Dans l’incertitude et devant les tribunaux, la plateforme Molotov fête sa 5e année d’existence

Lancé en 2016, la plateforme de streaming de télévision Molotov – imaginée par Jean-David Blanc, Pierre Lescure et Jean-Marc Denoual – revendique plus de 16 millions d’utilisateurs, dont quelques centaines de milliers d’abonnés payants. Mais le cocktail avec les chaînes n’est pas du goût de toutes.

Molotov, c’est un bouquet de plus de 200 chaînes et de programmes de télévision proposés en direct, en replay ou à la demande. Après la déception des débuts au regard des promesses très médiatiques mais non tenues, notamment d’enregistrement numérique et de disponibilité multi-terminaux (1), la plateforme française de distribution de contenus télévisuels en streaming – lancée le 11 juillet 2016 – s’est rattrapée depuis en révolutionnant l’accès à la télévision et en faisant du zapping une pratique du passé.

Près de 100 millions d’euros d’investis
L’entreprise, cofondée par Jean-David Blanc (photo), Pierre Lescure (ex-Canal+) et Jean-Marc Denoual (ex-TF1), a non seulement séduit un large public – plus de 16 millions d’utilisateurs, dont quelques centaines de milliers d’abonnés payants (2) –, mais aussi propose depuis l’été 2020 son savoir-faire OTT – via Molotov Solutions – à des opérateurs télécoms (Maroc Telecom) ou à des éditeurs en ligne (Trace, KTO,…). Mais au bout de cinq ans et après des renflouements financiers successifs à hauteur de près de 100 millions d’euros, notamment de la part de Xavier Niel (fondateur de Free) qui a misé 30 millions d’euros à l’été 2019 en échange d’une participation de 40 % au capital, l’avenir est encore hypothéqué. Les différents fonds levés, à commencer par les premiers en octobre 2014 auprès du fonds d’investissement Idinvest Partners (alimenté par Lagardère) et de business angels (3), ont rapidement été engloutis.
Les trois premières années, ce sont plus de 30 millions d’euros qui ont été rassemblés lors d’un tour de table d’investisseurs, auxquels sont venus se joindre l’opérateur français TDF et le groupe de télévision britannique Sky, entrés en tant que minoritaires au capital en déboursant chacun 4 millions d’euros environ. Tout cet argent frais a permis à Molotov de développer l’ergonomique de sa plateforme inspirée de celle de Netflix, d’investir dans une infrastructure de stockage informatique, de rémunérer les chaînes de télévision distribuées ou encore de payer les droits d’auteur, et bien sûr de rétribuer les effectifs atteignant aujourd’hui plus d’une centaine de collaborateurs et de louer de vastes locaux rue La Boétie à Paris. Avant que le milliardaire des télécoms Xavier Niel ne vole à son secours, Molotov avait envisagé d’être financé voire d’être racheté par le groupe Altice de Patrick Drahi, ou par Orange, voire par France Télévisions, avant que le groupe public ne fasse finalement alliance avec les chaînes privées TF1 et M6 pour lancer la plateforme Salto (4) – devenue la bête noire de Molotov. La société de production audiovisuelle Mediawan – cofondée par Pierre-Antoine Capton, Matthieu Pigasse et Xavier Niel – avait même regardé le dossier « Molotov », mais le second avait indiqué en mars 2018 que « [les] conditions [n’étaient] pas réunies » (5). A noter que jusqu’en avril dernier, Pierre Lescure était président du conseil de surveillance de Mediawan depuis quatre ans.
Sur la viabilité économique de la plateforme freemium Molotov, difficile de se prononcer puisque la société par actions simplifiée (SAS) – que préside Jean-David Blanc (ex- AlloCiné) via sa holding personnelle JDH – ne publie pas ses comptes. Aucune fuite n’est intervenue depuis les révélations de La Lettre A qui faisait état il y a deux ans de 53 millions de pertes nettes (cumulées de 2015 à 2018) pour un chiffre d’affaires à peine supérieur à 3 millions d’euros, puis de Capital indiquant mi-2020 un chiffre d’affaires atteignant 7,7 millions d’euros. Ce secret des affaires sur les résultats de cette start-up française jette le doute sur la monétisation de sa plateforme « révolutionnaire ». En novembre dernier, elle a lancé Mango, « le service de vidéo à la demande gratuit de Molotov » (6) et financée par la publicité.
Pour l’heure, Molotov se targue d’avoir été sélectionné dans l’indice French Tech 120 des start-up qui sont « à haut potentiel » (7), mais ne figure pas dans l’indice French Tech Next40 qui, lui, sélectionne parmi les 120 : soit les licornes, soit les start-up ayant réalisé une levée de fonds supérieure à 100 millions d’euros (8), soit celles présentant un modèle économique validé. Molotov est encore au milieu du gué. C’est à se demander si son ambition internationale ne pourrait pas profiter d’une introduction en Bourse.

