Marie-Pierre Sangouard, Amazon France : « L’accueil de Kindle Unlimited a été très positif »

Directrice des contenus Kindle d’Amazon France depuis 2011, après avoir été directrice du livre à la Fnac, Marie-Pierre Sangouard nous répond à l’occasion du Salon du livre de Paris sur l’auto-édition, le livre numérique, la TVA, le format AZW, ainsi que sur le lancement d’Amazon Publishing en France.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Marie Pierre SangouardEdition Multimédi@ : Le groupe Amazon est présent au Salon du livre de Paris encore cette année (après une absence remarquée en 2013) : que présentez-vous ?
Marie-Pierre Sangouard (photo) : Cette année nous serons à nouveau présents au Salon du livre avec notre stand Kindle Direct Publishing (KDP) placé sous le signe de l’auto-édition et de la lecture numérique. C’est l’occasion pour les visiteurs de se familiariser avec les nouvelles formes de diffusion de la culture
et de simplification de la création littéraire que nous proposons aux lecteurs d’une part, et aux auteurs en devenir d’autre part.
En ce sens, nous organisons la 2e édition du « speed dating KDP » à destination des auteurs en herbe sur notre stand au Salon du livre. Les gagnants seront publiés via notre programme d’auto-édition KDP et soutenus sur Amazon.fr pendant un mois :
une belle opportunité de se faire remarquer du grand public, tout comme les plus de 600.000 auteurs auto-édités présents aujourd’hui sur notre plateforme KDP partout dans le monde. Nos toutes dernières liseuses Kindle seront également exposées afin de permettre à tous les lecteurs d’en découvrir les multiples avantages et fonctionnalités.

EM@ : Amazon va devenir aussi une maison d’édition en France à travers sa nouvelle filiale Amazon Publishing France, dont l’ « éditeur de manuscrits originaux » (Senior Editor Original Manuscripts) a été recruté en février. Quand lancez-vous cette activité ?
M-P. S. :
Nous avons recruté Clément Monjou en tant qu’éditeur pour Amazon Publishing en France, dont nous sommes en train de constituer l’équipe. Il reporte
à Dominic Myers, responsable Europe d’Amazon Publishing et a pour mission de découvrir des ouvrages de qualité à traduire et à publier en langue française. Clément travaille pour Amazon depuis plus de deux ans.
Nous avons lancé le 10 mars nos deux premières traductions de l’anglais vers le français – un thriller, « Hackeur et contre tous » de Dave Bushi, et d’une comédie romantique, « Ladden et la lampe merveilleuse » de Stéphanie Bond –, auxquelles viendront s’ajouter trois autres titres d’ici la fin du mois. Notre objectif est de publier
des fictions issues de genres variés tels que les thrillers, la littérature sentimentale
et la science-fiction.

« Nous avons recruté Clément Monjou en tant qu’éditeur pour Amazon Publishing en France (…). Il a pour mission de découvrir des ouvrages de qualité à traduire et à publier en langue française ».

EM@ : Depuis votre arrivée en juillet 2011 chez Amazon France en tant que directrice des contenus Kindle, comment a évolué l’activité « livres » (papier
et ebook) dans l’Hexagone selon vous ?
M-P. S. :
Le secteur du livre est en constante évolution et nous faisons face aujourd’hui à une révolution des usages qui passe notamment par le numérique, tant en termes
de distribution en ligne, complémentaire à la vente en librairie, qu’en termes de format, avec l’ebook qui vient compléter le livre traditionnel. S’agissant de la distribution, Internet constitue une opportunité pour démocratiser la culture et la rendre accessible au plus grand nombre, parfaitement complémentaire des réseaux traditionnels. Ce canal contribue également à la diffusion de la culture française via la vente de livres
en français dans le monde entier et nous sommes fiers qu’Amazon soit le premier distributeur hors de France de livres en langue française avec l’ensemble de ses plateformes dans le monde. Enfin, l’émergence de l’auto-édition en ligne, qui permet
la découverte de nouveaux talents littéraires, est une des révolutions majeures de ces dernières années. Il s’agit d’un tremplin unique qui a permis à de nombreux talents d’émerger. Par exemple, c’est ainsi qu’Aurélie Valognes, auteure de « Mémé dans
les orties », a rencontré le succès pour son premier roman auto-publié.

