Maisons d’édition : la peur d’être « amazonisées »

En fait. Du 14 au 18 octobre s’est déroulé la Foire internationale du livre de Francfort. L’ombre d’Amazon, exposant en tant que maison d’édition (Amazon Publishing), a plané sur les éditeurs traditionnels qui préfèrent avoir leur bouc (book ?) émissaire que de se remettre en question face au numérique.

En clair. « L’enquête est en cours », a indiqué la Commission européenne à Edition Multimédi@, sans vouloir faire plus de commentaire, à propos de la procédure formelle d’examen qu’elle a ouverte mi-juin dernier pour savoir si certaines pratiques commerciales d’Amazon en matière de distribution de livres numériques relèvent
d’un abus de position dominante en Europe. Sont notamment dans le collimateur des clauses contractuelles entre Amazon – actuellement le plus grand distributeur de livres numériques en Europe – et certaines maisons d’édition qui obligent ces dernières à
« informer Amazon de l’offre de conditions plus favorables ou différentes à ses concurrents ». Cette pratique commerciale apparaît, aux yeux de Margrethe Vestager, commissaire européenne chargée de la Concurrence, comme « restrictive » dans le sens où ces clauses rendent « plus difficile pour les autres distributeurs de livres numériques de concurrencer Amazon grâce au développement de nouveaux produits et services innovants ». L’enquête se concentre en particulier sur les clauses qui semblent protéger la firme de Jeff Bezos contre la concurrence d’autres distributeurs de livres numériques, telles que celles qui lui octroient le droit d’être informée de toutes conditions différentes, voire plus favorables, accordées à ses concurrents, et/ou le droit de bénéficier de modalités et de conditions analogues à celles qui sont accordées à ses concurrents. S’inspirant de l’action européenne, des écrivains et libraires aux Etats-Unis (1) ont demandé mijuillet au Department of Justice (DoJ) d’ouvrir une enquête similaire. Ce n’est pas la première fois que la Commission européenne s’intéresse de près aux ebooks. En décembre 2011, Apple a été soupçonné de s’être entendu avec cinq éditeurs internationaux – dont Hachette Livres ou Penguin Random House – pour « limiter la concurrence au niveau des prix de détail » des livres numériques. Finalement, les entreprises impliquées se sont engagées à cesser ces agissements. De son côté, Amazon a eu maille à partir en 2014 avec la filiale américaine Hachette Livre sur les conditions de vente en ligne des ebooks. Finalement, les deux groupes avaient trouvé un accord commercial (2). Dans ce contexte de discordes, d’accords et de soupçons autour d’Amazon, les maisons d’édition traditionnelles rechignent à faire évoluer leur modèle économique pour l’adapter à l’économie numérique. @

Les maisons d’édition craignent un coup de frein des ventes de livres numériques si la TVA revenait à 20 %

Ironie de l’histoire, c’est du Français Pierre Moscovici (photo), commissaire européen à la Fiscalité, que dépendra l’issue de l’affaire française de la TVA réduite sur les ebooks. La France échappe pour l’heure à une sanction, en attendant la révision de la directive européenne « TVA » prévue fin 2016.

« L’année prochaine sera une année décisive pour le développement du livre numérique en Europe suite au jugement
de la Cour de Justice de l’Union européenne [CJUE] sur le taux
de TVA applicable au livre numérique. Il sera en effet difficile de maintenir une croissance équivalente si la TVA du livre numérique téléchargeable revient au taux normal », a prévenu Gabriel Zafrani, chargé de mission Affaires économiques au Syndicat national de l’édition (SNE), dont l’assemblée générale s’est tenue le 25 juin.

Incertitude fiscale jusqu’à fin 2016
La CJUE a en effet décidé le 5 mars dernier que l’application par la France (1) d’un taux réduit de TVA aux livres numériques téléchargeables était illégal. Depuis janvier 2012, la France applique l’alignement du taux de TVA pour les livres numériques sur celui du livre papier : 5,5 %. Or, selon la Commission européenne, le livre numérique est un service de téléchargement qui doit donc être assujetti au taux normal de 20 %. La France s’attendait à être condamnée pour infraction au droit communautaire et sera
a priori contrainte de revenir l’an prochain au taux normal de TVA pour les ebooks.
Mais l’exécutif européen a tout de même reconnu qu’il lui fallait, dans le cadre d’une réforme générale de la TVA qu’il dévoilera fin 2016, aligner le taux de TVA des livres numériques. Car, pour l’heure, la directive européenne « TVA » ne permet d’appliquer le taux de TVA réduit qu’aux biens et services cités dans son annexe III, laquelle ne
cite que les livres sur support physique. De plus, la CJUE constate que la législation communautaire exclut explicitement la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA
aux « services fournis par voie électronique » (2). Ce qui est le cas de la vente de livres numériques.

