Marie-Pierre Sangouard, Amazon France : « L’accueil de Kindle Unlimited a été très positif »

Directrice des contenus Kindle d’Amazon France depuis 2011, après avoir été directrice du livre à la Fnac, Marie-Pierre Sangouard nous répond à l’occasion du Salon du livre de Paris sur l’auto-édition, le livre numérique, la TVA, le format AZW, ainsi que sur le lancement d’Amazon Publishing en France.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Marie Pierre SangouardEdition Multimédi@ : Le groupe Amazon est présent au Salon du livre de Paris encore cette année (après une absence remarquée en 2013) : que présentez-vous ?
Marie-Pierre Sangouard (photo) : Cette année nous serons à nouveau présents au Salon du livre avec notre stand Kindle Direct Publishing (KDP) placé sous le signe de l’auto-édition et de la lecture numérique. C’est l’occasion pour les visiteurs de se familiariser avec les nouvelles formes de diffusion de la culture
et de simplification de la création littéraire que nous proposons aux lecteurs d’une part, et aux auteurs en devenir d’autre part.
En ce sens, nous organisons la 2e édition du « speed dating KDP » à destination des auteurs en herbe sur notre stand au Salon du livre. Les gagnants seront publiés via notre programme d’auto-édition KDP et soutenus sur Amazon.fr pendant un mois :
une belle opportunité de se faire remarquer du grand public, tout comme les plus de 600.000 auteurs auto-édités présents aujourd’hui sur notre plateforme KDP partout dans le monde. Nos toutes dernières liseuses Kindle seront également exposées afin de permettre à tous les lecteurs d’en découvrir les multiples avantages et fonctionnalités.

EM@ : Amazon va devenir aussi une maison d’édition en France à travers sa nouvelle filiale Amazon Publishing France, dont l’ « éditeur de manuscrits originaux » (Senior Editor Original Manuscripts) a été recruté en février. Quand lancez-vous cette activité ?
M-P. S. :
Nous avons recruté Clément Monjou en tant qu’éditeur pour Amazon Publishing en France, dont nous sommes en train de constituer l’équipe. Il reporte
à Dominic Myers, responsable Europe d’Amazon Publishing et a pour mission de découvrir des ouvrages de qualité à traduire et à publier en langue française. Clément travaille pour Amazon depuis plus de deux ans.
Nous avons lancé le 10 mars nos deux premières traductions de l’anglais vers le français – un thriller, « Hackeur et contre tous » de Dave Bushi, et d’une comédie romantique, « Ladden et la lampe merveilleuse » de Stéphanie Bond –, auxquelles viendront s’ajouter trois autres titres d’ici la fin du mois. Notre objectif est de publier
des fictions issues de genres variés tels que les thrillers, la littérature sentimentale
et la science-fiction.

« Nous avons recruté Clément Monjou en tant qu’éditeur pour Amazon Publishing en France (…). Il a pour mission de découvrir des ouvrages de qualité à traduire et à publier en langue française ».

EM@ : Depuis votre arrivée en juillet 2011 chez Amazon France en tant que directrice des contenus Kindle, comment a évolué l’activité « livres » (papier
et ebook) dans l’Hexagone selon vous ?
M-P. S. :
Le secteur du livre est en constante évolution et nous faisons face aujourd’hui à une révolution des usages qui passe notamment par le numérique, tant en termes
de distribution en ligne, complémentaire à la vente en librairie, qu’en termes de format, avec l’ebook qui vient compléter le livre traditionnel. S’agissant de la distribution, Internet constitue une opportunité pour démocratiser la culture et la rendre accessible au plus grand nombre, parfaitement complémentaire des réseaux traditionnels. Ce canal contribue également à la diffusion de la culture française via la vente de livres
en français dans le monde entier et nous sommes fiers qu’Amazon soit le premier distributeur hors de France de livres en langue française avec l’ensemble de ses plateformes dans le monde. Enfin, l’émergence de l’auto-édition en ligne, qui permet
la découverte de nouveaux talents littéraires, est une des révolutions majeures de ces dernières années. Il s’agit d’un tremplin unique qui a permis à de nombreux talents d’émerger. Par exemple, c’est ainsi qu’Aurélie Valognes, auteure de « Mémé dans
les orties », a rencontré le succès pour son premier roman auto-publié.

