A quoi va servir le futur médiateur de la musique ?

En fait. Le 15 juin dernier, s’est réunie la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi « Création », lequel a ensuite été approuvé par les députés le 21 juin. Parmi les mesures-phares : l’instauration d’un « Médiateur de la musique », à l’instar du Médiateur du cinéma ou de celui du livre.

En clair. Le texte de loi sera définitivement adopté le 29 juin prochain au Sénat. Fleur Pellerin en a rêvé ; Audrey Azoulay va le faire. Le Médiateur de la musique, qui sera désigné par la ministre de la Culture et de la Communication, va être nommé une fois que la loi « Liberté de création, architecture et patrimoine » sera promulguée et suivie d’un décret « Médiateur de la musique » à publier au Journal Officiel. Ce médiateur sera chargé d’« une mission de conciliation pour tout litige » entre les artistes-interprètes, les producteurs de musique et les plateformes numériques telles que Spotify, Deezer, Apple Music ou encore YouTube. En cas de désaccord ou de conflit,
le Médiateur de la musique pourra être saisi par tout artiste-interprète, producteur, organisation professionnelle ou syndicale, ainsi que par le ministère de la Culture et
de la Communication. Après un premier principe de « liberté de création » que consacre cette loi, le seconde principe est de « créer un écosystème favorable aux artistes et à la création ». C’est dans ce cadre qu’est institué un Médiateur de la musique. « Il contribuera à la résolution des conflits au sein de la filière : ces conflits sont inévitables, même structurels, mais je crois à la possibilité de les résoudre par les vertus de la conciliation », a assuré la ministre de la Culture et de la Communication lors de son intervention à Cannes le 4 juin dernier au 50e Midem (1). Mais pour déminer le terrain avant la nomination de ce Médiateur de la musique, elle a confié à deux inspecteurs généraux des Affaires culturelles – Serge Kancel et Isabelle Maréchal – le soin d’aboutir avec la filière musicale à « la signature d’un code des usages, susceptible d’améliorer leurs relations contractuelles » et leur transparence « comme cela a été le cas dans le domaine du livre ».
Autrement dit : une mission de médiation pour faciliter le travail du Médiateur de la musique. Celui-ci aura un pouvoir d’investigation « sans que puisse lui être opposé le secret des affaires » et d’audition. Il pourra en outre saisir – en « procédure d’urgence » si besoin était – l’Autorité de la concurrence, laquelle peut également saisir le Médiateur de la musique. A l’instar du Médiateur du livre par exemple (2), il devrait faire des propositions législatives ou réglementaires au ministère de la rue de Valois, même si le Sénat a supprimé du texte cette dimension-là… @

Göran Marby devra amener l’Icann, dont il est PDG depuis mai, à s’émanciper des Etats-Unis

En mai, le Suédois Göran Marby a succédé à l’Egypto-libano-américain Fadi Chehadé au poste de PDG de l’Icann, l’organisation chargée de l’attribution des noms de domaine sur Internet. Le 9 juin, Washington a approuvé le plan de sortie – d’ici le 30 septembre prochain – de la tutelle des Etats-Unis.

Il a quitté Stockholm en Suède, où il était directeur général de l’Arcep suédoise, pour s’installer avec sa famille à Los Angeles aux Etats- Unis, où il est depuis mai dernier PDG de l’Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers). Göran Marby (photo) succède ainsi à Fadi Chehadé, lequel avait commencé à engager le processus d’émancipation de la tutelle américaine pour cette autorité de régulation de l’Internet chargée historiquement de superviser l’attribution les noms de domaine dans le monde. Née en 1998, cette société de droit californien, sans but lucratif et reconnue d’utilité publique doit en effet couper le cordon ombilical avec les Etats-Unis pour devenir à partir du 30 septembre prochain une organisation indépendante et à gouvernance multilatérale – comprenez mondiale. Sous la pression internationale, Washington a accepté en 2014 la perspective de passer le flambeau. Göran Marby
a désormais la lourde tâche de mettre en oeuvre ce transfert de fonctions assurées jusqu’alors sous la tutelle du gouvernement fédéral américain, dont l’allocation et le maintien des codes et systèmes de numérotation uniques de l’Internet tels que les adresses IP – fonctions historiques qu’assurait l’Iana (1), alias l’administration américaine.

