Le livre numérique est soluble dans le marché des géants de l’édition, de plus en plus oligopolistique

Alors que le 39e Salon du livre de Paris se tient du 15 au 18 mars, le marché français de l’édition n’a jamais été aussi concentré entre les mains de quelques « conglomérats » du livre. De cette situation oligopolistique, le livre numérique peine plus que jamais à émerger.

L’année 2018 a été marquée par la consolidation accrue du marché français de l’édition de livres. Il y a d’abord l’intégration entre les groupes Média Participations et La Martinière, qui se hissent ensemble à la troisième place des groupes d’édition français derrière Hachette Livre (contrôlé par Lagardère) et Editis (jusqu’alors propriété de Planeta). Il y a ensuite le rachat justement d’Editis à Planeta par le groupe Vivendi, qui s’offre ainsi cette deuxième place du marché français du livre.

L’Autorité de la… concentration
L’Autorité de la concurrence n’a rien trouvé à redire sur l’oligopole de plus en plus compact qui domine comme jamais le marché du livre en France, sans parler du fait que les plans de suppression d’emplois qu’induit cette concentration des éditeurs créent des tensions sociales comme chez Média Participations-La Martinière – y compris au Seuil (débrayages et grèves contre les remises en cause d’acquis sociaux ou le non-remplacement de postes). Les sages de la rue de l’Echelle, dont ce n’est pas les affaires, ont décidé, eux, d’autoriser le 2 janvier 2019 et sans réserve « la prise de contrôle exclusif du groupe Editis par le groupe Vivendi ». Ce rachat d’Editis, qui contrôle treize maisons d’édition à la tête de marques telles que Julliard, Le Cherche Midi,
Plon, Robert Laffont, Bordas, Nathan ou encore Héloïse d’Ormesson, a été présenté
à l’automne 2018.
Ironie de l’histoire : Vivendi avait cédé en 2002 sa filiale Vivendi Universal Publishing (VUP), dont une partie à Lagardère et une autre réunie au sein d’une nouvelle société baptisée Editis et revendue en 2008 au groupe espagnol Planeta. S’il ne s’agit pas là d’une fusion entre deux maisons d’édition, Vivendi – sous contrôle du groupe Bolloré (1) et présidé par Yannick Bolloré – n’en rajoute pas moins une corde à son arc. Le gendarme de la concurrence relève tout de même que « l’opération est susceptible d’engendrer des effets congloméraux sur les marchés de l’approvisionnement en livres physiques et numériques d’une part et en musique enregistrée sur support physique
et numérique, d’autre part. La nouvelle entité pourrait en effet mettre en oeuvre des stratégies de ventes liées entre ces deux produits, soit sur support physique, soit sur support numérique ». Ce changement de propriétaire pour Editis intervient un peu plus d’un an après le feu vert donné, le 18 décembre 2017, par l’Autorité de la concurrence à « la prise de contrôle exclusif de La Martinière Groupe par Média Participations ».
Ce groupe Média Participations est de droit belge et – comme le dit la version publique de la décision sans donner le nom – « ultimement contrôlée par la famille [Montagne] », fondé dans les années 1980 par l’ancien ministre français Rémy Montagne et aujourd’hui présidé par son fils Vincent Montagne (photo de gauche). On y retrouve les Nouvelles Éditions Anne Carrière, Fleurus Éditions, ainsi que dans les éditeurs de bandes dessinées Dargaud, Le Lombard, Dupuis, Lucky Comics ou encore Studio Boule & Bill. Vincent Montagne, qui est par ailleurs président du Syndicat national de l’édition (SNE) depuis 2012 et président de l’association de la chaîne KTO depuis 2017, a été nommé dans la foulée de la fusion-absorption PDG du groupe La Martinière, dont les marques sont La Martinière, Seuil (racheté en 2004), Métailié ou encore Points. Hervé de La Martinière (2), lui, a été nommé vice-président du groupe qu’il avait fondé en 1992.
En outre, le groupe La Martinière a apporté dans la corbeille de mariage Eden Livres, société spécialisée dans le stockage et de distribution de livres numériques (à destination des revendeurs en ligne), et qu’il contrôle conjointement avec la holding Madrigall de la famille Gallimard – elle-même propriétaire des maisons d’édition Gallimard, Flammarion, Casterman ou encore le distributeur Sodis. Madrigall, jusqu’alors cinquième groupe d’édition en France, passe à la quatrième position
par le jeu de cette consolidation, si l’on met à part le numéro un de l’édition juridique
et fiscale, Lefebvre Sarrut (Francis Lefebvre, Dalloz, Omnidroit, …).

