Multiplication des plateformes vidéo : la pratique du binge-watching explose à l’ère du streaming

Vous aimez Netflix, Amazon Prime Video et YouTube ; vous adorerez Disney+, Apple TV+, HBO Max et Peacock. Sans parler des plateformes de formats courts : Brut, Loopsider, Quibi, … Avec le streaming vidéo, le visionnage boulimique – binge-watching – devient un phénomène de société.

Le visionnage boulimique dans le monde est en plein boom. C’est même une tendance lourde de la société connectée. Dans tous les pays, le temps consacré au bingewatching – cette façon d’enfiler les épisodes d’une même série, ou de plusieurs – est en forte hausse.

France : sessions de 2h22 en moyenne
Quel que soit l’écran de visualisation (téléviseur, smartphone, tablette, …), cet engouement irrépressible d’enchaîner les épisodes, les films ou les programmes est la conséquence directe de la multiplication des plateformes vidéo et de leurs catalogues en ligne. « Le nombre de personnes déclarant s’adonner à cette pratique de binge-watching est en augmentation de 18 % par rapport à l’année précédente, et la durée moyenne des sessions de binge-watching est désormais de 2 heures et 40 minutes », constate Limelight Networks, un des pionniers mondiaux du Content Delivery Network (CDN) – chargé de faciliter la diffusion de contenus numérique – dans son rapport « State of Online Video » dévoilé fin octobre. « Ce sont les Américains qui sont les plus adeptes de cette pratique, avec des sessions moyennes de plus de trois heures, tandis que le temps moyen consacré en France au binge-watching est passé de 1h50 en 2018 à 2h37 en 2019 », montre cette étude issue d’un sondage mené en France, en Allemagne, en Inde, en Italie, au Japon, à Singapore, en Corée du Sud, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, auprès d’un total de 5.000 répondants interrogés l’été dernier. C’est même en France que le visionnage boulimique a progressé le plus en 2019 par rapport à l’an dernier. En passant de 1h50 à 2h37, la France rattrape ainsi son retard dans cette pratique sans pour autant dépasser la moyenne globale de 2h48 des neuf pays observés, laquelle a donc augmenté de manière significative de 18 % sur un an. La deuxième plus forte progression du binge-watching se trouve en Grande-Bretagne, qui passe de 2h04 à 2h69, du coup bien au-delà de cette même moyenne globale. Les Etats-Unis restent en tête de cette pratique, en franchissant la barre symbolique des 3 heures en moyenne, à 3h11 (contre 2h93 un an plus tôt). Le Japon, la Grande-Bretagne et Singapore suivent (voir tableau ci-dessous).
Si l’on regarde de plus près les résultats de la France, ils sont tout de même 17,4 % des personnes interrogées à regarder des épisodes durant trois à cinq heures d’affilées ! Et 5 % d’entre eux peuvent tenir jusqu’à sept heures devant leur écran, 3 % jusqu’à dix heures et même 0,8 % plus de dix heures (voir tableau page suivante). Dans cette dernière catégorie d’accros (plus de dix heures), c’est d’abord au Japon qu’ils se trouvent (4,8 %), devant les Etats-Unis (4,2 %). Sans surprise, les jeunes de 18-25 ans sont dans tous les pays les plus nombreux à pratiquer le visionnage boulimique au-delà de dix heures (3,5 %), suivis des 26- 35 ans (3 %), des 46-60 ans (2,1 %), des 36-45 ans (2 %), puis des plus de 60 ans (1,2 %).

La bataille des contenus originaux
Cette visualisation frénétique est loin de se terminer ou de stagner. D’autant que les plateformes vidéo se multiplient : Apple TV+ a été lancé le 1er novembre, Disney+ le 12 novembre, en attendant HBO Max (WarnerMedia) et Peacock (NBCUniversal) pour le printemps 2020. Les séries au format court et les vidéos pour smartphone sont aussi au programme des plateformes Brut, Loopsider et, à partir d’avril 2020, Quibi. Le binge-watching se propage aussi sur les plateformes des réseaux sociaux – Watch (Facebook), YouTube (Google) ou Snapchat (Snap) –, décidés eux-aussi à produire leurs propres contenus originaux. Que la plateforme vidéo soit gratuite ou payante, le boulimique du streaming ne sait plus où donner de la tête pour assouvir sa passion vidéo. « En plus du temps consacré, les consommateurs investissent également davantage d’argent dans les services de vidéos en ligne. Le rapport révèle que 70 % des consommateurs sont abonnés à au moins un service de streaming (contre 59 % en 2018) et près de trois consommateurs sur quatre (72 %) utilisent désormais des appareils de streaming (contre 67 % en 2018) », relève l’enquête de Limelight Networks. En effet, près des trois quarts des consommateurs qui regardent des vidéos en ligne utilisent des appareils de diffusion en continu (streaming) et cette proportion est en augmentation sur un an.