Vers une gouvernance enfin mondiale de l’Internet
Durant ce basculement administratif du Net, il s’agit ni plus ni moins de préserver la sécurité, la stabilité et l’interopérabilité de l’Internet, son existence même. « L’Icann ne contrôle pas le contenu publié sur Internet. Elle ne peut pas mettre fin au spam et ne gère non plus l’accès à Internet. Mais grâce à son rôle de coordination du système d’attribution de noms sur l’Internet, elle exerce une influence non négligeable sur le développement et l’évolution de l’Internet », tient à préciser cette organisation en pleine transition.

L’année 2016 sera-t-elle l’an I de la gouvernance mondiale de l’Internet ? Jusqu’alors, un contrat liait l’Icann et le Département américain du Commerce (DoC), via son agence NTIA (2). Le transfert aurait dû initialement intervenir au 30 septembre 2015, mais les résistances parlementaires ont été fortes aux Etats-Unis pour retarder le processus devant aboutir une organisation non gouvernementale et multipartite. Résultat : l’expiration du contrat avec l’Iana a été repoussé d’un an, au 30 septembre prochain.

Le monopole de l’Icann contesté
Le nouvel Icann devra fonctionner sous une gouvernance partagée entre gouvernements, entreprises, universités et société civile – « la communauté Internet » –, en évitant de passer sous le contrôle des Etats. « Chacun des acteurs de l’Internet peut faire entendre sa voix dans le développement de cette nouvelle structure de supervision », avait assuré Fadi Chehadé, dans une interview à La Tribune (3). Le compte à rebours a commencé : le 9 juin dernier, Lawrence Strickling, secrétaire adjoint du DoC, a écrit une lettre à l’Icann (4) pour lui signifier que sa proposition de plan de transition était acceptée par la NTIA, mais qu’« il y a encore beaucoup à faire avant que la transition des fonctions de l’Iana puisse intervenir ». Göran Marby a donc jusqu’au
12 août prochain pour fournir à l’administration américaine « un rapport sur le planning d’implémentation ». Il s’agit aussi d’assurer la continuité avec Verisign. Cette société privée américaine, basée à Reston dans l’État de Virginie, est chargée de diffuser sur les treize serveurs dits « racines » du Net présents dans le monde (pour que le Web fonctionne) toutes les modifications et mises à jour de la « zone racine » : le cœur du Net.
Avant de laisser l’Icann s’émanciper, les Etats-Unis maintiennent la pression sur l’organisation qu’ils entendent bien garder sous surveillance pour s’assurer que sa gouvernance se fera bien par la communauté Internet et non par les pays. La fin de
la tutelle américaine a été précipitées après l’affaire Snowden – du nom de l’ancien collaborateur informatique de la CIA et de la NSA qui a révélé mi-2013 l’espionnage mondial pratiqué illégalement par les États-Unis.
Les près de 3,5 milliards d’internautes dans le monde apprécieront une Icann dont le conseil d’administration de 16 membres représentant les grandes régions du monde
– Europe, Afrique, Asie-Pacifique, Amérique Latine, Amérique du Nord – devra faire preuve d’indépendance et d’intégrité en tant que corégulateur de l’Internet. Reste à savoir si l’Icann changera de nom à l’avenir, ce qui n’est pas envisagé à ce jour, et si le siège social de l’organisation sera déplacé de la Californie vers un pays plus… neutre (la Suisse ?). La communauté Internet impliquée dans la gouvernance de l’Icann devrait être dotée un droit de veto sur les décisions du conseil d’administration de l’Icann. Mais ce pouvoir est contesté par certains membres du conseil. Göran Marby devra réconcilier les deux parties cet été, sinon tout désaccord risque de provoquer l’échec
de la transition historique. Reste que le rôle central que joue l’Icann dans l’ordonnancement du réseau des réseaux est contesté. « Serait-il acceptable que les Etats-Unis gèrent l’annuaire mondial de tous les abonnés au téléphone ? Le monopole de l’Icann est une sorte de racket financier, curieusement toléré par les Etats (sauf la Chine) », s’insurge le Français Louis Pouzin, le cofondateur de l’Internet avec l’Américain Vinton Cerf (5). Il propose une alternative au modèle de location de l’Icann : Open-Root. Ses clients achètent des extensions (« registres ») dont ils deviennent propriétaires ; ils peuvent alors créer gratuitement les domaines de leur choix.