EM@ : Selon les premières estimations du Syndicat national de l’édition (SNE),
le livre numérique se situe autour de seulement 5 % des ventes de l’édition en France. Comment et pourquoi – vu d’Amazon – y a-t-il ce retard français par rapport à d’autres pays ?
M-P. S. :
Depuis le lancement de Kindle en France en 2011, nous sommes pour notre part très satisfaits des résultats. Nous concentrons nos efforts sur la démocratisation
de la lecture numérique comme une offre présentant de nombreux avantages, tels que la facilité d’accès (téléchargement en 60 secondes 24h sur 24) et un catalogue se développant sans cesse. Sont ainsi accessibles à partir de Kindle 3 millions de livres numériques présents aujourd’hui, dont plus de 175.000 en français et plus de 4.000 grands classiques gratuits. La quasi-totalité des nouveautés sont disponibles et cet élargissement de l’offre est clé. Parmi les freins, on peut noter la faiblesse du catalogue disponible en langue française par rapport à l’offre papier, et des prix qui peuvent paraître élevés pour les lecteurs : par exemple, certains ouvrages ont un prix numérique supérieur à celui de leur équivalent papier.

EM@ : Le 5 mars, la Cour de justice de l’Union européenne a décidé que la France ne pouvait appliquer aux ebooks le même taux de TVA réduit que celui des livres imprimés (5,5 % au lieu de 20 %). Quelles conséquences cela va avoir sur les ventes d’ebooks sur Kindle en France ?
M-P. S. :
L’importance culturelle et pédagogique d’un livre réside dans le contenu
du travail de l’auteur, pas dans son format, qu’il soit numérique ou papier. Comme beaucoup de nos clients, nous pensons que le même taux réduit de TVA doit être appliqué aux livres, quel que soit leur format. Sur les conséquences de cette décision, nous n’avons pas de visibilité sur les éventuels changements de politique de prix des éditeurs : il est donc difficile de faire des prévisions.

EM@ : L’interopéralité des formats des ebooks est de plus en plus évoquée, tant par les utilisateurs que par les pouvoirs publics : le format AZW de Kindle est-il un obstacle ou pas au développement du livre numérique ?
M-P. S. :
Au contraire, le fait de pouvoir maîtriser son format est un réel avantage parce que c’est cela qui permet l’innovation au service d’une expérience du lecteur toujours plus riche. Par exemple, grâce à son format AZW (ou mobi), Amazon a développé des applications spécifiques, les dictionnaires, le surlignage, le partage ou encore le service X-Ray qui permet d’explorer et d’analyser la structure d’un ouvrage sur Kindle – ses idées essentielles, les personnages ou les thèmes. En outre, nous faisons en sorte qu’un client puisse lire ses ouvrages Kindle sur tous les appareils dont il dispose – ordinateurs PC ou Mac, smartphones ou tablettes, sous iOS ou Android – via l’application de lecture gratuite Kindle, ce qui constitue une véritable valeur ajoutée.

EM@ : En février, la médiatrice du livre a considéré que les offres d’abonnement de lecture illimitée d’ebooks en France sont illégales car« le prix n’est pas fixé par l’éditeur ». C’est le cas de Kindle Unlimited…
M-P. S. :
L’accueil de Kindle Unlimited a été très positif en France depuis son lancement en décembre, comme dans tous les pays où le service a été lancé, car
il permet aux lecteurs de découvrir facilement un plus grand nombre d’auteurs, soit 700.000 titres dont plus de 20.000 en français [pour 9,99 euros par mois, ndlr], et
aux auteurs de toucher un plus grand nombre de lecteurs dans le monde entier. Des éditeurs français sont d’ores et déjà présents sur KU, tels que Fleurus [groupe Média-Participations, ndlr], Jouvence, Eyrolles, La Musardine, Bragelonne, Encyclopædia Universalis, … La période de concertation entre la médiatrice du livre et tous les acteurs qui proposent ce type de service innovant est en cours. @

Bouclier juridique, le secret des affaires s’arrête là où commence la liberté d’expression

Anciens médias, nouveaux médias et lanceurs d’alerte sont unanimes pour préserver la liberté d’expression au nom de la liberté d’informer. C’est la limite naturelle du secret des affaires. Encore faut-il définir ce dernier et légiférer.
La loi « Macron » a tenté, en vain, de le faire. N’est-ce que partie remise ?

