Les offres payantes de l’audiovisuel public posent toujours questions au regard de la redevance

Alors que la nouvelle plateforme payante Madelen de l’Ina dépasse les 55.000 abonnés (dont 15.000 hérités de l’Ina Premium), se pose à nouveau la question de faire payer une offre lorsque celle-ci est censée être déjà financée par la redevance audiovisuelle.

Au regard de la redevance audiovisuelle que paient la quasi-totalité des 28 millions de foyers fiscaux en France (138 euros en 2020), n’est-il pas contradictoire que des entreprises de l’audiovisuel public fassent payer en plus les Français pour des services censés être déjà financés justement par cette contribution à l’audiovisuel public (CAP) ? C’est la question que Edition Multimédi@ a posée au président de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina), Laurent Vallet (photo de gauche), lors du lancement de Madelen.

Payer la redevance et un abonnement
« La question de proposer une offre de streaming illimité payante est d’abord une question d’usage : existe-t-il un marché pour une offre patrimoniale payante ? L’expérience du service Ina Premium, lancé à l’automne 2015, nous a montré que c’était le cas, et nous avons souhaité développer Madelen », nous a répondu Antoine Bayet (photo de droite), responsable du département des éditions numériques de l’Ina. Cet établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) justifie aussi cette nouvelle source de revenu par le fait que sur son budget annuel d’environ 130 millions d’euros par an, 30 % sont des ressources propres. Ce chiffre d’affaires provient de la facturation de services audiovisuels ou multimédias à des professionnels (chaînes, producteurs, documentalistes, …) et, depuis le lancement d’Ina Premium il y a près de cinq ans, aux particuliers. Avec ces 30 %, l’Ina revendique d’ailleurs le taux de ressources propres le plus élevé (et de loin) parmi les entreprises de l’audiovisuel public, où ce taux est en général inférieur à 10 %. Il n’empêche : l’Ina est déjà bien financé par la redevance audiovisuelle que paient l’ensemble des 28 millions de foyers fiscaux disposant d’un téléviseur en France (97 %), et cette taxe – la CAP – rapporte chaque année plus de 3 milliards d’euros à l’audiovisuel public, dont près de 100 millions d’euros à l’Ina – en l’occurrence quelque 88 millions d’euros cette année (1).
Mais en payant 35,9 euros par an pour accéder à la plateforme Madelen (2), après trois mois d’essai gratuit, les abonnés n’ont-ils pas l’impression de payer deux fois pour un contenu déjà financé par la CAP ? « Ceux qui choisissent de s’abonner à notre nouvelle offre de streaming illimité – ils sont 55.000 au moment où nous nous parlons – peuvent accéder à un service éditorialisé riche de plus de 13.000 programmes vidéo et audio (3) sélectionnés parmi les millions d’heures du catalogue de l’Ina », a poursuivi Antoine Bayet. Et d’ajouter : « Concernant le tarif de 2,99 euros par mois, qui était celui d’Ina Premium, nous avons décidé de le maintenir inchangé. Faire payer une modique somme – pour couvrir le coût du service, son investissement technique et l’éditorialisation de ses contenus – nous semble approprié » (4).
Lancé quelques jours après le début du confinement, le service Madelen profite du #restezchezvous pour engranger des abonnés qui sont la plupart encore dans la période des 90 jours gratuits. « A ce stade, nous avons déjà 15.000 abonnés payants hérités de l’ancien service Ina Premium, lequel avait séduit jusqu’à 60.000 inscrits. Avec Madelen, nous verrons à l’été prochain les éventuels désabonnements (des nouveaux abonnés) au terme de la période de gratuité », nous a indiqué le Monsieur « Digital » de l’Ina. Y a-t-il d’autres services payants envisagés par l’Epic du patrimoine audiovisuel ? « Nous avons suffisamment à faire actuellement avec Madelen ! D’autant que son lancement a été avancé pour permettre aux abonnés d’en profiter durant le confinement », a expliqué Antoine Bayet. Dans le même esprit, mais cette fois gratuitement, l’Ina a lancé le 23 mars une nouvelle chaîne sur YouTube destinées aux enfants : Ina Kids (5). Pourquoi ne pas en avoir fait là aussi un service payant ? « Sur Ina Premium, il y avait des programmes pour enfants mais ils ont été très peu regardés. Le choix a été de les rendre accessibles sur une chaîne dédiée, laquelle proposera 1.500 vidéos », a-t-il répondu.