L’entrée en fonction de l’Européen suédois à la tête de l’Icann intervient au moment
où les nouveaux noms de domaine génériques de premier niveau viennent juste de dépasser fin mai le nombre de 1.000 « délégations », désormais en ligne sur Internet, sur un total de près de 1.300 acquis. Dans le jargon de l’Icann, ce sont des « new
gTLD » (new Generic Top Level Domain) lancés par appel à candidature en 2012 et associés à une ville (.paris, …), à un secteur (.music, …), une communauté (.gay, …),
ou encore à une marque (.netflix, …). Ce que l’Icann appelle des « biens immobiliers virtuels ».
Ces nouveaux noms de domaines génériques – appelés aussi les « not-coms » (6) (*) (**) pour les distinguer « dot-com » ou « .com» les plus utilisés sur la Toile – sont bien plus coûteux que les DNS (Domain Name System) historiques de l’Internet que sont les
« .com», « .org » et autres « .fr ». « L’expansion du système des noms de domaine, avec plus de 1000 gTLD, permet aux communautés, aux villes et aux marques de rapprocher leur identité numérique de leur identité réelle », explique l’Icann. Mais le ticket d’entrée de 185.000 dollars reste (trop) élevé. Et cela ne va pas sans poser de sérieux problèmes de territorialité et de propriété intellectuelle : fin 2014, la France avait par exemple menacé de quitter l’Icann car elle contestait l’attribution des nouvelles extensions de domaine telles que le « .vin » ou « .wine » sujets, selon elle, à abus au détriment des régions viticoles françaises (7).

Des domaines génériques inactifs
En outre, de nombreuses entreprises ont protégé leur nom et/ou leur marque en acquérant leur nouvelle extension générique mais sans jamais l’activer sur Internet (absence de la zone racine). Chaque détenteur d’une nouvelle extension a pourtant douze mois pour l’activer sur Internet, les premières échéances pour 200 d’entre elles intervenant cet été. A défaut, leur contrat sera résilié et ils perdront leur extension. @

Charles de Laubier

Concentration : la Commission européenne tente de faire barrage à la consolidation du secteur mobile

La Commission européenne a interdit, le 11 mai, l’offre d’achat de l’opérateur Three (filiale du Hutchison Whampoa) sur O2 (filiale de Telefonica), estimant
que cette concentration sur le marché britannique du mobile aurait des conséquences néfastes sur la concurrence et les prix aux consommateurs.

Par Katia Duhamel, expert en droit et régulation des TICs

En octobre dernier, la Commission européenne avait décidé d’ouvrir une enquête approfondie, en vertu du règlement
de l’Union européenne sur les concentrations (1), afin de déterminer si le projet de rachat de Telefónica UK par Hutchison nuirait à la concurrence. Dès cette étape de la procédure, les motifs de préoccupation invoqués par Bruxelles étaient le risque de voir les prix augmenter pour le public, l’offre se réduire et l’innovation ralentir au détriment des consommateurs au Royaume-Uni. De facto, la décision européenne finale de bloquer l’opération d’acquisition envisagée par Hutchison n’est pas une surprise.

Contre un retour en arrière
En septembre 2015 déjà, TeliaSonera et Telenor avaient renoncé à fusionner leurs filiales danoises, les autorités européennes ayant fait savoir qu’elles souhaitaient le maintien de quatre opérateurs mobiles dans ce pays. De même, l’autorité de régulation britannique Ofcom a, bien avant la décision de la Commission européenne, exprimé ses doutes et ses craintes de voir le nombre d’opérateurs passer de quatre à trois. Sharon White, la directrice de l’Ofcom, déclarait ainsi qu’une consolidation risquait d’entraîner une hausse de prix : « Le Royaume-Uni pourrait se retrouver avec un marché plus concentré conduisant à des prix plus élevés et une réduction du choix
des consommateurs, sans pour autant bénéficier du coup de pouce promis [par les opérateurs] à l’investissement et à l’innovation » (2). De même, interrogé par la Commission des affaires économiques du Sénat, le président l’Arcep, Sébastien Soriano, avait considéré que le mariage alors envisagé de Bouygues Telecom et d’Orange serait un « retour en arrière » pour le secteur (3).
L’opération envisagée associait Telefónica UK (O2), deuxième plus grand opérateur
de réseau mobile au Royaume-Uni, à Three UK, filiale de Hutchison et quatrième opérateur de réseau mobile sur ce même marché. Elle aurait créé le plus gros opérateur de réseau mobile en Grande-Bretagne face aux deux autres opérateurs
de réseaux mobiles, à savoir Vodafone et Everything Everywhere (EE), appartenant à BT. L’opération a été soumise à la Commission européenne du fait de sa « dimension communautaire » en vertu des seuils de chiffre d’affaires prévus par l’article 1 du règlement communautaire sur les concentrations. Notons toutefois que le même article 1 prévoit ce qu’il est convenu d’appeler « l’exception des deux tiers » : c’est-à-dire dans le cas où chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre d’affaires total dans l’Union européenne à l’intérieur d’un seul et même Etat membre, exception qui a permis que l’opération du rachat de SFR par le groupe Altice soit notifiée à l’Autorité de concurrence française et non à la Commission européenne.
Il en aurait été sans doute de même pour l’opération avortée du rachat de Bouygues Telecom par Orange, car il semble que ce dernier, depuis la cession de ses participations dans EE et, en dépit de l’acquisition de l’espagnol Jazztel l’année dernière, réaliserait plus des deux tiers de son chiffre d’affaires en France (4).

