En France, les contenus culturels génèreraient près de 1,3 milliard d’euros pour les acteurs du Net

Directement et indirectement, les contenus culturels participeraient jusqu’à 61 % des revenus des intermédiaires du numérique (moteurs de recherche, médias sociaux, bibliothèques personnelles, plateformes vidéo ou audio, agrégateurs
de contenus). Manque à gagner pour les industries culturelles ?

Le Groupement européen des sociétés d’auteurs et compositeurs (Gesac) – dont sont membres 32 sociétés d’auteurs européennes, parmi lesquelles la Sacem (musique), la Scam (multimédia) ou encore l’Agagp
(arts graphiques) en France, pour un total de 1 million d’auteurs et de créateurs représentés – a cherché à évaluer le « transfert de valeur » entre les industries culturelles et les acteurs du Net.

Impacts directs et indirects
Dans l’étude qu’elle a commanditée au cabinet Roland Berger et rendue publique
fin septembre, il ressort que les contenus culturels (musiques, films, livres, jeux vidéo, journaux, programmes télé, radios, arts visuels, …) contriburaient directement et indirectement à hauteur de 61 % du chiffre d’affaires global annuel (1) réalisés en France par les acteurs du Net (moteurs de recherche, médias sociaux, bibliothèques personnelles, plateformes vidéo ou audio, agrégateurs de contenus, …).
Cela représente sur l’année considérée près de 1,3 milliard d’euros, dont 23 % obtenus
« directement » et 38 % « indirectement » (voir tableau ci-dessous). L’impact direct désigne les revenus générés grâce à la monétisation ou le commerce en ligne des contenus culturels (B2C) ou aux revenus publicitaires générés par l’inventaire (les espace publicitaires disponibles) lié aux contenus culturels (B2B). Par exemple, selon Roland Berger, YouTube en profite directement dans la mesure où 66 % des vues vidéo en Europe (19 % pour la France) ont des contenus culturels, lesquels génèrent des revenus publicitaires. Pour Facebook, ce sont 51 % des contenus publiés ou partagés sur Facebook en Europe (39 % en France) qui sont liés aux contenus culturels. L’impact indirect, lui, correspond au rôle additionnel joué par les contenus culturels dans le modèle économique de l’intermédiaire de l’Internet (par exemple a d h é rence p o u r le s u t i l i s a teurs , développement de l’utilisation, …). Au niveau européen,
la proportion est quasiment la même – 62 % (23 % directement et 40 % indirectement) – mais porte cette fois sur un chiffre d’affaire global annuel de 21,9 milliards d’euros.

Le Gesac, présidé par Christophe Depreter (photo), directeur général de la Sabam
(la « Sacem » belge) et doté de trois vice-présidents parmi lesquels Jean-Noël Tronc (directeur général de la Sacem), a fait du « transfert de valeur » sont cheval de bataille – et de lobbying – auprès de la Commission européenne, laquelle a finalement fait un pas vers les industries culturelles en présentant le 14 septembre dernier un projet de réforme du droit d’auteur susceptible de remédier à ce value gap – ou perte de valeur – pour les ayants droits (2) (*) (**). « Contrairement aux fournisseurs d’accès, les plateformes en ligne ne rémunèrent pas ou très peu les créateurs pour l’exploitation
de leurs œuvres. (…) Ces plateformes revendiquent le statut de simples intermédiaires techniques (3) n’ayant aucune obligation de rémunérer les créateurs », affirme le Gesac. Dans son lobbying intensif à Bruxelles, elle-même basée à Bruxelles, cette organisation professionnelle exige que cette situation cesse. @

Charles de Laubier

Le projet de réforme européenne du droit d’auteur à l’heure du numérique fait des vagues en France

La Commission européenne a présenté, le 14 septembre, son projet de réforme du droit d’auteur pour le marché unique numérique. En France, les réactions sont moins épidermiques qu’attendu. Les lobbies sont maintenant à l’oeuvre avant le prochain débat au Parlement européen.

Le gouvernement français s’est dit satisfait que « la réforme [du droit d’auteur (1)] aborde l’enjeu essentiel du partage de la valeur entre les créateurs et les intermédiaires qui mettent massivement en ligne des œuvres protégées ». Mais la ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, et le secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, Harlem Désir, veulent « la clarification du statut de ces activités au regard du droit d’auteur, en particulier le droit de la communication au public et une responsabilisation appropriée de ces intermédiaires, en coopération avec les titulaires de droit ».