Multi-équipement « streaming » en hausse
Globalement, les téléspectateurs et vidéonautes choisissent les téléviseurs intelligents – Smart TV avec applications vidéo (31,1 %) – plus souvent que tout autre appareil. Viennent ensuite, la clé Amazon Fire TV (20,5 %), Google Chromecast (17,6 %), consoles de jeux vidéo (16,7 %), Apple TV (12,6 %), set-top box ou lecteur DVD (17,1 %), et Roku (5,7 %). Les données de l’étude sur trois ans montrent que les « box » (set-top-box) et les lecteurs de DVD avec des capacités de streaming sont en déclin, au profit notamment d’Amazon Fire TV, de Google Chromecast, des consoles de jeux vidéo, d’Apple TV ou encore de Roku (voir tableau ci-contre). La préférence pour les appa-reils de streaming varie selon le pays, avec les Smart TV ayant la plus forte utilisation à Singapour (48,5 %), set-top-box et lecteurs DVD en Corée du Sud (25,6 %), Google Chromecast et Amazon Fire TV en Inde (respectivement 26,6 % et 34,4 %, Apple TV en Corée du Sud (18,2 %, et Roku aux États- Unis (26 %). Pour la France, la console de jeux vidéo connectée s’avère être le premier moyen d’accès aux services de streaming vidéo (23,6 %), ce qui est le plus forte taux d’utilisation des neuf pays étudiés (devant les Etats-Unis), suivie de la Smart TV (22,8 %), Google Chromecast (19,6 %), de la « box » ou du lecteur de DVD connecté (15,8 %), d’Amazon Fire TV (12,2 %), d’Apple TV (11,8 %) et de Roku (2 %). Le potentiel de croissance de ces appareils de streaming est important puisque 35 % des répondants déclarent ne pas avoir ce type d’équipement. Les smartphones et les Smart TV sont les appareils privilégiés pour le streaming. « Pour la première fois, les smartphones ont dépassé les ordinateurs comme appareil préféré pour le visionnage de vidéos en ligne », souligne le rapport « State of Online Video ». Le bingewatching ne rime plus forcément avec le salon, mais de plus en plus avec la mobilité et les transports. Une passion dévoreuse et chronophage. @

Charles de Laubier

Cinéma et VOD : la nouvelle chronologie des médias ne fait pas l’unanimité et s’avère déjà obsolète

La nouvelle chronologie des médias, entrée en vigueur le 21 décembre 2018,
n’a pas été signée par le Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (SEVAD)
ni par le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN). De plus, elle ignore les nouveaux usages numériques de la génération « Millennials ».

L’accord sur la chronologie des médias, entré en vigueur le 21 décembre 2018, n’a pas été signé
par les deux principaux syndicats de la VOD et de l’édition de DVD/ Blu-ray. Présidés respectivement par Marc Tessier (photo de gauche), administrateur de Videofutur, et par Dominique Masseran (photo de droite), directeur général de Fox Pathé Europa, le Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (SEVAD) et le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN) n’ont pas voulu cautionner une chronologie des médias déjà obsolète et favorisant le piratage.

VOD et SVOD, grandes perdantes
« La majorité des membres du SEVN est déçue par le traitement réservé à la vidéo physique et digitale, explique Dominique Masseran à Edition Multimédi@. La fenêtre vidéo est non seulement largement réduite mais elle est aussi la seule à ne pas s’avancer, ou sous des conditions de dérogation sans intérêt pour notre secteur.
Pour le SEVN, ce texte tourne le dos aux nouveaux usages et attentes du public
ainsi qu’à la lutte contre la piraterie en empêchant l’accès légal aux films lorsque l’exploitation salle est terminée ».
Dès la première réunion de signatures du 6 septembre 2018, portant sur la dernière mouture de la nouvelle chronologie des médias (1), accord qui fut entériné le 21 décembre (2), les deux syndicats avaient fait connaître leur décision de ne pas signer cet accord. « Les secteurs de la vidéo et de la VOD sont les plus exposés aux nouvelles formes de piratage, comme à la concurrence de nouveaux acteurs. Le projet d’accord n’en tient pas compte et les empêche de s’adapter pour répondre aux attentes de leur public. Au contraire, ils seraient les seuls dont la fenêtre d’exploitation serait réduite, et le délai d’ouverture resterait inchangé, à quelques exceptions près, privant ainsi la production française de ressources nouvelles sur les nouveaux supports numériques », avaient déclaré ensemble le SEVAD et le SEVN. Les deux organisations, dont ne sont pas membres ni Netflix ni Amazon Prime Video, « ne peuvent pas souscrire à une réduction de leur place dans l’économie du cinéma,
à rebours des évolutions observées dans tous les autres territoires et sur tous les nouveaux modes de diffusion ». Le SEVAD représente notamment TF1, M6, France Télévisions, Videofutur, FilmoTV ou encore UniversCiné. Le SEVN compte parmi ses membres Disney, Universal Pictures Video, Warner Home Video, Sony Picture Home Entertainment, SND (M6), TF1 Vidéo, Paramount Home Entertainment, Gaumont Vidéo, Fox Pathé Europa, ou encore Pathé Distribution. L’accord du 6 septembre 2018, entériné et entré en vigueur le 21 décembre, laisse la vidéo à la demande vendue à l’acte (en vente ou en location) dans un quasi statu quo par rapport à la précédente chronologie des médias signée il y a près de dix ans (juillet 2009). La VOD reste ainsi reléguée à quatre mois après la sortie des films dans les salles de cinéma, lesquelles gardent leur monopole sur ces quatre mois. Seule la dérogation à trois mois est étendue aux films totalisant 100.000 entrées au plus « à l’issue » de leur quatrième semaine d’exploitation en salle de cinéma.
Mais face à cette très timide avancée, la fenêtre d’exclusivité de la VOD est réduite avec l’avancement de la fenêtre de diffusion de la télévision payante telle que Canal+
et OCS qui, elle, est avancée à huit mois après la sortie du film en salle, contre dix ou douze mois dans l’accord de juillet 2009, voire à six mois pour les films ayant bénéficié de la dérogation « VOD/DVD » à trois mois (c’est-à-dire ceux ayant réalisé 100.000 entrées au plus à l’issue de leur quatrième semaine d’exploitation en salle). Bref, la VOD est pénalisée au profit des salles de cinéma, d’un côté, et des chaînes payantes du cinéma, de l’autre. Autrement dit : les intérêts commerciaux des salles de cinéma défendues par leur Fédération nationale des cinémas français (FNCF), d’une part, et ceux de la chaîne cryptée Canal+ du groupe Vivendi/Bolloré, d’autre part, sont avantagés au détriment de la VOD. De plus, les chaînes payantes du cinéma se retrouvent aussi mieux loties que les plateformes de SVOD de type Netflix et Amazon Prime Video. Certes ces dernières avancent bien dans la chronologie des médias – de trente-six mois dans l’accord de juillet 2009 à dix-sept mois après la sortie du film en salle dans l’accord de décembre 2018.

