Ayant pivoté dans la vidéo en streaming (OTT), Netgem se démarque des « box » et de la SVOD

Permettre aux internautes de « ne pas être dépendant de la box » de leur fournisseur d’accès à Internet et d’avoir une plateforme de vidéo à la demande « sans abonnement et sans engagement ». Telle est l’ambition réaffirmée par Netgem, dont la filiale Vitis lance un service de VOD en OTT : Viva.

(Lors de la présentation de ses résultats semestriels le 30 juillet, soit après la parution de cet article dans EM@, Netgem a relevé ses objectifs financiers 2021)

Le 5 juillet dernier, le français Netgem a annoncé – via sa marque Videofutur – le lancement d’une nouvelle plateforme de vidéo à la demande (VOD) « dédiée au cinéma, sans abonnement et sans engagement », destinée à « la génération streaming qui souhaite voir en streaming ses films préférés en toute liberté, sur tous ses écrans et sans être dépendant de sa box opérateur ». Autrement dit, Netgem se positionne de plus en plus en OTT indépendamment des « box TV » des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) que sont Orange, Bouygues Telecom, SFR, Free et d’autres – dont sa propre box Videofutur.

Vers la fin des offres triple play ?
Surfant sur l’essor de la fibre optique et de la 5G, Netgem table sur son développement en OTT (Over-The-Top) sans avoir de compte à rendre aux opérateurs télécoms. « En 2020, le groupe a démontré que le pivot entamé depuis plusieurs années vers le métier de fournisseur d’accès à la vidéo en streaming (OTT) porte ses fruits », se félicite Netgem dans son rapport financier 2020, publié fin avril dernier. Grâce au très haut débit et à son modèle économique basé sur des revenus récurrents (90 % de son activité), l’entreprise cofondée par Joseph Haddad (photo) – président du conseil d’administration – a réussi malgré la crise sanitaire à générer l’an dernier un chiffre d’affaires de 30,2 millions d’euros en croissance de 20 %, pour un résultat net de 4,1 millions d’euros (contre 6,9 millions de pertes nettes l’année précédente). Cette performance est due à l’intégration-consolidation depuis début 2020 de sa filiale Vitis qui opère, en tant que fournisseur d’accès à la fibre optique, l’offre « box/VOD » Videofutur. Vitis, qui a ainsi contribué à hauteur de 54,9 % du chiffre d’affaires 2020 du groupe, est un FAI triple play sur le marché de la fibre optique en France, dans les zones géographiques couvertes par les réseaux d’initiative publique (RIP) des collectivités territoriales.
La société Vitis, toujours contrôlée par Netgem, a été fondée il y a cinq ans par Mathias Hautefort – l’actuel directeur général du groupe – avec le soutien de la Caisse des dépôts et du groupe Océinde d’origine réunionnaise. Mais plus globalement, Netgem estime qu’« au moment où les consommateurs européens basculent massivement vers la fibre, de plus en plus questionnent le bien fondé des packages 3P [comprenez le triple play des “box”, ndlr] intégrant des centaines de chaînes linéaires proposés par les opérateurs télécoms ». Le groupe français, qui est aussi présent en Grande-Bretagne, à Singapour, au Mexique ou en Australie, parie sur l’extension du phénomène cord-cutting déjà observé aux Etats-Unis (où les abonnés ne veulent plus dépendre d’un câblo-opérateur pour accéder à la télévision ou à la VOD/SVOD) en proposant « des services autonomes pour accéder à la télévision en streaming ». Son service NetgemTV est ainsi proposé directement au client final et/ou en partenariat avec des opérateurs télécoms – ces derniers s’étant résolus à proposer des offres one play ou double play (accès à la fibre et téléphonie sans télévision) à des prix plus agressifs pour amortir plus rapidement leurs lourds investissements dans leurs infrastructures très haut débit. La 5G devrait aussi accélérer le mouvement.
Aujourd’hui, le groupe encore détenu par la famille Haddad à hauteur de 24,7 % du capital et 31,5 % des droits de vote, déploie ses services NetgemTV à l’international et Videofutur (via Vitis) sur l’Hexagone. « En France, le modèle de distribution du groupe s’appuie sur la distribution direct-toconsumer de NetgemTV en bundle avec la revente d’un accès fibre sur zone locale sous la marque Videofutur et sur une distribution indirecte via des partenaires opérateurs télécoms », est-il expliqué dans le rapport financier 2020. L’ambition plus large est de se rendre indispensable dans les foyers, quitte à rayonner dans toutes les pièces de maison avec la technologie mesh (maillage) afin d’améliorer la qualité du Wifi à domicile grâce à une solution baptisée SuperStream. Netgem entend ainsi s’imposer en tant qu’« opérateur OTT pour la maison connectée », selon les propres termes de Mathias Hautefort.

