Netflix déclare sa flamme au cinéma français, tout en espérant beaucoup de la future loi sur l’audiovisuel

« On aime profondément le cinéma ; on veut travailler avec vous ! », a lancé Marie-Laure Daridan, directrice des relations institutionnelles de Netflix France, lors des 29es Rencontres cinématographiques de Dijon. La première plateforme mondiale de SVOD, aux 6 millions d’abonnés en France, fait « une lecture très positive » de la future loi audiovisuelle.

Il y a cinq ans, tout juste après le lancement de Netflix en France, intervenait Janneke Slöetjes aux 28es Rencontres cinéma-tographiques de Dijon (RCD). Mais la directrice des affaires publiques de Netflix Europe avait à l’époque botté en touche sur les intentions du géant mondial de la SVOD envers le cinéma français. Cette fois, lors des 29es RCD qui se sont déroulées du 6 au 8 novembre, c’est Marie-Laure Daridan (photo), directrice des relations institutionnelles de Netflix France depuis dix mois, qui a fait le déplacement à Dijon à l’invitation de L’ARP, société civile d’auteurs, de réalisateurs et de producteurs (1), organisatrice de cet événement annuel. Pour la première fois, la firme de Reed Hastings – disposant à nouveau de bureau en France depuis un an (2) – s’est déclarée prête à coopérer avec le cinéma français dans la perspective de la future loi sur l’audiovisuel. « Nous faisons une lecture très positive de la loi (audiovisuelle) française, car elle va parfaitement dans le sens de nos objectifs et de la réalité de Netflix en France. La France occupe une place particulière pour Netflix, de par la diversité et la richesse de ses talents, de par sa créativité et son exception culturelle », a assuré Marie-Laure Daridan devant les professionnels du 7e Art français.

Une quinzaine d’œuvres françaises financées en 2019, autant en 2020
« Il y a dix ans, notre métier était la location de DVD par la poste : on évolue, on s’adapte, on apprend en marchant, et on veut travailler avec vous ! », a-t-elle lancé. Netflix dépasse aujourd’hui les 6 millions d’abonnés en France, conquis depuis son lancement en septembre 2014. « La raison d’être de Netflix en France est claire, a-t-elle expliqué. Il s’agit de développer des contenus locaux, avec des talents locaux, au plus près de notre audience locale, et d’offrir à ces contenus une fenêtre d’exposition assez inédite sur le monde auprès de nos 158 millions d’utilisateurs dans plus de 190 pays. Notre investissement en France est déjà significatif puisqu’en 2019 nous aurons commissionné une quinzaine de projets originaux ». Il y a bien sûr beaucoup de séries comme « Marianne » ou « Mortel » cette année et « La Révolution » ou « Arsène Lupin » l’an prochain, mais aussi des films tels que « Braqueurs », « Banlieusards » ou « Le Chant du loup ».

