Les livres numériques trop chers se vendent moins

En fait. Le 31 mai, Nielsen a publié son « Year in Books Review » sur 2015 aux Etats-Unis. Contre toute attente, la part des ventes de livres numériques – sur le total du marché américain de 857 millions d’exemplaires – a reculé de 27 % à 23,8 % en un an. Mais les ebooks sur smartphone font un bond.

En clair. A quelques jours de la prochaine assemblée générale du Syndicat national de l’édition (SNE), les résultats des ventes de livres aux Etats-Unis devraient redonner du baume au cœur des maisons d’édition traditionnelles de l’Hexagone. Les ventes de livres imprimés sur marché américain ont augmenté en volume de 2,8 % à 653 millions d’exemplaires vendus en 2015, tandis que les ventes de livres numériques (ebooks) accusent une baisse de 13 % à 204 millions d’unités. « Nous avons tous entendu le dicton “Tout ce qui est vieux est encore nouveau”. Dans le royaume de livre, cette déclaration ne pouvait pas sonner plus vrai », a ironisé l’institut d’études Nielsen qui réalise cette étude annuelle. L’explication de ce repli des ebooks par rapport aux livres papier – tendance déjà amorcée entre les années 2013 et 2015 (voir tableau ci-contre) –, vient de la hausse générale du prix des livres numériques outre-Atlantique à en moyenne 10 dollars (au lieu de 8 dollars auparavant).
Les « Big 5 » des éditeurs aux Etats-Unis (Hachette Book Group, HarperCollins, Macmillan, Penguin Random House, et Simon & Schuster) ont même repris le plus à
la hausse le contrôle sur le prix de leurs ebooks – et sur leur marge. En revanche, les auteurs auto-publiés ont baissé leur prix pour être à 2,50 dollars en moyenne. Ce fossé tarifaire pourrait se reproduire en France. Bien que les ventes d’ebooks fléchissent, celles générées par les smartphones progressent fortement : de 7,6 % des exemplaires vendus en 2014, les livres numériques sur téléphone multimédia représentent 14,3 % l’an dernier, au détriment des liseuses et des tablettes. C’est le signe que la lecture numérique devient véritablement ubiquitaire. Prometteur. @

Télécharger le flux du streaming : l’Hadopi s’interroge

En fait. Le 3 juin, Christian Phéline, le président de l’Hadopi, est intervenu lors de l’assemblée générale de la Confédération internationale des droits d’auteurs et compositeurs (Cisac). Il a notamment attiré l’attention sur la nouvelle pratique
de conversion du flux du streaming en téléchargement.

En clair. « J’attire votre attention sur la pratique importante qui consiste à convertir
le flux en téléchargement, soit de vidéos soit de musiques, sur des sites légaux ou illégaux de streaming. Cela peut poser un problème juridique », a estimé Christian Phéline le 3 juin devant les « Sacem » et les « SACD » de 120 pays réunies à Paris. Cette conversion du flux musical ou vidéo, provenant du streaming, en fichier téléchargeable est de plus en plus pratiquée dans le monde. Des sites web proposent ce type de logiciel : TubeNinja, Clipconverter, Savefrom, Keepvid ou encore Youtube-mp3. « J’observe que YouTube, pour la première fois, a engagé une action contre un site qui offrait le logiciel permettant de faire cette opération. C’est une préoccupation importante pour l’avenir, soit qu’elle entre dans la négociation des ayants droits avec
de telles plateformes, soit dans leur recherche d’une dissuasion », a ajouté le président de l’Hadopi.
YouTube a en effet envoyé en mai à l’une de ces plateformes de captation de flux, TubeNinja, un courrier que le site web d’information TorrentFreak s’est procuré. La filiale de Google menace Nathan Wills, le responsable de TubeNinja, d’une action en justice s’il ne cesse pas de mettre à disposition du public cet outil de conversion (1). Début juin, TubeNinja a suspendu son service le temps d’obtenir un avis juridique. A suivre…

En outre, Christian Phéline a rappelé que l’Hadopi avait fait une série de propositions
– il y a deux ans (2) – mises en partie en oeuvre contre le téléchargement direct ou le streaming illégal. « Des chartes ont été signées en France [en mars 2015 avec les acteurs de la publicité en ligne et en juin 2015 avec ceux du paiement online] pour assécher financièrement les sites web pirates devant aussi être blacklistés [inscrits sur liste noire, ndlr] et leur mise en oeuvre pourrait supposer l’intervention d’une autorité indépendante : l’Hadopi peut tout à fait s’insérer dans ce dispositif de “Follow the money” », a indiqué son président.
De même, l’Hadopi se dit « à la disposition de chacun » pour l’autre approche « Follow the works », laquelle, selon Christian Phéline, « consiste à généraliser l’usage des technologies de reconnaissance des contenus pour aboutir à ce que les retraits enjoints aux intermédiaires des contenus contrefaisants soient plus rapides (approche take down) ». A bon entendeur… @