Du gratuit au payant, de France.tv à Salto
L’Ina et sa Madelen n’est pas la seule entreprise de l’audiovisuel public où se pose la question de services payants censés être « gratuits ». France Télévisions, pourtant le plus gros consommateur de redevance audiovisuelle, envisage avec TF1 et M6 de lancer – en version bêta fermée à parti du 3 juin et commercialement en septembre – un service de SVOD payant, Salto (6). Le prédécesseur de l’actuelle présidente Delphine Ernotte, Rémy Pflimlin, n’avait pas osé lancer un tel service payant par scrupule vis-à-vis de la redevance et des Français (7) (*) (**). Quant au site web France.tv (ex-Pluzz jusqu’en mai 2017), qui devait proposer quelques contenus payants identifiés par une pastille orange et le signe «€», il reste gratuit, pour l’instant. @

Charles de Laubier

La France prend le risque de ne pas notifier à Bruxelles sa taxe sur les services numériques (TSN)

« Taxe GAFA » ou encore « taxe Le Maire », quel que soit son surnom, la taxe sur les services numériques (TSN) – 3 % sur le chiffre d’affaires des entreprises du Net d’une certaine taille et actives en France – présente une dimension « aide d’Etat » censée être notifiée à la Commission européenne sous peine d’être illégale.

Le gouvernement a décidé de ne pas notifier à la Commission européenne la loi instaurant la taxe sur les services numériques (TSN), ou « taxe GAFA », qui a été définitivement adoptée le 11 juillet. Pourtant, afin d’éviter une double imposition des entreprises du Net qui paient déjà en France l’impôt sur les sociétés, la nouvelle loi prévoit une déduction qui s’apparente à une aide d’Etat. Or pour qu’une aide d’Etat ne soit pas illégale, elle doit être notifiée en bonne et due forme à la Commission européenne, conformément au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – le TFUE (1). « Aucune notification n’a été reçue de la France, indique à Edition Multimédi@ une source à Bruxelles sous couvert d’anonymat. Une notification est requise si une mesure entraîne une aide d’Etat. Les Etats membres doivent veiller à ce que leur régime fiscal ne favorise pas indûment certaines entreprises par rapport à d’autres. Cela nécessite une évaluation au cas par cas ». La Commission européenne s’attend donc, sur sa taxe GAFA, à une notification de la France afin d’en étudier la conformité avec ses propres orientations fixées le 21 mars 2018 et les règles du TFUE.

La « taxe Le Maire » et la « taxe Moscovici »
C’est au début du printemps 2018 qu’a en effet été proposée une TSN européenne, surnommée « taxe Moscovici », qui est actuellement examinée par le Conseil de l’Union européenne. « Nous n’avons pas de commentaires à faire sur les projets de loi nationaux, nous répond Vanessa Mock, porte-parole à la Commission européenne sur les questions financières et fiscales relevant du champ d’action du commissaire Pierre Moscovici (photo). Plus généralement, il est fortement suggéré aux Etats membres qui souhaitent introduire des mesures nationales [comme la TSN, ndlr] d’utiliser la proposition de la Commission européenne relative à une taxe commune sur les services numériques – qui prend également en compte les considérations de conception exposées dans le rapport intermédiaire de l’OCDE (3) sur les défis fiscaux découlant de la numérisation (4) – comme modèle. Cela permettra de réduire au minimum la fragmentation du marché unique et d’assurer la compatibilité avec le droit communautaire ».