Des fenêtres incitant au piratage
Mais cette fenêtre à dix-sept mois de la SVOD (voire quinze mois s’il y a un accord d’investissement avec le cinéma) reste largement moins avantageuse que la fenêtre de la télévision payante à huit (voire six mois), alors que ces deux services sont plus que jamais en concurrence frontale lorsqu’ils investissent tous les deux dans le cinéma. Ce deux poids-deux mesures égratigne la neutralité technologique (3). « Il semblait logique que dès la première fenêtre payante, il n’y ait plus de distinction entre un service linéaire et non linéaire, à même niveau de vertu [dans le financement des films, ndlr] », n’avaient pas manqué de relever la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et la société des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs (l’ARP). La nouvelle chronologie a minima signée après des années de tergiversations préserve un écosystème à bout de souffle – où la fréquentation en salle baisse pour la deuxième année (4) – et un financement du cinéma français d’un autre âge. Déjà en juillet 2009, l’accord faisait comme si Internet et le piratage en ligne n’existaient pas.

Quid du day-and-date et du e-cinéma ?
Encore aujourd’hui, en décembre 2018, l’accord ne prend pas suffisamment en compte l’usage de la VOD et de la SVOD. En les reléguant respectivement à quatre et à dixsept mois après la sortie des nouveaux films en salle, la chronologie des médias va continuer à générer de la frustration chez les internautes et les mobinautes. Condamner les « Millennials » à ne pas pouvoir regarder rapidement sur leur smartphone, leur ordinateur ou leur tablette le dernier film dont tout le monde parle, c’est pousser certains d’entre eux à aller le chercher tout de suite sur des sites de piratage.
En outre, cet accord fait l’impasse non seulement sur la simultanéité salles-VOD (day-and-date) mais aussi sur la sortie directement en VOD (e-cinéma), deux modes de diffusion encore tabous en France malgré leur intérêt potentiel pour les producteurs de films qui le souhaiteraient. Pour le day-and-date (ou D&D), à savoir la sortie simultanée des nouveaux films en salles et en VOD, il n’en est plus question en France depuis les tentatives du producteur et distributeur Wild Bunch avec l’ARP en 2014 à travers les projets Tide et Spide, avec l’aide du programme Media (Creative Europe) de la Commission européenne. Mais la puissante FNCF, qui réunit la plupart des exploitants de salles obscures, bloque toute idée de simultanéité salles- VOD en France (5).
Et pour qu’il y ait des expérimentations D&D, cela supposerait un accord interprofessionnel plus qu’improbable – déjà que la filière du 7e Art français a déjà eu du mal à accoucher d’une nouvelle chronologie des médias très conservatrice. Pour autant, la Commission européenne continue de soutenir les initiatives de D&D malgré
« des difficultés juridiques et des résistances » – comme l’avait confirmé à Edition Multimédi@ le cabinet de la commissaire européenne à l’Economie et à la Société numériques, Mariya Gabriel (6), dans le cadre de son action « Promotion des oeuvres européennes en ligne » (7). Les premières expérimentations en Europe avaient d’ailleurs fait l’objet d’un bilan encourageant mais insuffisant, dressé en 2015 par le chercheur Thomas Paris (8). Depuis, il n’y a que Netflix pour réclamer en vain le droit de sortir ses films et séries à la fois en salles et en SVOD, lorsqu’il n’est pas tenté de court-circuiter les salles obscures (en faisant du e-cinéma) au risque d’être exclu de la sélection du Festival de Cannes (9). Présidé par Pierre Lescure, Le Festival de Cannes a décidé de ne sélectionner pour la Palme d’or que des films sortant en salles. Le numéro un mondial de la VOD par abonnement n’a pas franchi le Rubicon sur l’Hexagone avec son tout dernier long métrage « Roma » : récompensé au Lion d’Or du Festival de Venise, il est sorti dans des salles de cinéma dans le monde, mais pas en France, ainsi que sur sa plateforme de SVOD depuis le 14 décembre dernier. Reste à savoir si Festival de Venise s’alignera en 2019 sur la position controversée du Festival de Cannes, alors que l’Italie prépare un décret « anti- Netflix » obligeant un film de sortir d’abord par la salle avant d’être proposé en ligne au bout de 105 jours (60 jours pour les films peu distribués et attirant peu de spectateurs). Ces contraintes chronologiques ne changent presque rien pour Netflix, qui continuera à diffuser sans délai et en exclusivité ses propres productions auprès de ses abonnés. « Les films doivent être montrés sur grand écran, en particulier “The Irishman” [du réalisateur américain Martin Scorsese, ndlr]. Mais la contradiction, c’est que l’argent que nous avons eu la chance de trouver vient d’un réseau [Netflix] », a fait remarquer l’acteur Robert de Niro lors du Festival de Marrakech début décembre.
En France, il reste encore la voie quasi inexplorée du ecinéma, qui consiste à sortir un film directement en VOD payante sans passer par la salle. En 2015, Wild Bunch et TF1 avait diffusé directement en ligne les films « Les enquêtes du département V : Miséricorde » et « Son of a Gun ». Mais, selon une étude de Médiamétrie à l’époque, le e-cinéma était peu connu des internautes (23 % seulement en avaient entendu parler). Ce déficit de notoriété perdure encore aujourd’hui, et la confusion règne toujours entre e-cinéma (sans salle auparavant) et la VOD (précédée de la salle). Wild Bunch a refait un pied de nez à la chronologie des médias l’année suivante, en sortant uniquement en VOD son film « 99 Homes » – Grand Prix du dernier Festival du film américain de Deauville (10).