Désaccord sur la territorialité
Dans leur communiqué commun du 15 septembre, les deux ministres estiment qu’« il s’agit d’une occasion historique de mettre fin à une situation profondément inéquitable, et destructrice de valeur, aux dépens des auteurs, des artistes et du financement de la création ». Le gouvernement français apporte notamment son soutien à la proposition de création d’un droit voisin au profit des éditeurs de presse, afin de permettre à ces derniers de faire valoir leurs droits et ceux des journalistes dans les relations contractuelles avec les plateformes numériques et dans la lutte contre la contrefaçon. En revanche, le gouvernement émet des réserves sur « l’approche ciblée » de la Commission européenne en matière d’exception au droit d’auteur et demande « des améliorations et des clarifications pour mieux prendre en compte les intérêts légitimes des secteurs concernés ». Quant à la proposition européenne sur les œuvres indisponibles, elle devrait, selon les deux ministres, « mieux refléter la diversité des approches nationales, à l’image du dispositif français ».
Enfin, ils expriment « avec force leur désaccord avec l’extension du principe du pays d’origine à certains services en ligne des radiodiffuseurs », estimant que cela risque
de « fragiliser la territorialité des droits d’auteur, qui constitue (…) la clé de voûte de
la distribution et du financement de l’audiovisuel selon des modalités adaptées à la diversité des espaces culturels et linguistiques qui font la richesse de l’Union européenne et de sa culture ». S’il n’est plus question explicitement de licence paneuropéenne, la Commission européenne souhaite que le droit de diffusion audiovisuelle soit transfrontalier au sein du marché unique numérique. De leur côté,
les acteurs du Net – pour la plupart réunis en France au sein de l’Association des services Internet communautaires (Asic) – dénoncent ce projet de directive européenne sur le droit d’auteur qu’ils considèrent comme « un texte approximatif et bancal remettant en cause le modèle ouvert de l’Internet ». Représentant Google (et sa filiale YouTube), Dailymotion (Vivendi), PriceMinister (Rakuten), AOL et Yahoo (tous les deux détenus par Verizon (2)), ainsi que Facebook, Deezer (Access Industries (3)), Microsoft ou encore Allociné (Fimalac), l’Asic « exprime sa plus vive inquiétude sur les attaques qui sont faites à des principes fondamentaux de l’Internet ». Selon elle, le projet de directive sur le droit d’auteur « ébranle deux de ces principes » que sont les liens hypertextes caractéristiques du Web, d’une part, et le statut d’hébergeur, d’autre part.
Contre le premier principe, il est question d’instaurer un droit voisin pour les contenus numériques des journaux. « Les éditeurs de presse en ligne pourront demander rémunération pour l’utilisation – l’indexation, un court extrait, un partage sur un réseau social, etc. – de leurs contenus », déplorent les acteurs du Net. Contre le second principe, il est prévu que les intermédiaires doivent conclure des accords de licence
et prendre des mesures de protection des contenus grâce à des technologies de reconnaissance de contenu. « Le diable étant dans les détails, le texte ne s’arrête pas
à ce qui aujourd’hui a été mis en place volontairement depuis près de dix ans par les hébergeurs (…) comme Dailymotion et YouTube – à travers les contrats conclus en France avec la SACD (4), la Sacem (5), la Scam (6) et l’ADAGP (7)… et l’adoption de systèmes de reconnaissance de contenus type (Audible Magic, Signature ou Content ID…) – mais va plus loin et prévoit une obligation de “prévenir la disponibilité des contenus” sur ces plateformes. L’article 13 [du projet de loi de directive sur le droit d’auteur, ndlr] veut ainsi instaurer une obligation de monitoring et de filtrage pour ces plateformes en contradiction totale avec les principes de la directive e-commerce », dénonce l’Asic.