Etienne Drouard, avocat associé, cabinet K&L Gates

A l’occasion de l’examen en commission du projet de loi
« Macron » pour la croissance et l’activité, les parlementaires
ont adopté des amendements visant à définir et protéger le secret des affaires. Mais il n’aura fallu que 48 heures à deux journalistes de renom, Edwy Plenel (1) et Elise Lucet (2), pour faire renoncer l’Elysée, puis Bercy et la majorité parlementaire, au maintien du projet de texte sur le secret des affaires. Les deux journalistes estimaient qu’un tel projet portait atteinte à l’activité des journalistes, notamment leurs investigations et, de manière générale, que ce texte n’aurait jamais permis la sortie d’affaires telles que celle du Médiator ou des prothèses mammaires PIP s’il avait été en vigueur lorsque des journalistes enquêtaient sur ces affaires.

Liberté d’expression en Europe
Invoquer la protection de la liberté d’expression – à juste titre ou non – quelques semaines après les attentats de janvier 2015 était imparable. Lobotomisant. A tel point que Emmanuel Macron (3) et le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale ont vite craint leur « démonétisation » personnelle ou celle du texte s’ils maintenaient les « amendements secret des affaires ». Et ce, au milieu d’un débat parlementaire déjà très houleux qui conduisit à l’adoption sans vote du projet de loi
« Macron » par l’Assemblée nationale en première lecture, par le recours à l’article
49-3 de la Constitution. Il est vrai que le traitement d’un sujet aussi important que le secret des affaires dans les replis d’une loi aussi tentaculaire que la loi « Macron »,
était probablement une négligence : lorsque la presse ne sait plus communiquer sur
les thèmes abordés par le projet de loi « Macron » tellement ils sont nombreux, on s’expose naturellement à une critique d’autant plus audible qu’elle porte sur un sous-thème précis, qui « parle » plus facilement aux médias… surtout quand ces derniers s’estiment visés par le sujet en question. Dans ce tintamarre médiatico-politique, peu d’acteurs concernés ont eu le temps d’analyser sereinement les dispositions adoptées par les députés avant d’être retirées par le gouvernement. Or, lorsqu’on est un journaliste, on ne peut de bonne foi affirmer que la liberté d’expression pourrait être vraiment menacée par une loi nationale au sein de l’Union européenne. Car quiconque s’intéresse aux mécanismes institutionnels de protection de la liberté d’expression le sait : au sein de l’Union européenne, les Etats membres ne sont pas libres d’attenter par la loi à la liberté d’expression (4). Bref. Pourquoi tout ce bruit ? Qui a lu le projet de texte ? Et à quoi bon légiférer sur le secret des affaires ? Pourquoi faut-il clairement définir et organiser la protection du secret des affaires ?

Il s’agit d’un indéniable progrès dans la protection du patrimoine immatériel des entreprises comme des organismes de recherche et de tous ceux qui imaginent, innovent et créent ainsi les principales richesses d’aujourd’hui et de demain. Or ce patrimoine, fruit de l’intelligence, est régulièrement menacé de « pillages » économique ou para-étatique. Et contre ces menaces, les outils de défense ou de riposte sont limités, mal adaptés, voire inexistants. Bien que la notion de secret des affaires soit mentionnée dans le code de commerce, de la consommation, des postes et communications électroniques ou encore le code monétaire et financier, il n’en existe aucune définition véritable, ce qui est source d’insécurité juridique. Au niveau du droit communautaire, où le secret des affaires est rattaché au secret professionnel par l’article 339 du Traité européen (TFUE), les secrets d’affaires sont définis par les juridictions européennes comme « des informations dont non seulement la divulgation au public mais également la simple transmission à un sujet de droit différent de celui qui a fourni l’information peut gravement léser les intérêts de celui-ci » (5). Cette définition jurisprudentielle a ensuite été reprise et complétée par la communication de la Commission européenne sur l’accès au dossier publiée le 22 décembre 2005.

Le maquis législatif français
En droit français, les dispositions existantes constituent un maquis législatif dont la complexité laisse les entreprises, notamment les plus petites, incapables de faire face à la diversité des stratégies de pillage et des contentieux à mener pour y répondre. Ainsi, en droit pénal, l’incrimination de vol n’est pas applicable au vol d’information, laissant un trou béant dans la cuirasse. Et s’il est possible d’invoquer l’abus de confiance, l’escroquerie, l’intrusion dans un système informatique, le secret de fabrique, le secret professionnel… il ne s’agit là que de moyens de réponse fragmentés qui ne recouvrent pas la diversité du pillage d’informations confidentielles. Les principales victimes de ces lacunes sont nos PME-PMI innovantes, source d’emploi et de croissance.

