Ce que va changer le règlement européen « P2B » pour les plateformes numériques et leurs clients

Il ne lui reste plus qu’à être publié au Journal Officiel européen. Le règlement
« Plateformes », appelé aussi P2B (Platform-to-Business), a été signé le 20 juin 2019 par le Conseil de l’Union européenne pour apporter « équité et transparence » pour les utilisateurs professionnels de ces intermédiaires en ligne.

Les professionnels et les entreprises, qui recourent aux services d’intermédiation en ligne et aux places de marché des plateformes numériques telles qu’Amazon, Google, Apple, Alibaba ou encore Leboncoin, pourront s’appuyer sur ce règlement européen « P2B » lorsqu’ils éprouveront des difficultés ou des désaccords avec ces acteurs du Net dans leurs relations commerciales et/ou dans la vente sur ces plateformes de leurs produits et services. Cette régulation est une première en Europe – et dans le monde.

Transparence, équitabilité et prévisibilité
Le phénomène du Platform-to-Business (P2B) a pris une telle ampleur avec le e-commerce mondialisé (1) qu’il devenait urgent de réguler ces relations qui peuvent tourner au conflit. Rien qu’en Europe, plus de 1 million d’entreprises européennes commercent via des plateformes tierces pour atteindre leurs clients. Selon une étude Copenhagen Economics (2) citée par la Commission européenne et reprise par le Parlement européen, environ 60 % de la consommation privée et 30 % de la consommation publique de biens et services liés à l’économie numérique dans sa totalité transitent par des intermédiaires en ligne.
« Les entreprises européennes ne peuvent pleinement exploiter le potentiel de l’économie des plateformes en ligne et de l’accès aux marchés transfrontaliers, déplorent les eurodéputés et leurs Etats membres, en raison d’un certain nombre de pratiques commerciales potentiellement préjudiciables et de l’absence de mécanismes de recours efficaces dans l’Union européenne. Dans le même temps, les prestataires de services en ligne rencontrent des difficultés sur l’ensemble du marché unique en raison de la fragmentation grandissante ». C’est pour y remédier que le 17 avril dernier que le Parlement européen avait adopté définitivement ce règlement « promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d’intermédiation en ligne ». Il ne lui restait plus qu’à être adopté puis signé par le Conseil de l’Union européenne. C’est chose faite, depuis respectivement les 14 et 20 juin. Selon l’état des votes consulté par Edition Multimédi@, aucun des vingt-huit Etats membres n’a voté contre ou ne s’est abstenu. C’est donc à l’unanimité que ce texte (3) a été entériné par tous les ministres européens sans exception, la France ayant été représentée par Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor. Le texte va entrer en vigueur le vingtième jour suivant sa publication et s’appliquera douze mois à compter de la date de publication au Journal Officiel de l’Union européenne (JOUE). Ce règlement P2B prévoit pour les entreprises utilisatrices de ces plateformes numérique « un environnement plus transparent, équitable et prévisible pour leurs opérations commerciales en ligne », ainsi qu’« un système efficace de voies de recours ». Ces relations entre les plateformes en ligne et les entreprises (P2B) devraient se faire désormais dans un climat de confiance, grâce à «un cadre juridique propre à garantir la transparence des modalités et conditions générales pour les entreprises utilisatrices de plateformes en ligne », et à des voies de recours possibles lorsque ces modalités et conditions générales ne sont pas respectées. C’est l’un des derniers actes législatif de la Roumanie qui présidait pour six mois (de janvier à juin) le Conseil de l’Union européenne, avant de passer la main (de juillet à décembre) à la Finlande. « La prévisibilité est essentielle pour les entreprises qui font des affaires au moyen de plateformes en ligne. Les entreprises devraient être pleinement conscientes des conditions de cette relation et, au besoin, être en mesure de demander une réparation rapide et efficace. La nouvelle réglementation, la première du genre au monde, permettra aux entreprises de l’UE de profiter pleinement des avantages de l’économie numérique », s’est félicité Niculae Badalau (photo), ministre roumain de l’Economie.
Les plateformes numériques concernées par cette nouvelle réglementation sont aussi bien les places de marché en ligne (Amazon, Apple, Alibaba/Aliexpress, Leboncoin, Booking, …), les magasins d’applications logicielles (Google Store, App Store, …) et/ou encore les réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp, Twitter, …), les comparateurs de prix (Kelkoo, Idealo, Liligo, …), ainsi que les moteurs de recherche (Google, Firefox, Bing, Qwant, …).
Et ce, quel que soit leur lieu d’établissement (Etats-Unis, Chine, Europe, etc.).