EM@ : Selon les premières estimations du Syndicat national de l’édition (SNE),
le livre numérique se situe autour de seulement 5 % des ventes de l’édition en France. Comment et pourquoi – vu d’Amazon – y a-t-il ce retard français par rapport à d’autres pays ?
M-P. S. :
Depuis le lancement de Kindle en France en 2011, nous sommes pour notre part très satisfaits des résultats. Nous concentrons nos efforts sur la démocratisation
de la lecture numérique comme une offre présentant de nombreux avantages, tels que la facilité d’accès (téléchargement en 60 secondes 24h sur 24) et un catalogue se développant sans cesse. Sont ainsi accessibles à partir de Kindle 3 millions de livres numériques présents aujourd’hui, dont plus de 175.000 en français et plus de 4.000 grands classiques gratuits. La quasi-totalité des nouveautés sont disponibles et cet élargissement de l’offre est clé. Parmi les freins, on peut noter la faiblesse du catalogue disponible en langue française par rapport à l’offre papier, et des prix qui peuvent paraître élevés pour les lecteurs : par exemple, certains ouvrages ont un prix numérique supérieur à celui de leur équivalent papier.

EM@ : Le 5 mars, la Cour de justice de l’Union européenne a décidé que la France ne pouvait appliquer aux ebooks le même taux de TVA réduit que celui des livres imprimés (5,5 % au lieu de 20 %). Quelles conséquences cela va avoir sur les ventes d’ebooks sur Kindle en France ?
M-P. S. :
L’importance culturelle et pédagogique d’un livre réside dans le contenu
du travail de l’auteur, pas dans son format, qu’il soit numérique ou papier. Comme beaucoup de nos clients, nous pensons que le même taux réduit de TVA doit être appliqué aux livres, quel que soit leur format. Sur les conséquences de cette décision, nous n’avons pas de visibilité sur les éventuels changements de politique de prix des éditeurs : il est donc difficile de faire des prévisions.

EM@ : L’interopéralité des formats des ebooks est de plus en plus évoquée, tant par les utilisateurs que par les pouvoirs publics : le format AZW de Kindle est-il un obstacle ou pas au développement du livre numérique ?
M-P. S. :
Au contraire, le fait de pouvoir maîtriser son format est un réel avantage parce que c’est cela qui permet l’innovation au service d’une expérience du lecteur toujours plus riche. Par exemple, grâce à son format AZW (ou mobi), Amazon a développé des applications spécifiques, les dictionnaires, le surlignage, le partage ou encore le service X-Ray qui permet d’explorer et d’analyser la structure d’un ouvrage sur Kindle – ses idées essentielles, les personnages ou les thèmes. En outre, nous faisons en sorte qu’un client puisse lire ses ouvrages Kindle sur tous les appareils dont il dispose – ordinateurs PC ou Mac, smartphones ou tablettes, sous iOS ou Android – via l’application de lecture gratuite Kindle, ce qui constitue une véritable valeur ajoutée.

EM@ : En février, la médiatrice du livre a considéré que les offres d’abonnement de lecture illimitée d’ebooks en France sont illégales car« le prix n’est pas fixé par l’éditeur ». C’est le cas de Kindle Unlimited…
M-P. S. :
L’accueil de Kindle Unlimited a été très positif en France depuis son lancement en décembre, comme dans tous les pays où le service a été lancé, car
il permet aux lecteurs de découvrir facilement un plus grand nombre d’auteurs, soit 700.000 titres dont plus de 20.000 en français [pour 9,99 euros par mois, ndlr], et
aux auteurs de toucher un plus grand nombre de lecteurs dans le monde entier. Des éditeurs français sont d’ores et déjà présents sur KU, tels que Fleurus [groupe Média-Participations, ndlr], Jouvence, Eyrolles, La Musardine, Bragelonne, Encyclopædia Universalis, … La période de concertation entre la médiatrice du livre et tous les acteurs qui proposent ce type de service innovant est en cours. @

Plus lourd hors des Etats-Unis, Facebook assume le risque accru de redressements fiscaux

C’est dans un climat de suspicion d’évasion fiscale que Facebook fête ses anniversaires : 10 ans d’existence le 4 février, 30 ans de Mark Zuckerberg le
14 mai, 2 ans de la filiale française dans ses locaux parisiens de l’avenue de Wagram le 7 juin et 1 an de Laurent Solly (photo) à sa tête le 3 juin.