Dans le cas du projet de rachat d’O2 par Three UK, la dimension communautaire de l’opération ne faisait guère de doute au regard de l’appartenance des deux sociétés à des groupes dont la taille et la présence à l’international sont considérables. De ce point de vue, le marché français est assez atypique avec quatre opérateurs dont la plus grande part de l’activité mobile se concentre en France.
C’est ainsi que l’opération a été notifiée à la Commission européenne le 11 septembre 2015. A compter de cette date celle-ci disposait d’un délai de 25 jours ouvrables pour décider d’autoriser cette l’opération (phase I) ou d’ouvrir une enquête approfondie (phase II).

Risque sur l’infrastructure mobile
Le 30 octobre 2015, elle décidait d’aller au-delà d’un examen de routine et de passer
à la phase II de l’enquête au regard d’un certain nombre de préoccupations liées aux caractéristiques du marché britannique et aux risques attendus d’une baisse de la pression concurrentielle. Au préalable, la Commission européenne a pris le soin de noter que le projet de rachat d’O2 par Hutchison diffère sensiblement des opérations précédentes réalisées en Autriche, au Danemark, en Irlande et en Allemagne bien qu’elles aient aussi fait passer le nombre d’opérateurs de réseau mobile de quatre à trois. Elle souligne en particulier que l’entité issue de la concentration O2/Three aurait été liée à des accords de partage de réseau avec les deux opérateurs de réseau restants, EE et Vodafone. A ce titre, le projet de rachat aurait eu une incidence sur l’ensemble de l’infrastructure mobile au Royaume- Uni avec le risque de freiner le développement de nouveaux réseaux, notamment en ce qui concerne le déploiement de la 5G, au détriment des consommateurs et des entreprises.

Coup dur pour l’Europe ?
Hormis cet argument, le raisonnement de la Commission européenne reprend les risques classiques liés à une consolidation entre concurrents sur un même marché :

• Ensemble, Three et O2 auraient été leaders sur le marché, avec une part de plus de 40 %. Ils auraient donc eu un intérêt bien moindre à concurrencer Vodafone et EE

• Or, l’exercice d’une concurrence effective sur les marchés des télécommunications stimule l’investissement alors qu’a contrario « passer de quatre à trois opérateurs de réseau mobile sur un marché national dans l’UE peut entraîner une hausse des prix pour les consommateurs, sans favoriser une croissance des investissements par abonné ». De surcroît, les opérateurs peuvent partager leurs réseaux, ce qui est le
cas au Royaume-Uni, et donc partager les coûts de déploiement sans avoir à les consolider.

• A l’issue de l’opération, le choix et la qualité des services s’en seraient trouvés réduits pour les consommateurs britanniques.

• Les gains d’efficacité mis en avant par Hutchison ne compensent pas le préjudice causé aux consommateurs, lequel serait apparu immédiatement après l’opération,
du fait de la perte de concurrence sur le marché alors que les synergies potentielles invoquées par les parties au projet de fusion n’auraient commencé à produire leurs effets qu’au bout de plusieurs années.