Cocktail explosif devant la justice
Sa survie est aussi conditionnée à l’issue de ses nombreux procès contre TF1, M6 et France Télécoms à propos de Salto (recours devant le Conseil d’Etat formé par Iliad/Xavier Niel), et contre les rémunérations imposées par les chaînes pour leur reprise (pourvoi de Molotov en cassation sur le volet distribution et en appel sur le volet concurrence). Molotov reproche par ailleurs à son ex-directeur technique Thomas Sangouard d’être passé en 2019 chez M6. Son ex-directeur des partenariats Nicolas Auffret en avait fait de même pour aller dans une filiale de M6, Bedrock, où Thomas Sangouard est aussi directeur technique. @

Charles de Laubier

Canal+, seul candidat à sa succession : pourquoi ?

En fait. Le 30 septembre, la chaîne cryptée Canal+ a été auditionnée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en tant que seul candidat à sa succession, dans le cadre de l’appel « aux candidatures » du 26 février dernier « pour l’édition d’un service de télévision payant à vocation nationale ». Vivendi, seul contre tous.

En clair. L’autorisation du service Canal+ arrivant à échéance le 5 décembre prochain, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) avait lancé, le 26 février, un appel « aux candidatures » pour l’édition d’un service de « télévision payant à vocation nationale », c’est-à-dire diffusé « sous conditions d’accès » par voie hertzienne terrestre et en haute définition sur le multiplex R3 de la TNT (1). Les candidats ont eu jusqu’au 10 juillet dernier pour déposer leur dossier. Mais, finalement, « seule une candidature a été reçue et déclarée recevable » : celle de la chaîne cryptée Canal+, éditée par la Société d’édition de Canal Plus, filiale du groupe Vivendi (contrôlé par Vincent Bolloré). Comment expliquer cette candidature unique qui jette le doute sur l’intérêt d’une chaîne payante nationale, à l’heure des Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+, sur fond de « vidéoisation » des GAFAM, YouTube en tête ? « Canal+ est le seul candidat à sa propre succession. C’est inédit, mais également signifiant. Car cela peut vouloir dire qu’aucun nouvel entrant ne juge la TNT suffisamment attractive pour candidater. Ou, surtout, qu’il n’y a pas aujourd’hui d’autres Canal+ potentiels et d’alternatives à Canal+ que Canal+ », a tenté d’expliquer au CSA le président du directoire du groupe Canal+, Maxime Saada. Et celui qui est en outre président de la plateforme vidéo Dailymotion d’ajouter : « Ce qui est d’autant plus riche en enseignements, alors que beaucoup, surtout au cours des dernières années, ont explicitement voulu nous remplacer. Ce qui dit assez combien Canal+, unique à l’époque de sa création [en novembre 1984, ndlr] l’est encore, même si les temps ont changé, avec une singularité d’identité et une place à part dans son écosystème qui ne sont pas faciles à reproduire aujourd’hui ». Mais à bientôt 36 ans, Canal+ a déjà la crise de la quarantaine et surtout le blues… « Je dis souvent aux équipes : “Soit on est des idiots, soit on est des génies”, c’est l’un ou l’autre ! », a confié Maxime Saada.
Son modèle est menacé, d’autant qu’il va à rebours non seulement de la délinéarisation de l’audiovisuel, « la plateformisation de la télévision », dit-il – soit directement en OTT (2) comme Salto qui va être lancé cet automne, soit en « cabsat » (3) –, mais aussi de « la fragmentation monothématique » avec Netflix, Disney+ ou OCS dans les séries et les films, BeIn et Téléfoot (4) dans le sport. @

Vivendi et Mediaset sont condamnés à s’entendre en Europe face à Netflix, Amazon Video ou Disney+

Silvio Berlusconi et Vincent Bolloré se chamaillent depuis quatre ans maintenant, ferraillant devant la justice. Les propriétaires de respectivement Mediaset et de Vivendi sont brouillés depuis l’été 2016. Mais ils sont prêts à enterrer la hache de guerre pour faire front aux grandes plateformes vidéo.