Et Actes Sud, Michel Lafon, Albin Michel ?
Quant au numéro un du marché, Hachette Livre (Lagardère), il édite sous des marques telles que Grasset, Fayard, Stock, JC Lattès, Calmann-Lévy ou encore Le Livre de Poche, etc. Les mouvements capitalistiques et industriels dans le monde des maisons d’édition françaises devraient se poursuivre. D’autant que nombre d’entre elles sont encore aux mains de leur famille fondatrice telle que Nyssen pour Actes Sud (fondé par Hubert Nyssen, le père de l’ex-ministre de la Culture, Françoise Nyssen), Michel Lafon (nom de son fondateur, auquel a succédé sa fille Elsa Lafon) ou encore Albin Michel (nom du fondateur, aujourd’hui dirigé par son petit-fils Francis Esménard). Le potentiel de concentration du marché est là aussi. Ce regroupement des acteurs du livre est dictée par la nécessité de trouver une taille critique aux coûts rationalisés (suppression d’emplois compris) sur un marché du livre imprimé en pleine érosion.

La question du marché distinct « ouverte »
L’année 2017 s’était terminée pour l’édition française dans son ensemble avec un chiffre d’affaires global en baisse de 1,61 %, à 2,79 milliards d’euros, et des ventes
en recul d’un peu plus de 1 %, avec 430 millions d’exemplaires vendus. L’édition numérique, elle, n’a pas compensé la baisse des ventes de l’édition « papier » (3) malgré une progression de 9,8 % pour atteindre 201,7 millions d’euros (soit 7,6 %
du chiffre d’affaires des ventes de livres des éditeurs). En France, le marché du livre numérique n’est pas encore considéré comme tel ; il est complètement soluble dans
le livre en général. Il suffit de voir ce qu’en dit l’Autorité de la concurrence dans ses décisions « Vivendi-Editis » et « Média Participations-La Martinière » : « La question de l’existence d’un marché distinct des droits numériques a également été laissée ouverte [depuis 2012 et la prise de contrôle exclusif de Flammarion par Gallimard, ndlr], un test de marché réalisé par la Commission européenne [en 2013] ayant toutefois révélé que, dans la très grande majorité des cas, les droits numériques et les droits “papier” sont acquis ensemble par les éditeurs et appartiennent donc au même marché de produit », peut-on lire dans les deux analyses de marché.
C’est en effet en 2012, lors du rachat de Flammarion par le groupe Gallimard (chapeauté par la holding familiale Madrigall), que certains éditeurs ont indiqué à l’Autorité de la concurrence, dans le cadre de leur réponse au test de marché, qu’
« un marché des droits numériques pourrait être éventuellement identifié, distinct des droits primaires d’édition dans la mesure où les droits numériques pourraient être acquis distinctement des droits “papier”, avec la mise en place de contrats séparés ». Les sages de la rue de l’Echelle ont préféré botter en touche sur cette question de l’existence d’un marché distinct des droits numériques : « En tout état de cause,
les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit l’hypothèse retenue, la question de l’existence d’un marché distinct des droits numériques peut être laissée ouverte », se sont-ils contentés de dire. La décision
« Gallimard-Flammarion » de l’Autorité de la concurrence ayant été rendue le 30 août 2012, cela fait donc près de sept ans que la question de l’existence d’un marché distinct de la vente de livres numériques (soulevée par le test de marché) reste ouverte… Pourtant, le gendarme de la concurrence avait bien noté à l’époque que « la majorité des éditeurs ayant répondu au test de marché soutiennent qu’un marché distinct de la vente de livres numériques pourrait être retenu ». Et pour cause : des spécificités sont propres aux ebooks telles que : le fait que les éditeurs doivent faire face à des coûts de production complémentaires (lutte contre le piratage, infrastructures informatiques, coûts de développement des livres enrichis, conversion des fichiers des livres en format EPub) ; le fait que les prix des livres papier et des livres numériques, bien qu’étant liés, sont différents (prix des livres numériques largement moins élevé que les versions brochées) ; et le fait que le consommateur doit d’abord investir dans un appareil de lecture qui représente un certain prix. Et ce, même s’il existe une certaine substituabilité entre les deux formats : les livres numériques et les livres papier contiennent le même contenu éditorial, même si certains livres numériques sont dits « enrichis » ; les éditeurs de livres « papier » et d’ebooks sont essentiellement les mêmes.
Mais au regard de la taille à l’époque du marché français du livre numérique « encore balbutiant » (moins de 0,5 % du secteur du livre en 2011), l’Autorité de la concurrence
a écarté la distinction de deux marchés mais en laissant la porte ouverte… Il est intéressant de noter les parts de marché des maisons d’édition sur les ventes de livres numériques seuls : entre 55 % et 65 % pour Editis, entre 20 % et 30 % pour Hachette, entre 5 % et 10 % pour Albin Michel, et entre 5 % et 10 % pour Bayard. Depuis cette décision de 2012, l’Autorité de la concurrence n’a pas jugé bon de réactualiser les forces en présence sur un marché des ebooks qui devrait pourtant avoir dépasser en 2018 les 10 % sur le total de l’édition française.