Enfin, l’exécutif européen a expliqué que les concessions proposées par le groupe de Hong Kong étaient insuffisantes pour régler les questions de concurrence. Hutchison avait en effet proposé de laisser les concurrents Virgin Media et Tesco Mobile accéder au réseau du groupe qui aurait émergé de la fusion. Il s’agit d’un coup dur pour les espoirs de consolidation des opérateurs européens. C’est la seconde fois que la Commission européenne s’oppose à une consolidation dans le secteur des télécommunications après le rapprochement avorté entre TeliaSonera et Telenor, ce
qui augure mal du succès de l’autre projet de fusion envisagé par Hutchison entre sa filiale italienne avec celle de Vimpelcom, qui fait l’objet d’une enquête approfondie. De manière plus générale, la Commission européenne ne semble guère encline à céder aux sirènes des opérateurs télécoms selon lesquels les fusions sont nécessaires pour stimuler l’investissement dans des réseaux toujours plus performants. Ils plaident donc pour un assouplissement des règles anti-trust afin de pousser à la consolidation sur un marché jugé trop fragmenté. Pour l’exécutif européen, c’est au contraire une concurrence saine qui reste la première source d’innovation.
Il n’est pas improbable que les positions bruxelloises ou des positions sans doute similaires de l’Autorité de la concurrence française aient joué un rôle dans l’échec de
la transaction envisagée entre les opérateurs Bouygues Telecom et Orange en France. Il faut noter au demeurant que, même si ce point n’a pas été au coeur des discussions entre Orange et Bouygues, l’accord existant de partage de réseau mobile entre SFR et Bouygues Telecom, aurait posé problème à l’Autorité de la concurrence en donnant à Orange, en cas de rapprochement avec Bouygues, une visibilité sur le plan de réseau de SFR.
La même frilosité des autorités de la concurrence à voir disparaître un opérateur sur le marché a précédemment donné un avantage à Altice sur Free pour le rachat de SFR.

Frilosité versus consolidation
Est-ce que cette frilosité va perdurer ? Sera-t-elle suffisante pour endiguer le cycle de consolidation qui a déjà été observé dans le fixe ? Rien n’est moins certain. Et ce, alors que des investissements accrus sont nécessaires pour faire face à la croissance du trafic de données, à la diminution drastique des revenus de la voix concurrencée par des applications telles que Skype ou Viber, ainsi qu’à l’extraordinaire succès des géants de l’Internet.
Dans une industrie de réseau où des économies d’échelle du côté de l’offre et des externalités de réseau du côté de la demande favorisent la concentration des acteurs, l’histoire nous a habitués aux retours du balancier qui oscille d’un marché atomistique foisonnant d’acteurs et d’initiatives à la consolidation à l’oeuvre aujourd’hui. @

Le CSA se défend de vouloir être « le régulateur de l’Internet » mais veut le coréguler via conventions

Le CSA souhaite inciter les plateformes du Net à signer avec lui des
« conventions volontaires » par lesquelles une corégulation – sur fond d’engagements obligatoires – pourrait s’instaurer sur les services en ligne.
Par ailleurs, le CSA voit ses pouvoirs étendus au stockage de données.

« Dans le cadre de la loi, nous avons des pouvoirs de conventionnement : les chaînes de télévision et les radios qui sont soumises à notre sphère de régulation (… (1)) ne peuvent fonctionner que si elles ont signé leur convention. Vis à vis des partenaires à l’égard desquels nous n’avons aucun pouvoir reconnu par la loi, (…) nous sommes toujours prêts à nous engager dans une démarche conventionnelle. Mais encore faut-il que nous ayons des partenaires, y compris de la sphère de l’Internet, qui veuillent s’engager dans cette démarche », a expliqué Olivier Schrameck (photo), président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), lors d’un dîner-débat organisé le 26 mai dernier par le Club audiovisuel de
Paris (CAVP).