Final cut : Netflix dit respecter le droit moral
Netflix coproduit aussi, notamment la série « La Bazard de la charité » avec TF1, qui la diffuse en première exclusivité à partir du 18 novembre. La série « Mortel », en ligne à partir du 21 novembre, est écrite par un jeune diplômé de la Fémis et coproduite par Netflix associé à Mandarin Télévision. « Ce sont des investissements importants qui ont vocation à croître. Les contenus locaux sont immédiatement traduits en 30 langues et mis à disposition sur Netflix sur l’ensemble des territoires. Ce qui contribue de manière significative à les exporter et à les faire rayonner, tout en valorisant la création française dans le monde », a insisté Marie- Laure Daridan. Exemple : sept jours après sa mise en ligne le 12 octobre, le film « Banlieusards » été vu par plus de 2,6 millions de foyers à travers le monde. Et « Le Chant du loup » est l’un des films internationaux non anglais qui a le mieux marché dans le monde. « Notre ambition éditoriale est forte : nous voulons prendre des risques, explorer de nouveaux genres, de nouvelles formes d’écriture, travailler avec de nouveaux talents. Nous voulons aussi donner toute sa place à la diversité de la société, devant et derrière la caméra », a-t-elle poursuivie, en recitant la série « Mortel ». La directrice des relations institutionnelles de Netflix France a aussi voulu dissiper tout malentendu sur le droit moral des auteurs. Le réalisateur, scénariste et acteur français Pierre Jolivet, président de L’ARP, a amené le problème sous un angle polémique : « Netflix a fait beaucoup de productions en France sur des contrats où Netflix disposait du final cut, a-t-il reproché. Alors qu’en France, le droit moral prévoit – le cinéma étant à cheval entre l’industrie et l’art – que le film est terminé lorsque le producteur et le réalisateur se sont mis d’accord. Netflix n’a pas suivi cette disposition car vous aviez un rapport un peu léonin (3) avec les réalisateurs, jeunes pour la plupart, qui ne se voient pas faire un procès à Netflix parce qu’ils ont signé un contrat contre la loi française ». Marie-Laure Daridan a joué l’apaisement en laissant entendre que là aussi Netflix avait évolué en France : « Il n’y a pas de renonciation au droit moral dans nos contrats pour des productions de Netflix en France. C’est important de le souligner. Parce que les choses vont très vite et que Netflix – où je suis depuis dix mois – évolue ; la perception a un petit retard sur la réalité aujourd’hui ». Le projet de loi sur l’audiovisuel, qui sera présenté en conseil des ministres le 4 décembre puis débattu à l’Assemblée nationale à partir de février 2020, prévoit la protection de ce droit moral. Concernant cette fois les taux d’investissement dans la création, qui seront inscrits dans les conventions signées avec la future Arcom (4), un décret fixera les planchers. « On veut que ce taux ne soit pas endessous de 16 %, en souhaitant que cela soit largement au-dessus », avait indiqué le ministre de la Culture, Franck Riester, le 3 septembre dernier (5). « Nous avons choisi d’investir en France avant d’être obligé, car on croit à la création française, a déclaré Marie-Laure Daridan. La loi va dans le sens de l’intention qui est la nôtre en France. On paie par ailleurs la taxe de 2 % du CNC et on prend note de l’augmentation de cette taxe à partir du 1er janvier 2020 à 5,5 % ». Et de poursuivre : « Nous avons bien compris le sens de la loi qui nous invite à une négociation interprofessionnelle, et Netflix est prêt à engager cette négociation avec les professionnels du cinéma ». A défaut d’accord, la loi prendrait le relais.
Reste à savoir quelle part du chiffre d’affaires de Netflix France sera pris en compte pour calculer la quote-part destinée au financement du cinéma français, étant donné que la plateforme de SVOD propose un catalogue essentiellement composé de séries relevant de l’audiovisuel. « Nous [à L’ARP, ndlr], nous considérons que le visionnage n’est pas un bon point d’encrage pour dispatcher les obligations d’investissement dans la création. A partir du moment où une plateforme fait du cinéma, elle doit participer au financement du cinéma, même si elle dit que le visionnage n’est pas aussi fort sur les films que sur les séries », a estimé Pierre Jolivet. Le président de L’ARP fut rejoint par Aurore Bergé, députée (LREM) pressentie pour être rapporteure de la loi audiovisuelle : « Je ne suis convaincu que la question du visionnage soit la bonne porte d’entrée, a-t-elle abondé. C’est vrai que le cinéma est un produit d’appel extrêmement puissant, y compris pour Netflix. C’est plutôt le catalogue et sa profondeur qui doit déterminer ensuite la contribution des acteurs ».

Mesurer le catalogue plutôt que le visionnage
Pour la directrice des relations institutionnelles de Netflix France, « cela doit faire typiquement partie des discussions que l’on doit avoir dans les prochains mois ». Netflix espère aussi beaucoup de la loi pour amener le 7e Art français à réviser la chronologie des médias en faveur des plateformes de SVOD, lesquelles doivent encore attendre dix-sept mois après la sortie du film en salle. @

Charles de Laubier

Arte fête ses 30 ans et va se « déchaîner » encore plus avec sa plateforme européenne prévue à l’automne 2020

1989-2019 : il y a trois décennies, la « chaîne culturelle franco-allemande » était portée sur les fonts baptismaux par François Mitterrand et Helmut Kohl. L’utopie politique devint réalité avec le « traité interétatique » créant Arte. Grâce au numérique, elle rayonne en Europe et va lancer à l’automne 2020 sa plateforme paneuropéenne.

