Déverrouiller les bibliothèques en ligne et baisser les prix des livres numériques

Si l’industrie du livre ne veut pas être victime du numérique, comme ce fut le
cas pour la musique, elle devra non seulement déverrouiller les plateformes et
les enrichir, mais aussi accepter de vendre jusqu’à 30 % moins cher les livres numériques par rapport aux livres imprimés.

Contrairement aux industries de la musique et du cinéma, les maisons d’édition ne voient pas les réseaux peer-to-peer (P2P) de type eDonkey ou Torrent comme une menace. Dans le premier baromètre des usages du livre numérique publié au Salon du livre par le SNE (1), la Sofia (2) et la SGDL (3), seuls 4 % des personnes interrogées y vont pour chercher des ebooks.

Face au triopole Amazon-Apple-Google
Ce sont en fait les grandes portails du Net, que sont Amazon, Apple Store ou encore Google Books qui constituent les premiers points de ralliement du livre numérique : 38 % des sondés s’y connectent, auxquels s’ajoutent les 21 % qui empruntent un moteur de recherche (Google en tête). Viennent ensuite les 30 % qui passent par les sites web de grands magasins spécialisées tels que Fnac, VirginMega ou Cultura (4). Le piratage d’ebooks est aussi moins préoccupant que la position dominante du triopole Amazon-Apple-Google : seuls 20 % déclarent avoir eu recours à une offre illégale de livres numériques et 2 % à avoir utilisé un site de streaming illégal d’ebooks. Ce que corrobore l’étude EbookZ3 du MOTif (5) publiée aussi lors du Salon du livre : le piratage représente moins de 2 % de l’offre légale papier (6). Recourir à l’Hadopi n’est toujours pas une priorité pour le SNE, comme l’avait révélé Edition Multimédi@ (7).
La « menace » vient d’ailleurs. « Ce qui se joue aujourd’hui, (…) c’est la possibilité d’une emprise sans partage ni retour de quelques acteurs globaux de la diffusion sur les industries de la création », s’est inquiété Antoine Gallimard, président du SNE,
en ouverture des 8e Assises du livre numérique au Salon du livre, le 16 mars. Il n’a cependant rien dit sur la riposte que Gallimard prépare face à Amazon, Apple et Google avec Editis, Seuil-La Martinière et Flammarion, en association avec Orange et SFR, ainsi qu’avec ePagine (utilisé par Eyrolles). Le projet consiste en une plateforme unique ouverte qui se veut une alternative aux modèles propriétaires (entendez fermés) des trois géants du Net. Amazon, qui exposait pour la première fois au Salon du livre, impose en effet son propre format AZW pour sa liseuse Kindle qui ne lit pas le standard EPUB.
Reste à savoir si les plates-formes d’Hachette (Numilog), d’Editis (E-Plateforme), de l’Harmattan (l’Harmathèque), ainsi que 1001libraires.com, Librairie.actualitte.com ou encore REA de Decitre, rejoindront le groupement. Le directeur du Centre d’analyse stratégique du Premier ministre, Vincent Chriqui, a plaidé, le 19 mars, pour « une plateforme unique de distribution ». L’interopérabilité sera en tout cas la clé du succès de ces plateformes légales de librairie numérique. « Notre engagement auprès des lecteurs passe par (…) l’interopérabilité des plateformes (…) », a promis Antoine Gallimard. Le prototype de la future plateforme commune est élaboré avec Orange, lequel a – selon nos informations – déposé le 29 février un dossier d’aide auprès du Grand emprunt (8), via le Fonds national pour la société numérique (FSN). Reposant sur le cloud computing, elle proposera aux internautes de choisir leurs livres numériques chez des libraires virtuels, de les stocker dans leur bibliothèque personnelle en ligne, et de pourvoir l’enrichir quelles que soient les évolutions technologiques des e-books (formats PDF, EPUB, HTML, …). La société miLibris pourrait jouer le rôle d’opérateur technique (lire interview p.1 et 2). Autre défi majeur : celui du prix. A la question « Quelles sont vos attentes concernant l’évolution du livre numérique ? », le baromètre montre que les plus nombreux (28 %) répondent : « Que les prix des livres numériques soient plus accessibles ». Le « prix unique » du livre – ainsi désigné car fixé par l’éditeur pour les livres imprimés depuis la loi du 10 août
1981 et pour les livres numériques par la loi du 26 mai 2011 – est-il déjà obsolète sur Internet ? Amazon, qui serait à l’origine de l’enquête ouverte début décembre par la Commission européenne à l’encontre de ces cinq éditeurs (9) et d’Apple sur une éventuelle entente sur les prix des ebooks (10), aimerait pratiquer des ristournes de
-50 % par rapport au livre papier comme il le fait aux Etats-Unis. En France, il est limité à -5 %. Pourtant, 56 % des sondés mettre le critère du prix en avant pour le livre numérique (contre seulement 34 % pour l’imprimé). Or selon le Centre d’analyse stratégique, « le public attend clairement une différence de prix de l’ordre de 40 %
ou 50%».

Des ebooks à -20 %, -30 % ou -50 % ?
La France étant pionnière en Europe dans l’application aux ebooks du taux réduit de
TVA (7 % à partir du 1er avril), comme pour le livre imprimé, le SNE espère que Bruxelles entérinera cet alignement. Ainsi, explique le syndicat dans sa lettre aux candidats à l’élection présidentielle, « les éditeurs [pourront] proposer des prix plus attractifs ». Alors, -20 %, -30 % ou -50 % ? @

Charles de Laubier