Termes et conditions d’utilisation en question
Sont assujettis les intermédiaires qui servent des utilisateurs commerciaux établis en Europe et qui offrent des biens et services à des consommateurs situés dans les Vingt-huit. Toutes les plateformes concernées devront donc faire preuve de transparence et assurer des voies de recours efficaces.
• Pour améliorer la transparence, les Amazon, Apple et autres Alibaba devront faire en sorte que leurs termes et conditions d’utilisation soient simples et intelligibles pour la prestation de leurs services d’intermédiation en ligne. Dans son considérant 15, le règlement P2B prévoit que « ne devraient pas être considérées comme étant rédigées de façon claire et compréhensible (…) les conditions générales comportant des passages vagues ou généraux ou qui sont insuffisamment détaillées sur des questions commerciales importantes, et n’assurent donc pas pour les entreprises utilisatrices un degré de prévisibilité raisonnable sur les aspects les plus importants de la relation contractuelle ». Le but est aussi de faire la chasse aux formulations trompeuses ou induisant en erreur.

Droit de vie ou de mort… mais justifié et motivé
De plus, les plateformes d’intermédiation doivent « notifier aux entreprises utilisatrices concernées, sur un support durable, tout changement proposé de leurs conditions générales » et prévoir « un délai de préavis raisonnable et proportionné [qui] ne doit pas être inférieur à quinze jours à compter de la date [de notification] ». L’entreprise utilisatrice concernée a « le droit de résilier le contrat conclu avec le fournisseur de services d’intermédiation en ligne avant l’expiration du délai de préavis ».
Les plateformes en ligne doivent aussi fournir un exposé des motifs chaque fois qu’ils décident de restreindre, de suspendre ou de mettre fin à l’utilisation de leurs services par un utilisateur professionnel. Dans le considérant 22, ce même règlement précise :
« L’exposé des motifs de la décision de restreindre, de suspendre ou de résilier la fourniture de services d’intermédiation en ligne devrait permettre aux entreprises utilisatrices de déterminer si la décision peut être contestée, ce qui améliorerait les possibilités, pour les entreprises utilisatrices, d’exercer un droit de recours effectif le cas échéant ». Les fournisseurs de services d’intermédiation voient au passage conforté leur pouvoir de restreindre, de suspendre ou de résilier la fourniture de leurs services en ligne à une entreprise utilisatrice donnée – pourvoir qui peut aller jusqu’à déréférencer certains biens ou services d’une entreprise utilisatrice donnée ou en supprimant des résultats de recherche. Cela peut être, par exemple, de restreindre les références individuelles proposées par l’entreprise utilisatrice, voire de rétrograder dans le classement cette entreprise ou en portant atteinte à l’apparition (dimming) de l’entreprise utilisatrice en question.
Autrement dit, les plateformes – dont celles des GAFA qui sont déjà en position dominante – peuvent presque tout se permettre à conditions d’avoir clairement averti l’entreprise cliente préalablement et en lui ayant donné les moyens simples d’un droit de recours. En outre, les plateformes doivent rendre publics « les principaux paramètres » déterminant le classement des utilisateurs commerciaux dans les résultats de recherche, comme pour les comparateurs de prix de produits, d’hôtels ou encore de restaurants. Les principaux paramètres doivent aussi être divulgués lors de tout traitement différencié qu’ils accordent aux biens et/ou services offerts directement ou par l’intermédiaire de toute entreprise relevant de leur compétence. En revanche, ce règlement P2B n’imposera pas la communication de l’algorithme lui-même, protégé par la directive européenne du 8 juin 2016 sur le secret des affaires (4).
En France, cette directive « Secret des affaires » a été transposée par la loi du 30 juillet 2018. Pour autant, la Cnil (5) recommande de mettre en place une plateforme nationale d’audit des algorithmes (6). Le règlement P2B impose également aux plateformes de divulguer la description des principales considérations économiques, commerciales ou juridiques les amenant à restreindre la capacité des utilisateurs commerciaux d’offrir des conditions différentes aux consommateurs en dehors de la plateforme.
Pour assurer des voies de recours efficaces (« redress » en anglais, littéralement
« réparation »), il devient obligatoire pour les plateformes – mises à part les plus petites d’entre elles relevant de PME ou de TPE (7) en raison du coût que cela engendre– de
« mettre en place un système interne efficace et rapide de traitement des plaintes et à rendre compte annuellement de son efficacité ».
Il est également exigé que les plateformes du Net énumèrent dans leurs conditions d’utilisation au moins deux médiateurs pour les cas où le système interne de traitement des plaintes ne serait pas en mesure de résoudre un différend avec les utilisateurs commerciaux. « La médiation peut constituer pour les fournisseurs de services d’intermédiation en ligne et leurs entreprises utilisatrices un moyen de résoudre des litiges de manière satisfaisante sans devoir passer par des procédures judiciaires qui peuvent être longues et coûteuses », souligne le considérant 40 du règlement P2B, lequel donne tout de même le droit aux organisations représentatives, aux associations ou à des organismes publics d’engager des poursuites judiciaires contre les plateformes qui ne respecteraient pas ce nouveau règlement. De plus, les Etats membres ont le pouvoir de fixer des sanctions en cas d’infraction au règlement.

