Plus lourd hors des Etats-Unis, Facebook assume le risque accru de redressements fiscaux

C’est dans un climat de suspicion d’évasion fiscale que Facebook fête ses anniversaires : 10 ans d’existence le 4 février, 30 ans de Mark Zuckerberg le
14 mai, 2 ans de la filiale française dans ses locaux parisiens de l’avenue de Wagram le 7 juin et 1 an de Laurent Solly (photo) à sa tête le 3 juin.

Par Charles de Laubier

Laurent SollyPour la première fois depuis sa création il y a dix ans, Facebook
a réalisé l’an dernier plus de la moitié de son chiffre d’affaires en dehors des Etats-Unis. Sur les 7,8 milliards de dollars réalisés en 2013, 54 % proviennent du « reste du monde » (soit un peu plus de
4,2 milliards de dollars).
Et l’international progresse le plus en un an (+ 69,6 %), comparé
à la croissance des revenus états-uniens (+ 40,1 %). Sur les 757 millions d’utilisateurs actifs chaque jour (soit 61,5 % des 1,230 milliard de comptes ouverts sur Facebook), ils sont – selon notre estimation – 90 % en dehors des Etats-Unis – dont 195 millions en Europe.
Mais le revers de cette exposition internationale, c’est l’accroissement du risque fiscal.
La firme de Palo Alto, dont le bénéfice net – après impôts donc – a atteint 1,5 milliard de dollars l’an dernier, ne l’ignore pas.

Menace sur ses résultats : Facebook a déjà prévenu
Cotée depuis mai 2012 et valorisée plus de 173,5 milliards de dollars (1), elle prévient les investisseurs sur de possibles redressements fiscaux que certains Etats pourraient lui infliger. Ce qui aurait pour conséquence de « nuire » à ses résultats financiers.
« Beaucoup de pays dans l’Union européenne, aussi bien qu’un certain nombre d’autres pays et organisations comme l’OCDE (2), réfléchissent activement à des changements des lois fiscales existantes. (…) En raison de l’expansion de nos activités internationales, tout changement de fiscalité pourrait accroître notre taux d’imposition mondial effectif et nuire à nos résultats financiers », met clairement en garde le groupe du jeune milliardaire Mark Zuckerberg dans les « facteurs de risques » exposés dans son rapport annuel publié en début d’année par le gendarme de la Bourse américaine (SEC).
« Les lois fiscales applicables à notre activité (…) sont sujettes à interprétation et certains juridictions interprètent de façon agressive leurs lois dans le but de lever des impôts supplémentaires auprès d’entreprises comme Facebook », met en garde l’entreprise qui a provisionné sur ses comptes de l’an dernier plus de 1,2 milliard de dollars (184 % de plus sur un an) au titre des impôts sur le revenu.

Laurent Solly invoque le secret fiscal
En Europe, la France est sans doute le pays le plus actif pour appeler à une réforme fiscale à l’heure du numérique. Après les rapports (3) Marini (2010 et 2012), Collin & Colin, Muet & Woerth et CNNum (2013), voilà que François Hollande, s’en prend directement aux géants du Net en estimant le 6 février que leur optimisation fiscale
« n’est pas acceptable ». C’était une semaine avant de se rendre – après sa rencontre avec Barack Obama – dans la Silicon Valley, où il a notamment rencontré Sheryl Sandberg, la directrice des opérations et numéro 2 de Facebook…
Pendant ce temps, le 12 février à Paris, l’Association des journalistes médias (AJM) recevait à déjeuner Laurent Solly, directeur général de Facebook France. La toute première question a été de savoir si la filiale française du réseau social faisait l’objet d’un redressement fiscal – comme cela serait le cas avec Google à qui le fisc réclamerait jusqu’à 1 milliard d’euros. « Ça commence bien ! Je pensais en venant que vous alliez me poser cette question », a-t-il répondu avant de mettre rapidement un terme à ce sujet : « Il y a une règle en France qui est celle du secret fiscal entre les entreprises et l’administration. Je m’en tiendrai à cette règle. (…) Je n’ai pas dit qu’il y avait des discussions. Je dis simplement que la règle en France – j’ai été au ministère des Finances et puis vous citer les articles du code fiscal ou des lois de Finances, ou du code pénal en cas de non respect de cette règle pour les fonctionnaires… – est le respect de ce secret fiscal. Et, en tant que représentant de Facebook, cette règle est aussi celle de notre entreprise ».