Eviter la double imposition des sociétés
La proposition de TSN de Bruxelles prévoit bien des mesures afin d’atténuer le risque de double imposition : « Afin de réduire les cas éventuels de double imposition (…), il est prévu que les Etats membres autoriseront les entreprises à déduire la TSN acquittée en tant que coût de l’assiette de l’impôt sur les sociétés sur leur territoire » (5). C’est ce que prévoit bien la loi française. Car afin d’éviter la double imposition pour les entreprises du Net qui paient déjà leurs impôts sur les bénéfices réalisés en France, il fallait trouver un remboursement pour éviter cette fiscalité supplémentaire pour une société déjà assujettie par ailleurs – au nom du principe d’égalité devant l’impôt.
Le Sénat a finalement opté pour un mécanisme de déduction de la TSN de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Ces deux outils fiscaux – TSN et C3S – portent chacun sur le chiffre d’affaires d’une entreprise et ne relèvent pas de conventions fiscales, tout en assujettissant l’ensemble des entreprises, quel que soit leur pays où se situe leur siège social, au regard des activités exercées sur le sol français et les rendant ainsi passibles de l’impôt sur les sociétés. Mais un acteur du Net non installé en France pourrait ne pas bénéficier de la ristourne fiscale, ce qui constituerait une distorsion de concurrence par rapport à une entreprise française ainsi avantagée.
« Quoiqu’imparfaite car ne compensant notamment pas totalement la double imposition, cette solution permettait de réduire l’impact de cette taxe [TSN] pour les entreprises installées en France et qui ne réalisent pas encore de bénéfices, nombreuses dans le secteur numérique », ont estimé les deux rapporteurs (6) de la loi en commission mixte paritaire fin juin. Autrement dit, cette compensation ménage la trésorerie des entreprises qui payent déjà leurs impôts en France. Et l’objectif de la « taxe GAFA », prévue désormais à l’article 299 du code général des impôts, reste bien de taxer des géants du numérique qui ne paient pas d’impôt sur les sociétés en France – pas les autres. Le choix de porter l’assiette de la TSN sur le chiffre d’affaires était susceptible de faire des victimes collatérales parmis les entreprises françaises. D’où l’idée de cette compensation, qui s’apparente à une aide d’Etat. Selon l’amendement (7) du sénateur (LR) Albéric de Montgolfier qui introduit dans la loi cette articulation TSN-C3S, la « taxe Le Maire » – du nom du ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire (photo de droite), qui a porté le projet – risquait en effet de se traduire immédiatement pour les entreprises déjà imposées sur les bénéfices réalisés en France par une baisse de leurs résultats après impôts de 30 %. D’où l’instauration de la réduction sur la C3S lorsqu’il y a prélèvement dû au titre de la TSN.
Cette solution d’évitement de la double imposition est une ristourne qui s’apparente à une aide d’Etat et suppose donc une notification à Bruxelles, au regard des règles TFUE. Le Parlement français se veut très prudent afin d’éviter que la « taxe Le Maire » ne soit invalidée. Aussi, Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, a introduit un petit article dans la loi française. Cet article 2 y précise qu’« en l’absence de notification préalable de la taxe sur les services numériques (…) à la Commission européenne (…), le gouvernement remet, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport au Parlement sur les raisons pour lesquelles la taxe précitée n’a pas été notifiée à la Commission européenne ».
Les explications du gouvernement sur la non-notification de la taxe GAFA de Paris à Bruxelles sont donc attendues à l’automne 2019. Comment justifier cette non-notification qui pourrait remettre en cause l’instauration de cette taxe GAFA applicable au 1er janvier 2019? Le gouvernement français a décidé de faire cavalier seul pour être le premier Etat membre à mettre en oeuvre cette taxe numérique (8). Pour être euro-compatible, le rapporteur Albéric de Montgolfier a estimé « indispensable » cette notification : « Dès lors que la taxe ne frapperait que des grandes entreprises internationales, il convient d’être prudent. Si elle était qualifiée d’aide d’Etat, sans notification préalable, la taxe serait invalidée sans même être contraire aux traités européens ».

La taxe GAFA scrutée par le G7 et l’OCDE
Et le sénateur de la commission des finances du Sénat de mettre en garde le gouvernement : « Si la taxe n’est pas notifiée et qu’elle est invalidée, il sera nécessaire de rembourser les entreprises qui l’ont acquittée. Ce serait la pire solution ! ». Il y a donc bel et bien insécurité juridique et risque d’illégalité de la taxe GAFA, que conteste par ailleurs les Etats-Unis (9), alors que le G7 va se réunir fin août en France à Biarritz pour en discuter. Si elle devenait illégale, elle ne le serait pas longtemps puisque la France a prévu d’annuler son impôt numérique dès qu’un accord mondial au sein de l’OCDE sera trouvé – dès 2020 ? @

Charles de Laubier

Imposition : l’Europe veut taxer l’économie numérique sans attendre le consensus international

Alors que l’OCDE et le G20, lequel se réunit en avril en Argentine, se donnent jusqu’à 2020 pour trouver un consensus international sur la fiscalité du numérique dans le monde, la Commission européenne veut accélérer le mouvement en proposant de taxer les GAFA sans attendre au sein des Vingt-huit.