Un Observatoire des plateformes en ligne
Quant à la Commission européenne, qui est à l’origine du projet de texte P2B depuis sa proposition d’avril 2018 (8) et de la création dans la foulée d’un Observatoire des plateformes en ligne (9) présidé par Bruno Liebhaberg, elle est invitée à encourager les plateformes à mettre en place des « organes de médiation spécialisés indépendants », à élaborer des « codes de conduite » et à « évaluer régulièrement » le fonctionnement des nouvelles règles. @

Charles de Laubier

YouTube transforme la publicité sur Internet en épouvantail, pour pousser les internautes à s’abonner

La filiale vidéo de Google invente la « frustration publicitaire » en saturant les internautes de publicités dès qu’ils écoutent trop de musiques gratuitement
sur sa plateforme. Objectif : qu’ils s’abonnent à YouTube Music. Cette méthode contestable ternit un peu plus l’image de la publicité sur Internet.

Quand un géant du Net – qui plus est principale filiale de Google – décide d’utiliser la publicité comme repoussoir, afin d’en dégoûter ses millions d’utilisateurs dans le monde pour les inciter à s’abonner à son service payant YouTube Red, cela revient à rendre le plus mauvais service au marché mondial de la publicité en ligne déjà critiquée, et de plus en plus bloquée, en raison de son côté intrusif. Il s’agit en effet de « frustrer » les utilisateurs du service gratuit de YouTube en augmentant le nombre de publicités entre et pendant les vidéos musicales, comme l’a expliqué Lyor Cohen (photo), le « Monsieur musique » de YouTube au niveau mondial.