Livre papier, ebook, livre audio :même marché ?
Quant à la Commission européenne, elle a en effet retenu dans sa décision du 5 avril 2013 autorisant le mouvement de concentration entre les éditions de Bertelsmann et celles de Pearson (formant alors la société Penguin Random House) le fait que les droits numériques et les droits « papier », tout comme ceux des livres audio, sont souvent acquis ensemble par les éditeurs et appartiennent donc au même marché.
« La définition exacte du marché de produits peut être laissée ouverte » (4). C’était il y a près de six ans. Des lustres à l’ère du numérique… @

Charles de Laubier

Industrie du livre : pourquoi les auteurs sont très remontés contre les maisons d’édition

Les écrivains sont en colère et l’ont fait savoir le 22 mai dernier lors des Etats généraux du livre. Mais au-delà des réformes sociales et fiscales annoncées pour le 1er janvier 2019, ce sont les contrats d’édition à l’ère numérique et leur rémunération par les éditeurs qui posent problèmes.

Il y a cinq ans était signé – le 21 mars 2013 – l’accordcadre entre le Conseil permanent des écrivains (CPE) et Syndicat national de l’édition (SNE) sur le contrat d’édition à l’ère numérique, entré en vigueur depuis le 1er décembre 2014 grâce à une ordonnance prise par le gouvernement d’alors (1). Avant d’en arriver là, il avait fallu plus de quatre ans – et des travaux difficiles de la mission Sirinelli lancée le 11 septembre 2012 – pour que soient inscrits dans la loi les principes d’un nouveau contrat d’édition
« unique » entre le livre imprimée et le livre numérique (2).