En voulant devenir « le premier GAFA européen », SFR veut lui aussi tirer partie de la data et de la pub

Michel Combes veut faire croire que l’opérateur télécoms SFR, dont il est le PDG, va devenir « le premier GAFA européen » ! « Un peu ambitieux », concède-t-il. Mais en investissant dans les contenus, il se donne les moyens d’accéder aux données de ses millions de clients monétisables par la publicité.

« L’alternative pour les opérateurs télécoms est simple : se cantonner au rôle de fournisseur de tuyaux dans lequel on essaie de nous inciter à rester, ou bien dépasser ce rôle originel pour être pourvoyeurs de services nous mêmes et en quelque sorte devenir “les nouveaux GAFA” du monde qui s’ouvre afin de renouer avec
la croissance. C’est le dilemme stratégique », a exposé Michel Combes (photo), président du groupe SFR, lors du colloque organisé le 31 mai par NPA Conseil sur le thème de « Vers le meilleur des deux mondes ».

SFR va importer en France les pratiques de publicités ciblées de Cablevision, câbloopérateur américain que
vient de racheter sa maison mère Altice.

Triptyque télécoms-médias-publicité
« Nous avons donc décidé de donner le coup d’envoi en France à une convergence entre les télécoms et les médias ou les services numériques, en positionnant clairement le nouveau groupe SFR comme le premier GAFA européen. C’est peut-être un peu ambitieux… », a-t-il poursuivi. La filiale télécoms d’Altice, holding du milliardaire Patrick Drahi, tente ainsi de mettre en place un triangle vertueux, en se positionnant sur trois ingrédients qu’elle estime essentiels : l’accès (le métier de base de SFR, fixe ou mobile totalement convergents), les contenus et services numériques (pour se différencier), la publicité, dont celle ciblée, en regroupant les régies (télévision, presse et digitale). « Il s’agit de construire dans les mois à venir un distributeur de contenus, mais surtout un acteur télécoms-médias-publicité », a-t-il résumé. En se positionnant résolument comme un GAFA, l’opérateur télécoms SFR est décidé à essayer de se battre à armes égales avec Google, Apple, Facebook, Amazon et les autres acteurs du numérique. Le nerf de la guerre réside dans le Big Data que la publicité en ligne permet de monétiser. « Quand Verizon achète AOL [en mai 2015 pour 4,4 milliards de dollars, ndlr] ou s’intéresse à Yahoo comme AT&T, c’est pour aller chercher de nouvelles compétences – notamment dans le domaine de la publicité ciblée, avec ce vieux rêve qu’un jour les opérateurs télécoms devraient rerentrer sur le marché de la publicité digitale », a justifié Michel Combes. Selon cet ingénieur X-Télécom (Polytechnique et Ecole nationale supérieure des télécommunications), « il n’y a pas de fatalité à ce que ce marché reste exclusivement aux mains des acteurs du numériques, alors même que les opérateurs télécoms concentrent entre leurs mains les portefeuilles de clients très importants, des audiences immenses qu’ils n’ont pas su jusqu’à présent monétiser ». Le groupe SFR compte 17 millions d’abonnés mobile et 6,3 millions dans le fixe. Mais de l’aveu même de Michel Combes, les données qu’ils représentent restent sous-exploitées. « Pour un opérateur télécoms, c’est difficile d’avoir accès à ces données car ses clients n’en voient pas la finalité ni l’intérêt. Alors que lorsque vous êtes un acteur de contenus, ils vont vous les donner. Donc, le fait d’être dans le contenu nous donne accès aussi aux data. (…) Nous avons besoin de la data individuelle du client », a-t-il indiqué. A ce propos, il se dit convaincu que « seuls des modèles d’opt-in fonctionneront à terme, c’est-à-dire que nous ne pourrons pas – et c’est peut-être un bien – utiliser les données des clients sans sa décision de nous donner accès à ses données ».