La Commission européenne a proposé le 21 mars dernier de nouvelles règles pour garantir que
les activités des entreprises numériques soient imposées dans l’Union européenne (UE) d’une manière « équitable et propice à la croissance ». Elle part du contact que les règles d’imposition des sociétés en vigueur au niveau mondial existent depuis plus de cent ans et ne sont plus adaptées à l’essor de l’économie numérique. Ces règles fiscales ont été conçues pour des entreprises physiques traditionnelles et impliquent qu’une société doit être physiquement présente dans un pays pour y être imposée. C’est là que le bât blesse.

OCDE et G20, pour un consensus d’ici 2020
Alors que les entreprises exerçant des activités en ligne créent de la valeur et se développent beaucoup plus rapidement que l’économie dans son ensemble, les règles existantes ne permettent pas de les imposer efficacement sur les bénéfices générés en grande partie grâce à l’exploitation des données de consommateurs. La Commission européenne constate que cette situation crée une distorsion fiscale importante : « Le taux d’imposition effectif des entreprises numériques – telles que les entreprises du secteur des médias sociaux, les plateformes collaboratives et les fournisseurs de contenu en ligne – est de moitié environ inférieur à celui des entreprises traditionnelles, et est souvent encore bien plus bas. En moyenne, les entreprises du numérique sont imposées à un taux effectif d’imposition de 9,5 % seulement, contre 23,2 % pour les modèles d’affaire traditionnels ». L’Europe estime que si les bénéfices réalisés par les entreprises du numérique – au premier rang desquels les GAFAM américains mais aussi les BATX asiatiques – ne peuvent être taxés, « les recettes fiscales des Etats membres de l’UE risquent d’être menacées ». Alors que le marché unique numérique est une priorité absolue de Jean-Claude Juncker (photo de gauche), président de la Commission européenne, l’impôt sur les sociétés n’est pas adapté au digital justement et met à mal les recettes publiques qui financent les écoles, les hôpitaux ou encore les transports. La proposition présentée le 21 mars consiste en une taxation de l’économie numérique dans l’UE, laquelle permettrait aux Vingt-huit (bientôt Vingt-sept) d’imposer les bénéfices réalisés sur leur territoire, même si l’entreprise n’y est pas présente physiquement. « Une nouvelle taxe provisoire sur les services numériques serait appliquée pour remédier aux lacunes et aux failles les plus manifestes constatées en matière d’imposition des activités numériques. Cette mesure garantit que les activités qui ne sont actuellement pas imposées de manière effective commenceraient à générer immédiatement des recettes pour les Etats membres », est-il expliqué. La Commission européenne est ainsi la première autorité publique dans le monde à prendre des mesures sur l’imposition du numérique. Elle fait même figure de pionnière pour élaborer une solution mondiale qu’elle appelle de ses voeux, y compris en soutenant les travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui doit rendre en avril – lors du sommet du G20 en Argentine – un rapport final sur « les défis fiscaux soulevés par la numérisation » : « Les propositions de l’UE en matière d’imposition de l’économie numérique devraient également inspirer et stimuler les travaux internationaux en cours dans le cadre du G20 et de l’OCDE sur la fiscalité du numérique. Dans le même temps, toute solution proposée au niveau de l’UE doit également tenir compte de la dimension mondiale : l’OCDE s’est engagée à présenter un rapport sur les prochaines étapes au niveau international d’ici 2020 ».
L’OCDE a déjà publié un rapport intermédiaire sur les défis fiscaux soulevés par la numérisation, le 16 mars dernier (1), juste avant un « G20 des Finances » qui s’est tenu mi-mars à Buenos Aires. Le problème est qu’il n’y a pas de consensus international sur le sujet. Chargée plus globalement par le G20 de piloter un groupe de 110 pays sur
« l’érosion des bases fiscales et les transferts de bénéfices » ou BEPS (2), ce rapport intermédiaire s’est contenté de faire état des positions des différents pays et d’énumérer les différentes mesures envisagées.