La longue querelle entre l’italien Mediaset et le français Vivendi est sur la voie de l’apaisement. Du moins, si l’on en croit le communiqué émis par le premier le 12 août dernier, les deux parties sont disposées à mettre un terme à leur différend judiciaire « dans l’intérêt de tous les actionnaires de Mediaset », dont fait partie Vivendi à hauteur de 29 %. Mais l’italien, précisant avoir répondu à un courrier reçu de Vivendi le 10 août, a prévenu le français qu’il était prêt à faire la paix mais « sans toutefois renoncer à des demandes de dommages et intérêts » (1).

Vers la fin des hostilités ?
C’est que le groupe de télévision de Silvio Berlusconi (photo de droite) n’a jamais digéré la volte-face opérée durant l’été 2016 par le groupe de Vincent Bolloré (photo de gauche) sur un « contrat de partenariat stratégique » pourtant signé entre les deux groupes le 8 avril de la même année. Selon les termes de cet accord avorté, le groupe français – maison mère de Canal+ – devait acquérir 3,5 % du capital du groupe italien et 100 % de sa filiale de chaînes payantes Mediaset Premium, cédant en échange 3,5 % de son propre capital. Les relations se sont encore plus envenimées lorsque le groupe Vivendi a décidé de façon unilatérale de lancer en décembre 2016 une campagne d’acquisition hostile d’actions de Mediaset, dont il était déjà actionnaire minoritaire, devenant très rapidement le deuxième actionnaire à 28,8 % du capital.
Sur ce premier différend est venu se greffer un second. Il porte cette fois sur le projet de holding européenne MediaForEurope (MFE) porté par Mediaset, qui veut fédérer des groupes audiovisuels européens pour répliquer à Netflix. Il s’agit avant tout de développer une plateforme vidéo OTT (2), de type SVOD, qui fut surnommée un temps par les médias le « Netflix latin » ou bien « Euroflix ». Mais face à la montée en charge d’autres plateformes vidéo américaines telles qu’Amazon Prime Video, Disney+, Apple TV+ ou bientôt HBO Max (3), sans oublier Google/YouTube, le projet devait être plus ambitieux encore. La holding MFE, qui devait être basée à Amsterdam et cotée en Bourse en Italie et en Espagne, prévoyait de chapeauter les activités italiennes et espagnoles de Mediaset, tout en détenant la participation de 15,1 % héritée de Mediaset dans le groupe audiovisuel allemand ProSiebenSat.1 Media. D’autres partenaires européens étaient pressentis pour rejoindre l’alliance MFE, comme le français TF1 que le fils de Silvio Berlusconi – Pier Silvio, administrateur délégué de Mediaset – avait cité le 3 juillet 2019 « même si aucune négociation formelle n’a encore été engagée » (4). Ce projet avait été validé il y a un an – le 4 septembre 2019 – lors d’une assemblée générale de Mediaset. Craignant le renforcement du contrôle de Silvio Berlusconi – détenteur de Mediaset via sa holding Fininvest – sur ce nouveau montage d’envergure européenne, Vivendi s’est vivement opposé à ce projet, décidé à mettre des battons dans les roues de MFE à coup de plaintes devant les tribunaux des Pays-Bas et d’Italie. Vivendi, pourtant deuxième actionnaire du groupe italien, estimait qu’il n’avait pas eu son mot à dire quant à la fusion entre Mediaset et Mediaset España. En face, Mediaset avait déposé plainte contre Vivendi devant l’AGCom, le régulateur italien des communications, accusant le français – contrôlant déjà Telecom Italia (TIM) – d’enfreindre la réglementation italienne qui interdit à une même société de franchir certains seuils de chiffre d’affaires dans le pays (seuil de 20 % ou pour Vivendi avec TIM 10 %) « au nom de la sauvegarde du pluralisme de l’information » (5).
Le tribunal de commerce de Madrid, dans un jugement rendu le 30 juillet dernier, a rejeté le recours présenté par Mediaset España qui demandait la levée de la suspension du plan de fusion avec Mediaset en Italie dans le cadre du projet MFE. C’est en octobre 2019 que Vivendi avait obtenu en première instance la suspension provisoire du projet de création de la holding européenne. « La décision de la cour de Madrid est le seul résultat de l’opposition instrumentale et prédéterminée de Vivendi agissant dans son propre intérêt, également en tant que concurrent de Mediaset », a réagi le groupe italien le 5 août, tout en renonçant à son calendrier de fusion de ses filiales italienne et espagnole – délai fixé au 2 octobre 2020 par la justice néerlandaise.