Divergence entre auteurs et éditeurs
L’accord-cadre de 2013 sur le contrat d’édition à l’ère numérique instaure un seul contrat d’édition, à durée indéterminée, mais comportant deux parties distinctes – l’une consacrée à l’exploitation imprimée, l’autre à l’exploitation numérique. Cet accord reflétait la position des éditeurs, alors que les auteurs, eux, défendaient une durée limitée du contrat d’édition pour sa partie numérique – de cinq ou dix années, au terme desquelles une renégociation des termes du contrat était prévue – ainsi que l’établissement de deux contrats séparés (3), l’un pour le livre au format papier, l’autre pour sa version numérique, comme cela peut se faire pour le contrat audiovisuel. Malgré cette divergence initiale, un accord a quand même été trouvé, les auteurs ayant tout de même obtenu d’autres avancées significatives, comme la possibilité pour eux de mettre un terme au contrat d’édition dans un souci de rééquilibrer la relation auteur-éditeur.
L’accord–cadre porte aussi sur la reddition des comptes, obligeant l’éditeur à rendre compte à l’auteur, annuellement au moins, clairement et de façon explicite, sur les ventes de son livre et de tout événement intervenu dans le cadre du contrat d’édition (traduction dans une langue étrangère, adaptation pour un film de cinéma, …). La reddition de compte a été précisée par la loi LCAP du 7 juillet 2016. Pour les livres numériques, l’état des comptes remis à l’auteur doit mentionner les revenus issus de la vente à l’unité et de chacun des autres modes d’exploitation du livre. L’accord-cadre donne en outre une définition de la notion d’« exploitation permanente et suivie », particulièrement importante à l’ère du numérique, que le livre soit édité sous une forme imprimée ou sous une forme numérique. Elle crée une procédure permettant à l’auteur de mettre l’éditeur en demeure de respecter ses obligations, sous peine de résiliation de plein droit des cessions de droits d’exploitation préalablement consenties – la résiliation
de l’une étant sans effet sur l’autre.
D’ailleurs, les secteurs du cinéma et l’audiovisuel – confrontés au manque de transparence dans la rémunération des auteurs (4) – se sont récemment inspirés de cette notion d’« exploitation permanente et suivie », comme le montrent les récents accords dans ces secteurs qui ont transposé une notion d’obligation d’« exploitation suivie » assortie de sanction en cas de non-respect – mais pas la notion de « permanence » car elle était difficilement transposable en raison du caractère limité des fenêtres d’exposition possibles des œuvres dans la chronologie des médias (5).
Mais revenons au livre. La loi « Création » du 7 juillet 2016 a aussi prévu la possibilité pour l’auteur (ou l’éditeur) de mettre fin au contrat d’édition en cas de constat d’un « défaut durable d’activité économique dans l’exploitation de l’œuvre ».
Le texte législatif garantit également une « juste rémunération de l’auteur » (sans qu’il en fixe le niveau) en cas d’exploitation numérique, tandis que les conditions économiques de la cession des droits numériques feront l’objet d’un réexamen régulier (6). Ces nouvelles dispositions garantissent notamment une juste rémunération de l’auteur pour l’exploitation numérique de son oeuvre, en prévoyant une participation (royalties) à l’ensemble des recettes issues des différents modes d’exploitation de l’oeuvre, qu’il s’agisse de ventes l’unité ou dans le cadre d’abonnements. L’article L. 132-17-7 du code de la propriété intellectuelle (CPI) précise que le contrat d’édition comporte une clause de réexamen des conditions économiques de la cession des droits d’exploitation du livre sous une forme numérique (7).

Contrat d’édition : bilan mitigé
Etant donné la complexité et les évolutions rapides du digital dans le domaine de l’édition, l’ordonnance de 2014 renvoie à un accord interprofessionnel entre auteurs et éditeurs pour préciser les modalités d’application des nouvelles règles. Ce que le CPE et le SNE ont signé le 1er décembre 2014, accord étendu par un arrêté de la ministre de la Culture et de la Communication (8). Pourtant, cinq ans après l’accord-cadre de 2013, les relations entre auteurs et maisons d’édition sont loin d’être apaisées.
« Le bilan (…) de l’application des nouvelles dispositions législatives régissant le contrat d’édition reste mitigé, en raison de pratiques encore variables selon les éditeurs, même si de nouvelles avancées ont été obtenues, depuis l’adoption de la loi, au sein de l’instance permanente de dialogue, mise en place de facto, au travers de laquelle auteurs et éditeurs ont poursuivi leurs échanges », constatent les auteurs du premier rapport d’évaluation de la loi du 8 juillet 2014 sur « les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition ».