Selon le monde de l’édition française, le retour à une TVA à 20 % au lieu de 5,5 % donnera un sérieux coup de frein au marché du livre numérique dont le démarrage reste déjà lent. « La transition vers le numérique est en cours pour les éditeurs et les incertitudes qui pèsent sur le taux de TVA à appliquer pour les livres numériques téléchargeables mettent tous les acteurs de la filière du livre dans une situation compliquée. (…) L’équilibre financier reste délicat à atteindre pour les éditeurs et la lecture sur support numérique a besoin de conditions favorables pour se développer », a expliqué Gabriel Zafrani. En 2014, le marché de l’édition numérique – tous supports et catégories éditoriales confondus – a généré un chiffre d’affaires de 161,4 millions d’euros, en progression de 53,3 % sur un an. Cela représente, toujours en valeur, 6,4% des ventes de livres des éditeurs. Cette progression a été principalement portée par le marché professionnel qui représente 64 % des ventes en numérique (contre 58 % l’an dernier). Quant à l’édition numérique grand public, elle atteint désormais 2,9 % des ventes de livres (contre 2,3 % l’an dernier). Mais les maisons d’édition françaises peuvent s’estimer épargnées pour l’instant par le verdict de la CJUE : la Commission européenne – qui est souveraine sur ce sujet – a décidé de ne pas poursuivre la France où un changement de TVA pour les livres numériques n’interviendra pas avant le 1er janvier 2016 (loi de Finances 2016). Tandis que la réforme de la TVA sera présentée
fin 2016 par la Commission européenne. « Il est possible que le passage au taux plein de TVA soit suspendu d’ici là », espère le SNE. Ironie de l’histoire, c’est du Français Pierre Moscovici, ancien ministre de l’Economie et des Finances, actuel commissaire européen à la Fiscalité (3), que dépendra l’issue politique de cette épineuse affaire.
La décision doit être prise à l’unanimité par les Etats-membres. Ce n’est pas gagné :
les ministres de la Culture croient plutôt à cet alignement de TVA, alors que les ministres des Finances sont plus réservés.

Les Vingt-huit sont très divisés
« Une dizaine d’Etats demeurent encore opposés à cette réforme : le Royaume-Uni
en particulier, qui craint une remise en cause de son taux zéro sur le livre papier, le Danemark et la Bulgarie qui pratiquent des taux normaux sur le livre papier, mais
aussi l’Estonie, l’Irlande, Malte, la République tchèque, la Slovaquie, la Roumanie et l’Autriche. D’un autre côté, l’Italie a adopté une loi sur le taux réduit de TVA pour les livres physiques et numériques, y compris en ligne (4 % au lieu de 22 %), en vigueur depuis le 1er janvier 2015 », détaille le SNE dans son rapport d’activité 2014-2015 dévoilé lors de son AG. Le syndicat avait lancé en mars dernier une vaste campagne virale baptisée #ThatIsNotABook, afin d’interpeller les instances communautaires et sensibiliser les lecteurs français et européens à la nécessité de préserver un taux de TVA réduit sur le livre numérique. @

Charles de Laubier

Marie-Pierre Sangouard, Amazon France : « L’accueil de Kindle Unlimited a été très positif »