Une directive européenne avant 2020 ?
« Ces approches vont de celle des pays qui considèrent qu’aucune action n’est nécessaire, à celle des pays selon lesquels il faut agir pour reconnaître le rôle de la contribution des utilisateurs, en passant par celle des pays qui considèrent que tout changement devrait s’appliquer à l’économie dans son ensemble », a expliqué Angel Gurría (photo de droite), le secrétaire général de l’OCDE. L’organisation travaille avec le G20 pour trouver une solution consensuelle d’ici 2020.
« Au cours de l’étude de ces changements potentiels, les membres considéreront les effets de la numérisation sur l’économie, en référence aux principes régissant l’alignement des bénéfices sur les activités économiques et la création de valeur », indique l’organisation dont le siège est à Paris (3). Quant à la directive européenne sur la taxation des géants du numérique, si le projet devait aboutir, elle ne devrait pas être transposée dans les différents Etats membres avant 2020 – même si Paris le souhaite pour 2019 en espérant un accord avec Berlin d’ici juin prochain (4). Car difficile d’imaginer que l’UE avance de son côté sur un sujet éminemment international et où l’OCDE et le G20 souhaitent parvenir à un consensus à l’horizon 2020.

Taxe immédiate de 3 % en Europe
Quoi qu’il advienne, la Commission européenne a présenté deux propositions législatives. La première d’entre elles, qui est présentée comme « la solution à long terme privilégiée », vise à réformer les règles d’imposition des sociétés de façon à ce que les bénéfices soient enregistrés et taxés là où les entreprises ont une interaction importante avec les utilisateurs par l’intermédiaire de « services numériques » (voir liste ci-dessous établie par la directive). Les Etats membres pourront alors taxer les bénéfices qui sont réalisés sur leur territoire, même si une entreprise du numérique n’y est pas présente physiquement, pour peu que la plateforme numérique satisfait à l’un des critères suivants : elle génère plus de 7 millions d’euros de produits annuels dans un Etat membre ; elle compte plus de 100.000 utilisateurs dans un Etat membre au cours d’un exercice fiscal ; plus de 3.000 contrats commerciaux pour des services numériques sont créés entre l’entreprise et les utilisateurs actifs au cours d’un exercice fiscal (voir graphique p. 11). La seconde proposition législative consiste en une « taxe provisoire sur certains revenus tirés d’activités numériques (…) où les utilisateurs jouent un rôle majeur dans la création de valeur et qui sont les plus difficiles à prendre en compte par les règles fiscales actuelles, comme les produits tirés de la vente d’espaces publicitaires en ligne, générés par les activités intermédiaires numériques qui permettent aux utilisateurs d’interagir avec d’autres utilisateurs et qui facilitent la vente de biens et de services entre eux, tirés de la vente de données générées à partir des informations fournies par les utilisateurs ».
Ce système s’appliquera uniquement à titre provisoire, jusqu’à ce que la réforme ait
été mise en oeuvre et pour éviter que certains pays européens ne prennent des mesures unilatérales pour taxer les activités numériques – ces réponses nationales seraient alors, selon la Commission européenne, « préjudiciables pour notre marché unique numérique ». Cette taxe provisoire – applicable aux entreprises dont le chiffre d’affaires annuel total atteint au moins 750 millions d’euros au niveau mondial et 50 millions d’euros dans l’UE (5) – sera perçue immédiatement par les Etats membres. Selon les estimations de la Commission européenne, 5 milliards d’euros de recettes
par an pourraient être réalisés pour les Etats membres si la taxe est appliquée à un taux de 3 %. @

Charles de Laubier

Le Numérique placé auprès du Premier ministre

En fait. Le 17 mai, Mounir Mahjoubi a été nommé – auprès du Premier ministre Edouard Philippe – secrétaire d’État chargé du Numérique. Le 18 mai, s’est déroulée la passation des pouvoirs de Christophe Sirugue, lequel avait succédé le 27 février à Axelle Lemaire – successeure en 2014 de Fleur Pellerin.