La vingtaine de journalistes présents sont donc restés sur leur faim. Tout juste Laurent Solly a-t-il indiqué à l’un de nos confrères, BFM TV, avoir lu son article révélant comment Facebook échappe à l’impôt en France. Mais il n’a fait aucun commentaire,
ni démenti ces informations… Pour mémoire, l’article en question, paru en septembre 2013, a pour titre « Exclusif : comment les profits de Facebook partent aux îles Caïmans » (4). Le lecteur y apprend que « le réseau social ne déclare en France que 2,5 % de son chiffre d’affaires réel [7,6 millions d’euros en 2012], et ne paie donc quasiment pas d’impôts au fisc français » et ainsi « sa filiale française n’a payé que 191.133 euros d’impôt sur les bénéfices en 2012 ». Le chiffre d’affaire réel de la filiale français du numéro un des réseaux sociaux aurait été en réalité cette année-là d’environ 300 millions d’euros pour un profit estimé à 30 millions d’euros. Si ces sommes avaient été déclarées, ce sont 10 millions d’euros d’impôts qui auraient dû être payés. L’optimisation fiscale est obtenue grâce à une filiale basée en Irlande (Facebook Ireland Ltd), elle-même versant des « redevances » à une autre société irlandaise (Facebook Ireland Holdings), qui elle-même est « détenue, au travers de plusieurs holdings, par Facebook Cayman Holdings Unlimited I, une société immatriculée dans
le paradis fiscal des îles Caïmans » !
Ironie de l’histoire, Nonce Paolini, patron de TF1 où Laurent Solly était auparavant directeur de la publicité, a cosigné avec Canal+ et  M6 un courrier – daté du 11 février et adressé à la ministre Aurélie Filippetti (5) – tirer  la sonnette d’alarme face à l’arrivée de « Google, Apple, Netflix, Amazon et Facebook » dans le secteur de la télévision,
« tout en pratiquant une optimisation fiscale exorbitante »…

Le montage financier de Facebook n’est pas sans ressembler à celui que pratique Google, via sa holding Google Ireland Holdings, jusqu’aux Bermudes qui font partie avec les îles Caïmans des nombreux paradis fiscaux. C’est avec le même objectif que Yahoo prendra également la tangente en rattachant – à partir du 21 mars prochain – les services en ligne relevant jusqu’alors de Yahoo France SAS à Yahoo EMEA Limited en Irlande… Chez Facebook, le secret fiscal est inversement proportionnel à
« l’exhibitionnisme » de ses 26 millions d’utilisateurs actifs en France (dont 18 millions se connectant chaque jour). Même lorsque la commission des Finances de l’Assemblée nationale mène une enquête sur « l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international » et demande à auditionner les « GAFAM » (Google, Apple, Facekook, Amazon et Microsoft), Facebook fait partie de ceux – avec Apple – qui n’ont pas souhaité lui répondre. « Cette attitude est bien évidemment inacceptable », avait vivement protesté en juillet dernier cette mission Muet-Woerth.

Une présence française plutôt discrète
Cette paradoxale culture de la discrétion du célèbre trombinoscope en ligne est aussi illustrée par l’absence de logo, ni même d’indications, sur la présence de Facebook France au 112 de l’avenue de Wagram qui mène à l’Arc de Triomphe.
Les bureaux parisiens sont en open space, y compris le baby-foot ! Lors de la pendaison de crémaillère il y a près de deux ans (6), ils n’étaient qu’une trentaine de salariés. Ils sont aujourd’hui une cinquantaine, sur les 6.337 que compte le groupe. @