Directrice des contenus Kindle d’Amazon France depuis 2011, après avoir été directrice du livre à la Fnac, Marie-Pierre Sangouard nous répond à l’occasion du Salon du livre de Paris sur l’auto-édition, le livre numérique, la TVA, le format AZW, ainsi que sur le lancement d’Amazon Publishing en France.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Marie Pierre SangouardEdition Multimédi@ : Le groupe Amazon est présent au Salon du livre de Paris encore cette année (après une absence remarquée en 2013) : que présentez-vous ?
Marie-Pierre Sangouard (photo) : Cette année nous serons à nouveau présents au Salon du livre avec notre stand Kindle Direct Publishing (KDP) placé sous le signe de l’auto-édition et de la lecture numérique. C’est l’occasion pour les visiteurs de se familiariser avec les nouvelles formes de diffusion de la culture
et de simplification de la création littéraire que nous proposons aux lecteurs d’une part, et aux auteurs en devenir d’autre part.
En ce sens, nous organisons la 2e édition du « speed dating KDP » à destination des auteurs en herbe sur notre stand au Salon du livre. Les gagnants seront publiés via notre programme d’auto-édition KDP et soutenus sur Amazon.fr pendant un mois :
une belle opportunité de se faire remarquer du grand public, tout comme les plus de 600.000 auteurs auto-édités présents aujourd’hui sur notre plateforme KDP partout dans le monde. Nos toutes dernières liseuses Kindle seront également exposées afin de permettre à tous les lecteurs d’en découvrir les multiples avantages et fonctionnalités.

EM@ : Amazon va devenir aussi une maison d’édition en France à travers sa nouvelle filiale Amazon Publishing France, dont l’ « éditeur de manuscrits originaux » (Senior Editor Original Manuscripts) a été recruté en février. Quand lancez-vous cette activité ?
M-P. S. :
Nous avons recruté Clément Monjou en tant qu’éditeur pour Amazon Publishing en France, dont nous sommes en train de constituer l’équipe. Il reporte
à Dominic Myers, responsable Europe d’Amazon Publishing et a pour mission de découvrir des ouvrages de qualité à traduire et à publier en langue française. Clément travaille pour Amazon depuis plus de deux ans.
Nous avons lancé le 10 mars nos deux premières traductions de l’anglais vers le français – un thriller, « Hackeur et contre tous » de Dave Bushi, et d’une comédie romantique, « Ladden et la lampe merveilleuse » de Stéphanie Bond –, auxquelles viendront s’ajouter trois autres titres d’ici la fin du mois. Notre objectif est de publier
des fictions issues de genres variés tels que les thrillers, la littérature sentimentale
et la science-fiction.

« Nous avons recruté Clément Monjou en tant qu’éditeur pour Amazon Publishing en France (…). Il a pour mission de découvrir des ouvrages de qualité à traduire et à publier en langue française ».

EM@ : Depuis votre arrivée en juillet 2011 chez Amazon France en tant que directrice des contenus Kindle, comment a évolué l’activité « livres » (papier
et ebook) dans l’Hexagone selon vous ?
M-P. S. :
Le secteur du livre est en constante évolution et nous faisons face aujourd’hui à une révolution des usages qui passe notamment par le numérique, tant en termes
de distribution en ligne, complémentaire à la vente en librairie, qu’en termes de format, avec l’ebook qui vient compléter le livre traditionnel. S’agissant de la distribution, Internet constitue une opportunité pour démocratiser la culture et la rendre accessible au plus grand nombre, parfaitement complémentaire des réseaux traditionnels. Ce canal contribue également à la diffusion de la culture française via la vente de livres
en français dans le monde entier et nous sommes fiers qu’Amazon soit le premier distributeur hors de France de livres en langue française avec l’ensemble de ses plateformes dans le monde. Enfin, l’émergence de l’auto-édition en ligne, qui permet
la découverte de nouveaux talents littéraires, est une des révolutions majeures de ces dernières années. Il s’agit d’un tremplin unique qui a permis à de nombreux talents d’émerger. Par exemple, c’est ainsi qu’Aurélie Valognes, auteure de « Mémé dans
les orties », a rencontré le succès pour son premier roman auto-publié.

