La radio numérique terrestre (RNT) est lancée malgré le tir de barrage des grandes radios privées nationales

Le Bureau de la radio, qui représente Lagardère, RTL Group, NRJ Group et NextRadioTV, aura tout tenté pour discréditer – voire annuler avec le recours
de NRJ devant le Conseil d’Etat – la RNT lancée le 20 juin. Le Sirti, syndicat
des radios indépendantes, en appelle aux pouvoirs publics.

Par charles de Laubier

Malgré l’hostilité des groupes de radios privées nationaux que sont Lagardère (Europe 1/RFM/ Virgin Radio), RTL Group (RTL/RTL2/Fun Radio) NRJ Group (NRJ/Chérie FM/Nostalgie/Rire & Chansons) et NextRadioTV (RMC/BFM Business).
Malgré l’absence de Radio France pour laquelle le gouvernement n’avait pas préempté de fréquences.
Malgré les tergiversations des pouvoirs publics qui, depuis cinq ans maintenant, promettaient la radio numérique terrestre (RNT) prévue par la loi depuis… dix-huit
ans (1).

Recours de NRJ devant le Conseil d’Etat
Malgré les valses hésitations du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pourtant commanditaire de trois rapports sur la radio numérique (rapport Kessler de mars 2011, rapport Tessier de novembre 2009 et rapport Hamelin d’octobre 2009), sans oublier une consultation de la DGMIC (ministère de la Culture et de la Communication) en octobre 2012 sur la norme technique à utiliser.
Malgré tous ces freins et obstacles, la RNT prend enfin son envol en France (2) le
20 juin 2014 à Paris, Marseille et Nice. Mais ce coup d’envoi historique ressemble
plus à un ball-trap, dont les plateaux en argile sont les 107 nouvelles radios, qu’à un lancement orchestré comme pour la TNT.
« Les groupes nationaux, le CSA et le gouvernement semblent s’être entendus pour briser ce lancement », a dénoncé le Syndicat interprofessionnel des radios et télévisions indépendantes (Sirti) le 28 mai dernier, après avoir appris ce que Edition Multimédi@ révélait dès le 12 mai (3). A savoir que le groupe NRJ avait déposé le
19 juin 2013 devant le Conseil d’Etat un recours pour « excès de pouvoir » à l’encontre du CSA, lequel avait finalement délivré le 15 janvier de la même année 107 autorisations d’exploiter un service de RNT. Pour le groupe de Jean-Paul Baudecroux, « ces autorisations sont illégales en raison notamment des fortes incertitudes entourant ce projet ». Pourtant, NRJ fut par le passé candidat à la RNT ! Mais la première radio de France (en terme d’audience, selon Médiamétrie) avait retiré sa candidature en mai 2012, là aussi « face aux très importantes incertitudes économiques et techniques entourant le projet ». Ce recours devant la Haute cour administrative, le groupe NRJ
– coté en Bourse – en a fait état pour la première fois dans son document de référence 2013 publié le 28 mars par l’AMF. Et dans la section « Risques liés à l’environnement économique et à la position concurrentielle » de ce même rapport annuel, la RNT y est en fait redoutée comme pouvant « éventuellement modifier les équilibres concurrentiels actuels ». Le Bureau de la radio, qui représente Lagardère, RTL Group, NRJ Group et NextRadioTV, aura tout tenté pour jeter le doute sur la viabilité économique de la RNT. Son président, Michel Cacouault, a envoyé à la presse le 16 juin dernier une « note relative à l’absence de perspective pour la radio numérique terrestre », en Europe comme en France. Les grandes radios privées craignent en réalité que le gâteau publicitaire, déjà en diminution, ne soit à partager avec un plus grand nombre de radios – les historiques et les nouvelles entrantes. « Sans subventions publiques conséquentes, la RNT, dans son schéma actuel, n’a aucun avenir », affirme Le Bureau de la radio pour discréditer l’appel au gouvernement en faveur de la RNT lancé par le Sirti, lequel compte plus de 150 membres (essentiellement des radios indépendante, locales, régionales ou thématiques). L’absence de Radio France serait pour les grandes radios privées une preuve supplémentaire que « les doutes » qui pèsent sur l’avenir
de la RNT, de même que « les échecs » à l’étranger (Etats- Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Belgique et Autriche), ne plaident pas en faveur de la RNT. Quelques
jours plus tôt, Le Bureau de la radio diffusait un artiche du quotidien britannique
The Telegraph considérant la technologie DAB+ «mort-née » (4). Mais les 107 radios retenues pour Paris, Marseille et Nice ne l’entendent pas de cette oreille. Le Sirti, estimant que « le silence assourdissant du gouvernement et incompréhensible »,
a réussi à partager son désarroi le 17 juin en présence de trois membres du CSA (5)
et du député PS Marcel Rogemont.