Google veut abuser de la publicité
Dans une interview accordée à l’agence de presse Bloomberg le 21 mars dernier, Lyor Cohen n’y va pas par quatre chemins pour dévoiler cette stratégie de la frustration qu’il est en train de mettre en place sur YouTube. « Le nouveau service, déjà utilisé par des milliers d’employés de Google, va “frustrer et séduire” les utilisateurs du service gratuit de YouTube », a-t-il expliqué sans scrupule. La plateforme de partage vidéo va ainsi augmenter le nombre de publicités entre et durant les vidéos musicales afin de convaincre une partie de ses plus de 1 milliard de visiteurs à préférer l’abonnement
à YouTube Music qui en est dépourvu et qui fait partie intégrante du service payant YouTube Red – lequel n’est pas encore disponible en France (1). « Tu ne vas pas être heureux après que “Stairway to Heaven” [titre de Led Zeppelin, ndlr] te soit bloqué et que tu aies une pub juste après ça », a quelque peu ironisé le dirigeant de YouTube, alors qu’il était interrogé dans le cadre d’un festival de musique aux Etats-Unis (2). Autrement dit, plus un internaute écoutera gratuitement de la musique en ligne sur YouTube, plus il aura des annonces publicitaires vidéo – annonces vidéo pré-roll et mid-roll, bannières, annonces ciblées sur les recherches, bannières de page d’accueil et annonces en superposition (3). Les mélomanes seront donc dissuadés de poursuivre de la sorte, et fortement incités à s’abonner s’ils ne veulent plus être pris pour cible. Pour attirer le chaland, la filiale de Google met en avant, outre l’absence de publicités,
« des vidéos exclusives, des playlists et d’autres offres qui séduiront les fans de musique », voire des musiques produites par la plateforme elle-même. Les internautes sont-ils prêts pour autant à payer YouTube où ils ont l’habitude d’écouter
de musique en ligne gratuitement ? Si proposer un abonnement de streaming musical semble dans la logique du marché mondial du streaming musical, à l’instar de Spotify (4), Apple Music, Deezer ou encore Qobuz, la méthode qui consiste à utiliser la publicité en ligne comme repoussoir apparait contestable. Non seulement cela va encore un peu plus ternir l’image déjà pas bien brillante des « ads » sur Internet, mais aussi augmenter l’impression bien réelle de saturation vis-à-vis des publicités vidéo en plein boom. Dégoûter de la publicité au profit de l’abonnement « sans désagrément » n’est pas la meilleure stratégie qu’ait adoptée Google.
Le dommage collatéral que pourrait subir le marché de la publicité risque d’être non négligeable. « YouTube fait une erreur en choisissant la “frustration publicitaire”. Alors que 37,5 millions de Français vont sur YouTube chaque mois, on peut douter que cette stratégie soit accueillie avec joie par le public », a réagi François Cosme, consultant au sein du groupe publicitaire Dentsu Aegis. Cette stratégie de la « frustration publicitaire » constitue en outre un tournant pour Google et YouTube, dont le modèle économique était jusque-là basé essentiellement sur la gratuité de leurs services financés par de la publicité – en principe diffusée de façon raisonnable. YouTube Red monnaye sa garantie d’« aucune publicité, juste votre musique en continu », de « vidéos sans publicité », et des « séries originales » (séries et films inédits de créateurs YouTube). YouTube Music fait ainsi partie de YouTube Red, comme l’est aussi YouTube Kids
« sans publicité et hors connexion ».

YouTube cède à la pression des majors ?
Réputé pour sa gratuité musicale, YouTube n’est-il pas en train de céder aux majors
de la musique que sont Universal Music (Vivendi), Sony Music et Warner Music qui le soupçonnent de ne pas verser assez de droits d’auteur (5) ? Ces dernières ont déjà réussi à faire pression sur le suédois Spotify et le français Deezer – dans le capital desquels elles ont une participation minoritaire sous forme d’obligations convertibles en action – pour que ces plateformes musicales développent l’abonnement au détriment du gratuit, De plus, depuis un an, les majors minorent leurs royalties dès lors que leurs nouveaux albums sont réservés aux abonnés payants. @

Charles de Laubier

Carrefour arrête Nolim, sa plateforme de livres et films

En fait. Le 23 janvier, Alexandre Bompard, le PDG de Carrefour depuis plus de six mois, a présenté la stratégie numérique de son plan « Carrefour 2022 ». Parmi les mesures annoncées : l’abandon de Nolim, la liseuse et la plateforme de contenus (ebooks et films) lancées par le géant de la grande distribution en 2013.

