Droit d’auteur : industries culturelles et audiovisuelles appelées à s’adapter au numérique sans frontières

La Commission européenne a présenté le 14 septembre une directive réformant le droit d’auteur à l’heure du numérique et un règlement audiovisuel. De leur mise en oeuvre dépendra la création d’un vrai marché unique numérique en Europe, et d’une nécessaire diversité culturelle.

Deux directives européennes vont actuellement l’objet chacune d’une réforme pour adapter respectivement le droit d’auteur et la diffusion audiovisuelle au marché unique numérique. Il s’agit des directives dites « DADVSI » de 2001 (1) et « CabSat » de 1993 (2). Dans les deux cas, le but est de réduire les différences entre les régimes de droit d’auteur nationaux, tout en favorisant l’accès le plus large aux contenus culturels et audiovisuels sur le Vieux Continent. C’est d’ailleurs l’objectif de la stratégie numérique que la Commission européenne avait présentée en mai 2015.

Meilleure circulation des œuvres
La première pierre à l’édifice du marché unique numérique a été, en décembre dernier, la proposition de règlement sur la portabilité transfrontalière des contenus pour les Européens – abonnés à services en ligne ou ayant payé des contenus – qui sont amenés à voyager à travers les Vingt-huit. Objectif : assurer une meilleure circulation des œuvres soumises à une protection de droit d’auteur (copyright) dans l’Union européenne. La Commission européenne entend ainsi – dans le digital – centrer son action sur la distribution par delà les frontières des programmes de télévision et de radio, mais aussi sur les licences des œuvres audiovisuelles pour les plateformes de vidéo à la demande (VOD), ainsi que sur la mise à disposition des œuvres créatives non marchandes. • La première de ces avancées consiste à établir de nouvelles règles dans la distribution en ligne et transfrontalière de programmes de télévision ou de radio, en s’inspirant de celles existantes dans la directive « Câble et satellite ». Et ce, afin que l’affranchissement des droits (autorisation en matière de droit d’auteur) se fasse plus simplement et plus rapidement en faveur des services en ligne, des éditeurs audiovisuels, des services IPTV des fournisseurs d’accès à Internet ou encore des services de retransmission de type agrégateurs de contenus par exemple. In fine, le projet de règlement audiovisuel proposé (3) vise à privilégier le choix des consommateurs, propager dans les Etats membres les productions d’origine européenne et favoriser la diversité culturelle. Sur ce dernier point, la « diversité culturelle » encouragée à l’échelon européen se le dispute à « l’exception culturelle » défendue par certaines nations. Un soutien accru sera par ailleurs apporté au sous-titrages et au doublage des films européens, via le fonds Creative Europe (exprogrammes exprogrammes Media et Culture) et d’ici la fin de l’année un outils en ligne en concertation avec les « CNC » européens.
• La seconde avancée porte sur de nouvelles règles sur le droit d’auteur en réformant la directive DADVSI adaptée à la société de l’information d’il y a quinze ans pour obtenir une nouvelle législation en concordance avec l’ambition du marché unique numérique (4). Là aussi, même objectif : améliorer la disponibilité des œuvres audiovisuelles en ligne à travers l’Europe et faciliter l’accès transfrontalier à ce patrimoine culturel. Cette fois, ce sont les services de VOD qui pourraient bénéficier de cette nouvelle directive sur le droit d’auteur pour le marché unique numérique, en ayant accès à plus d’œuvres issues des catalogues des producteurs audiovisuels et cinématographiques.
Ce qui suppose pour les éditeurs de services de VOD (à l’acte) et de SVOD (par abonnement) de meilleures conditions de négociation avec les ayants droits, afin d’obtenir facilement et à des prix raisonnables des films, des séries ou encore des documentaires. Il est en outre proposé d’accroître la disponibilité et la visibilité des œuvres audiovisuelles européennes dans le cadre du programme de Creative Europe. C’est là aussi qu’intervient le projet de nouvelle directive dite SMAd, pour services de médias audiovisuels à la demande, que la Commission européenne a présenté le 25 mai dernier (5) pour réformer celle datant de 2010. Objectif : renforcer les exigences de promotion des œuvres européennes audiovisuelles sur les plateformes de VOD, tout en assurant leur visibilité, leur circulation et leur consommation. L’agrégation de catalogues de films pour les plateformes en ligne sera encouragée. Cette réforme vise aussi à faciliter l’octroi des droits de distribution et de diffusion (licences), et à aller audelà de l’obligation pour les SMAd de type YouTube, Netflix, Amazon Prime Video ou encore iTunes d’Apple de garantir une part d’au moins 20 % de contenus européens dans leurs catalogues vidéo (6).

Projets créatifs transnationaux
• La troisième avancée se focalise, elle, sur les œuvres audiovisuelles qui ne relèvent pas du secteur marchant mais qui gagneraient à être mis à disposition des créateurs. Il est alors question là aussi de faciliter les licences pour numériser, si ce n’est pas déjà fait, et diffuser ces artefacts culturels pour qu’ils puissant être montrés sur différents canaux de diffusion (salles de cinéma, VOD, catch up TV, chaînes de télévision, …).
La Commission européenne compte ainsi favoriser l’émergence de projets créatifs transnationaux et faciliter l’exploitation non commerciale des droits des films européens, notamment par le secteur de l’éducation (dans les écoles par exemple), les bibliothèques publiques, ou encore des lieux différents des salles de spectacles (comme les hôpitaux). Le fonds d’aide de Creative Europe sera aussi mis à contribution. En concertation avec les « CNC » européens (7), la Commission européenne envisage en outre la création en 2017 d’un catalogue de films européens pour des usages éducatifs (8).