La bataille du statut
Les acteurs du Net reprochent à la Commission européenne d’ouvrir « une brèche » dans le statut de l’hébergeur. Ils entendent bien poursuivre les discussions devant le Parlement européenne et le Conseil de l’Union européenne pour que soit préservé ce statut qui leur assure une responsabilité allégée en cas de contrefaçon (lire aussi p. 3). « Les positions de la France (…) confirment les craintes de l’Asic », ajoute l’association française des acteurs du Net, présidée par Giuseppe de Martino, par ailleurs directeur général délégué de Dailymotion.

« Saborder »… : lapsus de la Cisac
Du côté des auteurs et des ayants droits, la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac) estime pour sa part que la réforme proposée va dans le bon sens : « L’ensemble de propositions sur le droit d’auteur en Europe (…) constitue un bon point de départ pour remédier à la situation inéquitable faite aux créateurs sur le marché numérique ». Mais l’organisation – regroupant 230 sociétés de gestion de droits d’auteur dans le monde et présidée par le musicien Jean-Michel Jarre – demande aux institutions européennes de « prendre d’autres mesures pour assurer une rémunération équitable et un meilleur avenir aux créateurs sur les réseaux numériques ». A noter au passage que dans la version française du communiqué de la Cisac publié le 14 septembre, il est écrit que la proposition de directive sur le droit d’auteur « saborde [sic] la question du transfert de valeur » – alors qu’il est dit dans la version originale en anglais « that tackles the issue of transfer of value », dans le sens « traite » ou « aborde »… Ce transfert de valeur, appelé value gap (ou perte de valeur), décrit la distorsion du marché créée par l’usage, par des intermédiaires en ligne, d’oeuvres protégées sans rémunérer convenablement leurs créateurs. « L’Europe a entendu l’appel de la communauté des créateurs et des sociétés d’auteurs pour une action urgente », se félicite Gadi Oron, directeur général de la Cisac, pour qui « la nouvelle proposition européenne reconnaît le rôle et les obligations des services en ligne sur
le marché numérique ». Son président, Jean-Michel Jarre, enfonce le clou : « La Commission européenne a fait un effort pour (…) remédier à la situation actuelle, inéquitable, du marché numérique. Des acteurs majeurs utilisent des oeuvres pour générer des profits colossaux sans rémunérer équitablement leurs créateurs » (8).

La Sacem, qui est membre de la Cisac au même titre que la SACD, la Scam, l’ADAGP ou encore la SGDL (9), prend en effet acte « du signal envoyé aux artistes et créateurs puisque ce texte contient des mesures intéressantes permettant de corriger le transfert de valeur dont profitent les nouveaux acteurs numériques au détriment des créateurs [et] de lutter en particulier contre l’irresponsabilité des intermédiaires techniques de l’Internet ». La SACD, elle, accueille le projet de réforme du droit d’auteur « avec circonspection », en constatant que « la Commission européenne semble avoir entendu la mobilisation en faveur du droit d’auteur de certains pays, dont la France, et des créateurs européens, légitimement inquiets face aux menaces évoquées en 2014 de remettre en cause la territorialité des droits ». Et de mettre en garde, en dramatisant quelque peu l’enjeu : « Parce que le financement de la création audiovisuelle et cinématographique est étroitement lié à la possibilité de maintenir des exclusivités territoriales, toute remise en cause profonde du droit d’auteur mettrait en danger la diversité de la création et menacerait le droit de créer ». La SACD, forte de plus de 58.500 auteurs associés, estime en outre que la Commission européenne ne va pas assez loin en termes d’obligation de transparence, dans le triptyque reddition des comptes-révision des contrats-règlement des conflits – « le triangle des Bermudes du droit des auteurs » ! La société de gestion collective propose d’y remédier en instaurant «un droit inaliénable à rémunération pour tous les auteurs européens afin que les créateurs puissent (…) percevoir une juste rémunération pour l’exploitation de leurs œuvres partout en Europe, notamment sur les services en ligne ».
Et pour accroître la disponibilité et la circulation des films et séries en Europe, elle préconise – tel que cela a été adopté en France dans la loi « Création » – de « mettre
à la charge de ceux qui détiennent les droits l’obligation de faire leurs meilleurs efforts pour assurer l’exploitation des œuvres ». Cette obligation d’exploitation suivie des œuvres permettrait d’enrichir l’offre légale et éventuellement d’enrayer le piratage
sur Internet. Globalement, écrit sur son blog Pascal Rogard, directeur général de la SACD, « la Commission européenne ne mérite ni excès d’honneur ni indignité , juste
la note moyenne qui convient à un exercice technocratique essayant de tenir un équilibre (…) ».
Quant à la Société civile des auteurs multimédia (Scam), qui gère les droits de plus de 38.100 associés, elle exprime son soulagement en constatant que « la réforme radicale annoncée à l’arrivée de la Commission Juncker semble enterrée et que les exceptions au droit d’auteur sont plus limitées que prévu » (10) (*) (**). Elle regrette cependant « le silence pesant (…) sur un droit [inaliénable, ndlr] à rémunération géré collectivement
par les sociétés pour les auteurs d’œuvres audiovisuelles utilisées en ligne », ce que défend depuis longtemps la Société des auteurs audiovisuels (SAA), laquelle s’est aussi dite déçue.