Conventions avec des acteurs du Net
Google/YouTube, Dailymotion, Facebook, Apple, Amazon et toutes les autres plateformes numériques ayant une dimension audiovisuelle échappent en effet à la régulation du CSA, dont les compétences sont limitées par la loi aux chaînes et aux radios diffusées par voie hertzienne terrestre. Pour pouvoir émettre, ces dernières
sont en effet tenues de signer une convention d’engagements – obligatoires – en contrepartie de l’autorisation d’usage de fréquences. Mais Olivier Schrameck souhaite élargir le spectre du conventionnement en faisant valoir la possibilité pour les autres acteurs, notamment les fournisseurs de contenus sur Internet, de signer avec le CSA des « conventions volontaires ». « Je suis persuadé qu’ils [les acteurs du Net, dont
les plateformes vidéo, ndlr] peuvent y avoir intérêt, car l’enracinement socioculturel
– pour ne pas parler de l’économique et du financier – que permet de sceller le conventionnement avec une autorité publique (dont j’aime à penser que la reconnaissance est établie dans notre pays), peut être un atout, y compris sur le plan commercial ». Le CSA table sur le fait que les acteurs du Web et des applications mobiles sont de plus en plus soucieux de leur image et de la confiance qu’ils inspirent localement auprès de leurs utilisateurs.
La jeune génération est d’ailleurs au coeur de la réflexion du gendarme des télécoms, lequel a fait état d’un sondage : 74 % des parents sont inquiets des risques pour l’éducation de leurs enfants que constituent les modes individualisés de visionnage des programmes sur la télévision mais surtout sur le Web et sur l’ensemble des réseaux sociaux – sur Internet en général. « Nous passons d’un mode de visionnage familial et commun à un mode de visionnage individuel et caché. Pour les parents, il y a un vrai problème d’attraction des mineurs vis à vis de programmes qui sont susceptibles de troubler leur psychisme. (…) C’est d’ailleurs pour cela que, dès 2013, je me suis permis de poser ce problème à la représentation nationale non pas du tout pour revendiquer des compétences supplémentaires pour le CSA, non pas pour faire du CSA “le régulateur de l’Internet” – Je le connais suffisamment pour savoir qu’il ne le supporterait pas, car c’est contraire à son état d’esprit –, mais pour encourager à cette démarche de corégulation, d’autorégulation », a encore insisté le président du CSA.

Pour l’heure, les plateformes du Net interviennent en ordre dispersé en appliquant leur propre règlement interne – des sortes de « polices privées » (dixit Olivier Schrameck) qui sont d’inspirations très différentes suivant l’entreprise concernée. « Or les devoirs que nous avons en matière d’éducation des mineurs sont les mêmes, quelle que soit l’origine de l’information qui leur est dispensée », fait-il remarquer. Et de faire part de son inquiétude : « Mais il reste un énorme problème, un énorme trou noir : nous savons parfaitement que les mineurs ont accès par un simple clic à des sites (web) qui sont susceptibles de les perturber profondément. Donc, il importe de se poser la question. L’Etat, qui ne peut pas tout faire, prend ses responsabilités en ce qui concerne la pédopornographie ou l’incitation aux attentats djihadistes. Il faut aller au-delà ».

Vers une corégulation de l’Internet
Devant le CAVP, le président du CSA s’est félicité de l’avant-projet de la directive européenne révisée sur les services de médias audiovisuels (SMA), censée réformer celle de 2010, car ce texte législatif – présenté par la Commission européenne le 25 mai (2) – invoque justement la corégulation dans ce domaine, voire une harmonisation des pratiques dans l’Union européenne, tout en appelant à une association de protection des mineurs qui puisse service d’intermédiaire. Il s’agit de l’Alliance pour une meilleure protection des mineurs en ligne, chargée d’élaborer un code déontologique pour protéger les mineurs des contenus préjudiciables tels que la pornographie et la violence, et tous les citoyens de l’incitation à la haine (3). « Plutôt que de s’en remettre à l’autorégulation, les autorités nationales de régulation de l’audiovisuel [comme le
CSA en France, ndlr] auront compétence pour faire respecter les règles, ce qui, selon
la législation nationale applicable, pourra aussi, éventuellement, donner lieu à des amendes », a expliqué la Commission européenne dans le cadre de son projet de nouvelle directive SMA.

Le CSA veut devenir « médiateur »
Le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA), composé de l’ensemble des vingt-huit autorités nationales de l’audiovisuel et viceprésidé depuis janvier par Olivier Schrameck, est désormais chargé d’évaluera
les codes déontologiques en matière de corégulation et de conseiller la Commission européenne en la matière.
En France, le président du CSA se dit « disponible » vis à vis des plateformes du Net,
« mais il ne s’impose pas – ni par la loi, ni par sa volonté », précise Olivier Schrameck. Il y a en outre aussi des producteurs audiovisuels ou cinématographiques qui souhaitent pouvoir garantir au public la protection des mineurs, par l’intermédiaire de conventions ou de labellisation. « Nous sommes là pour les y aider ».