Une autre raison d’entrer dans le contenu est que cela donne à l’opérateur télécoms l’accès à un inventaire de publicités, c’est-à-dire aux espaces publicitaires disponibles sur les différents médias en ligne (sites web, applications mobile ou réseaux sociaux). SFR, dont la maison mère Altice finalise d’ici fin juin le rachat du câblo-opérateur américain Cablevision pour 17,8 milliards de dollars, compte importer en France les pratiques de publicités ciblées d’outre- Atlantique. « Les câblo-opérateurs aux Etats-Unis ont historiquement eu accès à une partie de l’inventaire publicitaire des programmes audiovisuels qu’ils distribuent. Une partie de leurs recettes n’est pas liée
à l’accès mais à la publicité. Ces opérateurs de télédistribution ont ainsi réfléchi à des modèles économiques un peu nouveaux pour mieux monétiser leurs audiences. Cablevision a lancé des activités de publicités ciblées, individualisées, sur l’écran
de télévision », a constaté le patron de SFR. Ainsi, aux Etats-Unis, le broadcast
se retrouve avec des schémas assez similaires à ceux de l’Internet : meilleure monétisation des publicités, avec la complétude des réseaux, la géolocalisation et
la capacité de comprendre les usages des téléspectateurs.

Accéder à l’inventaire publicitaire « Nous souhaitons amener ces briques technologiques en France, où nous n’avons pas accès à cet inventaire de publicité. C’est une des raisons de rentrer dans le contenu, car cela nous donne en fait un inventaire publicitaire ». En regroupant les régies publicitaires de la télévision (BFM TV, BFM Business, News24, …), de la presse (Libération, L’Express, …) et du digital (sites web, applis mobile, …), SFR veut tenir tête au GAFA en étant « GAFA » lui-même. @

Charles de Laubier

Yves Gassot, Idate : « Face aux acteurs du Net, les opérateurs télécoms ne vont pas disparaître »

Alors que l’Idate – institut d’études sur les télécoms, l’Internet et l’audiovisuel – publie le 14 juin son DigiWorld Yearbook 2016, son directeur général Yves Gassot répond aux questions de Edition Multimédi@ sur les défis que doivent plus que jamais relever les opérateurs télécoms face aux acteurs du numérique.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Le marché mondial du numérique devrait, selon l’Idate, franchir les 4.000 milliards d’euros l’an prochain. Vos prévisions antérieures ne le prévoyaient-elles pas dès cette année ? En outre, pourquoi la valeur des TIC (1) a tendance à croître moins vite que le PIB ?
Yves Gassot :
En fait, nous révisons nos chiffres tous les ans avec deux types d’ajustement que sont la prise en compte des taux de change et la rectification des taux de croissance constatés au regard de nos anticipations. Par exemple, la chute de la croissance des revenus mobiles aux Etats-Unis a été plus prononcée qu’on ne l’avait anticipée. Par ailleurs, la croissance moins rapide en valeur des secteurs TIC au regard de celle du PIB est effectivement contre-intuitive. Pourtant la croissance de certains secteurs du numérique – les services Internet – est très rapide. Des économistes montrent que c’est dans les secteurs des TIC que les gains de productivité sont les
plus importants. Cela a pour conséquence de faire baisser les prix unitaires. En principe, cette baisse des prix s’accompagne d’un effet positif sur les volumes. Ce que l’on peut observer sur un marché comme celui des smartphones qui peut ainsi s’élargir aujourd’hui aux consommateurs des économies émergentes. Mais on peut aussi avoir des phénomènes de déflation liés à l’intensité de la concurrence, comme on l’observe en Europe dans les services télécoms. Enfin, il est probable que les cadres statistiques ont du mal à suivre la déformation des frontières des secteurs sous l’effet de la transformation numérique.
Reste une question fondamentale : pourquoi les gains de productivité dans nos économies, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe, ont nettement décru depuis 2006, donc avant la crise des subprimes, comme si l’économie avait absorbé dans la décennie précédente les bénéfices de l’Internet ? Sans parler de la fin du cycle de transformation du numérique, il est possible qu’il y ait un palier en attendant que le puzzle de l’Internet des objets (IoT), du Big Data et de l’intelligence artificielle se mette en ordre.

EM@ : L’Idate prévoit que, d’ici 2025, les services Internet pourraient dépasser pour la première fois en valeur le marché des services télécoms : soit 51 % sur un total mondial de près de 3.000 milliards d’euros. Que va-t-il advenir des opérateurs télécoms « ubérisés » par les OTT (2)?
Y. G. :
Il y a plusieurs interprétations de l’expression « être “ubérisé” ». S’il s’agit de penser que les opérateurs télécoms vont disparaître, j’ai du mal à imaginer ce scénario. Les applications OTT nourrissent une demande croissante en terme d’accès très haut débit everywhere. Il faudra bien qu’il y ait des acteurs qui investissent dans les réseaux, exploitent les accès associés avec des perspectives crédibles de retour sur investissement. La question est donc plus de savoir comment sera organisée la chaîne de valeur. Est-ce que les opérateurs télécoms seront progressivement « désintermé-diés », c’est-à-dire repositionnés dans un statut d’opérateur de gros ? On ne peut pas totalement l’exclure, mais cela ne me parait pas devoir être la tendance principale. Il faut aussi s’interroger sur les capacités des opérateurs télécoms à élargir leurs revenus au-delà de ceux de l’accès (3). De mon point de vue, il est probable que les plus gros opérateurs auront l’ambition et les moyens de construire des offres d’accès qui intègrent des applications et des contenus en mode OTT ou plus directement managés à travers le réseau. Dans ce cas, une partie du chiffre d’affaires Internet sera réalisée par les opérateurs télécoms. Ce phénomène est donc assez directement dépendant de la propension de l’industrie des services télécoms à se consolider.