Donald Trump, élu 45e président des Etats-Unis, pourrait remettre Internet sous tutelle américaine

Le candidat Républicain à l’élection présidentielle américaine s’était opposé à la fin de la tutelle des Etats- Unis sur l’Icann, l’organisme de gestion mondiale de l’Internet. Elu le 9 novembre dernier 45e président des Etats-Unis, Donald Trump pourrait dénoncer la nouvelle gouvernance en place depuis le 1er octobre.

« Les Etats-Unis ne devraient pas remettre le contrôle de l’Internet aux Nations Unies et à la communauté internationale. Les Etats-Unis ont créé, développé et déployé l’Internet libre et ouvert sans censure gouvernementale – une valeur fondamentale enracinée dans l’amendement sur la liberté d’expression de notre Constitution. La liberté d’Internet est maintenant en danger avec l’intention du président [Barack Obama, en fonction jusqu’en janvier 2017, ndlr] de céder le contrôle à des intérêts internationaux, parmi lesquels des pays comme la Chine et la Russie, qui ont de nombreux antécédents dans la tentative d’imposer une censure en ligne. Le Congrès [composé aux Etats-Unis du Sénat et de la Chambre des représentants, ndlr] doit agir, ou la liberté d’Internet sera perdue pour de bon, dans la mesure où il n’y aura plus aucune façon de le rendre grand de nouveau une fois qu’il sera perdu ». C’est ainsi que Donald Trump s’est dit farouchement opposé au plan de Barack Obama de, selon son successeur, « livrer le contrôle américain d’Internet à des puissances étrangères ». Ces propos ont été rapportés le 21 septembre dernier par
son porte-parole Stephen Miller, directeur politique de sa campagne et auteur de nombre de ses discours. Mais depuis que Donald Trump a été élu le 9 novembre président des Etats-Unis, le communiqué faisant état de son opposition à la fin de
la tutelle américaine sur le Net a été supprimé du site web Donaldjtrump.com, mais Google en avait gardé une trace que Edition Multimédi@ a retrouvée (1)…

Internet s’est émancipé le 1er octobre 2016 des Etats-Unis
Son adversaire, la candidate Démocrate Hillary Clinton – battue au finish contre tous les pronostics, les sondages et la plupart des médias – s’était, elle, prononcée en faveur de cette émancipation de l’Internet. Une fois en fonction à la Maison Blanche,
à partir du 20 janvier 2017, Donald Trump pourrait tenter de remettre en cause la fin
du contrat qui est intervenu le 1er octobre dernier entre l’Icann (2) , l’organisation chargée de l’attribution des noms de domaine sur Internet, et le Département américain du Commerce (DoC), via son agence NTIA (3). Surtout que les Républicains qui ont porté Donald Trump au pouvoir conservent dans la foulée le contrôle de la Chambre des représentants et du Sénat. Cette majorité parlementaire sur laquelle il pourra s’appuyer au Congrès sera un atout maître pour le nouveau président des Etats-Unis.

La Silicon Valley hostile à Trump
Cette émancipation de l’Icann de l’emprise américaine pour une gouvernance de l’Internet plus mondiale fut l’aboutissement d’un processus engagé et accepté par Washington en 2014. C’est sous la pression internationale que l’administration américaine s’est résolue à passer le flambeau. La fin de la tutelle américaine avait d’ailleurs été précipitées par l’affaire Snowden – du nom de l’ancien collaborateur informatique de la CIA et de la NSA qui a révélé mi-2013 l’espionnage mondial
pratiqué illégalement par les États-Unis. Née en 1998, l’Icann – société privée de droit californien, sans but lucratif et reconnue d’utilité publique – vient ainsi de couper le cordon ombilical avec les Etats-Unis pour devenir depuis le 1er octobre dernier une organisation indépendante et à gouvernance multilatérale – comprenez mondiale.