Par Charles de Laubier

Laurent SollyPour la première fois depuis sa création il y a dix ans, Facebook
a réalisé l’an dernier plus de la moitié de son chiffre d’affaires en dehors des Etats-Unis. Sur les 7,8 milliards de dollars réalisés en 2013, 54 % proviennent du « reste du monde » (soit un peu plus de
4,2 milliards de dollars).
Et l’international progresse le plus en un an (+ 69,6 %), comparé
à la croissance des revenus états-uniens (+ 40,1 %). Sur les 757 millions d’utilisateurs actifs chaque jour (soit 61,5 % des 1,230 milliard de comptes ouverts sur Facebook), ils sont – selon notre estimation – 90 % en dehors des Etats-Unis – dont 195 millions en Europe.
Mais le revers de cette exposition internationale, c’est l’accroissement du risque fiscal.
La firme de Palo Alto, dont le bénéfice net – après impôts donc – a atteint 1,5 milliard de dollars l’an dernier, ne l’ignore pas.

Menace sur ses résultats : Facebook a déjà prévenu
Cotée depuis mai 2012 et valorisée plus de 173,5 milliards de dollars (1), elle prévient les investisseurs sur de possibles redressements fiscaux que certains Etats pourraient lui infliger. Ce qui aurait pour conséquence de « nuire » à ses résultats financiers.
« Beaucoup de pays dans l’Union européenne, aussi bien qu’un certain nombre d’autres pays et organisations comme l’OCDE (2), réfléchissent activement à des changements des lois fiscales existantes. (…) En raison de l’expansion de nos activités internationales, tout changement de fiscalité pourrait accroître notre taux d’imposition mondial effectif et nuire à nos résultats financiers », met clairement en garde le groupe du jeune milliardaire Mark Zuckerberg dans les « facteurs de risques » exposés dans son rapport annuel publié en début d’année par le gendarme de la Bourse américaine (SEC).
« Les lois fiscales applicables à notre activité (…) sont sujettes à interprétation et certains juridictions interprètent de façon agressive leurs lois dans le but de lever des impôts supplémentaires auprès d’entreprises comme Facebook », met en garde l’entreprise qui a provisionné sur ses comptes de l’an dernier plus de 1,2 milliard de dollars (184 % de plus sur un an) au titre des impôts sur le revenu.

Laurent Solly invoque le secret fiscal
En Europe, la France est sans doute le pays le plus actif pour appeler à une réforme fiscale à l’heure du numérique. Après les rapports (3) Marini (2010 et 2012), Collin & Colin, Muet & Woerth et CNNum (2013), voilà que François Hollande, s’en prend directement aux géants du Net en estimant le 6 février que leur optimisation fiscale
« n’est pas acceptable ». C’était une semaine avant de se rendre – après sa rencontre avec Barack Obama – dans la Silicon Valley, où il a notamment rencontré Sheryl Sandberg, la directrice des opérations et numéro 2 de Facebook…
Pendant ce temps, le 12 février à Paris, l’Association des journalistes médias (AJM) recevait à déjeuner Laurent Solly, directeur général de Facebook France. La toute première question a été de savoir si la filiale française du réseau social faisait l’objet d’un redressement fiscal – comme cela serait le cas avec Google à qui le fisc réclamerait jusqu’à 1 milliard d’euros. « Ça commence bien ! Je pensais en venant que vous alliez me poser cette question », a-t-il répondu avant de mettre rapidement un terme à ce sujet : « Il y a une règle en France qui est celle du secret fiscal entre les entreprises et l’administration. Je m’en tiendrai à cette règle. (…) Je n’ai pas dit qu’il y avait des discussions. Je dis simplement que la règle en France – j’ai été au ministère des Finances et puis vous citer les articles du code fiscal ou des lois de Finances, ou du code pénal en cas de non respect de cette règle pour les fonctionnaires… – est le respect de ce secret fiscal. Et, en tant que représentant de Facebook, cette règle est aussi celle de notre entreprise ».