Canal+ distribue Netflix et Disney+
Mais Mediaset n’abandonne pas pour autant son projet MFE. « Confirmant la validité industrielle du plan MediaForEurope, le conseil d’administration a immédiatement lancé une étude pour la création d’un plan alternatif pour atteindre les mêmes objectifs » (6). Une chose est sûre : Vivendi reconnaît « le mérite industriel du projet MFE » et a fait part à Mediaset de « sa volonté de soutenir les plans de développement international de Mediaset ». Sachant que Canal+, filiale de télévision payante de Vivendi, est en France distributeur de Netflix et de Disney+. @

Charles de Laubier

Vivendi a encore déprécié sa filiale Dailymotion, de 68 millions d’euros dans ses résultats 2019

Dailymotion a 15 ans d’existence, la plateforme vidéo française ayant été créée le 15 mars 2005 par Benjamin Bejbaum et Olivier Poitrey. Mais le « YouTube » français, dévalorisé, continue encore de perdre de l’argent. Ses partenariats avec des éditeurs en Europe et aux Etats-Unis se multiplient.

(Après cet article paru dans EM@ n°234, Huawei et Dailymotion ont annoncé le 26 mai que le chinois intègre désormais la solution technologique vidéo du français)

« Vivendi a comptabilisé en 2019 une dotation pour dépréciation du compte courant de Dailymotion à hauteur de 68 millions d’euros », peut-on lire dans le document d’enregistrement universel 2019 de Vivendi, publié le 12 mars dernier. Ce n’est pas la première fois que le groupe multimédia de Vincent Bolloré procède à une dévalorisation de sa filiale Dailymotion. Dans son document de référence 2018 cette fois (1), Vivendi avait déjà dû comptabiliser une dépréciation de Dailymotion d’un montant de 73 millions d’euros, tout en consentant en plus à sa plateforme vidéo « un abandon de créance de 55 millions d’euros ».