Neutralité technologique
Concernant le principe de neutralité technologique retenu pour les services de retransmission, c’est aux yeux de la Scam « une bonne chose », mais elle se demande pourquoi la Commission européenne « s’est-elle abstenue d’éclaircir une bonne fois pour toutes la notion de communication au public mise à mal par la Cour de Justice de l’Union ? ». Enfin, la Scam dirigée par Hervé Rony s’interroge sur l’opportunité de mettre en place un droit voisin des éditeurs de presse : « Il ne faudrait pas qu’il affaiblisse les droits des journalistes »… @

Charles de Laubier

Futur code européen des télécoms : les consommateurs risquent de le payer cher

Les opérateurs télécoms – historiques en tête – et les géants du Net – GAFA
en tête – pourraient être les premiers à bénéficier du nouveau « code des communications électroniques » présenté par la Commission européenne le
14 septembre. En revanche, pas sûr que les consommateurs s’y retrouvent.

Le nouveau projet de « Paquet télécom » que la Commission européenne a lancé mi-septembre ne peut pas être suspecté d’être « trop consumériste », tant il vise à encourager les opérateurs télécoms et fournisseurs d’accès à Internet (FAI)
à investir – quitte à co-investir – dans le très haut débit, en contrepartie d’une régulation allégée et censée être moins déséquilibrée par rapport aux acteurs de l’Internet et aux utilisateurs abonnés aux réseaux.

Co-investissement versus concurrence ?
Stimuler l’investissement ! Tel est le leitmotiv de Andrus Ansip (photo) et Günther Oettinger, respectivement vice-président de la Commission européenne pour le
Marché unique du numérique et commissaire européen pour l’Economie et la Société numériques. Il faut dire qu’environ 500 milliards d’euros d’investissements seront nécessaires en Europe sur les dix prochaines années pour espérer connecter tous les Européens à grande vitesse. « Ces montants devront largement provenir de sources privées. Toutefois, au vu des tendances actuelles en matière d’investissements, il y aura probablement un déficit d’investissements de 155 milliards d’euros », constatent déjà les deux commissaires. Le futur « code des communications électroniques » (1), qui ne sera pas adopté avant fin 2017 pour une transposition par les Etats membres d’ici 2020, va lâcher du lest en matière de régulation.
Mais cela risque de se faire au détriment des consommateurs, ce qui représente 315 millions d’Européens connectés. « Les actions visant à stimuler les investissements dans la bande passante ne peuvent pas se faire aux dépens des plus petits opérateurs [télécoms]. Aujourd’hui, plus que jamais, les consommateurs ont besoin que les opérateurs soient compétitifs sur le marché pour proposer des services innovants moins chers », a prévenu Monique Goyens, directrice générale du Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc), lequel compte plus d’une quarantaine de membres dont UFC-Que choisir et la CLCV (2) en France. Basé à Bruxelles, le Beuc
« craint que ces nouvelles règles affaiblissent la concurrence entre les fournisseurs de services de télécommunication ». Cela pourrait se traduire par une hausse des prix pour les consommateurs, voire une concentration des opérateurs télécoms, même si
la Commission européenne reste réticente aux passages de quatre à trois opérateurs (comme il en est question en France, par exemple). La Commission européenne cherche en outre à renforcer les droits des consommateurs. Les utilisateurs devraient en effet pouvoir, s’ils le désirent, changer d’opérateur télécoms et/ou de FAI, voire de plateforme numérique telle que WhatsApp (Facebook), Skype (Microsoft) ou encore Viber (Rakuten), selon leur choix et en bénéficiant de la portabilité du numéro. Les contrats triple play et quadrulple play ne pourront excéder deux ans. La Commission européenne a finalement répondu aux exigences des opérateurs télécoms jusqu’alors réticents à investir seuls dans les réseaux de fibre optique qu’empruntent les OTT (Over-The-Top) du Net. « Le code [des communications électroniques] n’appliquera
une réglementation au marché que lorsque l’intérêt de l’utilisateur final l’exige et que
les accords commerciaux entre opérateurs débouchent sur une situation non concurrentielle », tentent de rassurer la Commission européenne. Et de promettre en effet que « le nouveau code réduit nettement le degré de réglementation lorsque des opérateurs concurrents co-investissent dans des réseaux à très grande capacité et facilite la participation des petits acteurs aux projets d’investissement » (3). L’association ETNO (4) réunissant les opérateurs télécoms historiques – anciens monopoles d’Etat de télécommunications Orange (ex-France Télécom), Deutsche Telekom, Telefonica, Belgacom, Swisscom ou encore Telecom Italia – veut s’assurer que la nouvelle législation comportera « des incitations [à investir] pour les principaux investisseurs » et sera « inclusive et entièrement technologiquement neutre, avec le FTTH, le FTTC et le G.Fast [plus performante que le VDSL2 sur les lignes téléphonique, ndlr], contribuant à accélérer le déploiement de la 5G et à desservir le très haut débit aux consommateurs à travers l’Europe ».