La vingtaine de journalistes présents sont donc restés sur leur faim. Tout juste Laurent Solly a-t-il indiqué à l’un de nos confrères, BFM TV, avoir lu son article révélant comment Facebook échappe à l’impôt en France. Mais il n’a fait aucun commentaire,
ni démenti ces informations… Pour mémoire, l’article en question, paru en septembre 2013, a pour titre « Exclusif : comment les profits de Facebook partent aux îles Caïmans » (4). Le lecteur y apprend que « le réseau social ne déclare en France que 2,5 % de son chiffre d’affaires réel [7,6 millions d’euros en 2012], et ne paie donc quasiment pas d’impôts au fisc français » et ainsi « sa filiale française n’a payé que 191.133 euros d’impôt sur les bénéfices en 2012 ». Le chiffre d’affaire réel de la filiale français du numéro un des réseaux sociaux aurait été en réalité cette année-là d’environ 300 millions d’euros pour un profit estimé à 30 millions d’euros. Si ces sommes avaient été déclarées, ce sont 10 millions d’euros d’impôts qui auraient dû être payés. L’optimisation fiscale est obtenue grâce à une filiale basée en Irlande (Facebook Ireland Ltd), elle-même versant des « redevances » à une autre société irlandaise (Facebook Ireland Holdings), qui elle-même est « détenue, au travers de plusieurs holdings, par Facebook Cayman Holdings Unlimited I, une société immatriculée dans
le paradis fiscal des îles Caïmans » !
Ironie de l’histoire, Nonce Paolini, patron de TF1 où Laurent Solly était auparavant directeur de la publicité, a cosigné avec Canal+ et  M6 un courrier – daté du 11 février et adressé à la ministre Aurélie Filippetti (5) – tirer  la sonnette d’alarme face à l’arrivée de « Google, Apple, Netflix, Amazon et Facebook » dans le secteur de la télévision,
« tout en pratiquant une optimisation fiscale exorbitante »…

Le montage financier de Facebook n’est pas sans ressembler à celui que pratique Google, via sa holding Google Ireland Holdings, jusqu’aux Bermudes qui font partie avec les îles Caïmans des nombreux paradis fiscaux. C’est avec le même objectif que Yahoo prendra également la tangente en rattachant – à partir du 21 mars prochain – les services en ligne relevant jusqu’alors de Yahoo France SAS à Yahoo EMEA Limited en Irlande… Chez Facebook, le secret fiscal est inversement proportionnel à
« l’exhibitionnisme » de ses 26 millions d’utilisateurs actifs en France (dont 18 millions se connectant chaque jour). Même lorsque la commission des Finances de l’Assemblée nationale mène une enquête sur « l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international » et demande à auditionner les « GAFAM » (Google, Apple, Facekook, Amazon et Microsoft), Facebook fait partie de ceux – avec Apple – qui n’ont pas souhaité lui répondre. « Cette attitude est bien évidemment inacceptable », avait vivement protesté en juillet dernier cette mission Muet-Woerth.

Une présence française plutôt discrète
Cette paradoxale culture de la discrétion du célèbre trombinoscope en ligne est aussi illustrée par l’absence de logo, ni même d’indications, sur la présence de Facebook France au 112 de l’avenue de Wagram qui mène à l’Arc de Triomphe.
Les bureaux parisiens sont en open space, y compris le baby-foot ! Lors de la pendaison de crémaillère il y a près de deux ans (6), ils n’étaient qu’une trentaine de salariés. Ils sont aujourd’hui une cinquantaine, sur les 6.337 que compte le groupe. @

Maurice Botbol, président du Spiil : « Ce sont les sites de presse innovants qui méritent d’être aidés en premier lieu »

Président du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) depuis 2009 et directeur fondateur de Indigo Publications, Maurice Botbol nous explique les propositions que lui et Edwy Plenel – reçus à l’Elysée le 28 février – ont faites en faveur de la presse numérique.

Propos recueillis par Charles de Laubier

MB

Edition Multimédi@ : Le Spiil s’est insurgé une nouvelle fois contre le taux de TVA à 19,6 % imposé à la presse en ligne, alors que la presse imprimée, elle, bénéficie du super taux réduit de 2,10 %. François Hollande a-t-il répondu à votre lettre ouverte du 26 février ?
Maurice Botbol : Non, le président de la République n’a pas encore répondu à notre courrier. Mais, avec Edwy Plenel, secrétaire général du Spiil, nous avons été longuement reçus le 28 février à l’Elysée par David Kessler, conseiller pour la culture et la communication. Nous lui avons notamment remis un mémoire juridique expliquant pourquoi la presse numérique estime être dans son droit en lui appliquant le même taux
de TVA que la presse papier (1). Il s’est montré très attentif à notre argumentation et nous a assuré de son soutien. Nous lui avons expliqué, et il en a convenu, qu’il était difficile de défendre le principe de neutralité fiscale pour le livre numérique, et pas pour la presse. Cette situation est d’autant plus paradoxale que les ministres Fleur Pellerin et Aurélie Filippetti (2) ont annoncé le 22 février qu’elles s’appuieraient sur le principe de neutralité fiscale pour défendre le taux réduit de TVA pour le livre numérique devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Nous avons annoncé, pour notre part que si les redressements fiscaux que subissent nos adhérents qui appliquent la TVA à 2,10 %
(Arrêt sur images et Dijonscope) étaient maintenus, nous poursuivrions l’Etat français devant la CJUE. Et nous utiliserions alors contre lui les mêmes arguments qui lui servent à défendre sa position sur le livre numérique !