La décision politique de lancer « une chaîne culturelle franco-allemande » – qui s’est ensuite concrétisée par la création de l’ »Association relative à la télévision européenne », plus connue sous son acronyme Arte – a été prise il y a 30 ans, presque jour pour jour. En effet, le 31 octobre 1989, le ministre de la Culture d’alors, Jack Lang, et la ministre déléguée à la Communication, Catherine Tasca, recevaient à Paris l’Allemande Lothar Späth, à l’époque ministre-président d’un Land (1) et ministre plénipotentiaire chargé des relations culturelles avec la France.
Ce jour-là, une déclaration commune était faite « sur le principe d’une chaîne culturelle franco-allemande dont le siège serait à Strasbourg ». Sans le soutien du président français François Mitterrand et du chancelier allemand Helmut Kohl, qui ont déclaré leur soutien à ce projet audiovisuel dès 1988 à Bonn où se tenaient les 52èmes consultations franco-allemandes, Arte n’aurait sans doute jamais vu le jour. C’est ensuite le 2 octobre 1990, à la veille de la réunification allemande, que les ministres-présidents des Länder et le ministre français Jack Lang signent à Berlin le « traité interétatique » fondateur de « la chaîne culturelle européenne ». A cheval sur deux pays, Arte est une chaîne unique au monde fondée sur un principe d’indépendance, aussi bien statutaire, financière qu’éditoriale.

Le « traité interétatique » dans la loi « audiovisuel » ?
C’est la garantie de pérenniser cette indépendant que l’Allemand Peter Boudgoust, président du groupement européen d’intérêt économique (GEIE), a obtenue discrètement au printemps dernier auprès du ministre français de la Culture, Franck Riester. Arte France ne fera donc pas partie de la future holding de l’audiovisuel public – France Médias (2) – prévue dans le projet de loi de réforme de l’audiovisuel. L’idée de réunir les participations que détiennent France Télévisions (45 %), Radio France (15 %) et l’Ina (15 %) dans le capital d’Arte France – pour que la holding en détienne 75 % – a été évacuée.
L’indépendance capitalistique est donc garantie. Mieux, cette indépendance pourrait être gravée dans le marbre : « La seule chose qui manque pour être totalement rassurés, c’est d’avoir dans le projet de loi de réforme de l’audiovisuel une référence au traité interétatique, mais peut-être… Je suis optimiste », a confié Véronique Cayla (photo), présidente du directoire d’Arte France, le pôle français du GEIE Arte, lors d’un dîner-débat du Club audiovisuel de Paris (CAVP), dont elle était l’invitée d’honneur au Sénat le 21 octobre dernier.