Le rôle des régulateurs renforcé
La Commission européenne, elle, table d’ici à 2025 sur des débits d’au moins 100 Mbits/s pour l’ensemble des Européens et d’au moins 1 Gbit/s pour les entreprises,
les écoles ou encore les hôpitaux, ainsi que le déploiement de la 5G dans les zones urbaines. Quant à l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Orece, ou en anglais Berec (5)), dont le rôle sera renforcé, il organise
le 17 octobre prochain à Bruxelles un forum sur le projet de code des communications électroniques et lancera une consultation publique. @

Charles de Laubier

Le CSA se défend de vouloir être « le régulateur de l’Internet » mais veut le coréguler via conventions

Le CSA souhaite inciter les plateformes du Net à signer avec lui des
« conventions volontaires » par lesquelles une corégulation – sur fond d’engagements obligatoires – pourrait s’instaurer sur les services en ligne.
Par ailleurs, le CSA voit ses pouvoirs étendus au stockage de données.

« Dans le cadre de la loi, nous avons des pouvoirs de conventionnement : les chaînes de télévision et les radios qui sont soumises à notre sphère de régulation (… (1)) ne peuvent fonctionner que si elles ont signé leur convention. Vis à vis des partenaires à l’égard desquels nous n’avons aucun pouvoir reconnu par la loi, (…) nous sommes toujours prêts à nous engager dans une démarche conventionnelle. Mais encore faut-il que nous ayons des partenaires, y compris de la sphère de l’Internet, qui veuillent s’engager dans cette démarche », a expliqué Olivier Schrameck (photo), président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), lors d’un dîner-débat organisé le 26 mai dernier par le Club audiovisuel de
Paris (CAVP).