EM@ : Selon les premières estimations du Syndicat national de l’édition (SNE),
le livre numérique se situe autour de seulement 5 % des ventes de l’édition en France. Comment et pourquoi – vu d’Amazon – y a-t-il ce retard français par rapport à d’autres pays ?
M-P. S. :
Depuis le lancement de Kindle en France en 2011, nous sommes pour notre part très satisfaits des résultats. Nous concentrons nos efforts sur la démocratisation
de la lecture numérique comme une offre présentant de nombreux avantages, tels que la facilité d’accès (téléchargement en 60 secondes 24h sur 24) et un catalogue se développant sans cesse. Sont ainsi accessibles à partir de Kindle 3 millions de livres numériques présents aujourd’hui, dont plus de 175.000 en français et plus de 4.000 grands classiques gratuits. La quasi-totalité des nouveautés sont disponibles et cet élargissement de l’offre est clé. Parmi les freins, on peut noter la faiblesse du catalogue disponible en langue française par rapport à l’offre papier, et des prix qui peuvent paraître élevés pour les lecteurs : par exemple, certains ouvrages ont un prix numérique supérieur à celui de leur équivalent papier.

EM@ : Le 5 mars, la Cour de justice de l’Union européenne a décidé que la France ne pouvait appliquer aux ebooks le même taux de TVA réduit que celui des livres imprimés (5,5 % au lieu de 20 %). Quelles conséquences cela va avoir sur les ventes d’ebooks sur Kindle en France ?
M-P. S. :
L’importance culturelle et pédagogique d’un livre réside dans le contenu
du travail de l’auteur, pas dans son format, qu’il soit numérique ou papier. Comme beaucoup de nos clients, nous pensons que le même taux réduit de TVA doit être appliqué aux livres, quel que soit leur format. Sur les conséquences de cette décision, nous n’avons pas de visibilité sur les éventuels changements de politique de prix des éditeurs : il est donc difficile de faire des prévisions.

EM@ : L’interopéralité des formats des ebooks est de plus en plus évoquée, tant par les utilisateurs que par les pouvoirs publics : le format AZW de Kindle est-il un obstacle ou pas au développement du livre numérique ?
M-P. S. :
Au contraire, le fait de pouvoir maîtriser son format est un réel avantage parce que c’est cela qui permet l’innovation au service d’une expérience du lecteur toujours plus riche. Par exemple, grâce à son format AZW (ou mobi), Amazon a développé des applications spécifiques, les dictionnaires, le surlignage, le partage ou encore le service X-Ray qui permet d’explorer et d’analyser la structure d’un ouvrage sur Kindle – ses idées essentielles, les personnages ou les thèmes. En outre, nous faisons en sorte qu’un client puisse lire ses ouvrages Kindle sur tous les appareils dont il dispose – ordinateurs PC ou Mac, smartphones ou tablettes, sous iOS ou Android – via l’application de lecture gratuite Kindle, ce qui constitue une véritable valeur ajoutée.

EM@ : En février, la médiatrice du livre a considéré que les offres d’abonnement de lecture illimitée d’ebooks en France sont illégales car« le prix n’est pas fixé par l’éditeur ». C’est le cas de Kindle Unlimited…
M-P. S. :
L’accueil de Kindle Unlimited a été très positif en France depuis son lancement en décembre, comme dans tous les pays où le service a été lancé, car
il permet aux lecteurs de découvrir facilement un plus grand nombre d’auteurs, soit 700.000 titres dont plus de 20.000 en français [pour 9,99 euros par mois, ndlr], et
aux auteurs de toucher un plus grand nombre de lecteurs dans le monde entier. Des éditeurs français sont d’ores et déjà présents sur KU, tels que Fleurus [groupe Média-Participations, ndlr], Jouvence, Eyrolles, La Musardine, Bragelonne, Encyclopædia Universalis, … La période de concertation entre la médiatrice du livre et tous les acteurs qui proposent ce type de service innovant est en cours. @

La médiatrice du livre doit dire vite si l’accès illimité par abonnement à des ebooks est illégal ou pas en France

En mai 2014, elle démissionnait de la direction du cabinet de la ministre de la Culture et de la Communication. Son compagnon Aquilino Morelle, lui, quittait l’Elysée sur fond de scandale. Laurence Engel revient au devant de la scène culturelle pour dire – en tant que médiatrice du livre – si Amazon est hors-la-loi.