330.000 abonnés francophones en Europe
C’est dans le cadre de cette stratégie de disruption qu’a été lancée en France la plateforme « Viva by Videofutur », dont le catalogue de 15.000 programmes (films, séries, documentaires, animations, …) – dont de nombreux films français (1) mais aussi américains (2) – va être référencé sur le moteur de l’offre légale de VOD du CNC (3) et intégrera le Pass Culture (4) d’ici fin juillet. En tant que plateforme VOD (à la location ou à la vente), les nouveaux films pourront y être proposés quatre mois après leur sortie en salle de cinéma. A ce jour, le groupe revendique – NetgemTV et Videofutur compris – plus de 330.000 abonnés en France et dans des pays francophones comme aux Luxembourg (Post) ou en Suisse (Net+). @

Charles de Laubier

Le magnat du câble et des médias John Malone, qui vient d’avoir 80 ans, consolide son empire « Liberty »

L’Américain multimilliardaire John Malone, « modèle » pour Patrick Drahi dont il est le « protégé », a fêté ses 80 ans le 7 mars dernier. Président de Liberty Media, de Liberty Global et de Qurate Retail (ex-Liberty Interactive), le « cow-boy du câble » poursuit sa stratégie de convergence aux Etats-Unis et en Europe.

(Une semaine après la parution de cet article dans Edition Multimédi@ n°255, AT&T a annoncé le 17 mai 2021 qu’il allait fusionner sa filiale WarnerMedia avec le groupe de télévision Discovery, lequel est détenu à 21 % par John Malone).

John Malone (photo) est devenu une légende dans les télécoms et les médias, aux Etats-Unis comme en Europe. A 80 ans tout juste, ce stratège hors pair préside toujours son empire « Liberty », composé aujourd’hui de Liberty Global dans les télécoms internationales (11 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2020), de Liberty Media dans les contenus (8 milliards), de Qurate Retail (10 milliards) dans les services Internet, et de Liberty Broadband avec sa participation dans le câbloopérateur Charter aux Etats-Unis et en Alaska. Le tycoon contrôle tous ces groupes de télécoms, de médias et du numérique en tant que principal actionnaire. Classé 316e personne la plus riche du monde, avec une fortune professionnelle estimée par Forbes à près de 8 milliards de dollars, John Malone détient ainsi 30 % de Liberty Global 47 % de Liberty Media, 40 % de Qurate Retail (ex-Liberty Interactive), 48 % de Liberty Broadband, sans oublier environ 21 % du groupe de média américain Discovery, présent aussi en Europe. Réputé libertarien – « directeur émérite » du think tank libertarien Cato Institute –, John Malone fut surnommé le « cowboy du câble », lorsque ce ne fut pas « Dark Vador » de façon plus méchante, voire « Mad Max » ! Sa succession ? En 2008, l’octogénaire a fait entrer le cadet de ses deux fils, Evan (photo suivante), au conseil d’administration de Liberty Media en tant que directeur. Il apparaît comme le successeur potentiel de l’empire « Malone ».