Dailymotion a perdu la moitié de sa valeur
Autrement dit, financièrement, le « YouTube » français ne vaudrait plus que 130 millions d’euros au titre de l’année 2019. Soit moins de la moitié de sa valeur d’achat. Car si Dailymotion a 15 ans d’existence maintenant, son rachat par le groupe Vivendi date d’il y a 5 ans maintenant : c’est en juin 2015 qu’Orange lui vend dans un premier temps 90 % du capital de la plateforme vidéo pour 271,25 millions d’euros, avant de lui céder en juillet 2017 les 10 % restants pour 26 millions d’euros supplémentaires. Au total, Dailymotion aura coûté à l’achat à Vivendi près de 300 millions d’euros (2). Et encore, la valorisation de la plateforme française d’agrégation et de diffusion de contenus vidéo est peut-être bien moindre au regard de ses performances financières. Or Vivendi ne publie plus depuis deux ans le chiffre d’affaire de Dailymotion, ni ses pertes qui se sont creusées. Et ce, alors que Maxime Saada (photo), directeur général du groupe Canal+ depuis septembre 2015, est devenu aussi en mars 2017 président du conseil d’administration (3) de la plateforme vidéo qu’il a reprise en main. Les derniers résultats rendus publics de Dailymotion remontent à 2018 dans le document de référence de 2017 : Dailymotion affiche alors un chiffre d’affaires de seulement 43,2 millions d’euros, en chute de 26 % sur un an, avec une perte de 75,2 millions d’euros (contre 42,3 millions l’année précédente). La valeur comptable de Dailymotion dans les comptes de Vivendi était encore de 271,6 millions d’euros (grosso modo le prix d’achat), dont 80 millions d’euros pour la marque « Dailymotion » et 9 millions d’euros pour sa technologie. Depuis deux ans, Dailymotion se retrouve relégué dans les comptes de Vivendi dans les « Nouvelles Initiatives » aux plus de 700 salariés. Outre la plateforme d’agrégation de vidéo, l’on y trouve aussi Flab Prod (société de production vidéo rachetée en 2016 par Vivendi et également présidée par Maxime Saada), Flab Presse (agence de presse affiliée à Flab Prod), Vivendi Content (filiale de création de nouveaux formats, dont des vidéos pour mobile produites par Studio+ jusqu’à sa fermeture de ce dernier sur un échec (5)), ainsi que GVA (filiale du groupe, fournisseur d’accès à Internet en Afrique). Toutes ces entités « Nouvelles Initiatives » très disparates totalisent ensemble un chiffre d’affaires de 71 millions d’euros en 2019 – affichant une croissance assez faible de 7,5 % sur un an. Mais le résultat opérationnel de cet ensemble improbable accuse une perte de 65 millions d’euros, toujours l’an dernier, en amélioration tout de même par rapport à la perte de quelque 100 millions d’euros en 2018. Dailymotion pèse pour une bonne part dans cet agrégat fourre-tout.
Le « YouTube » français revendique à fin 2019 un total de plus de 350 millions d’utilisateurs mensuels dans le monde, en hausse de 20 % en deux ans. Selon la mesure d’audience « Internet global » de Médiamétrie en France, Dailymotion se retrouve à la 39e place avec 16,7 millions de visiteurs uniques sur le mois de mars, dont 63,7 % sur smartphone, 26,9% sur ordinateur et 23,6 sur tablette. Alors que YouTube, la filiale de Google, affiche 47,6 millions de visiteurs uniques sur le même mois – soit le double. Dailymotion entend « se distingu[er] des autres plateformes d’agrégation vidéo », notamment en se concentrant sur les 18-49 ans – « cible non-prioritaire pour les services vidéo en ligne existants mais stratégique pour les annonceurs » – et sur des contenus provenant d’éditeurs (actualités, divertissement, musique et sport).

Le pari des partenariats et de l’international
Vivendi espère sortir Dailymotion de l’ornière en multipliant les partenariats avec « des éditeurs mondiaux de contenus de premier plan » : en 2019, la plateforme vidéo en a noué plus de 280, dont 70 aux Etats-Unis. Parmi eux : Le Monde ou Konbini (6) en France, Gruner+Jahr en Allemagne, Hearst aux Etats-Unis, JPI Media en Grande-Bretagne, Meredith aux Etats-Unis, ou encore côté sports la MLB (baseball), la NHL (hockey) ou la Nascar (courses automobiles). Dailymotion essaie aussi de trouver de nouvelles audiences partout dans le monde, comme en Indonésie, à Taïwan ou encore au Mexique. @

Charles de Laubier

Faute d’avoir anticipé la concurrence, l’ancien monopole Canal+ fait entrer Netflix dans sa bergerie

Face à la montée de la concurrence mondiale et puissante des plateformes de streaming, l’ancien monopole de chaîne cryptée Canal+ n’a pas anticipé et a perdu deux ans avant de réagir. Résultat : pour endiguer sa perte d’abonnés en France, la filiale de télévision de Vivendi pactise avec Netflix.

La fin des monopoles a toujours exigé des entreprises qui vivaient de cette rente de situation des remises en causes profondes. Encore faut-il s’y prendre assez tôt et anticiper. Canal+ savait depuis 2011 que Netflix allait tôt ou tard débarquer en France. Et ce qui devait arriver arriva : la plateforme de SVOD tant redoutée est lancée avec tambours et trompettes sur le marché français le 14 septembre 2014, à partir de… 7,99 euros par mois. De quoi tailler des croupières au « monopole » Canal+ et ses 39,90 euros mensuels.