Après la délinéarisation, la plateformisation
Cette sanctuarisation législative rassurerait aussi son alterego, l’Allemand Tom Buhrow, qui est depuis 2018 président d’Arte Deutschland, le pôle allemand du GEIE Arte. L’Allemagne a créé la chaîne Arte Deutschland TV le 13 mars 1991, détenue à 50/50 par les deux chaînes publiques allemandes ARD et ZDF. Le mois suivant a été officiellement constituée l’Association relative à la télévision européenne (Arte) sous la forme d’un GEIE, dont les membres sont à parité La Sept (chaîne française préexistante depuis 1986) et Arte Deutschland TV. L’organisation est bicéphale (3) : l’actuel président d’Arte GEIE est Peter Boudgoust depuis janvier 2016. Ce dernier avait succédé à Véronique Cayla, qui est depuis 2011 présidente du directoire d’Arte France (le pôle français), tandis que l’Allemand Tom Buhrow est depuis 2018 président d’Arte Deutschland (le pôle allemand). Bien que Arte GEIE soit basé à Strasbourg, Arte France est à Paris et Arte Deutschland à Baden-Baden. Au-delà de son ADN franco-allemande et grâce au numérique, la chaîne Arte est de plus en plus paneuropéenne, et de par ses accords de coproductions avec d’autres chaînes publiques en Europe : la RAI en Italie, RTBF en Belgique, l’ORF en Autriche, la SRG SSR en Suisse ou encore l’Yle en Finlande. « Nous avons construit une chaîne numérique et européenne. Nous sommes la première chaîne délinéarisée, ce qui a permis de rajeunir notre public, grâce au site web arte.tv, qui propose aussi bien le flux de la chaîne identique à l’antenne [voir audience p.10] que les programmes en catch up, voire de plus en plus en avant-première avant leur diffusion », s’est félicitée Véronique Cayla devant le CAVP, tout en assumant le caractère « déchaîné » de ce « média public culturel et européen ». Elle a été nommée en 2015 présidente du directoire d’Arte France pour un second mandat de cinq ans, qui se termine à l’été 2020 (4), par décision du conseil de surveillance présidé par Bernard-Henri Lévy (5). Son objectif est non de faire d’Arte « avant tout un groupe numérique », qui passe par arte.tv mais aussi par 25 chaînes sur YouTube avec des séries à succès (comme « Loulou ») et des productions pour Facebook et Snapchat. Webséries et jeux vidéo à succès sont aussi produits. « Nous consacrons 8% de notre budget au numérique, ce qui est, je crois, le pourcentage le plus élevé [de l’audiovisuel français, ndlr] », avait indiqué Véronique Cayla le 19 mars dernier, audition-née par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Prochaine étape et non des moindres : lancer « une plateforme numérique européenne » de télévision (linéaire et délinéarisée), une sorte de « Molotov européen ». « D’ici un an, nous lancerons cette plateforme numérique européenne et multilingue, a annoncé Véronique Cayla lors du dîner-débat au Sénat. Nous nous sommes d’abord tournés vers nos trois actionnaires principaux – France Télévisions [45 % du capital d’Arte France], ZDF [50 % d’Arte Deutschland] et l’ARD [50 % d’Arte Deutschland, ndlr] qui apporteront un nombre de programmes considérable, traduits ou sous-titrés. Je souhaite que cette plateforme numérique à quatre soit élargie aux chaînes (publiques) qui sont déjà partenaires d’Arte depuis longtemps ».
Interrogée par Edition Multimédi@ pour savoir si cette future plateforme paneuropéenne numérique n’allait pas être redondante avec la future plateforme Salto (6), elle a répondu que cela ne sera pas le cas : « Notre plateforme numérique sera européenne et cette démarche européenne et multilingue sera complètement différente de celle de Salto qui est francophone. La nôtre s’appuiera sur nos actionnaires français et allemands, puis sur nos partenaires italiens, espagnol et d’autres pays européens. Il y aura d’ailleurs une complémentarité parfaite entre les deux plateformes », a-t-elle assuré.
Les deux pôles – Arte France et Arte Deutschland – fournissent actuellement chacun 40 % des programmes, les 20 % restants sont produits par Arte GEIE. Accessible grâce au numérique en six langues (7), grâce à une aide financière de la Commission européenne pour le sous-titrage qui coûte cher, les contenus d’Arte sont aujourd’hui visionnés par 70 % des Européens dans leur propre langue. « Nous sommes très contents de ce résultat et ferons tout pour atteindre les 90 % ou les 100 % », a promis le 10 avril dernier Véronique Cayla lors de son audition par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat.

D’abord des documentaires, puis des fictions
Avec son « européanisation » et sa « plateformisation », la chaîne franco-allemande passera plus que jamais par des œuvres internationales. « Sur cette plateforme numérique, pour des questions de droits, nous commencerons par des documentaires, des magazines et des concerts – pas par la fiction car c’est plus compliqué. Mais on y arrivera en créant des fictions avec la coproduction de quatre ou cinq pays. Par exemple, entre autres, nous avons déjà coproduit la série franco-italienne “Il Miracolo” », a-t-elle indiqué devant le CAVP. Netflix, Amazon Prime Video et bientôt Disney+ et Apple TV+ ne pourront pas ignorer cette future plateforme paneuropéenne. @

Charles de Laubier

Producteur, Pierre-Antoine Capton mise sur les GAFAN

En fait. Le 16 septembre, le président fondateur de 3ème OEil Productions et président du directoire de Mediawan, Pierre-Antoine Capton, était l’invité d’honneur du dîner-débat du Club audiovisuel de Paris (CAVP). Producteur français, il considère les Netflix, Amazon Apple ou Facebook comme une chance.