John Malone, pris de court par Netflix ?
Comme câblo-opérateur, le conglomérat « Liberty » s’est fait le champion aux Etats-Unis de l’abonnement TV et, dans la foulée, de l’accès à Internet en surfant dès les années 1990 sur les set-top-box. Mais avec le cord-cutting, tendance où les Américains ne veulent plus être abonnés à la télévision par câble, ils sont de plus en plus nombreux à préférer l’audiovisuel sur Internet en mode OTT (Over-the-Top). John Malone n’a pas vraiment vu venir la météorite Netflix. C’est seulement en 2018 que Discovery, entreprise indépendante de la galaxie « Liberty » (3) mais dont il est le principal actionnaire, lance en Grande-Bretagne et en Irlande QuestOD, rebaptisé l’année suivante Dplay (4), puis encore l’année d’après les différentes plateformes SVOD disponibles dans une dizaine de pays européens – sauf en France (5) – deviennent Discovery+. La version américaine n’a été lancée qu’en janvier dernier (6).

Complexe convergence de la galaxie « Liberty »
Liberty Global s’est aussi bien implanté en Europe, depuis le rachat à Philips du câblo-opérateur néerlandais UPC au milieu des années 1990. Enchaînant ensuite les acquisitions de réseaux câblés (Unitymedia en Allemagne, Telenet en Belgique,Virgin Media en Grande-Bretagne, Ziggo aux Pays-Bas, Sunrise en Suisse, etc). La convergence video-broadband est le credo. Depuis 2015, Liberty Global est en partenariat étroit avec Vodafone – tout en ayant démenti les rumeurs de fusion. Cette alliance s’est notamment concrétisée par la co-entreprise VodafoneZiggo détenue à parts égales. Dernière grande manoeuvre en date de John Malone sur le Vieux Continent : la méga-fusion à 35 milliards d’euros entre les opérateurs télécoms britanniques Virgin Media (propriété de Liberty Global depuis 2013) et O2 (filiale de l’espagnol Telefonica depuis 2005), le nouvel ensemble détenu à 50/50 devenant rival de BT et de Vodafone.
Après avoir débuté en 1963 sa carrière aux Bell Labs d’AT&T et travaillé ensuite pour McKinsey et General Instrument, il s’est forgé par la suite une réputation d’homme d’affaire intraitable durant plus d’un quart de siècle lorsqu’il fut l’incontournable pionnier du câble aux Etats-Unis, en tant que PDG – dès 29 ans – et copropriétaire de Tele-Communications Inc (TCI) de 1973 à 1999. Cette dernière année-là, il vend le câblo-opérateur à AT&T pour plus de 50 milliards de dollars (l’ancien monopole cédera ensuite ses réseaux câblés à Charter Communications et à Comcast). Mais John Malone regrettera toujours d’avoir cédé TCI, « une erreur », dirat- il. Le groupe audiovisuel Liberty Media, lui, est né il y a trente ans, lorsque John Malone a séparé en 1991 certaines activités de TCI, qu’il présidait alors, dans le cadre d’un spin-off et pour développer Liberty Media dans la télévision par câble et par satellite par abonnement avec la chaîne premium Encore. Celle-ci fut ensuite fusionnée à la fin des années 1990 avec le network de chaînes câblées Starz pour former Encore Media, filiale de Liberty Media qui était alors retournée dans le giron de TCI et d’AT&T.
C’est à cette période où le câblo-opérateur TCI est en position dominante aux Etats-Unis que John Malone obtient des participations au capital de certains éditeurs de chaînes telles que Discovery Channel et TriStar Pictures souhaitant être distribuées sur ses réseaux câblés. TCI pris aussi une participation minoritaire dans le network Turner Broadcasting System (TBS) en difficulté. En 1995, Liberty Media et Comcast finalisent l’acquisition de QVC (abréviation de Quality Value Convenience), la chaîne de télé-achat, qui deviendra 100 % « Malone » en 2003 et sera rattachée à Qurate Retail (ex-Liberty Interactive). QVC avait commencé dans les années 1990 à télévendre aussi en Grande-Bretagne puis en Allemagne. Mais en France, ce fut un échec. Le « cow-boy du câble » ne conçoit pas l’avenir du câble sans investir dans les contenus, étant l’un des tout premiers à mettre en musique la convergence télécoms-audiovisuel. La télévision à péage devient la vache à lait de Liberty Media. Dans sa chasse aux contenus, John Malone devient même minoritaire du groupe de presse et de télévision NewsCorp de son ami Rupert Murdoch, de dix ans son aîné (7), après lui avoir revendu ses actions de Fox/Liberty Network créé en commun. Au milieu des années 2000, Malone va jusqu’à créer la surprise en montant à 18 % dans NewsCorp, devenant ainsi le deuxième actionnaire et successeur potentiel de Murdoch ! In fine, les deux magnats se sont mis d’accord pour un échange d’actions (swap), Liberty Media devenant actionnaire de l’opérateur de télévision par satellite DirecTV. A ce jour, Malone ne possède plus rien dans NewsCorp ni dans DirecTV. Convaincu surtout dans les perspectives de croissance dans la numérisation du câble et des set-top-box connectées à l’Internet grand public naissant, le visionnaire John Malone lance dès 1998 Liberty Interactive pour développer des services interactifs et pour prendre le contrôle de la filiale TCI Music qui est à l’avant-garde de l’audio et de la vidéo par câble, satellite et Internet – renommée par la suite Liberty Digital. Liberty Media sera à son tour un spin-off d’AT&T, en août 2001, soit il y a vingt ans. Puis, en juin 2005, est créé le groupe Liberty Global issu de la fusion entre Liberty Media International et UnitedGlobalCom. Participations, restructurations et acquisitions s’enchaînent. Par exemple : en février 2009, Liberty Media investit dans le bouquet de radio payante par satellite Sirius XM au bord de la faillite ; en août 2012, Liberty Media procède à un spin-off de Starz qui est introduit en Bourse ; en mai 2014, Liberty Media procède cette fois à un spin-off de ses holdings et participations dans le câble (notamment dans le câblo-opérateur Charter Communications, auquel s’est intéressé en 2017 le patron d’Altice USA, Patrick Drahi) dans une nouvelle entreprise baptisée Liberty Broadband ; en août 2015, la chaîne de télé-achat QVC rachète la plateforme de e-commerce Zulily pour 2,4milliards de dollars ; en janvier 2017, Liberty Media s’empare du groupe Formule 1 pour 4,6 milliards de dollars, un coup de maître.