La colère des auteurs
« Toutes les dispositions de l’ordonnance ne sont pas encore pleinement entrées en application et certaines procédures introduites dans ce texte, compte tenu des délais prévus, ne pourront être effectivement mises en oeuvre qu’à compter des années 2018-2019 », constatent les auteurs de ce rapport daté du 11 avril 2018 et publié par l’Assemblée nationale. Lors de leurs auditions, des auteurs ont expliqué que certaines dispositions tardaient à être mise en oeuvre – même dans les plus grandes maisons d’édition – et que « les nouveaux contrats d’édition signés ne respectaient pas toujours les nouvelles règles, souffrant semble-t-il d’un abus de “copier-coller” sur la base d’anciens contrats », quand bien même que le SNE et le CPE aient mis en ligne à la disposition de leurs adhérents de modèles-types de nouveaux contrats d’édition. De plus, en mars dernier, ces deux organisations professionnelles du livre ont publié un « document pédagogique sur la reddition des comptes » (9). En cas de méconnaissance de l’obligation faite aux éditeurs de publier l’oeuvre sous forme numérique, des auteurs commencent à se manifester pour récupérer leurs droits numériques non exploités.
La Société des gens de lettres (SGDL) a déjà compté une dizaine d’auteurs ayant résilié leur contrat sur le fondement des nouvelles dispositions introduites par l’ordonnance de 2014. Quant à l’instance paritaire d’arbitrage mise en place par les auteurs et les éditeurs afin de régler les conflits dans l’application des nouveaux contrats, elle n’a jamais été saisie
à ce jour. Et lors du Salon du Livre de Paris, qui s’est tenu du 16 au 19 mars derniers, un baromètre des relations auteurs-éditeurs – menée par la Société civile des auteurs multimédias (Scam) et la SGDL sous forme de sondage réalisé en ligne auprès de 1.200 auteurs (10) – les auteurs ont une meilleure opinion des contrats qui les lient à leurs éditeurs : près de 64 % des auteurs se déclarent satisfaits des contrats proposés par leurs éditeurs, contre 58 % en 2015. Mais pour ce qui est de la reddition des comptes (pour la première fois abordée dans le sondage), 35 % des auteurs se disent insatisfaits de la manière dont leur éditeur leur rend compte des ventes associées à leur titre. « En outre, la reddition des comptes ne s’accompagne pas systématiquement du paiement des droits, ce qui conduit 64% des auteurs à devoir réclamer ce paiement auprès de leur éditeur. (…) S’agissant du taux de rémunération des auteurs, l’étude montre qu’il est en moyenne de 7,2 % du prix fixé par l’éditeur pour l’exploitation papier et 11,1 % de ce prix pour l’exploitation numérique, ces deux moyennes cachant de très fortes disparités selon la notoriété des auteurs (24 % déclarent un taux de 10 %, 22 % un taux de 8 %) et selon les secteurs pour l’exploitation papier (le taux moyen est de 8,5 % pour la catégorie romans, mais seulement de 5,2 % en catégorie jeunesse) », relève le rapport. Concernant les à-valoir, un quart des auteurs n’en perçoit aucun. Pour ceux qui en perçoivent, son montant est inférieur à 1.500 euros pour 34 % d’entre eux, compris entre 1.500 et 3.000 euros pour 37% d’entre eux, compris entre 3.000 et 5.000 euros pour 14% d’entre eux, et supérieur à 5.000 euros pour 15 % d’entre eux (11). Et ils sont 29,2 % des auteurs à affirmer entretenir des relations « non satisfaisantes, voire conflictuelles » avec certains ou la majorité de leurs éditeurs, et 8 % avec tous leurs éditeurs.
Quoi qu’il en soit, les auteurs sont en colère et l’ont fait savoir (12) le 22 mai dernier lors des Etats généraux du livre – organisés par le CPE. Ils ont laissé symboliquement trois chaises vides : une au nom du président de la République, une autre pour le Premier ministre et une autre encore de la ministre de la Culture, Françoise Nyssen (13), elle-même venant du monde l’édition (Actes Sud). Les auteurs et écrivains, qui ont lancé une pétition intitulée « Pas d’auteurs, pas de livres » (14), s’inquiètent de leur faible rémunération par les éditeurs (un auteur de livres perçoit en moyenne 1 euro par exemplaire vendu), des réformes sociales et fiscales annoncées pour le 1er janvier 2019 (hausse de la CSG, régime social, …) les mettant dans « une situation d’extrême fragilité ».