En clair. « Contrairement au théâtre, au cinéma ou à la littérature, la télévision n’arrivait pas à exporter. Parce que nous étions très tournés vers un monde local (qu’est la télévision). Tout d’un coup, avec les plateformes (numériques), on se rend compte que nos contenus peuvent être intéressants et vus dans le monde entier », s’est enthousiasmé Pierre- Antoine Capton, fondateur il y a près de vingt ans de 3ème OEil Productions et cofondateur de Mediawan (1).
Invité le 16 septembre du Club audiovisuel de Paris (CAVP), il a cité « Dix pour cent » – produite par Mon Voisin Productions, société détenue à 60 % par Mediawan – comme étant la série française « la plus exportée et consommée dans le monde, notamment sur Netflix ». Et le documentaire « Emmanuel Macron, les coulisses d’une victoire », produit par 3ème OEil Productions, a été le plus vu aux Etats-Unis. « Avec des contenus de qualité, on arrive à trouver un intérêt à l’international. Mediawan est le plus gros producteur en primetime en Italie avec “Le nom de la rose” [produit par Palomar, racheté en début d’année par Mediawan, ndlr]. Et on compte faire la même chose dans les prochains mois en Espagne et en Allemagne. Notre ambition est de faire de Mediawan un groupe mondial depuis Paris », a affirmé PAC. Et d’ici la fin de l’année « le premier producteur de cinéma français »… Mediawan investit cette année 15 millions d’euros dans le développement de programmes destinés à être vendus à l’international. « Plusieurs nouvelles séries françaises vont être vendues prochainement à Apple, Facebook, Netflix et Amazon, a-t-il indiqué. On est en train de vivre avec la télévision ce que la musique a vécu avec le streaming. Cela change tout. On ne peut plus attendre deux ou trois ans pour produire une série ; Netflix ou Amazon nous la demande le plus rapidement possible. Cela nécessite d’industrialiser le modèle pour produire plus vite, avec les scénaristes et les auteurs. Il y a le côté hyper-attrayant de travailler pour les plateformes ». D’autant qu’avec la directive européenne SMA, les plateformes vidéo vont devoir financer la production. Et concernant la chronologie des médias (2) : «Un film vu par 50.000 spectateurs en salle n’aurait-il pas plus de succès sur une plateforme s’il est bien présenté, avance le producteur français. Une série diffusée sur une plateforme n’aurait-elle pas vocation à être au cinéma ». @

Xilam Animation fête ses 20 ans en se propulsant sur les plateformes de streaming telles que YouTube ou Netflix

Fondée par Marc du Pontavice en juillet 1999, la société Xilam Animation – aux succès comme « Oggy et les cafards » et « Zig & Sharko » – s’est hissée en tête de la production de dessins animés en France. Son catalogue est diffusé dans le monde sur des chaînes de télévision et des plateformes vidéo, YouTube dépassant les 10 % de son chiffre d’affaires.

Pour l’année de ses vingt ans, Xilam Animation s’offre une diffusion mondiale sur Netflix avec « J’ai perdu mon corps », son premier film d’animation pour un public adulte, et sur Disney+ en produisant pour la major « Chip’n’Dale », une série reprenant ses personnages Tic et Tac. Ces deux plateformes de SVOD américaines vont ainsi renforcer la visibilité outre-Atlantique du premier producteur français de dessins animés et donner une nouvelle impulsion à sa stratégie de diffusion numérique. Riche d’un catalogue de plus de 2.000 épisodes et de quatre longs métrages, la société de Marc du Pontavice (photo), dont il est le PDG et premier actionnaire (avec 36,4 % du capital et 53,8 % des droits de vote), diffuse partout dans le monde sur des chaînes de télévision et sur des plateformes de streaming. Ces dernières ont généré en 2018 environ 40 % des ventes du catalogue. Mais c’est sur YouTube que Xilam Animation est pour l’instant le plus exposé, cumulant par mois plus de 600 millions de vidéos vues. Rien qu’en 2018, son audience sur la plateforme vidéo de Google a totalisé plus de 4 milliards de vues. Ce qui a contribué à franchir la barre des 10 milliards de vues sur YouTube au bout de cinq ans de présence. Xilam y édite aujourd’hui une trentaine de chaînes vidéo pour toute la famille, comme « Zig & Sharko » qui compte plus de 5,7 millions d’abonnés ou « Oggy » plus de 5 millions d’abonnés – sur un total dépassant aujourd’hui les 15 millions d’abonnés (1).

YouTube et YouTube Kids, tremplins pour l’Amérique
Résultat : YouTube – dont sa déclinaison pour enfants avec l’application YouTube Kids (2) – a contribué à hauteur de 13 % du chiffre d’affaires total de l’entreprise qui était de 28 millions d’euros l’an dernier. Pour un producteur indépendant d’animation, ce sont là des recettes non négligeables ; elles sont en plus récurrentes et proviennent de l’Europe à 36 %, de l’Amérique du Nord à 31 %, de l’Asie à 25 % et du reste du monde à 8 %, le tout grâce à la publicité sur laquelle Xilam touche 55 %. Les applications, elles, ont été téléchargées 20 millions de fois. Le revenus « YouTube » sont appelés à croître, malgré les craintes sur les conséquences que pourrait avoir la condamnation aux Etats-Unis de YouTube début septembre (170 millions de dollars d’amende) pour collecte et utilisation commerciale illicites de données personnelles d’enfants de moins de 13 ans.