En France, rien en vue depuis l’affaire « Vivendi »
A part être l’idole de Patrick Drahi – lequel lève des fonds vers 1995 auprès d’UPC pour créer le câblo-opérateur français Médiaréseaux, avant d’entrer chez UPC passé dans le giron de Liberty Global, pour en sortir en 2000 pour créer Fortel, puis Altice l’année suivante –, John Malone est un quasi inconnu en France. Et qui se souvient qu’en 2003 Liberty Media avait porté plainte contre Vivendi à qui John Malone demandait près de 1 milliard de dommages et intérêts pour « déclaration fausses et trompeuses » ? Car le cours de Bourse du groupe dirigé à l’époque par Jean-Marie Messier s’était effondré, alors que Liberty Media avait été payé peu avant en actions Vivendi (3,5 %) pour le rachat de sa participation dans le réseau de chaînes de télévision USA Networks. Après treize ans de procès, un accord à l’amiable fut finalement trouvé en février 2016 au début de l’ère Bolloré. Aujourd’hui, c’est à se demander si John Malone ne pourrait pas racheter Altice USA et Europe à Patrick Drahi… @

Charles de Laubier

La nouvelle Commission européenne veut présenter en mai 2015 une stratégie numérique « équilibrée »

Andrus Ansip, vice-président de la Commission européenne en charge du Marché unique numérique, et Günther Oettinger, commissaire à l’Economie numérique et à la Société, ont six mois pour trouver un « équilibre » entre les intérêts des consommateurs et ceux des opérateurs télécoms.