Paris, Marseille et Nice : expérimental ?
Le Syndicat des entreprises de commerce international de matériel audio, vidéo
et informatique (Secimavi) et TDF ont aussi été appelés en renfort pour rassurer sur
la réalité respectivement des récepteurs et de la diffusion des multiplexes. Quoi qu’il
en soit, le CSA –qui considère encore le lancement à Paris, Marseille et Nice comme
« une phase expérimentale » – rendra « à l’automne » (avec près d’un an de retard) son rapport « RNT » au Parlement, en attendant de lancer des appels à candidatures dans d’autres villes de France. @

Jean-Paul Bazin, gérant de la Spedidam : « Il est temps qu’Internet rémunère les artistes interprètes »

La Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes (Spedidam) explique à Edition Multimédi@ pourquoi elle compte sur la loi « création » pour que la gestion collective – qui profite aux artistes interprètes
depuis près de 30 ans en France – devienne obligatoire sur Internet.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Jean-Paul BazinEdition Multimédi@ : L’an dernier, le 11 septembre, la Spedidam a perdu contre des plates-formes de musique
en ligne (dont iTunes) devant la Cour de cassation jugeant
que l’autorisation donnée par les artistes interprètes pour l’exploitation de leurs enregistrements inclut leur mise en ligne. La future loi « création » vous donnera-t-elle raison en instaurant une « rémunération proportionnelle » ?

Jean-Paul Bazin : Mis à part quelques vedettes qui perçoivent
le plus souvent des sommes dérisoires (264 euros environ pour 1 million de streams),
les artistes qui sont à l’origine de l’existence des contenus d’Internet ne perçoivent actuellement aucune rémunération lorsque leurs enregistrements sont exploités en
ligne. Sur les 49,5 millions d’euros des perceptions de la Spedidam sur 2013, Internet représente zéro !
C’est le rôle du législateur de maintenir les grands équilibres et de protéger les plus faibles contre l’appétit et le manque de scrupules de certains. Nous espérons donc vivement que les artistes soient enfin entendus et que la future loi « création » mettra un terme à cette situation inéquitable. Et ce, en instaurant une gestion collective obligatoire des droits des artistes interprètes pour les services à la demande afin de nous permettre de percevoir
au bénéfice de ces derniers des rémunérations, notamment auprès des plateformes numériques de musique en ligne.

« Nous sommes toujours persuadés que la licence globale est la seule proposition qui permette aux créateurs de percevoir une juste rémunération sur les échanges hors marché, et de ne pas criminaliser les internautes. »