Mauvaise répartition des recettes
A l’heure où le livre numérique monte et inexorablement en puissance, les auteurs demandent un partage plus équitable de la valeur. Dans le quotidien britannique The Guardian, l’écrivain Philip Pullman, président de Society of Authors (SoA), dénonce le fait que les maisons d’édition pratiquent une mauvaise répartition des recettes au détriment des auteurs. « Il est tout à fait possible de générer de bons bénéfices tout en rémunérant équitablement ceux qui produisent le travail dont tout le reste dépend », estimet- il (15). Au lieu de cela, les profits des maisons d’édition ne cessent d’augmenter (16), pendant que les salaires des auteurs se réduisent comme peau de chagrin. @

Charles de Laubier

Livre Paris fait l’impasse sur le livre numérique

En fait. Le 19 mars, le 38e Salon du livre de Paris – rebaptisé depuis deux ans
« Livre Paris » – a fermé ses portes après quatre jours (1.200 exposants, 800 conférences, 3.000 auteurs en dédicaces). Mais le Syndicat national de l’édition (SNE), qui l’organise, n’a pas laissé de place au livre numérique.

En clair. Si plus de 160.000 personnes se sont pressées dans les allées du Salon du livre de Paris cette année, soit plus que la précédente édition, peu y ont vu des acteurs du livre numérique. Et pour cause : à part Bookeen, Yoteq, Iggybook ou encore Amazon, l’ebook était quasi absent et, contrairement aux années passées, n’avait aucun espace dédié. « Les acteurs du livre numérique, peu nombreux, ne se sont pas fédérés », nous explique Sébastien Fresneau, directeur du Livre Paris chez Reed Expo. Frédéric Douin, gérant des Editions Douin, nous signale son commentaire sur ActuaLitte.com : « A part l’incontournable Amazon, j’ai aussi l’impression qu’il n’y avait plus que deux ou trois acteurs du numérique… Il y a encore trois ans, ils étaient plus de dix dans une zone numérique dédiée ». Il faut dire que l’organisateur de ce rendez-vous annuel, le Syndicat national de l’édition (SNE), est dominé par les majors de l’industrie du livre – Hachette Livre, Editis (Planeta), Média-Participation/La Martinière et Madrigall (Gallimard/Flammarion/Casterman) – peu enclins à la dématérialisation des livres. Le PDG de la première d’entre elles a même lancé le mois dernier : « Le livre numérique est un produit stupide » (1). Vincent Montagne – président du SNE, président de Livre Paris et président du nouveau groupe Média- Participation/La Martinière – n’a pas accordé cette année un endroit consacré aux ebooks, entre par exemple l’espace
« Livre audio » et le groupe « Religion » qui lui est cher.
Le livre numérique, qui gagnerait pourtant à être valorisé en France, a généré en 2017 seulement 97,5 millions d’euros (13,2 millions d’ebooks vendus) – contre… 3,88 milliards d’euros pour les livres imprimés (343 millions d’exemplaires papier vendus). Ces chiffres, dévoilés le 15 mars par GfK, mesurent le retard français. Les grandes maisons d’édition françaises, elles, se méfient toujours de l’américain Amazon, lequel fait l’objet d’une chasse aux sorcières. Le Syndicat de la librairie française (SLF) y est allé de son rapport publié le 16 mars (2) sur « la pieuvre Amazon » et son « inexorable machine de guerre » (sic), en appelant les politiques à « réguler l’emprise d’Amazon ». Le géant du e-commerce et de l’édition numérique (ebooks, audiobooks, autoédition, …) est accusé de « concurrence déloyale » – notamment vis-à-vis des librairies. @

« Le livre numérique est un produit stupide » (Hachette)