La France soit combler un retard
En droit civil, aucune protection spécifique n’est prévue par les textes. Les tribunaux ont tiré du droit commun de la responsabilité une certaine protection contre la concurrence déloyale. Mais elle n’est accessible qu’à ceux qui ont les moyens de s’offrir l’expertise nécessaire à sa mise en oeuvre, ce qui n’est pas le cas des innovateurs les plus fragiles, qui sont pourtant l’un des tissus les plus féconds de l’innovation. Enfin, la phase contentieuse fait trop souvent l’objet de détournement afin d’accaparer légalement des secrets indispensables à la position concurrentielle de l’entreprise.
La France doit donc combler un retard qu’elle accuse depuis longue date par rapport
à ses partenaires et concurrents économiques directs (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, …), qui protègent déjà le secret des affaires de leurs entreprises face aux mêmes phénomènes de pillage que ceux rencontrés par les entreprises françaises.

Si la liberté d’expression et d’enquête journalistique autorisent de fracturer des portes, des coffres et des systèmes informatiques, alors tout secret protégé par la loi – professionnel, des affaires, défense ou médical – viendrait violer une telle vision de la liberté d’informer. Or, ce qui distingue un espion d’un journaliste, indépendamment des méthodes employées pour accéder à une information, c’est la notion d’appropriation :
le journaliste informe et révèle quand le pilleur s’informe et s’approprie (6). De surcroît, la protection légale du secret des sources constitue en elle-même une légitimation des moyens d’investigation employés à des fins d’information du public, qui vient compléter la protection de la liberté d’expression, sans que le secret des affaires ne puisse lui porter atteinte d’aucune manière.
Or, le projet de texte débattu en janvier 2015 intégrait des exemptions claires, indiscutées et larges pour garantir la protection des journalistes et des lanceurs d’alerte. A ce titre, le projet d’article L. 152-2 du Code de commerce précise que le secret des affaires n’est pas opposable « dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation
du secret ». Le texte ne met donc nullement en cause les protections existantes, et notamment celles déjà octroyées par les lois adoptées entre 2007 et 2013 concernant les lanceurs d’alerte, ainsi que celles prévues pour l’exercice légitime de leurs missions par les institutions représentatives du personnel.
De même, le projet d’article L. 151-2 prévoit : « Toute atteinte, délibérée ou par imprudence, au secret des affaires prévue aux deux premiers alinéas du présent article engage la responsabilité civile de son auteur, à moins qu’elle n’ait été strictement nécessaire à la sauvegarde d’un intérêt supérieur, tel que l’exercice légitime de la liberté d’expression ou d’information ou la révélation d’un acte illégal ».
En faisant expressément la réserve d’un « intérêt supérieur », le projet de texte s’est inscrit dans un édifice au sommet duquel figurent un certain nombre de valeurs, dont, comme il l’indique lui-même, la liberté d’expression.
Celle-ci constitue la limite naturelle et stable au secret des affaires, comme elle l’est déjà pour le droit au respect de la vie privée ou le droit à l’image. Dans ce domaine,
la Cour de cassation rappelle « que ce droit doit se combiner avec l’exercice de la liberté de communication des informations, ce dont il résulte qu’une personne ne peut s’opposer à la réalisation et à la divulgation de son image chaque fois que le public
a un intérêt légitime à être informé ». Il en va de même du secret des affaires, nécessairement limité dans la mesure où le public a un intérêt légitime à être informé, ce qu’énonce exactement le projet d’article L. 151-2 du Code de commerce.

Bouclier juridique sous contrôle du juge
En conclusion, il faudra rebondir pour légiférer sur le secret des affaires. Vite. A force de conseiller et de défendre des entreprises innovantes comme des entreprises de presse, qui peuvent parfois et heureusement être une même entreprise, je constate qu’elles ont toutes besoin d’armes et de boucliers dans la « sale guerre » que se livrent les Etats, les ensembles régionaux et leurs économies. Le secret des affaires relève plutôt du bouclier juridique. Il ne peut s’employer que sous le contrôle du juge. Lorsqu’il peut être un recours approprié, il faut que les entreprises françaises victimes de pillage économique puissent s’en servir. Et que la presse continue de remplir sa mission essentielle, épaulée en cela par les lanceurs d’alerte, tout en préservant son indépendance à toute force. @

Les acteurs du Net fustigent les velléités de la France d’instaurer une fiscalité numérique nationale

Après le rapport « Fiscalité du numérique » publié par France Stratégie (service du Premier ministre), qui conseille l’Etat de taxer « à court terme » la publicité
en ligne et les données, les acteurs de l’Internet dénoncent une approche franco-française et demandent un cadre fiscal international.