L’ARP milite pour le e-cinéma
Si l’ARP a levé le pied sur le D&D, elle milite désormais auprès du CNC pour permettre aux films agréés ne réussissant pas à rencontrer leur public en salle d’avoir une seconde chance en sortant tout de suite en e-cinéma. Or, pour ne pas être en
« infraction » avec la chronologie des médias, ce film devrait néanmoins effectuer une
« sortie technique » d’un ou plusieurs jours en salles avant d’être proposé aussitôt en VOD – sans devoir attendre la fin des quatre mois d’exclusivité de la salle justement. Des réunions ont eu lieu à ce sujet au CNC. @

Charles de Laubier

Chronologie des médias : la proposition finale met les professionnels du cinéma au pied du mur

« Caramba, encore raté ! »… Le ministère de la Culture et le CNC n’ont pas réussi – ni le 6 ni le 11 septembre – à faire signer un accord de « compromis » sur l’évolution de la chronologie des médias. Point de blocage :  le financement du cinéma français par Canal+ et Orange (OCS).

C’est dans un e-mail envoyé le 30 août dernier par François Hurard (photo), inspecteur général des Affaires culturelles (à l’IGAC (1), dépendant du ministère de la Culture), et cosigné avec Christophe Tardieu, directeur général délégué du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), que les organisations professionnelles du 7e Art ont reçu la dernière mouture du projet d’accord sur la chronologie des médias (2). « Merci de nous confirmer le plus rapidement possible, dans l’idéal avant lundi matin
[3 septembre, ndlr], que vous êtes disposés à signer ce texte. Une séance de signature pourra ainsi être organisée dans les plus brefs délais », leur était-il demandé.

L’IGAC et le CNC ont mis la pression
Une première réunion avait été fixée jeudi 6 septembre mais l’accord n’avait pas été signé faute de compromis. Une seconde séance de signature a suivi, cette fois le mardi 11 septembre, mais là encore sans paraphes des parties prenantes. Point de blocage : la prolongation en l’état, jusqu’en 2021, des accords que Canal+ et Orange (OCS) avaient signés avec les organisations du cinéma français pour son financement.
Or les producteurs de films considèrent ces accords obsolètes et veulent maintenant un montant d’investissement fixé à l’avance et non plus une somme aléatoire indexée sur le chiffre d’affaires réalisé. Si un point final n’est pas mis ces prochains jours à l’accord sur la chronologie des médias, le gouvernement a déjà prévenu : il faudra légiférer. Les négociations interprofessionnelles menées depuis plusieurs années sont un échec, y compris pour la mission « Hinnin » qui n’avait pas trouvé de consensus à la précédente date butoir du 12 avril (3). Le ministère de la Culture (IGAC) et le CNC avaient alors repris les discussions en main en lançant un ultimatum. Si le désaccord persiste, la loi se chargera de faire évoluer la chronologie des médias – dont la version actuelle a près de dix ans (4), avec son arrêté paru au J.O. le 12 juillet 2009. Le projet de loi sur la réforme de l’audiovisuel, dont le texte est en cours d’écriture à la Direction générale
des médias et des industries culturelles (DGMIC) pour être présenté au Parlement d’ici la fin de l’année (5), apparaîtrait comme le possible véhicule législatif. La mouture finale envoyée le 30 août et datée « septembre 2018 », bien que finalement peu différente de la version de juin, est censée mettre fin à des années de tergiversations et de statu quo (6). Les délais des fenêtres de diffusion – salle obscure, VOD/DVD, télévision payante, SVOD, télévision gratuite, VOD gratuite – sont en général réduits par rapport à la date de sortie des nouveaux films en salle. Mais force est de constater que les intérêts commerciaux, d’une part, des salles de cinéma défendues par leur Fédération nationale des cinémas français (FNCF), et, d’autre part, ceux de la chaîne cryptée Canal+ (Vivendi) sont avantagés au détriment de respectivement de la VOD et de la SVOD.
• La vidéo à la demande vendue à l’acte (en vente ou en location) reste reléguée à quatre mois après la sortie des films dans les salles de cinéma, lesquelles gardent leur monopole sur ces quatre mois. Seule la dérogation à trois mois est étendue aux films totalisant 100.000 entrées au plus « à l’issue » de leur quatrième semaine d’exploitation en salle de cinéma. Cette timide avancée concernera tout de même plus de films, comparé à la dérogation à trois mois de l’accord de juillet 2009 qui n’était pas utilisée car touchant seulement les films affichant moins de 200 entrées « au cours » de leur quatrième semaine d’exploitation en salles de cinéma. « La dérogation pourra être obtenue à tout moment sur simple déclaration auprès du CNC des ayants-droit de l’oeuvre cinématographique en salles, (…) ; (…) le CNC publiera les références de l’oeuvre au sein d’une liste des œuvres cinématographiques ayant fait l’objet de la demande de dérogation sur un site [web] dédié », indique le projet d’accord.
Autre avancée : ce que les professionnels appellent « le dégel des fenêtres de la télévision », c’est-à-dire, l’interdiction pour les éditeurs de chaînes dont c’est le tour d’empêcher contractuellement les exploitations des films en VOD et/ou DVD. Quant à
la période de promotion des films en VOD/DVD auprès du public, elle reste limitée pour préserver la salle (ne pas débuter plus d’une semaine avant la fin de la salle) et la télévision payante (s’achever quatre semaines avant la chaîne cryptée).