Conventions avec des acteurs du Net
Google/YouTube, Dailymotion, Facebook, Apple, Amazon et toutes les autres plateformes numériques ayant une dimension audiovisuelle échappent en effet à la régulation du CSA, dont les compétences sont limitées par la loi aux chaînes et aux radios diffusées par voie hertzienne terrestre. Pour pouvoir émettre, ces dernières
sont en effet tenues de signer une convention d’engagements – obligatoires – en contrepartie de l’autorisation d’usage de fréquences. Mais Olivier Schrameck souhaite élargir le spectre du conventionnement en faisant valoir la possibilité pour les autres acteurs, notamment les fournisseurs de contenus sur Internet, de signer avec le CSA des « conventions volontaires ». « Je suis persuadé qu’ils [les acteurs du Net, dont
les plateformes vidéo, ndlr] peuvent y avoir intérêt, car l’enracinement socioculturel
– pour ne pas parler de l’économique et du financier – que permet de sceller le conventionnement avec une autorité publique (dont j’aime à penser que la reconnaissance est établie dans notre pays), peut être un atout, y compris sur le plan commercial ». Le CSA table sur le fait que les acteurs du Web et des applications mobiles sont de plus en plus soucieux de leur image et de la confiance qu’ils inspirent localement auprès de leurs utilisateurs.
La jeune génération est d’ailleurs au coeur de la réflexion du gendarme des télécoms, lequel a fait état d’un sondage : 74 % des parents sont inquiets des risques pour l’éducation de leurs enfants que constituent les modes individualisés de visionnage des programmes sur la télévision mais surtout sur le Web et sur l’ensemble des réseaux sociaux – sur Internet en général. « Nous passons d’un mode de visionnage familial et commun à un mode de visionnage individuel et caché. Pour les parents, il y a un vrai problème d’attraction des mineurs vis à vis de programmes qui sont susceptibles de troubler leur psychisme. (…) C’est d’ailleurs pour cela que, dès 2013, je me suis permis de poser ce problème à la représentation nationale non pas du tout pour revendiquer des compétences supplémentaires pour le CSA, non pas pour faire du CSA “le régulateur de l’Internet” – Je le connais suffisamment pour savoir qu’il ne le supporterait pas, car c’est contraire à son état d’esprit –, mais pour encourager à cette démarche de corégulation, d’autorégulation », a encore insisté le président du CSA.

Pour l’heure, les plateformes du Net interviennent en ordre dispersé en appliquant leur propre règlement interne – des sortes de « polices privées » (dixit Olivier Schrameck) qui sont d’inspirations très différentes suivant l’entreprise concernée. « Or les devoirs que nous avons en matière d’éducation des mineurs sont les mêmes, quelle que soit l’origine de l’information qui leur est dispensée », fait-il remarquer. Et de faire part de son inquiétude : « Mais il reste un énorme problème, un énorme trou noir : nous savons parfaitement que les mineurs ont accès par un simple clic à des sites (web) qui sont susceptibles de les perturber profondément. Donc, il importe de se poser la question. L’Etat, qui ne peut pas tout faire, prend ses responsabilités en ce qui concerne la pédopornographie ou l’incitation aux attentats djihadistes. Il faut aller au-delà ».

Vers une corégulation de l’Internet
Devant le CAVP, le président du CSA s’est félicité de l’avant-projet de la directive européenne révisée sur les services de médias audiovisuels (SMA), censée réformer celle de 2010, car ce texte législatif – présenté par la Commission européenne le 25 mai (2) – invoque justement la corégulation dans ce domaine, voire une harmonisation des pratiques dans l’Union européenne, tout en appelant à une association de protection des mineurs qui puisse service d’intermédiaire. Il s’agit de l’Alliance pour une meilleure protection des mineurs en ligne, chargée d’élaborer un code déontologique pour protéger les mineurs des contenus préjudiciables tels que la pornographie et la violence, et tous les citoyens de l’incitation à la haine (3). « Plutôt que de s’en remettre à l’autorégulation, les autorités nationales de régulation de l’audiovisuel [comme le
CSA en France, ndlr] auront compétence pour faire respecter les règles, ce qui, selon
la législation nationale applicable, pourra aussi, éventuellement, donner lieu à des amendes », a expliqué la Commission européenne dans le cadre de son projet de nouvelle directive SMA.

Le CSA veut devenir « médiateur »
Le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA), composé de l’ensemble des vingt-huit autorités nationales de l’audiovisuel et viceprésidé depuis janvier par Olivier Schrameck, est désormais chargé d’évaluera
les codes déontologiques en matière de corégulation et de conseiller la Commission européenne en la matière.
En France, le président du CSA se dit « disponible » vis à vis des plateformes du Net,
« mais il ne s’impose pas – ni par la loi, ni par sa volonté », précise Olivier Schrameck. Il y a en outre aussi des producteurs audiovisuels ou cinématographiques qui souhaitent pouvoir garantir au public la protection des mineurs, par l’intermédiaire de conventions ou de labellisation. « Nous sommes là pour les y aider ».