EM@ : Les organisations de producteurs de musiques (Snep, UPFI, …) sont vent debout contre toute gestion collective à caractère obligatoire des droits sur Internet, ce que le rapport Phéline envisage si les négociations professionnelles n’aboutissent pas « dans un délai raisonnable » (« 8 mois, prolongeable de quelques mois »). Pourquoi n’y croyez-vous pas ?
J-P. B. : En 1985, des droits ont été reconnus aux artistes interprètes et aux producteurs (en grande partie grâce aux artistes). Depuis les producteurs, et surtout les multinationales du disque, n’ont eu de cesse de chercher à s’approprier les droits des artistes. Tout est bon pour cela, du chantage au travail en passant par un lobbying forcené auprès des pouvoirs publics.
Dans leur obsession de s’approprier les contenus, à défaut de posséder les tuyaux d’Internet et de ne surtout pas partager avec les artistes les fruits de la nouvelle économie, les organisations dont vous parlez ont pris depuis le début des années 2000 une série d’orientations stratégiques désastreuses. Celles-ci ont contribué à accentuer la crise due à la mutation de notre secteur, notamment en tuant dans l’oeuf le développement des plates-formes de vente en ligne, concourant ainsi au développement des échanges hors marché – c’est-à-dire des échanges sur Internet qui ne sont pas soumis à une transaction financière. Vous remarquerez que nous n’employons jamais le terme de
« piratage » qui est caricatural, excessif et populiste, de plus inventé par les multinationales du disque pour stigmatiser les internautes, c’est-à-dire le public des artistes. Et ce, afin de s’approprier le contrôle des échanges sur Internet.
Aujourd’hui, les trois majors – Universal Music, Sony Music et Warner Music – possèdent à elles seules près de 85 % du catalogue mondial de la musique. Leur seul objectif est
de posséder 100 % de ce catalogue et de ne surtout pas partager les fruits de son exploitation avec les artistes. Ce à quoi nous croyons, c’est la nécessité urgente de l’intervention législative, pour ne pas laisser des choix aussi essentiels pour notre culture et notre société à quelques industriels.

EM@ : Le Parlement européen a adopté le 4 février 2014 la nouvelle directive Gestion collective qui prévoit des règles qui faciliteront la concession de licences multi-territoriales pour les acteurs du numérique et l’agrégation des répertoires
de plusieurs sociétés de gestion. Qu’est-ce que cela va changer pour la Spedidam ? Estelle concernée par cette directive ?
J-P. B. :
Cette directive dans la partie que vous évoquez touche surtout le droit d’auteur. Pour la Spedidam, cela ne va pas changer grand-chose. En effet, le droit d’auteur qui a vu le jour en 1789 concerne les compositeurs, les auteurs et les éditeurs de musique. Quant aux droits voisins du droit d’auteur, que gère notamment la Spedidam, ils sont reconnus par la loi du 3 juillet 1985 et concernent les interprètes et les producteurs (musique et audiovisuel).

EM@ : Pourquoi la Spedidam propose pour la musique en ligne un guichet unique pour les artistes interprètes (rémunération) et les internautes (répertoires) : en quoi consisterait-il et qui pourrait en assurer la gestion ?
J-P. B. :
Le système du guichet unique, c’est-à-dire de la gestion collective – en l’espèce la gestion collective obligatoire –, a prouvé son efficacité depuis 1985. Il a permis, par exemple en matière de droit à rémunération pour copie privée et pour la rémunération équitable, de générer des rémunérations pour les artistes interprètes et de faciliter la tâche des utilisateurs de musique ou sans criminaliser le public pour la copie privée. La redevance pour copie privée permet à tous de copier en toute légalité et aux créateurs
de percevoir une juste rémunération, tout en assurant le financement de la création.
Le système que nous proposons pour la musique en ligne aurait les mêmes vertus ;
il pourrait être géré par une société commune aux artistes et aux producteurs de disques, comme c’est le cas pour la rémunération dite équitable avec la SPRE (Société pour la perception de la rémunération équitable). Cette dernière la collecte auprès des radios,
des télévisions, des discothèques ou des bars et restaurants à ambiance musicale (sommes prélevées proportionnellement à leur chiffre d’affaires), ainsi qu’auprès des
lieux dits sonorisés (principalement au forfait) soumis à ce régime de la licence légale.

EM@ : Par ailleurs, la Commission européenne a achevé le 5 mars sa consultation sur la directive Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI). Que lui avez-vous répondu ?
J-P. B. :
La nouvelle directive ne va pas changer les choses pour la Spedidam. Elle introduit des obligations à la charge des sociétés de gestion collective qui, pour l’essentiel, existent déjà en application de la loi française.