En clair. Nolim, No Future ! Cela aurait fait cinq ans en octobre prochain que Carrefour a lancé un site de vente d’ebooks, Nolim.fr, et une liseuse fabriquée par la société française Bookeen (ex-société Cytale). Il y a trois ans, la librairie en ligne Nolim.fr se diversifiait dans la vidéo à la demande (VOD) avec le lancement de Nolim Films (1). Carrefour commercialisait, à proximité de ses rayons « livres et BD », les fameuses liseuses Nolimbook. Contacté par Edition Multimédi@, le géant de la grande distribution nous a fait savoir qu’aucun calendrier d’arrêt du service en ligne n’était encore établi. Carrefour avait déjà essuyé les plâtres dans les livres numériques avec Numilog en 2010, ainsi que dans la VOD lors d’une première expérience en 2008 avec Glowria (devenu par la suite Videofutur chez Netgem). Nolim aura été une nouvelle tentative, finalement passées par pertes et profits. La société éditrice du Nolim Store – « Votre librairie numérique » – était Online Carrefour, dirigée par Hervé Parizot, directeur exécutif ecommerce et data clients du groupe Carrefour. Dans le rapport financier de 2016, publié en avril 217, une filiale détenue à 100 % avait fait son apparition sous le nom de Carrefour Nolim. La plateforme culturelle en ligne de Carrefour est encore accessible via Nolim.fr ou Nolim.carrefour.fr, ce dernier lien étant référencé parmi les 423 plateformes légales recensées par l’Hadopi (2), mais curieusement sans être labellisée par cette dernière, et uniquement sur son catalogue de livres numériques mais pas sur les films et séries proposés. Qu’à cela ne tienne. Nolim fait partie des nombreuses activités abandonnées par le nouveau PDG du groupe Carrefour, Alexandre Bompard.
Ce dernier a annoncé un plan de départs volontaires de 2.400 personnes dans le
cadre d’une restructuration des activités au niveau mondial (plan « Carrefour 2022 »), tout en prévoyant d’investir 2,8 milliards d’euros sur cinq ans dans le digital (portail
e-commerce unique Carrefour.fr, fin du cybermarché Ooshop, poursuite de Rueducommerce.fr, participation dans Showroomprivé, accord avec Tencent en Chine, …). C’est Marie Cheval, ancienne DG de Boursorama, qui devient directrice de la transformation digitale. Quant au partenariat avec Fnac-Darty, dont Alexandre Bompard était auparavant PDG, fera-t-il revenir les ebooks et la VOD chez Carrefour ? @

Les réseaux de chaînes de vidéo en ligne (MCN) génèreraient 50 % de l’audience de YouTube

Fortes de leurs milliards de vidéos vues chaque mois, les Multi-Channel Networks (MCN) aux audiences massives profitent à YouTube. Mais des groupes audiovisuels historiques – tels que TF1, Mediaset, ProsiebenSat.1, RTL Group, Verizon, Disney, … – veulent aussi avoir une part du gâteau publicitaire.

Les Multi-Channel Network (MCN), ces réseaux de chaînes vidéo en ligne, généreraient maintenant la moitié de l’audience sur YouTube – si l’on extrapole une étude de
la société britannique Ampere qui estimait à 42 % en 2015 le poids sur YouTube des 100 premiers MCN mondiaux
en termes de vidéos vues. En Europe, les audiences massives de ces nouveaux networks sur Internet attisent les convoitises aussi bien des médias que des annonceurs.