Plus largement, le CSA ne veut pas être perçu comme « le protecteur attitré des éditeurs et des diffuseurs » de chaînes de télévision notamment. « Nous avons eu
le souci de faire la part à l’ensemble des partenaires incluant les producteurs et les distributeurs [de films ou de programmes] », a tenu à clarifier Olivier Schrameck devant le monde de l’audiovisuel du CAVP. « Le CSA souhaite être “La maison des médias”, des éditeurs et des diffuseurs comme des producteurs et des distributeurs », a-t-il insisté, tout en citant en exemple des accords que le CSA a pu obtenir entre les uns et les autres, comme celui entre les producteurs (de cinéma) et OCS (Orange Cinéma Séries), accord qui a influé sur l’accord entre les producteurs et Canal+.
Le gendarme de l’audiovisuel se voit plus aujourd’hui comme « un médiateur entre des intérêts non pas divergents mais complémentaires » dès lors qu’il s’agit de relations entre les producteurs et les diffuseurs, de numérotation des chaînes sur la TNT ou le câble, ou encore du problème tout nouveau du stockage des données (voir encadré ci-dessous). Ainsi, la mue du régulateur de l’audiovisuel est en cours : jusqu’alors sa raison d’être dépendait des fréquences hertziennes ; désormais le numérique lui pose une question existentielle. A défaut de devenir aussi régulateur du Net, la corégulation des services de médias audiovisuels lui donne de nouveaux pouvoirs. @

Charles de Laubier

ZOOM

Le CSA devient le régulateur du stockage de données
« Sur le stockage des données, qui n’est pas normalement dans nos compétences, nous avons évoqué ce problème auprès des parlementaires parce qu’il influe profondément sur les équilibres économiques et créatifs de l’audiovisuel. Résultat,
le Sénat vient de voter une disposition qui nous donne compétence en matière de règlement de différends sur le stockage des données », s’est félicité le 26 mai dernier Olivier Schrameck, le président du CSA, devant le Club audiovisuel de Paris (CAVP).

L’avant-veille de son intervention, le Sénat avait en effet adopté – dans le cadre du projet de loi « Création » attendu en commission mixte paritaire le 15 juin prochain
– un amendement du gouvernement.
Celui-ci dispose que (article 7 bis AA) « lorsqu’un distributeur d’un service de radio ou de télévision met à disposition un service de stockage (…), une convention conclue avec l’éditeur de ce service de radio ou de télévision définit préalablement les fonctionnalités de ce service de stockage ». En outre, il prévoit que « le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut être saisi par un éditeur ou un distributeur des services de tout différend relatif à la conclusion ou à l’exécution de [cette] convention ». Participant aux débats le 24 mai sur ce point au Sénat – dans le cadre de l’extension de la taxe « copie privée » aux services d’enregistrement numérique à distance dits nPVR, ou magnétoscopes numériques personnels en ligne (4) (*) (**) –, la ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, a conclu : « Je fais confiance aux partenaires pour développer des services innovants, dans une coexistence harmonieuse ».
Il s’agit notamment de « garantir que le développement des services de nPVR ne mettra pas en cause l’existence de l’offre télévisuelle traditionnelle ainsi que des services de télévision de rattrapage et de vidéo à la demande », et de prévenir d’éventuels risques de piratage. @

Jean-Michel Jarre et les GAFA : « Nous sommes des actionnaires virtuels de ces entreprises ! »

Réélu le 3 juin pour un second mandat à la présidence de la Cisac, regroupant 230 sociétés de gestion de droits d’auteur dans le monde, le musicien Jean-Michel Jarre appelle les GAFA a partager leur profit avec les créateurs et veut
une Convention de l’Unesco étendue à la protection des œuvres en ligne.

« Beaucoup d’artistes s’insurgent contre YouTube et les plateformes UGC (User Generated Content) qui génèrent non seulement des contenus mais aussi des profits, lesquels devraient être partagés avec les créateurs. En fait, nous sommes des actionnaires virtuels de ces entreprises ! Il y a un transfert de valeur entre ceux qui créent et ceux qui diffusent cette création », a lancé le 3 juin le compositeur et pionnier de la musique électronique Jean-Michel Jarre (photo).