EM@ : Avez-vous pu avoir l’accord conclu le 1er février 2013 entre Google et l’Association de la presse d’information politique et générale (AIPG) ? Les titres des 3 syndicats membres de l’AIPG (SPQN, SEPM et SPQR) sont-ils les seuls concernés par les 60 millions d’euros ?
M. B. :
On sait maintenant que l’accord signé en grande pompe le 1er février à l’Elysée entre l’AIPG et le patron de Google, en présence du président de la République et de deux ministres [Fleur Pellerin et Aurélie Filippetti, ndlr], n’était pas un accord, mais un simple protocole d’accord, mais un simple protocole d’accord (3). Les deux parties se sont données huit semaines pour conclure l’accord définitif. Nous verrons fin mars. Il ne s’agit pas d’un simple accord commercial entre deux acteurs privés, comme cela nous a été présenté. Les autorités françaises, au plus haut niveau de l’Etat, ont légitimé, soutenu
et paraphé cet accord. Cet accord de portée nationale doit être rendu public.
Quant au fonds de 60 millions d’euros, il devrait concerner tous les sites labellisés
« Information politique et générale » (IPG) par la Commission paritaire des publications
et agences de presse (CPPAP). Il s’agirait donc de seulement 180 sites environ sur
5.000 titres de presse ! Je remarque à ce propos que de nombreux membres du Spiil
sont reconnus IPG par la CPPAP (4). Pourtant, à aucun moment nous n’avons étés contactés par l’AIPG pour en faire partie. Dans le même temps, un syndicat comme le SEPM qui fait partie de cette association compte bien plus de membres non IPG qu’IPG.

EM@ : Le 1er janvier 2013, Rue89 a démissionné du Spiil. Ainsi en a décidé Le Nouvel Observateur, propriétaire de Rue89 et assurant la présidence de l’AIPG, opposée à la suppression des aides directes d’Etat à la presse comme le propose
le Spiil…
M. B. :
Le Spiil a été auditionné le 15 février par le groupe de réflexion sur les aides à
la presse présidé par le conseiller maître à la Cour des comptes Roch-Olivier Maistre, lequel devrait remettre son rapport fin avril. Nous avons fourni à cette occasion une note détaillée sur les réformes que nous estimons indispensables (5), dont l’un des principaux objectifs est de favoriser le pluralisme de la presse. Comme l’indique la Cour des comptes dans son rapport 2013, à l’occasion d’un chapitre très sévère sur les aides à la presse (6), le pluralisme de la presse est « reconnu par le Conseil constitutionnel, constitue le fondement historique de l’aide de l’État et le cœur de sa politique actuelle ».
Or, les aides actuelles ne font que préserver la survie des titres existants. Nous disons que seule l’innovation, en particulier numérique, peut redonner vie au pluralisme de la presse française. Ce sont ces sites – lesquels innovent dans les contenus, dans les usages, dans les technologies, dans les relations avec les lecteurs, etc. – qui méritent d’être aidés en premier lieu (7). Faut-il rappeler que sur les 60 millions d’euros attribués
au fonds SPEL (8) sur trois ans, de 2009 à 2011, moins de 10 millions ont été réellement attribués aux éditeurs (9). Quel gâchis et quel échec !

