Réformer la régulation de l’audiovisuel sans injurier la liberté de la presse

« Nous vivons une époque formidable », une époque où un président courageux envisage suffisamment tôt dans son mandat – une réforme d’ampleur qui porte
à la fois sur la réglementation audiovisuelle et sur les acteurs de l’audiovisuel public, tout en tentant de s’attaquer aux fake news.

Par Rémy Fekete, associé Jones Day

La réforme de la régulation audiovisuelle est une grande passion française. Le souhait du président Macron et de son gouvernement de procéder à une réforme en profondeur de la régulation de l’audiovisuel ne semble pas relever uniquement d’une tactique politique. La loi « Léotard » qui régit l’audiovisuel français depuis trente ans (1) a en réalité fait l’objet d’incessantes réformes, modifications et compléments au gré des impératifs européens et des priorités politiques du moment.

Régulation en Europe : qu’a fait et où va le Berec après une année de présidence française ?

Sébastien Soriano, président de l’Arcep, a-t-il marqué de son empreinte l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Berec) lorsqu’il fut à sa tête en 2017 ? L’« Internet ouvert » a été central dans son action. Mais cette institution doit avoir les moyens de ses missions.

Par Katia Duhamel, experte en droit et régulation des TIC, K. Duhamel Consulting

En 2017, Sébastien Soriano, le président de l’Arcep, a pris la présidence du Berec (1), l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Orece, en français) après avoir occupé la fonction de vice-président en 2016, sous la présidence de l’Allemand Wilhelm Eschweiler (BnetzA). Sébastien Soriano en est redevenu le vice-président en 2018 – la durée du mandat de président du Berec étant en effet d’un an, et ce mandat étant entouré par deux années de vice-présidence (une année précédant le mandat, et une année suivant le mandat). On peut ainsi se demander si la présence française de cette institution a modifié son poids et ses résultats dans le paysage numérique européen.

NRJ ne veut toujours pas voir ses chaînes sur Molotov

En fait. Le 29 janvier, Jean-David Blanc, le cofondateur avec Pierre Lescure de la plateforme de télévision Molotov, était l’invité de l’Association des journalistes médias (AJM). Les 4,1 millions d’inscrits peuvent y voir et revoir toutes les chaînes gratuites de la TNT sauf… NRJ 12 et Chérie 25.

En clair. « Nous avons toutes les chaînes gratuites de la TNT, sauf celles du groupe NRJ [NRJ 12 et Chérie 25, ndlr] qui pour le moment ne nous a pas rejoint. Mais on
les invite à le faire », a indiqué Jean-David Blanc, cofondateur de la plateforme de télévision Molotov, devant l’AJM. « D’autant que l’audience de Molotov est très proche de la cible du groupe NRJ. Nous sommes toujours en discussion avec eux », a-t-il poursuivi. Lancé en grandes pompes le 11 juillet 2016 (1), le bouquet de chaînes en ligne – cofondé par Jean-David Blanc (ex-Allociné), Pierre Lescure (ex-Canal+),
Jean-Marc Denoual (ex-TF1) et Kevin Kuipers (ex-Allociné) – ne désespère pas de convaincre le groupe de Jean-Paul Baudecroux.
Depuis le début, NRJ interdit à Molotov de reprendre le signal de ses deux chaînes, NRJ 12 et Chérie 25, ainsi que la chaîne musicale NRJ Hits diffusée sur le câble, le satellite et l’ADSL. Il y a bien eu, il y a près d’un an, une tentative de règlement de différend par le CSA qui avait auditionné les deux parties le 15 mars 2017. Mais, selon le régulateur de l’audiovisuel que nous avons contacté, l’arbitrage a échoué et le groupe NRJ a maintenu son refus d’être repris sur Molotov. A la question, posée à Jean-David Blanc par Edition Multimédi@, de savoir s’il n’y avait pas une obligation
de mettre à disposition le signal des chaînes de la TNT gratuite au nom du principe
de must offer, il a répondu : « C’est entre les mains du CSA ». Molotov peut toujours
saisir le tribunal de commerce dans le cas où le blocage s’éterniserait, à moins que NRJ ne revienne à de meilleurs sentiments… « Pour le moment, ils disent non et ils s’interrogent sur l’opportunité d’être sur Molotov. Sur les raisons de leur refus, il faut leur demander directement. Je pense qu’ils ont tort de ne pas y être ; ça leur apporterait un surplus d’audience. Autant avant de démarrer le 11 juillet 2016, nous avions aucun utilisateur. Aujourd’hui, nous en avons 4,1 millions (2), c’est différent. Nous pouvons apporter jusqu’à 5 % d’audience nationale », a expliqué Jean-David Blanc. Molotov propose quelque 115 chaînes, dont 35 gratuites et 80 payantes. Canal+, malgré Pierre Lescure comme « clin d’oeil » (dixit Jean-David Blanc), n’a toujours pas rejoint Molotov. Concernant le replay, que les chaînes monétisent elles-mêmes par la publicité, nombreuses sont celles qui refusent ou négocient encore. @