Partage des contenus et… des revenus
C’était lors de l’assemblée générale de la Confédération internationale des droits d’auteurs et compositeurs (Cisac), dont il est président depuis 2013. Réélu ce jour-là pour un second mandat de trois ans, il a tenu à « rappeler à tous – des acteurs de l’audiovisuel traditionnel aux services numériques – que le partage ne porte pas seulement sur les contenus, mais que cela concerne aussi les revenus : partager les revenus avec les créateurs ». Il constate que les plateformes qui partagent la culture génèrent « des revenus substantiels », tandis que les consommateurs n’achètent plus de CD. Or, selon lui, les royalties provenant du streaming sont loin d’être suffisants pour rémunérer les musiciens : « Par exemple : 1 million de streams d’une chanson sur Pandora rapporte seulement 90 dollars à son auteur… ». Selon nos calculs, les droits d’auteur perçus par la Cisac dans le monde en 2015 devraient avoir franchi la barre
des 8 milliards d’euros – dont environ 650 millions d’euros de recettes provenant du numérique (1).
Jean-Michel Jarre s’est cependant défendu d’être en guerre contre les GAFA qu’il appelle à respecter les droits fondamentaux des droits des auteurs. Sinon, estime-t-il, cela écornera aussi leur image. « Je suis heureux de pouvoir contribuer à essayer… non pas de se battre contre les géants de l’Internet qui finalement ne sont pas nos ennemis… Ceux qui ont créé ces grandes idées sur Internet étaient des ados il y a
une quinzaine d’années ; ils ont fait des choses extraordinaires : ce sont des créateurs eux-mêmes. Ils ont inventé des choses qui sont devenus des monstres et ils ont été dépassés par ce qu’ils ont créé ». Et le président de la Cisac de poursuivre, à la fois confiant et inquiet : « Aujourd’hui, il faut que l’on invente avec eux un modèle économique qui soit bien pour les créateurs : ils ont besoins de nous comme on
a besoin d’eux. Je pense que cela va arriver ; je ne suis pas si pessimiste que cela :
ça va prendre du temps. (…) Nous sommes impatients ; nous aimerions que cela aille plus vite. On va donc se débrouiller pour faire avancer les choses au cours des trois prochaines années [de son nouveau mandat de président de la Cisac, ndlr] ». L’un des principaux leviers va être la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Signée à Paris il y a un peu plus de dix ans, en octobre 2005, elle fait actuellement l’objet d’une renégociation pour la compléter d’une « directive opérationnelle transversale » sur le numérique. La France essaie d’être moteur dans cette démarche, comme l’illustre la proposition qu’elle a élaborée à l’automne dernier avec le Canada, rejoints par la Belgique (2). L’un de ses trois axes prône des politiques publiques « adaptées à l’écosystème numérique » : financement de la création, accessibilité des contenus culturels, répartition équitable de la valeur ajoutée, protection des droits des créateurs, promotion des offres légales, ou encore meilleures indexation et reconnaissance des contenus (3). Reçue à Matignon le 1er juin dernier par le Premier ministre Manuel Valls, une délégation de la Cisac conduite par Jean-Michel Jarre a eu l’assurance que « la France prendrait les initiatives qui s’imposent » – en particulier sur la question du transfert de valeur sur Internet et la promotion de « solutions mondiales essentielles à la juste rémunération des artistes comme la copie privée et le droit de suite ». Alors que la Cisac fête ses 90 ans, Manuel Valls a mis du baume au cœur des ayants droit : « Le combat en faveur des droits d’auteur est essentiel pour protéger la création. (…) La France, qui a été pionnière dans la construction du droit d’auteur, restera à l’avant-garde de sa modernisation ». Le président de la Cisac ne dit pas autre chose lors de l’AG du 3 juin : « Face à Internet, les droits d’auteur devront s’ajuster et s’adapter à ces changements sismiques. La gestion collective continuera d’être le fondement pour les créateurs. Oui, nous allons devoir nous adapter ».

Copie privée « technologiquement neutre » ?
Quant à Eric Baptiste, président du conseil d’administration de la Cisac, il a insisté sur le système de rémunération de la copie privée « qui doit être rendue technologiquement neutre partout dans le monde ». Et de lancer : « Il est important aujourd’hui de corriger le transfert de valeur qui avantage outrageusement certains grands acteurs de l’univers numérique ». @

Charles de Laubier