Andrus Ansip

Les consommateurs européens et les opérateurs télécoms ont des intérêts divergents. Les premiers veulent garder des prix bas d’accès
aux réseaux fixe et mobile auprès d’un grand nombre d’opérateurs télécoms en concurrence, avec la garantie de la neutralité du Net.
Tandis que les seconds demandent à être moins nombreux sur un marché consolidé et à pouvoir proposer des services aux tarifs différenciés, dont certains plus élevés en fonction d’une meilleure qualité de la bande passante.

L’Europe, trop « consumériste » ?
Ce sont ces deux approches opposées qui se sont notamment retrouvées au coeur des débats de deux conférences sur le monde numérique organisées en même temps les 19 et 20 novembre derniers : le DigiWorld Summit de l’Idate à Montpellier et la TMT Conference de Morgan Stanley à Barcelone.
Ces deux événements ont permis aux opérateurs télécoms de faire passer leur message auprès de la nouvelle Commission européenne – dont Andrus Ansip (photo), son vice-président en charge du Marché unique numérique – et avant le Conseil de l’Union européenne réuni à Bruxelles le 27 novembre. Les ministres des Vingt-huit en charge des télécoms (1) ont en effet examiné ce jour-là le projet de cadre réglementaire « Continent connecté » (2).

Bien que leurs revenus se soient en moyenne stabilisés (après une baisse de 15 % depuis 2008), avec une reprise espérée l’an prochain grâce à la 4G, et que leurs marges restent encore confortables (15 % à 30 %), les opérateurs télécoms européens (Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, Vodafone, …) se plaignent toujours de leur sort auprès de la Commission européenne dont ils jugent la politique « trop consumériste ». Selon les opérateurs historiques européens, réunis depuis vingt ans au sein de l’organisation de lobbying ETNO (3) basée à Bruxelles, il y a trop d’opérateurs télécoms (y compris en France depuis, selon eux, l’arrivée de Free Mobile en 2012), trop de baisses de prix imposés (par la concurrence elle-même, par l’Europe sur les frais d’itinérance mobile, par la régulation des coûts de terminaison d’appel, …), et trop de mesures en faveur des consommateurs (bataille des prix, principe de neutralité du Net, …). Et à l’instar de l’ETNO, la Fédération française des télécoms (FFTélécoms)
en appelle à la régulation des GAFAM – les Google, Apple, Facebook, Amazon et autres Microsoft – qui, selon son étude confiée à Arthur D. Little, capteraient « 50 %
de la valeur numérique en Europe ». A Montpellier, Michel Combes, le DG de l’équipementier télécoms franco-américain Alcatel-Lucent, s’est fait le porte-parole
des opérateurs télécoms dont bon nombre sont ses clients : il a appelé à un
« aggiornamento » des règles de concurrence en Europe pour permettre aux opérateurs fixe et mobile d’investir dans les nouvelles fréquences mobile (4) et les réseaux nouvelle génération, dont la 5G. Car, selon lui, « l’Europe est à la traîne (…), ce qui nous met en danger ». Présent physiquement à Barcelone mais virtuellement
à Montpellier, Stéphane Richard, PDG du groupe Orange, a tenu le même discours :
il faut, selon lui, passer de quatre à trois opérateurs télécoms sur un marché comme
en France, compte tenu des investissement élevés à faire dans le fixe et le mobile.
Au DigiWorld Summit, un échange entre Yves Gassot, DG de l’Idate, et Jean-Ludovic Silicani, président de l’Arcep (5), a montré – comme l’an dernier (6) – une divergence de vue entre les opérateurs télécoms et le régulateur français. Ce dernier estime au contraire que si la concurrence à quatre opérateurs mobile a permis de baisser « le prix standard de base », cela n’empêche de « monter en gamme » en termes de tarifs et de services. « Je suis plus optimiste… », a contredit Jean-Ludovic Silicani, rappelant que la quatrième licence mobile avait été attribuée à Free Mobile cinq ans après une amende record de 534 millions d’euros infligée à Orange, SFR et Bouygues Télécom pour «entente illicite » (7).