Google, Dailymotion, Microsoft, Facebook, Yahoo, AOL, Spotify, Deezer, PriceMinister ou encore Wikimedia, tous membres de l’Association des services Internet communautaires (Asic), présidée par Giuseppe de Martino (photo), s’insurgent contre le rapport « Fiscalité du numérique » qui, selon eux, « stigmatise l’économie numérique sans comprendre que toute l’économie devient numérique ».

Cinq ans de rapports français !
Commandité par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective – alias
« France Stratégie » – qui dépend du Premier ministre, ce rapport de 170 pages en anglais et publié le 9 mars (1) suggère au gouvernement de mettre en oeuvre « une taxation spécifique pour lutter contre l’optimisation fiscale des géants du numérique ». Sont ainsi proposées une taxation de la publicité, une taxation sur le commerce électronique, une taxation sur les flux de données (bande passante), une taxation en fonction du nombre d’internautes, une taxation en fonction du nombre de données stockées sur le territoire français ou encore une taxation sur la base des données échangées. Après les rapports « Marini » d’avril 2010 et de juin 2012, « Blandin/Morin-Desailly » de janvier 2012, puis « Collin & Colin » de janvier 2013, « CNNum » de septembre 2013, tous consacrés à la fiscalité numérique (sans oublier le rapport
« Muet-Woerth » de juillet 2013 sur l’optimisation fiscale internationale), voici que le rapport « France Stratégie » pousse l’Etat français à taxer sans attendre les acteurs du Net. « A court terme, de nouveaux outils fiscaux spécifiques pourraient être envisagés, au niveau européen ou d’un noyau de pays, dans l’attente d’une refonte du cadre fiscal international. Une telle fiscalité (…) reposerait sur une taxe ad valorem des revenus publicitaires ou de la collecte de données personnelles, plus facilement rattachables à un territoire », préconisent les dix économistes auteurs de « ce rapport sur le rapport
du rapport » (dixit l’Asic). Ont ainsi été sollicités par Matignon des experts de l’Ecole d’économie de Paris, de l’Ecole d’économie de Toulouse et de l’Institut Mines-Télécoms. Les acteurs du Net présents en France leur reprochent, via l’Asic, de faire des propositions « qui auront pour effet de s’appliquer aux seules entreprises ayant
une résidence fiscale en France, soit les acteurs français, et non pas aux entreprises établies dans les autres pays de l’Union européenne ». L’attractivité des services Internet français en serait d’autant plus compromise et les acteurs français seraient désavantagés par rapport à leurs homologues européens. « De telles mesures nationales, si elles sont mises en oeuvre, pousseront la France et son écosystème aux portes de la récession numérique », mettent-ils encore en garde (lire encadré page suivante). Intervenant lors du séminaire organisé à l’occasion de la présentation du rapport « France Stratégie », la secrétaire d’Etat au numérique, Axelle Lemaire, a conclu que « de nouveaux outils fiscaux spécifiques pourraient être envisagés, au niveau européen, en parallèle d’une adaptation du cadre fiscal international ».

Autrement dit, des taxes nationales sur le numérique ne sont pas envisageables. Une taxe sur la bande passante, comme le souhaite Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication (2), ou une taxe sur la publicité en ligne, sollicité notamment par Frédérique Bredin, présidente du Contre national du cinéma et de l’image animée (CNC), ne peuvent se concevoir qu’à l’échelon européen (3) (*) (**), voire international. L’Internet Advertising Bureau (IAB) a mis en garde contre « les effets contreproductifs » de cette taxe. Quoi qu’il en soit, Axelle Lemaire a prévu de rencontrer ses homologues européens pour que la question de la fiscalité numérique soit à l’ordre du jour de la
« Stratégie numérique » que présentera la Commission européenne en mai prochain.