(Depuis la publication de cet article dans Edition Multimédi@ n°115, l’avis de la médiatrice du livre, disponible ici, a été remis le 19 février 2015 à Fleur Pellerin)

Par Charles de Laubier

Laurence Engel« J’ai commencé les auditions la semaine dernière. Nous sommes convenus avec le ministère, et cela répond également au souhait des professionnels, d’un avis rendu rapidement, dans quelques semaines. Donc, fin du mois ou tout début février », a répondu Laurence Engel (photo), la médiatrice du livre, à Edition Multimédi@.
Depuis un mois qu’Amazon a lancé en France Kindle Unlimited, un service d’accès illimité par abonnement à 700.000 livres numériques – dont 20.000 en français – pour seulement 9,99 euros par mois, une levée de bouclier s’est officiellement formée.
Le premier à ouvrir les hostilités fut Vincent Monadé, président du Centre national du livre (CNL), établissement public du ministère de la Culture et de la Communication : « La faiblesse de l’offre en français [de Kindle Unlimited] démontre la légitime défiance des éditeurs français envers cet opérateur. (…) Pour une vraie offre de lectures illimitées, allez en librairie ! », a-t-il lancé le 17 décembre.

Kindle Unlimited, Youboox, Izneo, Youscribe, ePoints… tous illégaux ?
Le Syndicat de la librairie française (SLF), qui regroupe près de 600 membres, a aussitôt relayé le communiqué du CNL. La Société des gens de lettres (SGDL), représentant 6.000 auteurs de l’écrit, s’est dite quant à elle « résolument hostile » au principe de cette offre d’accès illimité à des livres numériques par abonnement.
Au-delà de son inquiétude sur les « incidences de l’accès illimité au numérique sur les ventes de livres imprimés » (1), la SGDL pose d’emblée la question de la légalité d’une telle offre forfaitaire d’ebooks en streaming. « Les formules d’abonnements illimités sont-elles compatibles avec la loi sur le prix unique du livre numérique lorsqu’elles sont le fait d’un distributeur et non d’un éditeur ? Il nous semble que non », a estimé le 22 décembre cette organisation dirigée depuis 2010 par Geoffroy Pelletier, un proche de
la rue de Valois (2). Dans la foulée, la ministre de la Culture et de la Communication
a annoncé le même jour qu’elle « saisi[ssait] la médiatrice du livre, qui, après avoir consulté les éditeurs et les plateformes concernés, rendra dans les plus brefs délais son avis sur l’articulation des offres par abonnement avec le cadre fixé par la loi ».
Et Fleur Pellerin de justifier cette saisine sur la foi d’une note juridique interne à ses services : « La loi de 2011 établit une règle : c’est l’éditeur qui fixe le prix de vente
du livre numérique. A ce titre, l’offre proposée par Kindle Unlimited ne semble pas conforme à la loi ».

Silence ambigu du SNE, et pour cause
Le Syndicat national de l’édition (SNE), lui, ne s’est curieusement pas exprimé sur cette nouvelle pratique (3). Pourtant, les éditeurs – censés fixer le prix du livre numérique depuis cette loi du 26 mai 2011 qui étend aux ebooks la « loi Lang » du 10 août 1981 sur le « prix unique du livre » – sont les premiers concernés par ces nouvelles offres de lecture en ligne illimitée par abonnement. Or, le SNE considère implicitement comme légale l’offre de bibliothèque en ligne illimitée par abonnement. En effet, son président, Vincent Montagne, dirige le quatrième groupe d’édition français, Media Participations, lequel est présent depuis plus d’un an dans la bibliothèque numérique par abonnement française Youboox, co-créée en octobre 2012 par sa présidente Hélène Mérillon.
Ce « Spotify » ou « CanalPlay » du livre, compte dans son catalogue numérique plus de 100.000 titres, dont la plupart proviennent du fond éditorial de Média Participations : des éditions de bandes dessinées (BD) Dargaud, Dupuis et Le Lombard, ainsi que
des mangas de l’éditeur Kana, sans oublier les livres pratiques de Fleurus, la maison d’éditions de sensibilité catholique (4). Media Participations, qui plus est expérimente aussi Kindle Unlimited, possède par ailleurs Izneo, regroupement d’éditeurs franco-belges de BD créé en mars 2010. Cette bibliothèque en ligne de BD lisibles en streaming est même soutenue financièrement par le CNL, lequel n’a pas osé dire avec la SGDL que cette pratique de lecture illimité au forfait était illégale… Youboox a même séduit un ancien président du SNE de 1991 à 2010, Serges Eyrolles, dont les éditions professionnelles et techniques Eyrolles croient aussi à l’abonnement illimité en streaming pour les ebooks.
Ce nouvel accès illimité à la lecture, qui bouscule l’industrie du livre, n’a donc pas attendu Amazon pour être proposé en France : au-delà de Youboox et d’Izneo, une autre plateforme française, Youscribe, a été ouverte en janvier 2011 par Juan Pirlot de Corbion, ancien dirigeant-fondateur de Chapitre.com, avec le soutien d’investisseurs historiques tels que TDH (Thierry Dassault) et Habert Dassault Finances (Benoît Habert). Il y a aussi un nouveau venu : ePoints, plateforme de lecture en ligne par abonnement de textes courts créée par les éditions du Seuil et de Points qui font partie du groupe La Martinière. Mais le pionnier en France de l’abonnement à des livres numériques fut probablement, dès janvier 2009, Publie.net créé sous l’impulsion de l’écrivain François Bon.
Sans attendre Kindle Unlimited, il y avait donc déjà de quoi s’interroger sur la légalité
de ces offres illimitées par abonnement au regard de la loi de 2011… Maintenant que
le géant Amazon a lancé son offre illimitée en France, le 11 décembre précisément, la question s’est subitement posée… officiellement (5). Kindle Unlimited : bouc émissaire ou « book émissaire » ?