Netflix, Amazon Prime Video, Disney+, …
La filiale vidéo de Google a promis de limiter cette collecte auprès des mineurs et de ne pas les utiliser pour de la publicité ciblée. Certains plaignants exigent encore que toutes les vidéos pour enfants soient basculées sur YouTube Kids. Les producteurs de contenus concernés ont quatre mois – jusqu’à fin 2019 – pour s’adapter. Xilam pourrait cependant profiter du fait que YouTube va créer un fonds de 100 millions de dollars pour financer des contenus originaux pour enfants sur YouTube et YouTube Kids dans le monde entier. La société de Marc du Pontavice mise non seulement sur les plateformes vidéo financées par la publicité, que les Anglo-saxons appellent l’AVOD (Advertising Video On Demand), mais aussi sur les plateformes de streaming par abonnement, la SVOD (Subscription Video On Demand). Xilam a signé des accords dès 2016 avec Netflix et Amazon Prime Video.
Avant d’acquérir en mai les droits de distribution du film « I Lost My Body » (3) pour le reste du monde (dans des salles de cinéma en France à partir du 6 novembre), Netflix avait déjà co-préacheté pour l’international « Paprika », la première série périscolaire de Xilam, la cinquième saison d’« Oggy et les Cafards », ainsi que « Si j’étais un animal », série documentaire animalière. Amazon Prime Video n’est pas en reste, quoique se faisant plus discret chez Xilam, avec la diffusion d’« Oggy et les Cafards » et « Zig & Sharko » (accord signé en 2017), ainsi que le co-préachat de la deuxième saison de « Magic ». Dernier accord en date, annoncé en juin dernier lors du Festival international du film d’animation d’Annecy (4) : Xilam livrera fin 2020 la production créée pour Disney de la série d’animation « Chip’n’Dale », reprenant les personnages Tic et Tac de la major. Cette série de 11 demi-heures (39 épisodes de sept minutes) sera diffusée sur Disney+. The Walt Disney Company avait déjà co-préacheté l’an dernier « Paprika », et diffusé en 2017 avec succès sur Disney Channel « Oggy et les Cafards » et « Zig & Sharko ». La plateforme Disney+ sera lancée le 12 novembre, devancée par sa concurrente Apple TV+ le 1er novembre. Marc du Pontavice s’estime être « en position idéale pour profiter de la guerre du streaming entre diffuseurs américains », notamment aux Etats-Unis – premier marché mondial de l’animation. Viendront ensuite l’an prochain HBO Max (WarnerMedia) et NBC Universal (Comcast). Xilam a prévu de livrer 180 demi-heures de programmes sur la période 2019-2020, dont 80 demi-heures rien que cette année. Comme la demande augmente, les prix de vente à la demi-heure aussi, plusieurs séries de Xilam dépassant même le chiffre d’affaires de 300.000 euros la demi-heure. Bien que le premier semestre 2019 ait été « très actif » avec six séries en fabrication (5) pour « un volume record de 182 demiheures », les résultats semestriels communiqués le 25 septembre sont en baisse (- 25 % pour le chiffre d’affaires et – 38 % pour le bénéfice net) en raison d’« un faible volume de livraisons ». Les revenus sont enregistrés en fin de livraison ; or « une seule série est arrivée en fin de livraison (“Mr. Magoo”) » au premier semestre. Ce qui n’a en rien pesé sur le titre à la Bourse de Paris où la société Xilam est cotée depuis 2002 et aujourd’hui valorisée 186,6 millions d’euros (au 26-09-19). Selon une analyse financière d’Euroland Corporate, le chiffre d’affaires 2019 ne devrait pas dépasser les 35 millions d’euros (6). Fondée en 1999 à partir des actifs de Gaumont Multimédia que Marc du Pontavice avait créé en 1995 (après avoir été cofondateur de Gaumont TV en 1991), la société est devenue le numéro un français de la production d’animation (devant Method Animation, en termes de chiffre d’affaires) et emploie plus de 400 personnes, dont 300 artistes, répartis sur ses quatre studios : à Paris, Lyon, Angoulême et Hô-Chi-Minh Ville au Vietnam.
Son développement se fait aussi par croissance externe, notamment par l’acquisition de « boutiques studio » telles que la société parisienne spécialisée dans l’image de synthèse Cube Creative (prise de contrôle en cours de 50,1 % de son capital par Xilam). « Nous avons en projet l’acquisition d’ici fin 2020 de participations majoritaires, financées sur fonds propres, dans deux autres boutiques studio en Europe », précise Marc du Pontavice à Edition Multimédi@. Sa société dispose d’une trésorerie disponible proche de 14 millions d’euros « pour poursuivre sa croissance et la réalisation de ses objectifs ». Il compte aussi sur les effets de la directive SMA qui va obliger les plateformes vidéo à proposer au moins 30 % d’œuvres européennes et à préfinancer en France des films et séries à hauteur de 16 % minimum de leur chiffre d’affaires.