Le projet législatif examiné le 27 novembre est composé d’une communication sur le marché unique des télécoms et une recommandation sur des obligations de non discrimination (Internet ouvert) et de promotion de la concurrence – avec le souci d’encourager l’investissement dans le (très) haut débit. Il s’agit de trouver « un juste équilibre » entre la neutralité de l’Internet en faveur des consommateurs et la gestion raisonnable du trafic par les opérateurs télécoms.

Risque de hausse des tarifs
Mais tant que les définitions des expressions « services d’accès à Internet », « services spécialisés » et « niveau de qualité de service » ne seront pas clairement définis, le risque est d’aboutir à un dialogue de sourds entre pro-consommateurs et pro-opérateurs – avec une hausse des tarifs mal venue en temps de crise. @

Charles de Laubier

David Kessler devra aider le groupe Orange à clarifier sa stratégie dans les médias et les contenus

C’est l’ancien conseiller pour la culture et la communication du président de la République : David Kessler prend le 1er décembre ses fonctions à la fois de DG d’Orange Studio et surtout de « conseiller de la direction générale sur la stratégie médias et contenus » du groupe Orange. Vers un nouveau revirement stratégique ?

Par Charles de Laubier

David KesslerLa stratégie de partenariats dans les contenus, adoptée par Stéphane Richard il y a quatre ans avec son plan « Conquêtes 2015 », était-elle la bonne ? C’est la question à laquelle devra répondre David Kessler (photo), le nouveau « Monsieur médias et contenus » du groupe Orange, également nommé directeur général de la filiale de coproduction de films Orange Studio – laquelle est présidée par Christine Albanel, qui fut elle aussi conseiller à l’Elysée, pour la Culture et l’Education.
Face aux offensives des géants du Net – les « GAFAN », si l’on y ajoute Netflix – dans les contenus, l’ex-France Télécom s’interroge au moment où les revenus de ses réseaux fixe et mobile décroissent.

Dilemme : être partenaire ou producteur de contenus ?
Les services OTT – Over-The-Top – des nouveaux entrants de l’Internet captent de plus en plus de valeur dans le numérique, au détriment des infrastructures elles mêmes.
Le groupe Orange doit-il monter dans la chaîne de valeur, quitte à être OTT lui-même ? A l’approche de l’échéance, l’an prochain, du plan « Conquêtes 2015″, un revirement stratégique d’Orange n’est donc pas à exclure dans les contenus et les médias.
C’est le 5 juillet 2010 que Stéphane Richard, alors directeur général depuis quatre mois de l’opérateur encore appelé France Télécom, présente sa nouvelle stratégie : fin de la diversification du groupe dans la production de contenus et recentrage sur son métier d’ »éditeur de réseaux » et d’« agrégateur intelligent » de contenus (1). Orange ne sera plus lui-même producteur de contenu et s’en tiendra à des partenariats avec de possibles « prises de participation minoritaire ». Le haut fonctionnaire venu du ministère de l’Economie (2) prend ainsi le contre-pied de celui qui était encore le PDG de France Télécom, Didier Lombard, lequel avait au contraire investit massivement dans les contenus, le cinéma et le sport. Après avoir injecté 203 millions d’euros rien que dans les droits 2008-2012 de la Ligue 1 de football et 80 millions d’euros sur trois ans dans
le préachat de films, tout en lançant ses propres chaînes payantes (Orange Cinéma Séries et Orange Sport), France Télécom opère alors un revirement stratégique.