Mais faute de combattants ou de litige, aucun acteur français (libraire, éditeur, distributeur ou organisme) n’ayant jugé bon de saisir la médiatrice du livre, c’est Fleur Pellerin qui a décidé de la saisir – comme le lui permet la loi. C’est donc à Laurence Engel, nommée en septembre, qu’incombe la tâche de dire ce qu’il en est de cette nouvelle offre commerciale de livres numérique au regard de la loi (lire page suivante). Mais de quel droit ?
La médiatrice du livre n’a pas de compétences pour dire le droit. Tout juste peut-elle avoir une « démarche de conciliation » qui s’exerce dans le respect de la compétence de l’Autorité de la concurrence et du ministre chargé de l’Economie. « Si aucun accord n’a pu être trouvé entre les parties, le médiateur peut adresser aux parties une recommandation précisant les mesures qui lui paraissent de nature à mettre fin à la situation litigieuse. En cas d’échec de la conciliation, le médiateur du livre peut, dans les domaines relevant de sa compétence, saisir la juridiction compétente pour lui demander d’ordonner la cessation des pratiques contraires aux lois [de 1981 et de
2011 sur le prix du livre] », stipule l’article 144 de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation.

« Politique rétrograde de l’édition »
La France est-elle devenue procédurière vis-à-vis de l’innovation numérique ? « En diabolisant Amazon, les pouvoirs publics cherchent en ce moment le cache-sexe non à leur absence de politique – ils ont toujours suivi le lobbying du SNE – mais à la politique rétrograde de l’édition incapable de se repenser. Qu’on ne vienne pas encore nous emm… avec des lois et tout un arsenal de bureaucratie morte : qu’on nous laisse seulement faire nos expériences », critique sévèrement François Bon (6), l’écrivain
qui a fondé Publie.net et qui propose son « pass une fois pour toutes » sur son site de librairie numérique Tierslivre.net. L’industrie du livre est sur le point de se déchirer. @

Media Participations, 4e éditeur français, croit aux ebooks par abonnement illimité en streaming

En attendant l’arrivée en France de Kindle Unlimited, Youboox veut convaincre les trois premiers éditeurs français – Hachette, Editis et Gallimard/Flammarion – d’intégrer sa bibliothèque d’ebooks en streaming illimité (gratuite ou par abonnement). Media Participations leur montre la voie.

Vincent MontagneDirigé par Vincent Montagne (photo), qui préside en outre le Syndicat national de l’édition (SNE), le quatrième groupe d’édition français, Media Participations, participe depuis plus d’un an maintenant à l’enrichissement de la bibliothèque numérique française Youboox.
Mais il reste encore à convaincre les trois premiers de l’intérêt d’une telle offre illimité de livres dématérialisés par abonnement. « Il est vrai qu’aujourd’hui nous n’avons pas encore signé avec les trois plus grands éditeurs français. (…) On va finir par intégrer leurs catalogues », a assuré Hélène Mérillon, cofondatrice et présidente de Youboox, le 21 octobre dernier, au colloque de NPA Conseil.