Alliance TF1, Mediaset et ProsiebenSat.1
Le groupe TF1, l’italien Mediaset et l’allemand ProsiebenSat.1 illustrent cet engouement en annonçant le 9 juin dernier la création d’une régie publicitaire commune baptisée European Broadcaster Exchange (EBX) et détenues à parts égales. Objectif : créer une plateforme de commercialisation publicitaire automatisée, dite programmatique, et à dimension pan-européenne. Cette initiative vient dans le prolongement de l’alliance nouée entre les trois groupes en janvier afin de faire bloc sur le marché publicitaire en pleine croissance des MCN, très regardés par la génération millenium.
Cela s’est notamment traduit par une prise de participation du groupe TF1 à hauteur de 6,1 % au capital de Studio71, qui revendique la quatrième place mondiale des MCN et la première place en Europe. D’après les statistiques de Social Blade, Studio71 compte actuellement plus de 13.000 chaînes vidéo membres qui totalisent plus de 5,5 milliards de vidéo vues par mois grâce à plus de 17 millions d’abonnés. Ce qui place Studio71 en sixième position en termes d’audience et d’abonnés. Studio71 est une filiale de ProsiebenSat.1 Media, groupe audiovisuel allemand. L’italien Mediaset, dont Vivendi détient actuellement 29,9 % du capital, est aussi devenu actionnaire minoritaire de Studio71 à hauteur de 5,5 %.
Parallèlement à cette prise de participation, le groupe TF1 est en outre devenu l’opérateur de Studio71 sur la France et les territoires francophones, au travers de la société Finder Studios dans laquelle Studio71 prendra une participation minoritaire. Finder Studios, dont TF1 Publicité commercialise déjà les inventaires de publicité
en ligne, est un MCN français présent sur différentes thématiques (beauté, cuisine, humour, hommes et enfants). Présenté comme le « 1er MCN beauté en France avec 130 millions de vidéos vues par mois », Finder Studios a été créé par le producteur audiovisuel Makever qui en est l’actionnaire avec TF1. A terme, la nouvelle filiale Studio71 France que contrôle TF1 absorbera Finder studios (1). Le groupe luxembourgeois RTL Group (filiale de l’allemand Bertelsmann), détient, lui, depuis 2013, 51 % de BroadbandTV qui est l’un des plus gros MCN mondiaux avec plus de 236.000 chaînes vidéo membres et une audience supérieure à 18,8 milliards de vidéos vues dans le mois. BroadbandTV, fondé au Canada en 2005, compte plus de 70 millions d’abonnés. En début d’année, RTL Group a renoncé à acquérir les 49 % restants dans ce MCN pour « explorer avec les actionnaires minoritaires de BroadbandTV toutes les stratégies alternatives pour la compagnie ».
Une introduction en Bourse n’est pas à exclure, si ce n’est une ouverture du capital à des tiers, voire une cession de l’entreprise. La fondatrice de BroadbandTV, l’Iranienne Shahrzad Rafati (photo), est la deuxième actionnaire après RTL Group. Le groupe luxembourgeois avait par ailleurs acquis en 2014 le MCN StyleHaul aux Etats-Unis (participation de 22,3 % en avril 2013, augmentée à près de 100 % en novembre 2014), tandis que sa filiale française M6 développe ses « MCN M6 » dans l’humour et le lifestyle (2) au sein de M6 Web (Golden Moustache, Rose Carpet, Cover Garden, Vloggist, …). Les grandes manœuvres sur le marché naissant des MCN concernent aussi Verizon qui a pris en avril 2016 une participation de 24,5 % dans AwesomenessTV, une startup californienne contrôlée par DreamWorks Animation depuis 2013 et éditrice de plus de 8.000 chaînes vidéo sur YouTube totalisant 2,5 millions d’abonnés. Cet investissement de Verizon – propriétaire de Yahoo (3) –
s’est accompagné du lancement d’un service de vidéo pour mobile intégré à Go90.

Maker Studios, Fullscreen, Base79, 3BlackDot, …
De son côté, Disney est propriétaire depuis 2014 de Maker Studios, acquis à l’époque pour 500 à 950 millions de dollars selon des objectifs de performances. Aujourd’hui, ce géant américain des MCN (4) compte près de 10.000 chaînes vidéo, plus de 12 millions d’abonnés pour plus de 4 milliards de vidéos vues dans le mois. Autres MCN en vue : Fullscreen racheté en 2014 par Otter Media (co-entreprise AT&T-The Chemin Group), Base79 racheté aussi en 2014 par le britannique Rightster. Sans oublier le français Mixicom (Cyprien, Norman, Squeezie, …) racheté en 2015 par Webedia du groupe Fimalac, lequel vient de s’emparer de 3BlackDot. @

Charles de Laubier

Services de médias audiovisuels : la révision de la directive européenne SMA satisfait les ayants droits

Les réactions se sont multipliées dans le cinéma et l’audiovisuel à la suite de l’adoption le 23 mai du projet de révision de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (VOD et SVOD). Il reste au trilogue (Conseil
des ministres, Commission et Parlement européens) à valider le compromis.

Le Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc),
qui regroupe l’Union des producteurs de cinéma (UPC, ex- APC/UPF), le Syndicat des producteurs indépendants (SPI), la Société des réalisateurs de films (SRF) ou encore le Syndicat des producteurs de films d’animation (SPFA), a « salué » fin mai « l’action de la ministre de la Culture », Françoise Nyssen (photo), ainsi que sa prédécesseur Audray Azoulay « pour les avancées en faveur de la diversité culturelle que la France a obtenues avec ses partenaires européens lors de l’adoption du projet de révision de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) par le Conseil européen des ministres de la Culture réuni le 23 mai dernier ».