Recrues, dont un ex-financier de Dailymotion
Pour renforcer son état-major, Xilam Animation a annoncé le 19 septembre la nomination de Fabrice Cantou au poste de directeur financier et stratégie, après avoir été pendant près de dix ans chez Dailymotion – notamment pour piloter la vente de cette société à Orange en 2011 et à Vivendi en 2015. François Bardoux, lui, est nommé directeur des opérations adjoint, en charge des budgets du groupe où il est entré en 2016 chez Xilam (il assurait auparavant les fonctions de directeur financier). Tandis que Charles Courcier (ex-Millimages/Amuse) devient directeur de production numérique. @

Charles de Laubier

Bienvenue Monsieur Dominique Boutonnat au CNC !

En fait. Le 25 juillet, est paru au Journal Officiel le décret de nomination de Dominique Boutonnat à la présidence du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). L’accueil qui lui a été réservé a été plutôt glacial de la part du 7e Art français qui va pourtant devoir se moderniser sans tarder.

En clair. C’est la fin de « l’exception culturelle française » qui était souvent prétexte à ne rien changer dans le petit monde du cinéma français, trop souvent arc-bouté sur des règles de financement des films devenues obsolètes et de chronologie des médias trop figée. La nomination d’un professionnel – producteur et spécialiste du financement de la création cinématographique et audiovisuelle – et non d’un haut fonctionnaire de l’Etat comme ses prédécesseurs est sans doute une chance pour le CNC et le 7e Art français. Et ce, n’en déplaise aux nombreux cinéastes et techniciens du cinéma qui ont été à l’origine de pas moins de trois tribunes assassines publiées courant juillet (notamment dans Le Monde et dans Le Film Français), dont une lettre ouverte au président de la République. Emmanuel Macron avait finalement arbitré en faveur Dominique Boutonnat au lieu de reconduire une Frédérique Bredin pourtant désireuse de faire un troisième mandat (1). Le nouveau président du CNC est sans doute la bonne personne au bon moment – à une période charnière pour toute la filière. Diversifier les sources de financement des films apparaît indispensable face aux « interrogations sur la capacité d’investissement des diffuseurs [les chaînes de télévision en général et le grand pourvoyeur de fonds Canal+ en particulier, ndlr] au moment même de la montée en puissance fulgurante des plateformes numériques [Netflix, Amazon Prime Video et autres services vidéo en OTT, ndlr], qui annonce un tournant majeur pour la production et la distribution de contenus ». C’est ce que soulignait d’emblée Dominique Boutonnat dans son « rapport sur le financement privé de la production et de la distribution cinématographiques et audiovisuelles » (2), daté de décembre 2018 mais rendu public en mai dernier – juste avant le Festival de Cannes. Un pavé dans la marre. Les plateformes de SVOD bousculent le monde des films de cinéma à grand renfort de séries exclusives, deux types de contenus que le CNC devra concilier. « Cette exclusivité est absolue, c’est-à-dire qu’elle déroge aux principes habituels de la chronologie des médias qui veut qu’un film de cinéma connaisse sa première exploitation en salles », souligne Dominique Boutonnat. La transposition de la directive SMA (3) impliquant les plateformes vidéo dans le financement des oeuvres et la future loi audiovisuelle promettent d’être disruptives. @