Plus largement, le CSA ne veut pas être perçu comme « le protecteur attitré des éditeurs et des diffuseurs » de chaînes de télévision notamment. « Nous avons eu
le souci de faire la part à l’ensemble des partenaires incluant les producteurs et les distributeurs [de films ou de programmes] », a tenu à clarifier Olivier Schrameck devant le monde de l’audiovisuel du CAVP. « Le CSA souhaite être “La maison des médias”, des éditeurs et des diffuseurs comme des producteurs et des distributeurs », a-t-il insisté, tout en citant en exemple des accords que le CSA a pu obtenir entre les uns et les autres, comme celui entre les producteurs (de cinéma) et OCS (Orange Cinéma Séries), accord qui a influé sur l’accord entre les producteurs et Canal+.
Le gendarme de l’audiovisuel se voit plus aujourd’hui comme « un médiateur entre des intérêts non pas divergents mais complémentaires » dès lors qu’il s’agit de relations entre les producteurs et les diffuseurs, de numérotation des chaînes sur la TNT ou le câble, ou encore du problème tout nouveau du stockage des données (voir encadré ci-dessous). Ainsi, la mue du régulateur de l’audiovisuel est en cours : jusqu’alors sa raison d’être dépendait des fréquences hertziennes ; désormais le numérique lui pose une question existentielle. A défaut de devenir aussi régulateur du Net, la corégulation des services de médias audiovisuels lui donne de nouveaux pouvoirs. @

Charles de Laubier

ZOOM

Le CSA devient le régulateur du stockage de données
« Sur le stockage des données, qui n’est pas normalement dans nos compétences, nous avons évoqué ce problème auprès des parlementaires parce qu’il influe profondément sur les équilibres économiques et créatifs de l’audiovisuel. Résultat,
le Sénat vient de voter une disposition qui nous donne compétence en matière de règlement de différends sur le stockage des données », s’est félicité le 26 mai dernier Olivier Schrameck, le président du CSA, devant le Club audiovisuel de Paris (CAVP).

L’avant-veille de son intervention, le Sénat avait en effet adopté – dans le cadre du projet de loi « Création » attendu en commission mixte paritaire le 15 juin prochain
– un amendement du gouvernement.
Celui-ci dispose que (article 7 bis AA) « lorsqu’un distributeur d’un service de radio ou de télévision met à disposition un service de stockage (…), une convention conclue avec l’éditeur de ce service de radio ou de télévision définit préalablement les fonctionnalités de ce service de stockage ». En outre, il prévoit que « le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut être saisi par un éditeur ou un distributeur des services de tout différend relatif à la conclusion ou à l’exécution de [cette] convention ». Participant aux débats le 24 mai sur ce point au Sénat – dans le cadre de l’extension de la taxe « copie privée » aux services d’enregistrement numérique à distance dits nPVR, ou magnétoscopes numériques personnels en ligne (4) (*) (**) –, la ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, a conclu : « Je fais confiance aux partenaires pour développer des services innovants, dans une coexistence harmonieuse ».
Il s’agit notamment de « garantir que le développement des services de nPVR ne mettra pas en cause l’existence de l’offre télévisuelle traditionnelle ainsi que des services de télévision de rattrapage et de vidéo à la demande », et de prévenir d’éventuels risques de piratage. @

Jean-Michel Jarre et les GAFA : « Nous sommes des actionnaires virtuels de ces entreprises ! »

Réélu le 3 juin pour un second mandat à la présidence de la Cisac, regroupant 230 sociétés de gestion de droits d’auteur dans le monde, le musicien Jean-Michel Jarre appelle les GAFA a partager leur profit avec les créateurs et veut
une Convention de l’Unesco étendue à la protection des œuvres en ligne.

« Beaucoup d’artistes s’insurgent contre YouTube et les plateformes UGC (User Generated Content) qui génèrent non seulement des contenus mais aussi des profits, lesquels devraient être partagés avec les créateurs. En fait, nous sommes des actionnaires virtuels de ces entreprises ! Il y a un transfert de valeur entre ceux qui créent et ceux qui diffusent cette création », a lancé le 3 juin le compositeur et pionnier de la musique électronique Jean-Michel Jarre (photo).