EM@ : Comment les opérateurs télécoms en Europe cherchent « à tout prix »
à augmenter leur ARPU (4) dans le fixe et le mobile. Que pensez-vous de la stratégie de convergence telle que celle engagée par SFR offrant des contenus (télé, vidéo, presse, …) pour augmenter son ARPU ?
Y. G. :
La chute continue des revenus des opérateurs télécoms depuis 2008 pèse sur leurs marges et leurs capacités d’investissement, malgré la baisse des prix des équipements et les efforts de cost-cutting. Les opérations de fusion mobile-mobile ou fixe-mobile peuvent favoriser une légère reprise de la croissance, comme au dernier trimestre pour Vodafone, en freinant les opérations de guerre de prix. Le challenge fondamental pour les opérateurs est de faire percevoir auprès du consommateur que l’innovation numérique ne réside pas seulement dans le smartphone ou la dernière version de Snapchat, qu’un accès 4G – bientôt 4G+ – n’est pas identique à un accès 3G, et que la fibre apporte de la qualité et du confort par rapport à un abonnement ADSL. Cela étant, les stratégies de différenciation et de segmentation peuvent être principalement focalisées sur le réseau ou s’élargir aux contenus. Mais attention :
avec du haut débit à peu près partout et la « Net neutralité », les atouts des opérateurs télécoms en matière de vidéo ne proviennent pas fondamentalement du fait qu’ils sont propriétaires des « pipes », mais plutôt qu’ils peuvent avoir plusieurs dizaine de millions d’abonnés et donc des capacités pour rivaliser dans les achats de droits exclusifs et pour un marketing très ciblé.

EM@ : Entre le « zero-rating » (5), les « services gérés », les « services spécifiques » ou encore les « niveaux de qualité », les opérateurs télécoms ne vontils pas maintenant – malgré la neutralité du Net – augmenter leurs tarifs ?
Y. G. :
Non, car au-delà des rivalités « verticales » dans la chaîne de valeur, les opérateurs restent soumis à la pression d’une concurrence « horizontale » très intense.

EM@ : Une récente étude intitulée « Comment attraper une licorne » (6) démontre que l’Europe a raté la 3e vague mobile – celle de l’Internet – face aux Etats-Unis et l’Asie. L’Europe s’est-elle trop focalisée sur le fixe et les techniques, peu sur
le mobile et les services ?
Y. G. :
Oui. Le GSM a été un grand succès ; on avait de quoi jouer une carte avec l’UMTS mais cela a été gâché dans la folie des enchères, les acquisitions déraisonnables de fréquences et l’immaturité de la technologie. La 4G (technologie LTE) a donc vu les Etats-Unis – avec Verizon puis AT&T, ainsi que les japonais et coréens – faire course en tête, même si la pénétration de la 4G se développe maintenant rapidement en Europe. Naturellement, le déploiement de la 4G a été aussi le moment d’un basculement très net de la téléphonie mobile vers l’Internet mobile (7). Ce phénomène a amplifié le poids de la Silicon Valley.
Mais l’Europe continue de disposer dans les mobiles d’atouts avec Ericsson, Nokia
et des opérateurs télécoms qui ont pris une certaine avance dans la convergence fixemobile, sans parler du tissu de start-up. L’Europe disposera, au moment du déploiement de la 5G, d’une infrastructure 4G+ de qualité qui restera un socle fortement imbriqué dans la nouvelle norme. Nous avons enfin été très tôt en Europe
à reconnaître la nouvelle frontière que représente l’Internet des objets. Or la 5G ne se réduit, comme les normes précédentes, à représenter un progrès en terme de vitesse, de bits/Hz, mais a pour objectif d’inclure très largement les nouvelles applications dans les verticaux, avec toutes les variations de latence et de sécurité ou de consommation envisageables. Il reste que les vitesses attendues et les capacités nécessaires à la 5G nécessitent de libérer des fréquences (8) et d’investir significativement dans les réseaux optiques pour desservir les micro-antennes. @