L’affaire « Dailymotion » a laissé des traces
Dailymotion, qui n’est pas encore à ce moment-là contrôlé à 100 % (ce sera le cas
en janvier 2013), est présenté comme l’illustration de cette nouvelle stratégie de partenariats. L’opérateur télécoms historique, qui investissait à l’époque environ 400 millions d’euros par an dans des contenus, tire un trait sur sa politique d’exclusivités
– d’ailleurs très critiquée par la Justice, l’Autorité de la concurrence et le rapport Hagelsteen (3). Stéphane Richard se met en quête de partenaires. En juin 2010,
il se dit « intéressé » par un partenariat numérique avec « Le Monde Interactif »,
puis présente avec le patron du Nouvel Obs, Claude Perdriel, et l’espagnol Prisa une offre conjointe pour acquérir Le Monde (mais c’est l’offre Pigasse-Niel-Berger qui l’emportera). En juillet 2010, Deezer, le site de streaming musical, annonce qu’il va accueillir dans son capital France Télécom (à hauteur de 11 %). Devenu PDG du groupe en mars 2011, Stéphane Richard continue de poser ses jalons dans les contenus. En novembre 2011, le groupe prend 34,15 % du capital des activités web
de Skyrock.
Mais l’empilement des partenariats ne fait pas forcément une stratégie des contenus cohérente. France Télécom s’interroge sur les synergies possibles, quitte à envisager en 2012 de regrouper sur un seul site géographique – dans un nouveau département qui aurait été baptisé « Orange Digital » – les activités contenus et audiences liés à Internet, jusqu’alors identifiées sous le sigle NAC (Nouvelles activités de croissance) (4). On y aurait retrouvé le portail Orange, Orange Advertising, la TV d’Orange, Orange Cinéma Séries (OCS), OPTV (Orange prestations TV), Dailymotion (détenu à 49 % à l’époque), Deezer (11 %), Skyblog (49 %), Cityvox (100 %) ou encore l’ex- Orange Sports. Seule Studio 37 – la filiale de coproduction de films devenue Orange Studio – serait restée à l’écart. Mais le projet « Orange Digital », qui ne devait pas être une filiale comme Telefonica Digital en raison de l’hostilité des salariés de France Télécom, ne fera pas long feu à la suite de rivalités managériales sur les contenus au sein du groupe (5). Orange s’intéresse aussi au livre numérique, au-delà de son kiosque Read & Go, tout en poussant le projet MO3T de distribution en ligne d’ebooks. Ainsi va la stratégie contenus et médias d’Orange : tous-azimuts. Un événement ajoutera de la confusion : l’affaire « Dailymotion ». Au printemps 2013, Bercy – alias le ministre du Redressement productif – émet son veto à une vente de 75 % du capital de Dailymotion à Yahoo qui s’était porté acquéreur. La stratégie de Stéphane Richard dans les contenus, qui aurait pu s’étendre jusqu’aux Etats-Unis grâce à ce géant américain du Net, est mise à mal au plus haut sommet de l’Etat – lequel reste son actionnaire de référence (6). Plus d’un an et demi après cette affaire et 30 millions d’euros investis depuis par Orange dans la plateforme vidéo, le concurrent français de YouTube en est au même point dans sa recherche d’un partenaire outre-Atlantique. Microsoft est prêt depuis le début de l’année à investir dans la plateforme vidéo, à condition qu’il y ait un troisième partenaire. Le 26 novembre dernier, Stéphane Richard a rencontré le hongkongais Hutchinson. Et selon nos informations (lire p. 3), Dailymotion ne laisse pas indifférent RTL Group. Cela aurait pu être Canal+, mais la filiale de télévision de Vivendi souhaitait en prendre le contrôle.

Canal+, justement, est un partenaire privilégié d’Orange. Depuis fin 2011, les deux groupes ont créé une coentreprise, OCS, détenu à 66,66 % par Orange (via Orange TV participations) et à 33,33 % par Canal + (via Multithématiques). Mais en vertu d’une des injonctions prononcées le 23 juillet 2012 par l’Autorité de la concurrence, Canal+ devait céder sa participation dans OCS (7) ou – comme Orange s’est opposé à la cession par Canal+ conformément à leur pacte d’actionnaire – ne plus avoir d’administrateurs dans cette co-entreprise (ce fut fait en février 2013). Avec un partenaire « neutralisé » au sein d’OCS, Orange se retrouve seul maître à bord. Un nouvel accord avec la chaîne américaine HBO a même été signé en septembre 2013 pour diffuser sur une chaîne OCS « Home of HBO » des séries dès le lendemain de leur diffusion aux Etats-Unis – ce qui avait provoqué, selon nos informations, le courroux de Canal+ non tenu informé de cette nouvelle exclusivité !

