CNC (6), que le lobbying des ayants droit et des acteurs du Net va s’exercer au cours des prochaines semaines. « Emilie Cariou aura
un rôle très important dans l’écriture de la future loi Création », a confié à Edition Multimédi@ un juriste des indutries culturelles. Elle était par exemple présente lorsque Fleur Pellerin avait été invité le 8 octobre 2012 par la SACD, société de gestion collective des droits dans l’audiovisuel. Elle etait aussi à la soirée de lancement de Netflix en France le 15 septembre…

Emilie Cariou, une conseillère très courtisée
Si le financement de la création est en tête de ses attributions, la fiscalité du numérique n’est pas loin. En tant qu’ancienne élève de l’École nationale des impôts (7) et avec ses treize ans passés au ministère de l’Économie et des Finances, Emilie Cariou s’y intéresse aussi de près : elle fut auditionnée pour le rapport « Collin & Colin » de 2013 sur la fiscalité de l’économie numérique, ainsi que pour celui du sénateur Philippe Marini en 2012. Reste maintenant au Premier ministre à ne pas décevoir les tenants de la répression accrue contre le piratage sur Internet. @