Taxe « CNC », convention « CSA », MG, …
• La télévision payante de cinéma
telle que Canal+ et OCS avance à huit mois après la sortie du film en salle, contre dix ou douze mois dans l’accord de juillet 2009. Cependant, ce délai de huit mois est ramené à six mois pour les films ayant bénéficié de la dérogation « VOD/DVD » à trois mois (c’est-à-dire ceux ayant réalisé 100.000 entrées au plus à l’issue de leur quatrième semaine d’exploitation en salle). « Le bénéfice de ce délai est ouvert à tout service de télévision respectant les conditions [taxes « Cosip » (7) versées au CNC, convention avec le CSA, minimum garanti (MG) par abonné, engagement de préfinancement d’œuvres, clause de diversité, etc., ndlr]
et ayant conclu un accord avec les organisations professionnelles du cinéma assorti
de conditions comparables aux accords déjà conclus par des services de première diffusion », estil précisé. La durée d’exclusivité des droits de la première fenêtre d’exploitation par une télévision payante de cinéma est limitée à neuf mois, cette durée étant ramenée à cinq mois en cas de seconde fenêtre pour le même film préfinancé ou acquis par une télévision gratuite ou, sans accord « cinéma », payante, ou par un service de SVOD sans accord « cinéma ».

Amener Netflix et Amazon à être « vertueux »
• Le service de vidéo à la demande par abonnement « aux engagements importants »
(comme potentiel-lement Netflix ou Amazon Prime), dès lors qu’il a conclu un accord avec les organisations professionnelles du cinéma et qu’il respect la réglementation française (taxes versées au CNC, convention avec le CSA, minimum garanti par abonné, engagement de préfinancement d’oeuvres, clause de diversité des investissements, etc.), avance enfin dans la chronologie des médias à dix-sept mois après la sortie du film en salle, au lieu des trente-six mois de l’accord de juillet 2009.
Ce délai est ramené à quinze mois pour les films bénéficiant de la dérogation
« VOD/DVD » à trois mois (toujours ceux ayant réalisé 100.000 entrées au plus à l’issue de leur quatrième semaine d’exploitation en salle). Mais cette fenêtre à dix-sept/quinze mois de la SVOD reste largement moins avantageuse que la fenêtre de la télévision payante à huit/six mois, alors que ces deux services sont plus que jamais en concurrence frontale lorsqu’ils investissent tous les deux dans le cinéma – comme respectivement Netflix et Canal+. Cette dichotomie égratigne la neutralité technologique (8). « Il semblait logique que dès la première fenêtre payante, il n’y ait plus de distinction entre un service linéaire et non linéaire, à même niveau de vertu [dans le financement des films, ndlr] », n’avaient pas manqué de relever certaines organisations du cinéma (la SACD et l’ARP notamment).
• La télévision en clair (gratuite) ou payante (mais sans accord
« cinéma »)
reste à vingt-deux mois après la sortie du film en salle à la condition
déjà prévue par l’accord de juillet 2009, à savoir « lorsque ce service applique des engagements de coproduction d’un montant minimum de 3,2 % de son chiffre d’affaires (y compris la part antenne) [dans des œuvres cinématographiques françaises et européennes, ndlr] ». Ce délai peut être ramené à vingt mois pour les films ayant bénéficié de la dérogation « VOD/DVD » à trois mois (c’est-à-dire ceux ayant réalisé 100.000 entrées au plus à l’issue de leur quatrième semaine d’exploitation en salle), voire à dix-neuf mois pour ceux non acquis par une télévision payante en seconde fenêtre ni par un service de SVOD. Pour les autres télévisions en clair ou payant non
« cinéma », le délai est de trente mois après la salle, sinon vingt-huit mois pour les films ayant bénéficié de la dérogation « VOD/DVD » à trois mois.
Le service de vidéo à la demande par abonnement « aux engagements allégés » (comme potentiellement là aussi Netflix ou Amazon Prime), à savoir s’il a conclu avec les organisations professionnelles du cinéma un accord avec trois engagements seulement (sans minimum garanti par abonné ni préachat ni clause de diversité des investissements), arrivent cette fois à trente mois après la sortie du film en salle,
voire vingt-huit pour les films ayant bénéficié de la dérogation « VOD/DVD » à trois mois. Ces trois engagements sont : consacrer au moins 21 % et 17% de son chiffre d’affaires respectivement aux films européens et français, conformément au premier décret « Services de médias audiovisuels à la demande » (SMAd) du 12 novembre 2010 (9) ; un quart de ce montant étant dévolu « à l’achat de droits d’exploitation ou
à l’investissement en parts de producteurs », lorsque le service de SVOD réalise plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel net. Pour les autres services de SVOD sans aucun engagement, le délai reste à trente-six mois, sinon trente-quatre mois pour les films ayant bénéficié de la dérogation « VOD/DVD » à trois mois.
• La vidéo à la demande gratuite, comme sur YouTube ou Dailymotion, que l’accord de juillet 2009 voyait déjà comme « susceptible d’entraver la structuration du marché de la vidéo à la demande » (sic), elle avance à quarante-quatre mois à compter de la date de sortie en salles au lieu de quarante-huit mois jusqu’à maintenant. Ce délai est même ramené à quarante-deux mois pour les films ayant bénéficié de la dérogation
« VOD/DVD » à trois mois.