EM@ : Que faut-il attendre l’AG annuelle du Spiil qui se tient en mars ? Quels autres dossiers allez-vous défendre au nom des 74 membres du Spiil à ce jour ?
M. B. :
L’assemblée générale annuelle du Spiil se tiendra le 25 mars. Un seul poste, celui de vice-président qu’occupait Laurent Mauriac jusqu’à la démission forcée de Rue89 en début d’année, sera à renouveler. En 2013, le Spiil qui fonctionnait jusqu’à présent sur
une base totalement bénévole, va bénéficier de moyens accrus après avoir recruté une chargée de mission, Marie Romezin, et s’être adjoint la collaboration régulière d’un expert de haut niveau de la presse, Régis Confavreux. Outre la poursuite de nos combats sur la TVA réduite, sur l’efficacité des aides à la presse, l’accès des pure players aux annonces légales et de nombreux autres dossiers, nous lancerons très bientôt une plate-forme de réflexion, numérique et physique, sur l’avenir de notre industrie. Ce sera un lieu de débat ouvert à tous les professionnels (au-delà des seuls adhérents du Spiil) et à des lecteurs. Nous défendons les intérêts de la presse, imprimée ou numérique…

EM@ : La presse en ligne cherche encore son modèle économique… entre le gratuit qu’a pratiqué Owni avant d’être liquidé en décembre, et le payant sur lequel Mediapart mise depuis maintenant cinq ans ?
M. B. :
Les modèles économiques de la presse en ligne sont très fragiles. Beaucoup
reste encore à inventer. Mais je crois résolument en l’avenir de la presse numérique.
Car la valeur ajoutée pour le lecteur de la presse numérique est bien supérieure à celle
de la presse papier : l’info numérique est plus rapide, plus vivante, plus dynamique ; elle devient de plus en plus multimédia, donc plus proche d’un jeune public qui a perdu la culture de la presse papier. La presse numérique bénéficie en outre de plus en plus du don d’ubiquité : elle accompagne le lecteur tout au long de la journée, sur smartphone, ordinateur et tablette. De plus, la presse numérique entretient une relation plus proche avec ses lecteurs qui deviennent actifs ; ils peuvent vérifier, comparer, contester, interpeller, échanger, recommander, etc. Cette dynamique crée un cercle vertueux incontestable. Cependant, plusieurs dangers guettent la presse numérique qui doit
relever des défis.
Elle devra maîtriser ses moyens de distribution : elle ne peut laisser échapper une bonne partie de la valeur qu’elle crée au profit de plates-formes de diffusion mondialisées comme Apple Store ou Amazon. Elle devra aussi diversifier ses sources d’audience et ne pas dépendre du seul algorithme d’un acteur hégémonique comme Google, entraînant une uniformisation de ses contenus. Elle devra, à terme, privilégier un modèle payant – au moins partiellement – car c’est uniquement lorsque les lecteurs constituent une source majeure de revenus qu’elle se voit dans l’obligation de répondre prioritairement à leurs besoins, et non de satisfaire d’abord des tierces parties comme les annonceurs. Mediapart va fêter ce mois-ci son cinquième anniversaire sur un résultat très positif,
pour la deuxième année consécutive. Le site Owni, lui, s’était engagé dans un modèle économique impossible à tenir, en voulant être à la fois gratuit et sans publicité ! @

Google France : le patron change, les dossiers restent

En fait. Le 5 mars, Carlo d’Asaro Biondo, président de Google Europe du Sud, de l’Est, Moyen-Orient et Afrique, a annoncé la nomination d’un nouveau directeur général pour la filiale française : Nick Leeder, dont la femme est Française, quitte l’Australie pour remplacer le 1er avril Jean-Marc Tassetto.
CAB GoogleEn clair. Le président de Google Europe, Carlo d’Asaro Biondo (photo), reprendrait-il en main la filiale française qu’il ne s’y prendrait pas autrement, en y nommant un nouveau directeur général pour remplacer Jean-Marc Tassetto sur le départ.
Ce dernier, à ce poste depuis moins de trois ans (octobre 2010 (1)), aurait été dépassé par les négociations avec l’Association de la presse IPG (information politique et générale) sous la houlette du médiateur Marc Schwartz nommé fin novembre par le gouvernement.
C’est Carlo d’Asaro Biondo, et non plus Jean- Marc Tassetto, qui avait alors mené la fin du bras de fer jusqu’au bout. Une loi a été évitée par Google.
L’ultimatum du chef de l’Etat n’a pas été respecté
Mais Eric Schmidt lui-même, le patron du groupe Google, a dû signer le 1er février à l’Elysée – en présence de François Hollande – un protocole d’accord « historique », lequel doit encore être finalisé d’ici fin mars avec son fonds de 60 millions d’euros (2) (*) (**).
Avec Jean-Marc Tassetto, les négociations se sont enlisées au-delà de l’échéance du
31 décembre 2012 que le chef de l’Etat avait fixée comme ultimatum en vue d’aboutir à un accord. A défaut de quoi, il menaçait de légiférer en faveur d’une « Lex Google » et de droits voisins que demandait l’association IPG.
Aux yeux de Google, vallait mieux un accord qu’une loi
« Je suis dubitatif sur la signature d’un accord avant la fin de l’année [2012] », avait avoué dès mi-décembre Jean-Marc Tassetto lors d’une intervention à HEC (3).
A-t-il sous-estimé la détermination des trois syndicats de l’AIPG (SPQN, SEPM et SPQR) en parlant de « manque d’unité sur le front des éditeurs » ?
Auparavant, dans une lettre adressée au gouvernement et révélée mi-octobre par l’AFP, Google France avait menacé de ne plus référencer les médias français sur Google Actualités si un droit d’auteur pour la presse était imposé par la loi. Bref, les négociations tournaient au conflit.
Vers un redressement fiscal de 1 milliard d’euros ?
Autre dossier épineux : celui de la fiscalité. Le fisc français réclamerait à Google France 1 milliard d’euros ! « Maintenant, ça n’exonère pas Google de ses autres devoirs, je pense notamment à des devoirs fiscaux (…) Tout le travail ne s’arrête peut-être pas là », avait déclaré Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, le 10 février sur Canal+, après s’être félicitée de l’accord Google-AIPG…
L’Australien Nick Leeder, parlant couramment notre langue et diplômé en France de l’Insead (4), a déjà son comité d’accueil à la française… @
 