« Taxe Google » multiformes
Ce énième rapport français sur la fiscalité numérique en cinq ans préconise peu ou prou une « taxe Google » qui pendrait plusieurs formes selon qu’elle s’applique sur
les recettes publicitaires, sur l’exploitation des données ou encore sur le nombre d’utilisateurs. Objectif : lutter contre « une optimisation fiscale agressive » des GAFA
« réduisant drastiquement leur taux d’imposition ». Or les acteurs du Net ne veulent pas d’une fiscalité spécifique sur leurs activités numériques car, selon eux, « l’optimisation fiscale [n’est] pas le monopole du “numérique” ». La solution doit être trouvée au sein de l’OCDE (4) – dont le siège est à Paris – pour modifier au niveau international le cadre juridique applicable à toutes les multinationales, qu’elles soient françaises ou étrangères.

Le BEPS de l’OCDE pour septembre
C’est en septembre prochain que doivent aboutir, notamment sur le numérique, les négociations sur la coopération fiscale dans le cadre du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting, comprenez « érosion de l’assiette fiscale et déplacement des profits »).
« En matière de fiscalité des multinationales, il est important que les Etats adaptent le cadre juridique qu’ils ont élaboré au cours des quarante dernières années. La France se doit donc de supporter les travaux actuellement en cours au sein de l’OCDE relatifs à l’érosion des bases fiscales (BEPS), quand bien même ceux-ci viseraient l’ensemble des multinationales et non exclusivement celles du numérique », estiment les acteurs du Net. Car les GAFA ne sont pas les seuls à faire de l’optimisation fiscale jusqu’aux limites de la légalité. Beaucoup de multinationales profitent du « dumping fiscal » pratiqué par certains Etats de l’Union européenne pour organiser leur l’évasion fiscale.

C’est ainsi qu’ont été popularisés deux montages financiers baptisés « double irlan-
dais » et « sandwich hollandais » qui auraient permis par exemple à Google d’échapper en grande partie à l’impôt en Europe grâce à une filiale située dans le paradis fiscal des Bermudes (où est située sa filiale Google Ireland Holdings). Cette double pirouette fiscale, a priori légale, est décrite en détail dans le rapport français « Colin & Collin » (5). Pierre Collin est justement l’un des six experts qui ont rendu en mai 2014 à la Commission européenne commanditaire un rapport sur « la taxation de l’économie digitale » (6). Ce rapport européen d’il y a presque un an en conclut que « l’économie numérique ne nécessite pas un régime fiscal distinct ». Bruxelles a ensuite lancé, un mois après ce rapport (en juin 2014) une enquête sur des aides d’État dont auraient pu bénéficier Apple en Irlande, Starbucks aux Pays-Bas, Fiat au Luxembourg et, depuis octobre dernier, Amazon au Luxembourg. Ce qui provoque des distorsions de concurrence au sein de l’Union européenne. Rappelons en outre que le 6 novembre dernier, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a publié une enquête – baptisée sous le nom évocateur de « Luxembourg Leaks » ou « LuxLeaks » (7) (*) – menée par 80 reporters de 26 pays sur les accords fiscaux (tax rulings) avantageux conclus entre 340 entreprises et le Luxembourg. Parmi les bénéficiaires
de ces arrangements fiscaux : la filiale iTunes d’Apple, Amazon Media, Vodafone, Accenture, Sportive Group (Lagardère), mais aussi LVMH et bien d’autres dans des secteurs économiques différents. Cet élargissement de la problématique « optimisation fiscale » va dans le sens des acteurs du numérique qui refusent d’être discriminés en tombant seuls sous le coup d’une éventuelle fiscalité digitale. « L’ensemble des services développés par l’économie numérique se retrouvent aujourd’hui dans tous les secteurs économiques. Les diverses plateformes de vidéos sont aujourd’hui utilisées par les industries culturelles qui y voient un vecteur de promotion, de communication mais aussi de valorisation de leurs oeuvres. Les réseaux sociaux sont présents en entreprises ; les services de stockage deviennent monnaie courante », explique l’Asic, qui déplore au passage que ce rapport des services du Premier ministre ait été réalisé sans réelle collaboration ni même échanges avec les divers acteurs français de l’économie numérique. « En effet, le rapport ne tient pas compte du fait que le numérique n’est plus un secteur à part entière. @