Documentaires, fictions et courts métrages
En outre, l’ultime projet d’accord prévoir des dérogations pour les films documentaires et les films de fiction d’expression originale française « dont le coût certifié n’excède pas 1,5 millions d’euros ». Dans ce cas, pour peu qu’elles n’aient fait « l’objet d’aucun préachat ou achat jusqu’à la fin de la fenêtre d’exclusivité de la salle », ces « œuvres cinématographiques » peuvent être diffusées respectivement douze et dix-sept mois après leur sortie en salle. Quant aux courts et moyens métrages, « [ils] n’entrent pas dans le champ de la chronologie des médias » – ce que l’accord de juillet 2009 passait sous silence. @

Charles de Laubier

Velléité de réforme de la redevance audiovisuelle : serpent de mer d’une taxe devenue obsolète

La redevance audiovisuelle a 30 ans. Depuis le 1er janvier 1987, elle ne concerne que les détenteurs d’un téléviseur pour financer chaînes et radios publiques ainsi que les archives audiovisuelles. La généralisation des écrans numériques la rende archaïque, mais sa réforme est une arlésienne !

Depuis plus de dix ans maintenant que le débat est lancé sur la réforme nécessaire
de la redevance audiovisuelle, la France continue d’appliquer une taxe archaïque pour le financement de l’audiovisuel public. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé de réformer cette taxe du PAF (1) public. En 2006, le gouvernement de Dominique de Villepin avait écarté l’idée de « redevance sur Internet », qui avait pourtant été avancée à l’époque par le ministre de la Culture et de la Communication (2) et le ministre délégué au Budget (3).

Déjà 10 ans d’occasions manquées
Résultat : la loi « Télévision du futur » de mars 2007 n’a pas réformé la redevance audiovisuelle. Ce fut une première occasion manquée (4). En 2008, Jean Dionis du Séjour, alors député, monte au créneau et propose une extension de la redevance aux abonnés triple play qui peuvent regarder la télévision sur leur écran d’ordinateur (les tablettes étant encore quasi inexistantes). Il propose même que cette taxe soit fixée à la moitié du montant de la redevance. En vain. Il faudra un rapport de juin 2010 – coécrit par Catherine Morin-Desailly et Claude Belot – pour relancer le débat de la réforme de la redevance audiovisuelle en préconisant de l’appliquer aussi aux ordinateurs recevant la télé, tout en l’augmentant. Les auteurs seront entendus puisqu’en novembre 2010 Philippe Marini, alors sénateur, propose en commission des Finances un amendement d’extension de la redevance télé aux ordinateurs et aux tablettes – mais il est ensuite contraint de le retire.
Alors que les candidats à l’élection présidentielle de 2012 feront l’impasse sur le sort de la redevance audiovisuelle – à part Eva Joly, à l’époque candidate d’Europe Écologie Les Verts, qui évoque devant la Société des journalistes de l’audiovisuel public « la fusion entre la redevance TV et les abonnements aux différents systèmes de diffusion des textes, des images et des sons » –, la question reviendra au-devant de la scène en juin 2012, évoquée cette fois par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) (5). Mais en juillet 2012, Jérôme Cahuzac, alors ministre délégué au Budget, rejette l’idée d’étendre la redevance audiovisuelle aux ordinateurs telle que l’avait exprimée quelques jours auparavant Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture et
de la Communication, notamment félicitée sur ce point par la Société civile des auteurs multimédias (Scam). A Bercy, le Budget a dit non au nom du gouvernement. Fermez le ban !
Comme si l’extension de la redevance audiovisuelle à d’autres écrans restait décidément un sujet tabou en France. En réalité, les gouvernements français successifs ont toujours craint l’impopularité d’une telle mesure et le risque encouru en termes de fracture numérique et de taux d’équipement des ménages (6). C’était dans compter la pugnacité de la sénatrice Catherine Morin-Desailly, qui, en novembre 2012, préconise à nouveau d’étendre la redevance audiovisuelle « à tous les terminaux équipés pour recevoir la télévision ». Or le Code général des impôts stipule que la redevance est due lorsque l’on détient un récepteur de télévision ou… un « dispositif assimilé », c’est-à-dire – selon une instruction du 6 juillet 2005 : magnétoscopes, lecteurs ou lecteurs-enregistreurs DVD, vidéoprojecteurs équipés d’un tuner ou encore démodulateurs de signaux provenant d’un satellite.
Mais, y précise-ton sans explication, « les ordinateurs équipés pour la réception des chaînes de télévision ne sont pas taxés ». Ainsi, en France, le Code général des impôts prévoit bien depuis plus de dix ans que la redevance audiovisuelle peut être appliquée à tout détenteur d’un appareil capable de recevoir la télévision. Mais cette disposition n’est pas appliquée ! Aurélie Filippetti, toujours ministre de la Culture et de la Communication en juin 2013, en profite pour suggérer que « le [contribuable] pourrait déclarer s’il consomme de la télévision publique, quel que soit le support », rejoignant ainsi David Assouline, alors sénateur, qui propose lui aussi d’étendre la redevance télé aux nouveaux écrans. En août 2013, Martin Ajdari, alors secrétaire général de France Télévisions, déclare à son tour : « [On doit pouvoir] moderniser l’assiette de la redevance, l’adapter peut-être à l’évolution des usages comme cela a été fait cette année en Suisse, en Suède ou en Allemagne » (voir encadré page suivante).