« Canal+Netflix » à partir du 15 octobre
Or ce n’est qu’en novembre 2016 que la filiale « chaîne payante » de Vivendi procède à la refonte de son offre qui était jusqu’alors une véritable vache à lait. Il aura fallu plus de deux ans à Canal+ pour riposter à la déferlante des séries de Netflix. Un manque d’anticipation que la chaîne cryptée, alors dirigée jusqu’en 2015 par le duo Bertrand Meheut- Rodolphe Belmer, continue encore de payer très cher aujourd’hui. Mais en abaissant il y a trois ans son abonnement à 19,90 euros (au lieu des 39,90) et en n’introduisant un tarif spécial « jeunes » à 9,95 qu’en mai 2018, l’érosion des abonnés de Canal+ en France a continué. Les offres historiques de Canal+ ont enregistré une baisse de 230.000 abonnés en 2018, alors que Vincent Bolloré luimême, PDG du groupe éponyme et président du conseil de surveillance de Vivendi, a repris en main le groupe Canal+ en en assurant aussi la présidence du conseil de surveillance de septembre 2015 à avril 2018.
C’est à ce moment-là qu’entre en scène un nouveau duo à la tête de la filiale « télévision » de Vivendi : Jean-Christophe Thiery (photo), bras droit « médias et télécoms » du milliardaire breton et président de Bolloré Média, devient président du conseil de surveillance du groupe Canal+ ; Maxime Saada succède à Jean-Christophe Thiery comme président du directoire de ce même groupe Canal+. On fait croire au redressement. Pendant ce jeu de chaises musicales au « top management » de la chaîne du cinéma et du sport, Netflix gagne du terrain sur l’Hexagone. Dans Le Monde daté du 16 juin 2017, son PDG fondateur Reed Hastings déclare alors avoir dépassé les 1,5 million d’abonnés en France (4). Un an après, il y a un an donc, Netflix totalise 3,5 millions d’abonnés en France – avant de franchir début 2019 la barre des 5 millions d’abonnés, coiffant au poteau Canal+ France et ses 4,6 millions d’abonnés (hors bundle avec les opérateurs télécoms Free, Orange et Bouygues Telecom). Et comme pour enfoncer le clou, les 6 millions d’abonnés à Netflix ont été dépassés cet été. Alors même que Netflix a augmenté ses tarifs « multi-écrans » sur l’Hexagone depuis le 20 juin dernier (11,99 euros par mois pour deux écrans et 15,99 euros pour quatre écrans) – l’offre de base restant inchangée (7,99 euros pour un seul écran), au lieu de l’offre standard à 12,99 dollars outre-Atlantique. Ce traitement de faveur de Netflix envers le public français fait mal à Canal+ qui continue de perdre des abonnés à domicile : 167.000 en moins depuis le début de l’année au dernier relevé du 30 juin (dont -150.0000 en auto-distribués et -17.000 via les opérateurs télécoms). Le tout, assorti de la suppression contestée de plus de 500 postes.
Retournement de l’histoire : Canal+ a finalement pactisé avec son premier concurrent. A partir du 15 octobre prochain, la filiale de Vivendi commercialisera un pack « Ciné/Séries » au prix promotionnel de 15 euros supplémentaires par mois – soit un total de 35 euros par mois avec l’abonnement de base de Canal+ qui est obligatoire pour avoir cette offre « Canal+Netflix » (le pack passera ensuite à 39 euros). L’ancien monopole joue là son va-tout pour ne pas être « netflixé », comme d’autres secteurs ont été « ubérisés ». Mais comment ne pas voir dans cette alliance contre-nature une façon de manger à la table du diable avec une grand cuillère ? Si ce n’est faire entrer le loup dans la bergerie ! Le pack « Ciné/Séries » compte déjà 2 millions d’abonnés, tandis qu’ils sont par ailleurs 1 million en France à être abonnés simultanément à Canal+ et à Netflix. « La situation de Canal en France est celle d’une entreprise assiégée », a paradoxalement écrit Jean-Christophe Thiery dans une tribune parue dans Les Echos le 24 septembre dernier (5).

« Une concurrence forte et mondialisée »
En substance, le président du conseil de surveillance du groupe Canal+ impute plus la responsabilité de la déroute de l’ancien « monopole » sur « une concurrence forte et mondialisée, libre de toutes obligations vis-à-vis de la création française » que sur sa propre stratégie. Reste à savoir si son alliance avec son meilleur ennemi, Netflix, sera suffisante pour faire face aux autres nouveaux entrants que sont Amazon Prime Video et bientôt Disney+ (la major américaine étant partenaire en France de Canal+), Apple TV+, HBO Max, sans parler de BeIn. @

Charles de Laubier