Son rôle est vital pour l’Internet car c’est elle qui supervise l’allocation et le maintien
des codes et systèmes de numérotation uniques de l’Internet tels que les racines des noms de domaine et les adresses IP – fonctions historiques qu’assurait l’Iana (4), département de l’Icann en vertu d’un contrat avec le DoC qui est arrivé à échéance le 20 septembre dernier. Le transfert aurait dû initialement intervenir au 30 septembre 2015, mais les résistances parlementaires ont été fortes au Congrès américain.
« La transition ne consiste pas pour le gouvernement américain à remettre Internet
à n’importe quel pays, entreprise ou groupe. La vérité est que personne, y compris
les Etats- Unis, n’a “un contrôle d’Internet” à remettre. La communauté des parties prenantes, qui a parfaitement coordonné depuis le début les systèmes de noms de domaine et d’adressage d’Internet, continuera à le faire ainsi », a tenu à mettre au
point l’Icann dirigée depuis le mois de mai par le Suédois Göran Marby qui a succédé à l’Egypto-libano-américain Fadi Chehadé au poste de PDG de l’organisation désormais indépendante (5).
Il s’agit aussi d’assurer la continuité avec Verisign, la une autre société privée américaine, basée à Reston dans l’État de Virginie, chargée de diffuser sur les treize serveurs dits « racines » du Net présents dans le monde toutes les modifications et mises à jour de la « zone racine » : le coeur du Net pour que le Web fonctionne. Paradoxalement, malgré sa position pour un « Internet libre » sous l’emprise – ou l’empire – des Etats-Unis, le milliardaire Donald Trump n’a jamais été en odeur de sainteté dans la Silicon Valley, pourtant fief de l’Icann et des GAFA. Il faut dire qu’en marge de ses propositions pour revoir de fond en comble la cybersécurité du pays,
via une « Cyber Review Team » à mettre en place (oubliant au passage son appel
cet été aux hackers russes pour retrouver les e-mails perdus d’Hillary Clinton…), le candidat Républicain est allé jusqu’à proposer de « fermer une partie d’Internet pour des raisons de sécurité » !
A part quelques critiques envers des entreprises hightech emblématiques – Apple pour fabriquer ses appareils à l’étranger (6), AT&T-Time Warner comme « une trop grande concentration de pouvoir dans trop peu de mains » (7), et Amazon à propos du niveau de ses impôts –, Donald Trump n’a pas vraiment mis le numérique au coeur de son programme présidentiel. Cette lacune et par ailleurs son racisme lui ont valu l’hostilité de ténors de la Silicon Valley tels que les (co)fondateurs d’Apple, Facebook, Twitter, Wikipedia, eBay et Flickr (respectivement Steve Wozniak, Dustin Moskovitz, Evan Williams, Jimmy Wales, Pierre Omidyar et Caterina Fake), parmi 150 chefs d’entreprises high-tech qui ont signé l’été dernier une lettre ouverte pour mettre en garde l’Amérique : « Trump serait un désastre pour l’innovation » (8).
William Kennard, ancien président de la FCC, et Tim Wu, professeur de droit à la Columbia University qui a théorisé le principe de neutralité du Net (Trump a critiqué ce principe en 2014), sont aussi signataires. D’autres, comme Reid Hoffman, cofondateur de LinkedIn, et Jeff Bezos, le fondateur PDG d’Amazon et propriétaire du Washington Post, se sont déclarés contre Trump. Cela n’a pas empêché Google ou Facebook
de financer la campagne du magnat de l’immobilier… Finalement, l’ultralibéral
« libertarien » tendance anarchiste de droite Peter Thiel, milliardaire cofondateur de PayPal et investisseur de la première heure dans Facebook (dont il est membre du conseil d’administration), fut quasiment le seul dans la Silicon Valley pro-Démocrate
à se féliciter de la victoire de Donald Trump, candidat qu’il a soutenu publiquement.

Le ticket gagnant de Peter Thiel
Le 31 octobre, devant le National Press Club, Peter Thiel a même dénoncé
« l’aveuglement » de la Silicon Valley quant à la situation réelle de l’Amérique.
Dans une interview dans Le Monde daté du 27 février dernier, il déclarait, à propos de
« grande stagnation » de l’économie : « Il faut trouver une solution, sinon les réponses seront apportées par des personnes comme la présidente du Front national, Marine Le Pen, ou par le candidat à l’investiture républicaine aux Etats-Unis, Donald Trump ». Dont acte. @

Charles de Laubier