Elargir l’assiette aux écrans ou aux foyers
Le président de France Télévisions, alors Rémy Pflimlin, milite pour cette réforme
– tous les écrans pour rapporter plus – et le fait savoir en septembre 2013 rue de
Valois : « Il doit y avoir aujourd’hui une analyse de la redevance liée au foyer plus qu’à la possession d’un téléviseur. Cela permettrait d’avoir un peu plus de recettes » (7). Un élargissement de l’assiette de la redevance à tous les foyers français pourrait rapporter encore plus, dans la mesure où 3,3 % d’entre eux déclarent aujourd’hui ne pas posséder de téléviseur et échappent donc à la redevance.
Près d’un an après, en août 2014, Véronique Cayla, alors présidente d’Arte, lance une piqure de rappel en réclamant que « la redevance télé soit élargie aux foyers qui possèdent un ordinateur ou une tablette ». Quelques jours auparavant, une source
à Bercy indiquait qu’un moniteur connecté à une « box » était soumis à la redevance télé… En septembre 2014, Fleur Pellerin, qui vient de succéder à Aurélie Filippetti en tant que ministre de la Culture et de la Communication, tente relancer le débat : « Il va falloir engager une réflexion, voir s’il y a d’autres pistes à explorer à côté de la redevance ».

Faire payer tous les foyers fiscaux ?
Quelques jours avant elle, Mathieu Gallet, devenu PDG de Radio France après avoir présidé l’INA durant quatre ans, avait entretenu la réflexion : « La question d’une révision de l’assiette de la [redevance audiovisuelle] se pose », avec les tablettes et
les smartphones. Le président de la République, à l’époque François Hollande, s’est pour la première fois exprimé publiquement, lors d’un colloque au Conseil supérieur
de l’audiovisuel (CSA) en octobre 2014, en souhaitant « une assiette plus large et plus juste » de la redevance audiovisuelle pour prend en compte les ordinateurs, les tablettes et les smartphones – et non plus seulement l’écran de télévision. Mais le chef de l’Etat d’alors avait aussi en tête une autre idée avancée un peu trop vite fin 2013, à savoir la création à terme d’« un grand service public audiovisuel », dont les différentes sociétés qui la composent ont déjà la redevance audiovisuelle comme ressource commune (8).
En février 2015, le rapport Schwartz – du nom de l’exdirecteur financier de France Télévisions, Marc Schwartz – sur France Télévisions recommande au gouvernement
« que l’élargissement de l’assiette de la CPA [contribution à l’audiovisuel public] soit mis en chantier dès maintenant, pour pouvoir être voté, dans la mesure du possible, dès le projet de loi de Finances pour 2016 » (9). Une fois ce rapport remis à Fleur Pellerin, celle-ci précise début septembre 2015 qu’« il n’est pas question de taxer les smartphones ou les tablettes » pour élargir l’assiette de la redevance, mais que son
« extension aux boxes » des fournisseur d’accès à Internet (FAI) est « une option ». Alors que Axelle Lemaire, à l’époque secrétaire d’Etat au Numérique, déclare qu’elle
n’y est « pas tellement favorable ». Nommée en août 2015 présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci – ancienne directrice exécutive d’Orange France – se dit, elle, favorable à une extension de la redevance audiovisuelle aux écrans numériques – «à l’allemande, en l’élargissant à d’autres supports » (10). Le lancement fin août 2016 sur Internet de la chaîne publique d’information Franceinfo – avant la TNT en septembre – pour s’interroger à nouveau sur l’éventualité d’une hausse de la redevance audiovisuelle et de son extension à tous les terminaux numériques. Ainsi,
le rapport du député Jean-Marie Beffara publié en juillet 2016 se demandait déjà si la disponibilité en mode « multimédia et multisupport » de la chaîne publique d’information ne démontre pas l’ambition de l’audiovisuel public de penser cette chaîne de télévision au-delà du petit écran traditionnel. Le député abonde dans ce sens en parlant de
« réforme de bon sens au regard du positionnement numérique de la nouvelle chaîne » et plaide en faveur d’« une réforme qui s’inscrirait dans une approche neutre du point de vue des supports utilisés pour accéder au service public audiovisuel » (11). Puis, le projet de loi de Finances pour 2017 d’il y a un an a fait l’impasse sur la réforme de la redevance – néanmoins augmentée d’un euro à 138 euros.
Et il devrait en être de même pour le PLF 2018, passant à 139 euros que devront payer plus de 23 millions de foyers en France (12). « Je souhaite qu’un débat soit ouvert autour notamment d’un élargissement de l’assiette. Nous avons lancé les travaux, ils aboutiront dans les prochains mois », s’est engagée à son tour l’actuelle ministre de la Culture, Françoise Nyssen, lors d’une audition fin octobre 2017 devant la commission Culture, Education et Communication du Sénat (commission présidée par Catherine Morin-Desailly). Ce ne sera donc pas avant le PLF 2019 ! A moins des amendements ne viennent bousculer le gouvernement lors des débats en cours sur le projet de loi de Finances pour 2018. Quant à la proposition de « redevance universelle et automatique [payée par]chaque foyer fiscal » lancée début novembre 2017 par Mathieu Gallet (13), elle est la énième idée avancée en dix ans. @