Partage des contenus et… des revenus
C’était lors de l’assemblée générale de la Confédération internationale des droits d’auteurs et compositeurs (Cisac), dont il est président depuis 2013. Réélu ce jour-là pour un second mandat de trois ans, il a tenu à « rappeler à tous – des acteurs de l’audiovisuel traditionnel aux services numériques – que le partage ne porte pas seulement sur les contenus, mais que cela concerne aussi les revenus : partager les revenus avec les créateurs ». Il constate que les plateformes qui partagent la culture génèrent « des revenus substantiels », tandis que les consommateurs n’achètent plus de CD. Or, selon lui, les royalties provenant du streaming sont loin d’être suffisants pour rémunérer les musiciens : « Par exemple : 1 million de streams d’une chanson sur Pandora rapporte seulement 90 dollars à son auteur… ». Selon nos calculs, les droits d’auteur perçus par la Cisac dans le monde en 2015 devraient avoir franchi la barre
des 8 milliards d’euros – dont environ 650 millions d’euros de recettes provenant du numérique (1).
Jean-Michel Jarre s’est cependant défendu d’être en guerre contre les GAFA qu’il appelle à respecter les droits fondamentaux des droits des auteurs. Sinon, estime-t-il, cela écornera aussi leur image. « Je suis heureux de pouvoir contribuer à essayer… non pas de se battre contre les géants de l’Internet qui finalement ne sont pas nos ennemis… Ceux qui ont créé ces grandes idées sur Internet étaient des ados il y a
une quinzaine d’années ; ils ont fait des choses extraordinaires : ce sont des créateurs eux-mêmes. Ils ont inventé des choses qui sont devenus des monstres et ils ont été dépassés par ce qu’ils ont créé ». Et le président de la Cisac de poursuivre, à la fois confiant et inquiet : « Aujourd’hui, il faut que l’on invente avec eux un modèle économique qui soit bien pour les créateurs : ils ont besoins de nous comme on
a besoin d’eux. Je pense que cela va arriver ; je ne suis pas si pessimiste que cela :
ça va prendre du temps. (…) Nous sommes impatients ; nous aimerions que cela aille plus vite. On va donc se débrouiller pour faire avancer les choses au cours des trois prochaines années [de son nouveau mandat de président de la Cisac, ndlr] ». L’un des principaux leviers va être la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Signée à Paris il y a un peu plus de dix ans, en octobre 2005, elle fait actuellement l’objet d’une renégociation pour la compléter d’une « directive opérationnelle transversale » sur le numérique. La France essaie d’être moteur dans cette démarche, comme l’illustre la proposition qu’elle a élaborée à l’automne dernier avec le Canada, rejoints par la Belgique (2). L’un de ses trois axes prône des politiques publiques « adaptées à l’écosystème numérique » : financement de la création, accessibilité des contenus culturels, répartition équitable de la valeur ajoutée, protection des droits des créateurs, promotion des offres légales, ou encore meilleures indexation et reconnaissance des contenus (3). Reçue à Matignon le 1er juin dernier par le Premier ministre Manuel Valls, une délégation de la Cisac conduite par Jean-Michel Jarre a eu l’assurance que « la France prendrait les initiatives qui s’imposent » – en particulier sur la question du transfert de valeur sur Internet et la promotion de « solutions mondiales essentielles à la juste rémunération des artistes comme la copie privée et le droit de suite ». Alors que la Cisac fête ses 90 ans, Manuel Valls a mis du baume au cœur des ayants droit : « Le combat en faveur des droits d’auteur est essentiel pour protéger la création. (…) La France, qui a été pionnière dans la construction du droit d’auteur, restera à l’avant-garde de sa modernisation ». Le président de la Cisac ne dit pas autre chose lors de l’AG du 3 juin : « Face à Internet, les droits d’auteur devront s’ajuster et s’adapter à ces changements sismiques. La gestion collective continuera d’être le fondement pour les créateurs. Oui, nous allons devoir nous adapter ».

Copie privée « technologiquement neutre » ?
Quant à Eric Baptiste, président du conseil d’administration de la Cisac, il a insisté sur le système de rémunération de la copie privée « qui doit être rendue technologiquement neutre partout dans le monde ». Et de lancer : « Il est important aujourd’hui de corriger le transfert de valeur qui avantage outrageusement certains grands acteurs de l’univers numérique ». @

Charles de Laubier