Charles de Laubier

FOCUS

Les critiques des acteurs du Net en cinq points
L’Association des services Internet communautaires (Asic), créée en 2007, formule à titres d’exemples cinq critiques sur les taxes préconisées par le rapport « France Stratégie » :
• Une taxe sur les données échangées ? « Il faudra donc installer des sondes pour espionner chaque fait et geste d’un internaute en France » ;
• Une taxe sur le stockage des données ? « Celui-ci deviendra donc plus cher sur le territoire français au plus grand bénéfice des concurrents européens » ;
• Une taxation en fonction du nombre d’utilisateurs français ? « Une excellente incitation à lancer sa start-up ou son entreprise, ailleurs qu’en France » ;
• Une taxation de la publicité ciblée ? « Elle forcera les entreprises françaises à recourir à un modèle économique, celui du modèle payant. Un avantage sans doute concurrentiel pour toutes les entreprises basées hors de France, non résidentes fiscales et donc, non soumises à cette nouvelle mesure » ;
• Une taxation de la publicité ? « Proposée initialement en 2007 par le sénateur [Philippe] Marini, maintes fois rejetées car visant exclusivement les acteurs domiciliés en France ». @

Android TV sur Bbox Miami et Freebox Mini : comment Google France part à la conquête des téléviseurs

Avec Android TV, Google accélère l’expansion de son empire à la télévision
en proposant aux fournisseurs – gratuitement comme pour les fabricants de smartphones – son écosystème de TV connectée. En France, la Bbox Miami et
la Freebox Mini l’ont adopté. D’autres fabriquants (box, Smart TV, …) aussi.

Android TV fait une entrée remarquée chez deux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) français : Bouygues Telecom a commencé à commercialiser sa Bbox Miami fin janvier auprès de ses clients existants et la proposera à tous à partir du 23 mars ; Free a lancé sa Freebox Mini
le 10 mars dernier avec disponibilité immédiate pour tous,
ses clients ou pas. La bataille des box sous Android TV des deux frères ennemis – Martin Bouygues et Xavier Niel – ne fait que commencer, avec un léger avantage pour la Bbox Miami à 25,99 euros par mois au lieu de 29,99 euros par mois pour la Freebox Mini.

En attendant la box Nexus Player
Bien que les deux opérateurs télécoms assurent qu’ils gardent respectivement le contrôle de leur box et restent indépendants, c’est bien Google qui fait son entrée
dans les foyers par le téléviseur connecté du salon. Les FAI français ne pouvaient
pas résister longtemps au géant du Net, comme a tenté de le faire Free. En effet,
en octobre dernier, son DG Maxime Lombardini expliquait : « Android sur les boxes, c’est donner accès à nos box à Google. Demain, quand on aura un parc Android sur
la France entière, ce sera Google qui, depuis Mountain View, pourra décider de la VOD qui sera distribuée », avait-il lancé. Manifestement, Xavier Niel n’était pas de cet avis. Si Bouygues Telecom n’a pas hésité à adopter Android TV pour sa nouvelle box, mais en essayant de garder la maîtrise de l’interface (une surcouche que n’a pas faite son concurrent), il a en revanche tardé six mois entre l’annonce et la commercialisation effective.

Ces deux FAI donnent le véritable coup d’envoi de la plateforme multimédia Android TV en France (lire encadré ci-dessous), huit mois après son lancement à la conférence
des développeurs Google I/O et deux ans et demi après le lancement sur le marché français de Google TV qui fut un échec (1). Est aussi venu les rejoindre le fabricant américain Nvidia qui a annoncé le 3 mars Shield, « la première console Android TV au monde, qui permet d’accéder aux vidéos, à la musique, aux applications et à des jeux incroyables en streaming depuis chez soi ». Mais elle ne sera disponible qu’en mai prochain. Tandis que Free a affirmé, une semaine après Nvidia, être « le premier opérateur au monde à proposer une box compatible avec la technologie 4K (ultra haute définition) et intégrant Android TV ». Selon Xavier Niel, Google a accepté « pour la première fois » qu’un FAI développe un équipement – en l’occurrence une box triple play – à partir de la dernière version Android TV. Quant au japonais Sony, qui avait essuyé les plâtres de la Google TV en 2012, il est parmi les premiers fabricants de Smart TV – avec Sharp et Philips – à proposer Android TV (2).