Pays de destination et quotas plancher
C’est en particulier deux points adoptés ce jour-là à l’attention des services de vidéo
à la demande (VOD/SVOD) qui sont des motifs de satisfaction pour cette organisation professionnelle représentative du 7e Art français : l’application de la loi du pays de destination pour les obligations d’investissement et des quotas minima de 30 % d’œuvres européennes. « Même si ce plancher [de 30 %] mériterait d’être plus ambitieux », estime néanmoins le Bloc, qui affirme en outre « son plein soutien » à Françoise Nyssen dans la perspective du trilogue maintenant engagé sur ce projet de texte entre le Conseil européen des ministres de la Culture (de l’Union européenne), la Commission européenne et le Parlement européen. Le Bloc est coprésidé cette année par la productrice Isabelle Madelaine (Dharamsala) et la réalisatrice Katell Quillévéré (scénariste/actrice).
De son côté, l’Union des producteurs de cinéma (UPC), se présentant comme le premier syndicat de producteurs de films de long métrage en Europe avec près de
200 membres et partie intégrante du Bloc, s’est aussi « réjouit » de cette étape dans l’adoption de ce projet de directive SMA. « Elle remercie également les ministres de la Culture des autres pays européens qui ont voté en faveur de ces règles, permettant ainsi de répondre à la préoccupation des citoyens de voir la spécificité culturelle européenne soutenue dans un monde de plus en plus global », a ajouté l’UPC, coprésidée par les producteurs Xavier Rigault (2.4.7. Films) et d’Alain Terzian (Alter Films). Egalement membre du Bloc, le Syndicat des producteurs indépendants (SPI) y est allé aussi de sa déclaration pour exprimer sa grande satisfaction : « Réserver une part des catalogues en ligne à 30 % d’oeuvres européennes, (…) représente un bon départ ». Il se félicite aussi de la mesure qui « pose aux nouvelles plateformes [Netflix (1), Amazon, YouTube, …, ndlr] une obligation de contribution financière à la création dans les pays où elles diffusent » (2). Pour le SPI, qui est présidé par le producteur Emmanuel Priou (Bonne Pioche) et qui revendique « environ 400 producteurs de l’audiovisuel et du cinéma, indépendants de tout opérateur de diffusion et de télécommunication », cette décision du Conseil des ministres européen de la Culture est « la démonstration d’une capacité à construire dans la Culture des consensus politiques forts, face à la puissance des acteurs mondiaux de l’Internet ». Et d’ajouter : « Il est urgent désormais de traduire cette directive dans notre pays, où les nouvelles plateformes imposent des modèles et des pratiques qui déstabilisent le secteur ». Quant à la société civile des Auteurs-Réalisateurs- Producteurs (ARP), dont le président d’honneur est le réalisateur, producteur et scénariste Claude Lelouch, elle a
« salué » au nom de ses membres cinéastes « ce premier pas en faveur de la diversité culturelle : ces 30 % sont un plancher et incitent à poursuivre les discussions ». Concernant l’obligation pour les plateformes de VOD et SVOD de respecter les principes de contribution à la création en fonction du pays de destination, l’ARP la considère comme « fondamentale pour la pérennité de notre écosystème à l’ère du numérique : il est plus que jamais nécessaire que les acteurs qui bénéficient des oeuvres participent à leur financement. (…) Aucune plateforme numérique ne doit pouvoir se soustraire ».

Aller au-delà du quota des 30 % ?
L’ARP est coprésidée par les réalisateurs Julie Bertuccelli et Michel Hazanavicius. La Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), elle aussi, s’est félicitée « de cette position convergente du Parlement européen et du Conseil [des ministres de la Culture de l’Union européenne, ndlr] pour imposer un quota et une présence renforcés de la création européenne sur les plateformes numériques ». Cette société d’auteurs fondée avec Beaumarchais en 1777 – il y aura 240 ans début juillet ! – s’en est pris au passage à « la proposition minimaliste et inacceptable de la Commission européenne qui se satisfaisait d’un quota limité à 20 % ».