En fait. Le 17 février, soit un mois avant le Salon du livre à Paris, Arnaud Nourry, le PDG d’Hachette (groupe Lagardère), a lancé dans une interview au site web d’actualités indépendant indien Scroll.in : « The ebook is a stupid product » !
Le numéro un français de l’édition ne croit pas au livre numérique…

En clair. Arnaud Nourry (57 ans) a beau avoir débuté sa carrière il y a plus de trente ans en tant qu’ingénieur-conseil en informatique, il n’est pas technophile pour autant. Installé par Arnaud Lagardère depuis 15 ans maintenant au poste de PDG d’Hachette Livre, le patron du premier groupe français de l’édition de livre – et troisième des Big Five de l’édition mondiale en anglais (1) – est attaché au papier. Entré il y a près de trente ans chez Hachette Livre, ses interventions médiatiques se font rares. Mais lorsqu’il s’exprime, comme le 17 février dans Scroll.in lors d’un déplacement en Inde pour les dix ans de sa filiale locale, c’est pour tirer à boulets rouges sur le livre numérique. « Je pense que la stabilisation en plateau, ou plutôt le déclin [du marché
de l’ebook], que nous observons aux Etats-Unis et au Royaume-Uni ne s’inversera pas. C’est la limite du format ebook. Le livre numérique est un produit stupide. C’est exactement la même chose que le papier, à part son côté électronique. Il n’y a aucune créativité, pas d’enrichissement, pas de véritable expérience numérique », a lancé Arnaud Nourry. A un mois du Salon du livre de Paris, organisé du 16 au 19 mars par le Syndicat national de l’édition (SNE), dont Hachette Livre est l’un des cofondateurs, la sortie défaitiste voire technophobe de son patron en dit long sur l’état d’esprit rétif des maisons d’édition traditionnelles visà- vis de la dématérialisation des livres – les ebooks représentant pourtant déjà 20 % du marché de l’édition aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. La France, elle, se contente d’à peine 10 %. « Nous, en tant qu’éditeur, nous n’avons pas fait du grand boulot en allant dans le digital [(2)]. Nous avons essayé – d’améliorer ou d’enrichir les ebooks. Cela ne marche pas. Nous avons essayé des applis, des sites web de nos contenus – nous avons un ou deux succès parmi des centaines d’échecs », a décrié le « Monsieur Livre » d’Arnaud Lagardère. En outre,
il assure qu’il ne voulait pas faire les deux erreurs commises par la musique et la vidéo, voire la presse. A savoir : tarder à numériser les contenus, « ce qui a favorisé l’émergence du piratage », mais surtout ne pas garder le contrôle sur le prix de vente,
« ce qui les a empêchés de protéger leur chiffre d’affaire ». Et après avoir dénigré le livre numérique, le PDG d’Hachette Livre ose dire : « Ce n’est pas que nous sommes contre les ebooks »… @

Livre numérique : le format ouvert Epub est en passe d’intégrer le W3C, le consortium du Web

C’est un moment historique pour le jeune monde de l’édition numérique. Le format ouvert Epub (electronic publication), conçu par l’International Digital Publishing Forum (IDPF) pour développer des livres numériques, va devenir à partir du 1er janvier 2017 un standard du World Wide Web consortium (W3C).
Les membres de l’IDPF viennent d’approuver ce ralliement.

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Les membres l’International Digital Publishing Forum (IDPF),
à l’origine du format ouvert Epub et ses évolutions pour le livre numérique, ont jusqu’au 4 novembre prochain pour voter en faveur du projet de ralliement de leur organisation au World Wide Web consortium (W3C). C’est le 13 octobre dernier que le conseil d’administration de l’IDPF, présidé par Garth Conboy, en charge chez Google de l’ingénierie logiciel et de la normalisation (1), a approuvé le plan de transfert vers le W3C qui est actuellement soumis aux membres.