179 millions d’euros dans le cinéma
En revanche, ses obligations de financement du cinéma français et européens – renégociées il y a un an avec les organisations du cinéma français (Blic, Bloc dont l’APC, l’ARP et l’UPF) et signées avec le CSA le 20 décembre 2013 – ne sont pas, elles, « neutralisées » malgré des menaces de « gel » de la part d’Orange : pas moins de 179 millions d’euros seront investis sur cinq ans (2014- 2018), dont 81 % pour les seuls films français. C’est Orange Studio qui co-produit et acquiert des films français et européens. Pour cette année, cela représente 33 millions d’euros dans le cinéma, dont 27 millions dans des films français.
David Kessler est le troisième dirigeant d’Orange Studio en moins d’un an, après Frédérique Dumas (productrice de cinéma) et Pascal Delarue (ex-TF1). Un casting pour le moins hésitant… @

Stéphane Richard : quatre ans de plus face au défi OTT

En fait. Le 27 mai, Stéphane Richard a été reconduit pour quatre ans comme PDG du groupe Orange – malgré ses démêlés judiciaires dans l’affaire « CDR-Tapie ». L’un des plus grands défis que va devoir maintenant relever l’homme lige de l’Etat français sera de résister à la concurrence des Over-The-Top.

Stéphane RichardEn clair. Malgré sa mise en examen il y a un an maintenant (le 12 juin 2013), en tant que directeur de cabinet en 2008 de Christine Lagarde, alors ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, pour « escroquerie en bande organisée » dans l’affaire de l’arbitrage dont a bénéficié Bernard Tapie, Stéphane Richard (photo) a donc été reconduit pour quatre ans à la tête d’Orange.
L’Etat, qui est toujours le premier actionnaire avec 13,45 % du capital, voire un total de 27 % si l’on y ajoute les participations
de Bpifrance Participations (1), dispose de trois représentants
sur un total de 15 membres au conseil d’administration d’Orange.

Le plus dur reste à venir
C’est ce conseil d’administration qui a décidé le 26 mars dernier de proposer à l’assemblée générale le renouvellement du mandat de Stéphane Richard – fort de son soutien de l’Elysée – pour une période de quatre ans. Mais le plus dure reste à venir.
« Le développement rapide des usages du haut débit (fixe ou mobile) donne aux fournisseurs de services, de contenus ou de terminaux l’occasion d’établir un lien direct avec les clients des opérateurs de télécommunications, privant ces derniers – dont Orange – d’une partie de leurs revenus et de leurs marges. Si ce phénomène se poursuivait ou s’intensifiait, il affecterait gravement la situation financière et les perspectives des opérateurs », a prévenu l’ex-France Télécom dans son document
de référence 2013 publié par l’AMF (2) le 29 avril dernier.

La menace concurrentielle des opérateurs dits Over-The-Top (OTT) est pour la première fois prise officiellement très au sérieux par l’opérateur historique. Les géants du Net (Google, Facebook, Microsoft/Skype, …) ou les fabricants de terminaux (Apple, Samsung, Sony, …) inquiètent les opérateurs télécoms. « La compétition avec ces acteurs pour le contrôle de la relation client s’intensifie et pourrait marginaliser la position des opérateurs », poursuit encore Orange car « cette relation directe avec les clients
est source de valeur pour les opérateurs et sa perte (partielle ou totale) au profit des nouveaux entrants pourrait affecter les revenus, les marges, la situation financière et les perspectives des opérateurs de télécommunications tels qu’Orange ». Le groupe dirigé par Stéphane Richard parle de « bouleversement de la chaîne de la valeur » conjugué
à un marché tiré « vers le gratuit ou le low cost ». @