Comment Amazon s’impose comme « géant culturel »

Le 25 juin, Amazon a annoncé le lancement de sa troisième plate-forme logistique en France, sur 40.000 m2 à Chalon-sur-Saône (après Orléans et Montélimar). Mais au-delà du « brick and mortar », le groupe américain veut aussi se faire une méga place au sein des industries culturelles françaises.

Vous avez aimé Apple et iTunes Store, vous adorerez Amazon et Kindle Store. Le géant du e-commerce va lancer en France – cet été ou à la fin de l’année – sa tablette multimédia baptisée Kindle Fire. Cela fera d’ailleurs un an, en octobre prochain, que
le géant du e-commerce a lancé sur l’Hexagone sa liseuse Kindle dédiée aux livres numériques. En attendant un smartphone Amazon, que la rumeur prédit pour la fin
de l’année… Une chose est sûre, le patron fondateur Jeff Bezos entend s’imposer rapidement sur le marché français des industries culturelles. Dans la musique, AmazonMP3 défie la concurrence en proposant – à l’instar d’Apple – des nouveautés
à 6,99 euros, soit 30 % moins cher grâce à l’optimisation fiscale du Luxembourg. Son catalogue musical dépasse les 17 millions de titres (1). Dans la vidéo à la demande (VOD), Amazon a pris le contrôle en janvier 2011 de la plate-forme de streaming LoveFilm qui compte plus de 2 millions d’abonnés dans cinq pays européens (2).
La France serait le prochain. Mais c’est surtout le service par abonnement Amazon Prime Instant Video, riche de 17.000 séries et films, qui est attendu sur ordinateurs et consoles de jeux dans l’Hexagone. Si Amazon noue des partenariats avec des studios de cinéma américains (20th Century, NNC Universal, Warner Bros. Pictures, …), il entend aussi produire ses propres films via Amazon Studios : quelque 7.500 scripts
ont été à ce jour soumis sur Studios.amazon.com et près de 20 films sont en cours de développement. Ce qui inquiète en particulier Canal+, dont le DG Rodolphe Belmer craint la concurrence dans la télévision payante de ces nouveaux entrants (Amazon, Netflix, Google, …) non soumis aux mêmes règles (EM@59, p. 4). Dans le livre, Amazon a déjà posé des jalons en France. Sa liseuse Kindle donne maintenant accès
à plus d’un million d’ouvrages – dont plus de 54.000 en français. Flammarion et Albin Michel ont déjà signé avec le géant de Seattle. Amazon, qui serait à l’origine de l’enquête ouverte début décembre dernier par la Commission européenne à l’encontre de ces cinq éditeurs (dont Hachette Livre) et d’Apple sur une éventuelle entente sur les prix des ebooks (3), aimerait pratiquer des ristournes de – 50 % par rapport au livre papier comme il le fait aux Etats-Unis. Mais en France, il est limité à -5 %. Cela n’empêche pas Amazon de s’imposer dans l’exception culturelle française. @