Exceptions au droit d’auteur obligatoires
On pourra regretter que la chronologie des médias, qui régit la sortie des nouveaux films à partir du monopole de diffusion dont bénéficie les salles de cinéma, ne fasse pas partie de la réforme. La Commission européenne a néanmoins prévu d’engager jusqu’à fin 2018 un dialogue avec toute la filière – producteurs de films, salles de cinéma, télévisions, services de VOD, etc. – afin d’identifier les obstacles à l’essor des services de VOD (dont la rigidité des fenêtres de diffusion fait partie), rationaliser l’octroi de licence (9) et explorer des modèles alternatifs de financement, de production et de distribution élargie. Et ce, toujours avec le soutien de Creative Europe qui a déjà subventionné des initiatives de simultanéité salles-VOD telles que les projets Tide
en 2012 et Spide en 2014 de l’ARP (10).
Dans sa réforme à l’heure du numérique sans frontières, la Commission européenne prévoit des exceptions au droit d’auteur, lesquelles permettent d’utiliser des œuvres protégées sans avoir à demander l’autorisation aux ayants droits. Partant du constat que la plupart des exceptions prévues par la législation européenne sont actuellement optionnelles et qu’elles n’ont pas de portée transfrontalière, l’exécutif européen estime qu’il faut les réévaluer à la lumière des nouvelles technologies. Car, à ses yeux, la situation actuelle freine l’innovation dans l’éducation, la recherche ou encore la sauvegarde du patrimoine culturel. Les mesures législatives proposées ont pour but d’introduire d’introduire de nouvelles exceptions obligatoires dans ces domaines-là, ainsi que pour les personnes malvoyantes or aveugles. Sur ce point, l’Europe veut se mettre en conformité avec le traité international dit de Marrakech signé le 27 juin 2013 sous l’égide de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Un projet de nouvelle directive européenne (11) allant dans ce sens viendra amender la directive DADVSI, tandis qu’un projet de règlement européen (12) entend garantir les exceptions au droit d’auteur et l’adoption de format d’échange accessibles au sein des Etats membres ainsi qu’avec des pays tiers.
Le projet de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique apportera ainsi une sécurité juridique pour l’utilisation de contenus protégés par le droit d’auteur lorsqu’il s’agit de les utiliser lors d’activités dans l’enseignement, y compris à travers plusieurs pays d’Europe, ainsi que pour le text and data mining (TDM) – autrement dit l’exploration de données ou d’œuvres audiovisuelles, voire graphiques, à des fins de recherche scientifique (article 3), si ce n’est pour la sauvegarde du patrimoine culturel. D’autres exceptions pourraient autoriser les librairies et d’autres organismes à permettre la consultation à l’écran d’œuvres à des fins d’étude ou de recherche. La Commission européenne recommande aussi à tous les Etats membres d’instaurer des exceptions ou de limiter le droit d’auteur lorsqu’il s’agit d’architectures ou de sculptures dans l’espace public (exception « panorama ») – comme certains pays l’ont déjà fait. Autre nouvelle disposition prévue dans le projet de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique : donner plus de pouvoir de négociation aux éditeurs de presse vis à vis des services en ligne qui donnent accès à leurs contenus (Google News, par exemple), en leur accordant un droit voisin valable 20 ans à partir de la date de première publication (article 11), ainsi qu’aux ayants droits (musiciens, réalisateurs, auteurs, journalistes, …) pour mieux être rémunérés et bénéficier de plus de transparence (de la part de YouTube ou Dailymotion, par exemple) sur les recettes de leurs œuvres mises en ligne. @

Charles de Laubier

ZOOM

Piratage : la Commission européenne veut responsabiliser les acteurs du Net
Les différentes mesures prévues dans le projet de directive sur le droit d’auteur dans
le marché unique numérique seront complétées par le renforcement de la protection de la propriété intellectuelle contre le piratage des œuvres sur Internet, la Commission européenne étant décidée à mettre en place le mécanisme d’auto-régulation appelé
« follow-themoney » afin de tarir financièrement les sites web pirates. Cela suppose que les acteurs du Net (moteurs de recherche, plateformes Internet, réseaux sociaux, …), identifiés comme « intermédiaires » mais restant considérés comme non responsables de par leur statut d’hébergeurs (à moins d’avoir « un rôle actif »), prennent des « mesures appropriées et proportionnées » (articles 13) avec notamment des « technologies d’identification de contenus » (comme Content ID de YouTube). Ils sont en outre appelés à signer le Memorandum of Understanding (MoU) du 21 juin 2016 sur la vente en ligne des biens contrefaits (13). D’autres MoU de ce type seront soumis à l’avenir à la signature des professionnels de la publicité en ligne, des systèmes de e-paiement et des services de transport. La Commission européenne préconise aussi d’harmoniser les législations nationales et l’arsenal judiciaire contre le piratage. @