« Lutter contre le dumping culturel » (SACD)
Et la SACD d’expliquer qu’il faudra aller plus loin : « Le Conseil [des ministres européens de la Culture] rejoint ainsi le Parlement européen qui avait récemment adopté une position identique à hauteur de 30 %. Bien que l’objectif demeure que
ce quota soit à terme, dans un deuxième temps, porté au même niveau que pour les chaînes de télévision, il s’agit d’un compromis raisonnable ». La SACD et la Société civile des auteurs multimédias (Scam) ont réclamé, en vain, un quota de 40 %.
Dirigée par Pascal Rogard et présidée par le réalisateur, scénariste et producteur Jacques Fansten, la SACD s’est en outre dite satisfaite du vote des Etats membres de l’Union européenne qui a « définitivement » consacré l’obligation pour les services de VOD de respecter les obligations d’investissement dans la création dans les pays dans lesquels ils proposent leurs services. « C’est une avancée majeure qui permettra de lutter contre le contournement des politiques culturelles nationales et le dumping culturel dont abusent certaines grandes plateformes du Net ».
Dans son communiqué du 23 mai, le Conseil de l’UE, précise que les Etats membres pourront exiger une contribution financière de la part des fournisseurs de services de médias audiovisuels, « y compris ceux qui sont établis dans un autre Etat membre,
des dérogations étant prévues pour les jeunes pousses et les petites entreprises ».
Le compromis du 23 mai est intervenu le lendemain d’un appel lancé la veille de Cannes – et pour mieux se faire entendre des ministres de la Culture européens (lobbying oblige) – par des cinéastes européens pour « le maintien de la territorialité des droits (d’auteur) » et pour « l’intégration des géants de l’Internet dans l’économie
de la création européenne [qui] est déterminante pour l’avenir du cinéma ».
Et les dizaines de cinéastes signataires, dont Julie Bertuccelli (ARP), Luc Dardenne et Jean-Pierre Dardenne (Belgique), Costa Gavras (France), Michel Hazanavicius (ARP) ou encore Wim Wenders (Allemagne), de déclarer : « L’Europe n’est pas un nouveau Far-West, sans foi ni lois : elle doit veiller à appliquer les mêmes règles à l’ensemble des diffuseurs, plateformes, sites de partage ou réseaux sociaux ». Selon eux, l’Europe devrait assurer le principe d’une équité fiscale et rapidement mettre en oeuvre des engagements de financement et de diffusion vis-à-vis de la création européenne,
« sans possibilité de contournement », tout en garantissant une meilleure adéquation entre le lieu d’imposition et le lieu de diffusion des œuvres, « comme c’est déjà le cas pour la TVA ».
Les cinéastes s’inquiètent en outre de la remise en cause de la territorialité des droits, dans le cadre cette fois de la réforme de la directive européenne sur le droit d’auteur, qui, selon eux, garantit le haut niveau de financement des œuvres en Europe, en particulier pour les cinématographies les plus fragiles et les coproductions européennes : « Ce principe doit être sanctuarisé pour garantir l’exclusivité des droits et les fondements du financement de la création. C’est cette territorialité qui permet aux spectateurs d’accéder à des œuvres diverses et financées à travers l’Europe. Rêver
au marché unique européen peut être séduisant mais, en l’état, un tel projet irait à l’encontre du fondement de la diversité et de l’exception culturelle ».
Le 2 mai, plus de 400 représentants de l’audiovisuel européen ont adressé une lettre aux institutions de l’Union européenne (3) pour exprimer leur inquiétude sur le projet de permettre à un diffuseur – chaîne ou plateforme numérique – de diffuser une oeuvre ou un contenu audiovisuels n’importe où en Europe dès lors qu’il détient les droits d’exploitation dans un pays européen. Or seules la France, l’Espagne et l’Italie veulent préserver le principe de la territorialité des droits d’auteur.

Extension des protections aux médias sociaux
Le projet de révision de la directive SMA (lire l’article juridique de Winston Maxwell p. 8 et 9) prévoit par ailleurs de simplifier les règles régissant le principe dit « du pays d’origine », selon lequel les prestataires de services audiovisuels ne sont soumis qu’aux règles applicables dans le pays où se situe leur siège. Il est aussi proposé d’étendre le champ d’application de cette directive aux médias sociaux, lorsque la fourniture de contenus audiovisuels constitue une part essentielle de ces services. Ainsi YouTube, Facebook, Twitter ou encore Dailymotion devront respecter des règles concernant la protection des mineurs et la protection des citoyens contre les discours de haine et la violence. @

Charles de Laubier