Mais il faudra aussi compter avec Google lui-même et son Nexus Player, une box sous Android TV (fabriquée par Asus) annoncée en octobre dernier : commercialisée depuis janvier aux Etats-Unis et depuis peu au Japon, elle n’est pas encore disponible en Europe. Thomas Riedl, le responsable mondial des partenariats pour Android TV chez Google, sera présent à la conférence européenne TV Connect à Londres, le 30 avril prochain. Il y fera la promotion de la nouvelle plateforme de télévision connectée de
la firme de Mountain View fonctionnant sous la dernière version Android 5.0 (alias Lollipop), qui doit succéder à Android 4.4 (ex-Google TV). Alors que Free a opté d’emblée pour la toute dernière version d’Android TV, Bouygues Telecom a misé sur une version antérieure, la 4.3 (alias Jelly Bean) jugée plus stable techniquement (3) (*) (**). Que le meilleur gagne ! @

Charles de Laubier

ZOOM

Android TV multimédia pour faire oublier l’échec de Google TV
Avec Android TV, l’abonné ADSL (si ce n’est VDSL2 ou FTTH) a accès à l’univers multimédia de Google sur son téléviseur connecté, sa tablette ou son smartphone : contenus et applications développés pour la Smart TV sont ainsi accessibles via une interface fluide et intuitive. Des recommandations personnalisées de contenus sont faites en lien avec Google Play (films, musiques, jeux, …), YouTube et d’autres applications (myCanal, Pluzz, Netflix, VOD, …). Et avec Google Cast, les « télénautes » peuvent diffuser – aisément et directement sur le téléviseur connecté – leurs photos, vidéos ou musiques, à partie de leur mobile, leur tablette ou leur ordinateur (4). Grâce
à la synchronisation de contenu sur Google Play, ils peuvent par exemple commencer
à regarder un film sur le téléviseur dans le salon et le poursuivre sur la tablette dans la chambre. Quant à la recherche vocale sur Android TV, elle permet de trouver rapidement ce que l’on souhaite regarder. Enfin, il est possible de contrôler totalement Android TV depuis un téléphone mobile ou une montre connectée Android Wear. @

Orange mise sur son réseau, agrégateur de contenus

En fait. Le 17 mars, Stéphane Richard, PDG du groupe Orange, a présenté son nouveau plan stratégique baptisé « Essentiels 2020 », lequel succède au plan
« Conquêtes 2015 » – avec 15 milliards d’euros d’investissement à la clé dans
ses réseaux très haut débit fixe et mobile. Et les contenus ?

En clair. Le nouveau plan « Essentiels 2020 » est un recentrage d’Orange sur son métier d’opérateur de réseaux. Pour ne pas tomber dans la spirale de la baisse des prix, l’ex-France Télécom va investir en cinq ans 15 milliards d’euros dans la 4G et la fibre optique. Mais il est peu question de contenus dans cette stratégie de « qualité
de service ». Le seul moment où « Essentiels 2020 » en parle, c’est pour évoquer sa nouvelle interface TV, Polaris et la clé multimédia « TV Stick ».
Présenté en octobre dernier, Polaris propose une nouvelle interface et des services unifiés sur tous les écrans au sein d’un même foyer : téléviseur connecté, tablettes, mobiles, ordinateurs, … « Il est désormais facile de retrouver ses contenus (VOD, jeux, musique), ses choix et ses préférences dans un univers clair et intuitif. Vous pouvez ainsi poursuivre sur votre tablette ou sur votre smartphone le film ou la série que vous avez commencé à regarder sur votre TV, et vice versa », avait alors expliqué Stéphane Richard, lors de son Show hello 2014. Succédant à Liveplay lancé en 2012, Polaris donne accès par son moteur de recherche interne à un bouquet de contenus linéaires (chaînes de télévision, TV d’Orange et OCS) ou non linéaires (vidéo à la demande, musiques en ligne, jeux vidéo, …), ainsi qu’à Dailymotion toujours en quête d’un investisseur international (1). Avec Polaris, Orange se présente plus que jamais comme un agrégateur de contenus (y compris Netflix, CanalPlay, Filmo TV, PassM6 ou encore Jook Video).

Présentée en mars dernier au Mobile World Congress de Barcelone, TV Stick a l’ambition de concurrencer le Chromecast de Google sur le marché de l’OTT (2).
« Grâce au TV stick lancé en Roumanie et bientôt en France, les clients d’Orange pourront avoir accès chez eux à la TV d’Orange et aux contenus associés, simplement en branchant une clé HDMI sur leur téléviseur », indique l’opérateur télécoms. Cette clé HDMI (pour High Definition Multimedia Interface), fabriquée par le taïwanais Arcadyan, permet de recevoir la télévision linéaire (en live) sur une tablette ou un téléviseur, mais aussi des services à la demande tels que la catch up TV, la VOD ou encore les services « maison » comme les chaînes OCS ou la plateforme vidéo Dailymotion. L’utilisateur peut en outre visionner ses propres vidéos ou photos sur l’écran de son choix. @