Convaincre les membres du SNE
La cofondatrice de Youboox entend parvenir à des accords avec Hachette Livres (filiale de Lagardère), Editis (ex-partie de l’ancien Vivendi Universal Publishing), et Madrigall qui est la holging familiale regroupant Gallimard et de Flammarion. « Nos relations avec les éditeurs sont très bonnes : nous avons 180 éditeurs français qui sont partenaires
de la plateforme Youboox, parmi lesquels le quatrième éditeur français qui est Media Participations et bien d’autres références », s’est-elle félicitée, comme pour convaincre les trois plus grandes maisons d’édition de franchir le pas à leur tour. Youboox se présente à eux comme le « Spotify » ou le « CanalPlay » du livre, avec une offre de livres numériques en streaming illimité par abonnement (7,99 à 9,99 euros par mois), lorsque ce n’est pas de la lecture gratuite financée par de la publicité (située en bas
des pages des ebooks).
Grâce à Média Participations, Youboox compte dans son catalogue numérique plus de 100.000 titres, la plupart du fond éditorial des éditions de bandes dessinées Dargaud, Dupuis et Le Lombard, ainsi que des mangas de l’éditeur Kana, sans oublier les livres pratiques de Fleurus, la maison d’éditions de sensibilité catholique, là aussi filiale de Media Participations. D’autres éditeurs ont aussi fait confiance à Youboox, sa bibliothèque s’étant enrichit de guides de voyages avec Le Petit Futé (1), des livres de science-fiction avec les éditions Bragelonne (2), ou encore les éditions professionnelles et techniques Eyrolles, dont le dirigeant Serges Eyrolles fut président du SNE de 1991 à 2010. Décidément, Youboox a finalement réussi à convaincre deux présidents du SNE – l’actuel et un ancien – de lui confier leurs catalogues numériques, respectivement pour Media Participations et pour Eyrolles. Ce qui devrait faciliter la tâche pour parvenir à signer avec le très littéraire Antoine Gallimard (Gallimard et Flammarion) qui fut lui aussi président du SNE de 2010 à 2012. Est-ce à dire que
le SNE (3) est aux avant-postes de ce nouvel écosystème d’offre illimitée de livres numériques ? Rien n’est moins sûr. « Le numérique, plus que les abonnements d’ailleurs, est quelque chose qui n’est pas facile à gérer pour les éditeurs, lesquels
font encore plus de 90 % de leur chiffre d’affaires sur le livre papier. Forcément, le numérique les inquiète car ils doivent gérer une transition qui aura un impact important sur leur modèle économique. Et dans le numérique, des innovations de type abonnement leur prendra du temps pour s’y mettre », a reconnu la présidente cofondatrice de Youboox. Au-delà de la crainte de cannibalisation de leurs catalogues papier, pas facile pour les maisons d’édition traditionnelles de faire siennes le nouveau modèle de rémunération qui consiste à partager – entre l’éditeur et la bibliothèque en ligne – les revenus publicitaires en proportion du nombre de pages lues. Youboox s’appuie en effet sur un modèle de « vente à l’usage », une licence de location de livre plus proche du prêt de bibliothèque que de la vente de livres. Curieusement, les 13e Assises du livre numérique, organisées le 12 novembre dernier par le SNE justement, ont fait l’impasse sur ce nouveau paradigme du streaming pour l’édition. Il faut dire que les éditeurs et les libraires français redoutent l’arrivée prochaine en France d’Amazon avec son abonnement illimité « Kindle Unlimited » qui, fort de ses 600.000 titres disponibles, est déjà commercialisé aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Allemagne.

Kindle Unlimited bientôt en France
« L’arrivée prochaine de Kindle Unlimited en France est une bonne nouvelle. Cela peut faire peur, cela peut inquiéter, c’est Amazon ; ils ont beaucoup de moyens », reconnaît Hélène Mérillon. Mais pour Youboox, qui revendique à ce jour 550.000 lecteurs et 80 millions de pages lues, il est temps maintenant que les trois plus grandes maisons d’édition français signent à leur tour. Car la demande est là. Sans le déploiement suffisant de ces offres légales d’ebooks, le piratage risque d’y pallier. @