Fiducial Médias de Christian Latouche (Sud Radio, Lyon Capitale, TV, …) se développe au niveau national

En plus des groupes médias TF1, M6/RTL, Canal+, Lagardère/Europe 1, NRJ,
Le Monde/L’Obs, Le Figaro, Le Parisien-Les Echos ou encore Altice (BFM, Libération/L’Express), souvent aux mains de milliardaires, il faut désormais compter avec Fiducial Médias de Christian Latouche – nouveau milliardaire
et magnat potentiel aux ambitions nationales.

Par Charles de Laubier

Fiducial Médias tente de concrétiser ses ambitions nationales, à commencer dans la radio avec la station Sud Radio que le groupe a rachetée il y a quatre ans et qui vient de fermer ses studios à Labège (près de Toulouse) après avoir emménagé dans de nouveaux à Paris. Filiale du groupe d’expertise-comptable Fiducial diversifié dans les services de gestion aux entreprises, Fiducial Médias a pour PDG Didier Maïsto (photo de droite) depuis fin 2013.
Cet ancien journaliste du Figaro (1988-1993) devenu ensuite attaché parlementaire (1993-1998) de quatre députés successifs (1), puis lobbyiste, développe depuis quatre ans une stratégie plurimédia et multimédia bien au-delà de Lyon d’où s’est lancé dans la presse la maison mère il y a près de dix ans. C’est en fait Christian Latouche (photo de gauche), le très discret fondateur du groupe de gestion spécialisé dans les TPE/PME, Fiducial (ex-Sofinarex), qui s’est épris de médias : ce Bordelais a jeté son dévolu sur Lyon Capitale en le rachetant en 2008.

L’investissement des «telcos» franchit les 10 milliards

En fait. Le 15 novembre, le président de l’Arcep, Sébastien Soriano, est intervenu au DigiWorld Summit de l’Idate, dont le thème était : « Investir dans notre futur numérique ». Selon nos calculs, la barre des 10 milliards d’euros d’investissement de la part des opérateurs télécoms est franchie en 2017.

En clair. 10 milliards d’euros : ce seuil symbolique de l’investissement total des opérateurs télécoms en France va être dépassé en 2017, hors achats de fréquences mobile, contre 8,9 milliards l’année précédente. En effet, si l’on applique à cette année au moins la même croissance annuelle à deux chiffres observée en 2016 (à savoir
13,4 %), la barre est franchie. Ce niveau d’investissement des « telcos » français
– tant dans le fixe que dans le mobile – sera du jamais vu depuis la libéralisation du secteur il y a deux décennies.
Ce montant de 10 milliards d’euros – inégalé depuis 1998, année historique de l’ouverture du marché de la téléphonie à la concurrence – devrait appeler d’autres records pour les années à venir, tant les investissements d’Orange, de SFR, de Bouygues Telecom et de Free – sans compter les opérateurs alternatifs (Kosc, Altitude, Covage, Coriolis, …) – se sont accélérés ces derniers mois sous la pression accrue
du gendarme des télécoms, bien décidé à « manier la carotte et le bâton » – pour reprendre l’expression employée par le président de l’Arcep, Sébastien Soriano,
le 25 octobre dernier devant les sénateurs qui l’auditionnaient. A Montpellier, où se tenait le DigiWorld Summit de l’Idate, il s’est félicité : « Nous constatons que la régulation pro-investissement, et bien… ça marche ! Depuis trois ans, nous constatons une croissance forte de l’investissement des opérateurs télécoms ». Et le gendarme du secteur assure ne pas hésiter à « taper du poing sur la table » (mises en demeure avec sanctions possibles) en cas de non-respect des obligations de déploiement, comme sur la 4G. En conséquence, le taux d’investissement des opérateurs de communications électroniques dans l’investissement global national – ce que l’Insee mesure à travers
le FBCF (1) – a déjà atteint l’an dernier le niveau sans précédent de 1,8 %, pour s’acheminer cette année vers les 2%. Pour autant, les déploiements très haut débit – malgré l’objectif présidentielle d’en couvrir toute la France d’ici 2022 – ne représentent que 3 milliards d’euros d’investissement en 2016, bien qu’en hausse de 25 %, soit tout juste un tiers du total. Et encore, c’est « toutes technologies confondues » (2) et donc bien moins si l’on s’en tient à la « solution mixte de fibre optique et de boucle locale radio » (3) que prône l’actuel chef de l’Etat Emmanuel Macron. @