Alliance du livre et du Web
Parmi les membres de l’IDPF, qui doivent se prononcer en vue de confier à partir du
1er janvier 2017 l’avenir du format Epub au W3C, l’on retrouve, pour la France, Editis, Hachette Livre, Izneo (Média Participations), Actes Sud, Dilicom, le Syndicat national de l’édition (SNE), le Cercle de la librairie (Electre), le Syndicat des distributeurs de loisirs culturels (SDLC) ou encore la plateforme de livres numériques Youboox (2). Comme le préconisent les dirigeants de l’IDPF (3), et malgré des opposants tels que OverDrive ou Microsoft, il ne fait aucun doute que le vote entérinera la décision d’intégrer le consortium du Web fondé en 1994 et aujourd’hui dirigé par Tim Berners-Lee (photo), l’inventeur du World Wide Web. « Nous partageons une vision excitante entre le W3C et l’IDPF de pleinement harmoniser l’industrie de l’édition et
le coeur de la technologie Web. Cela va créer un environnement média enrichi pour l’édition numérique qui ouvre de nouvelles possibilités pour les lecteurs, les auteurs
et les éditeurs », avait déclaré le célèbre informaticien et physicien britannique en mai dernier lors du BookExpo America 2016 à Chicago. « Pensez au livres éducatifs. Le contenu du livre que l’on connaît aujourd’hui est en train de devenir hautement interactif et accessible avec des liens vers des vidéos et des images issues des événements historiques actuels et des données de recherche originales. Cela va donner une plus grande authenticité et un environnement d’apprentissage plus engageant pour les professeurs et les étudiants », s’était enthousiasmé Tim Berners-Lee. Six mois après son intervention, la fusion-absorption de l’IDPF est en passe d’être validée. Le format Epub rejoint ainsi les autres standards du Web tels que HTML, CSS, SVG ou encore ECMAScript dans l’Open Web Platform (OWP), une bibliothèque technologique lancée par le W3C en 2010. Au sein du W3C, c’est le Digital Publishing Interest Group (DigPubIG) qui prendra sous son aile le format ouvert pour livres numériques afin de poursuivre son développement au sein d’un écosystème d’impression numérique ouvert et interactif, avec recours aux métadonnées et aux contenus enrichis (de la typographie jusqu’au multimédia).
En France, où une association EDRLab (4) a été créée il y a un an par les maisons d’édition à Paris afin de développer avec l’IDPF des logiciels libres pour le livre numérique, le SNE va accueillir le 16 novembre prochain le directeur général du W3C, Jeffrey Jaffe, dans le cadre des 17e Assises du livre numérique consacrées à ce rapprochement Epub- Web. Ce dernier reconnaît que « les premières technologies
du Web n’ont pas répondu aux besoins rigoureux des auteurs et des éditeurs, dont le contenu est conçu dans des livres, des journaux et des magazines avec une typographie améliorée ». L’Epub au sein du W3C va y remédier.
Les maisons d’édition françaises, au premier rang desquelles se trouvent Editis (La Découverte, Le Cherche Midi, Xo Editions, …), Madrigall (Gallimard, Flammarion, Casterman, …) et Media Participations (Dargaud, Dupuis, Fleurus, Izneo, …), misent plus que jamais sur Epub 3 pour résister aux deux géants mondiaux du livre numérique que sont Amazon et Apple, ainsi qu’à Adobe, dont les systèmes respectifs de ebooks fermés et verrouillés sont non-interopérables (5). Les développements technologiques pour ebooks devraient s’accélérer. Car, pour l’heure, les ventes de livres numériques en France progressent trop lentement : elle ne représentent en 2015 que 6,5 % du marché français du livre, soit 173,3 millions d’euros – alors que c’est 24 % aux Etats-Unis, 16 % au Royaume-Uni ou encore 8,2 % en Allemagne. @

Charles de Laubier

ZOOM

Epub fête ses 10 ans en 2017
Déjà basé sur les standard HTML, CSS, SVG et XML développés par le W3C, le format Epub fut standardisé en septembre 2007 à partir de la première version appelée alors OEB (Open eBook Publication) et créée en 1999. Et depuis octobre 2011, c’est la version Epub 3 qui a pris le relais. Depuis un an maintenant, l’IDPF travaille sur la version Epub 3.1 dont les spécifications techniques récemment adoptées font encore l’objet d’une consultation publique jusqu’au 7 novembre prochain. @