Charles de Laubier

ZOOM

L’Allemagne a dix ans d’avance sur la France
Outre-Rhin, nos voisins allemands n’ont pas hésité à franchir le pas il y a dix ans en imposant – depuis le 1er janvier 2007 – une « redevance sur Internet » aux particuliers et entreprises connectées au Web, nouvelle taxe qui fut alignée sur la redevance radio – sans équivalent en France – au tarif moins élevé que celui de la redevance télé. Les Allemands y sont donc soumis, même s’ils ne possèdent pas de téléviseur, tous les appareils audiovisuels étant alors mis à contribution (14).
Ailleurs en Europe, la Suède se met à partir de mars 2013 à collecter – via l’organisme Radiotjänst – la redevance audiovisuelle auprès des détenteurs d’ordinateurs et de smartphones. En mai 2013, c’est au tour du Conseil fédéral suisse de décider que la redevance audiovisuelle ne sera plus acquittée par les seuls détenteurs d’appareils
de réception classiques (radio ou téléviseur), mais par tous les foyers et entreprises helvétiques, tous dotés d’écrans numériques. Et, en plus, elle sera moins chère.
« Le développement technologique impose de changer le système : les appareils multifonctions comme les smartphones, les ordinateurs et les tablettes permettent aussi de capter des programmes de radio et de télévision. La définition d’un appareil de réception n’est plus claire. Par conséquent, presque tous les ménages ont actuellement accès à des programmes de radio ou de télévision et sont assujettis », justifie ainsi l’exécutif de la Confédération suisse (15). @

Musique : le digital est désormais au cœur du Midem

En fait. Du 6 au 9 juin, s’est tenu le 51e Midem – Marché international du disque
et de l’édition musicale – organisé au Palais des Festivals à Cannes par Reed Midem, dont Alexandre Deniot (ex-Universal Music) est directeur depuis janvier 2017. Ce rendez-vous B2B est devenu « digital centric ».

En clair. Le numérique est devenu au fil des ans la première préoccupation de la filière musicale mondiale. Alors que le Marché international du disque et de l’édition musicale (Midem) fête ses 50 ans cette année, les quelque 4.400 visiteurs professionnels de cette année – à qui ce grand rendez-vous international B2B est réservé – doivent désormais composer avec les différents écosystèmes digitaux. Selon la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI), les ventes mondiales de musique ont enregistré une croissance record en 2016 pour atteindre 15,7 milliards de dollars
de chiffre d’affaires (+ 5,9 % sur un an).
C’est le dynamisme de la musique numérique en streaming (+ 60,4 %), et notamment des 112 millions d’abonnés payants dans le monde à une plateforme de streaming musical, qui est à l’origine de cette performance historique. Au total, et pour la première fois, la musique digitale pèse la moitié des ventes mondiales (soit 7,8 milliards de dollars en 2016, droits voisins compris) – dont la musique en streaming pesant 59 %
de cette moitié dématérialisée (1) (voir tableau p. 11). Ce n’est pas un hasard si le nouveau directeur du Midem est, depuis janvier dernier, un ancien directeur du développement en charge du digital chez Universal Music où il a passé quinze ans. Alexandre Deniot, c’est son nom, fut auparavant responsable de la division digitale
de la première major de la musique, tout en assurant le management de sa filiale spécialisée Universal Music On Line qui commercialise CD, DVD/Blu-ray, clips vidéo ainsi que les titres musicaux sur les plateformes en lignes et les applications mobiles.
Mais il est encore loin le temps où l’on verra un ex-dirigeant d’une plateforme numérique telle que Spotify, Apple Music, Deezer, YouTube ou encore Tidal devenir directeur de Midem… Ce grand rendez-vous est plus que jamais l’occasion pour les historiques de la filière musicale de dénoncer le value gap (transfert de valeur) qui, selon eux, handicape leur activité. L’IFPI estime que Spotify a reversé aux maisons
de disques 20 dollars par utilisateur en 2015, alors que YouTube a reversé moins
de 1 dollar pour chaque utilisateur de musique. Le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) et ses homologues allemand (BVMI) et italien (FIMI) ont
appelé le 7 juin les politiques à « corriger » ce transfert de valeur (2). @