EM@ : Au Midem, la Spedidam a présenté son livre blanc dans lequel la licence globale brille par son absence parmi les huit propositions : pourquoi avez-vous fait l’impasse sur ce qui est de longue date le cheval de bataille de la Spedidam ? Est-ce qu’évoquer la licence globale est devenu tabou chez vous et dans notre pays ? Peut-elle devenir un sujet européen ?
J-P. B. :
Le choix de ne pas inclure dans nos huit propositions la licence globale, dont nous sommes les concepteurs et initiateurs, est une décision mûrement réfléchie. Nous sommes toujours persuadés que la licence globale est la seule proposition qui permette aux créateurs de percevoir une juste rémunération sur les échanges hors marché, et
de ne pas, encore une fois, criminaliser les internautes. Nous avons choisi de ne pas
la mettre dans notre livre blanc car elle risquait d’occulter nos autres propositions, alors qu’elle a aujourd’hui peu de chance d’aboutir.
Notre analyse était juste puisque tout le monde nous interroge essentiellement sur cette proposition, alors même qu’elle ne figure pas dans nos huit propositions. @

Google condamné par la Cnil : une insécurité juridique pour les entreprises françaises

Alors que Google n’a pas fait appel dans d’autres pays qui l’ont condamné pour non respect de la protection des données (Pays-Bas, Espagne), il a en revanche contesté la décision de la Cnil devant le Conseil d’Etat. Avec cette dernière, les entreprises françaises pourraient être les victimes collatérales.

Par Etienne Drouard, avocat associé, cabinet K&L Gates LLP.

Etienne DrouardLe 3 janvier dernier, la Cnil (1) a prononcé une sanction pécuniaire de 150.000 euros à l’encontre de la société américaine Google Inc. Il s’agit de la plus forte amende prononcée jusque-là par l’autorité indépendante française,
qui estime que les nouvelles règles de confidentialité de Google ne sont pas conformes à la loi « Informatique et Libertés » du 6 janvier 1978.
En fusionnant les différentes règles de confidentialité applicables à une soixantaine de ses services (Google Search, YouTube, Gmail, Picasa, Google Drive, Google Docs, Google Maps, …), Google applique une seule politique de confidentialité depuis mars 2012.

Les quatre griefs faits à Google
Si la Cnil comprend cette volonté de simplification, elle estime toutefois que Google ne respecte pas les quatre exigences posées par la loi « Informatique et Libertés ». A savoir que le géant du Net :
• n’informerait pas suffisamment ses utilisateurs des conditions et finalités de traitement de leurs données personnelles, de sorte qu’ils ne sont pas en mesure d’exercer leurs droits ;
• ne respecterait pas l’obligation de recueil du consentement des utilisateurs préalablement au dépôt de cookies sur leurs terminaux ;
• ne fixerait pas de durées de conservation pour l’ensemble des données qu’elle traite ;
• s’autoriserait, sans base légale, à combiner toutes les données qu’elle détient sur ses utilisateurs, à travers l’ensemble de ses services.

La Cnil a également enjoint à Google de publier un communiqué (voir zoom) relatif à cette décision sur le site Google.fr pendant 48 heures, sous huit jours à compter de la notification de la décision. Il est important, pour comprendre le raisonnement suivi par la Cnil, d’analyser cette délibération indépendamment de la société à laquelle elle se rapporte. La Cnil justifie l’application de la loi française au motif que la société américaine Google Inc tire des bénéfices commerciaux de ses activités publicitaires en France. Ce critère économique semblait logique. Cependant, ce raisonnement ne repose pas sur les règles de protection des données permettant
de désigner la loi applicable. En effet, la loi « Informatique et Libertés » a vocation à s’appliquer aux sociétés qui sont établies en France ou qui collectent des données à caractère personnel, en recourant à des moyens techniques situés en France. Sur ce point, la Cnil voulait se déclarer compétente, coûte que coûte, mais sa démonstration de l’application de la loi française à Google Inc paraît très fragile ou, à tout le moins, laborieuse.

Après une phase de rumeurs diffusées dans les médias, un porte-parole de Google a confirmé le 15 janvier dernier, auprès de l’AFP, avoir fait appel de la décision de la Cnil devant le Conseil d’Etat – en référé – pour contester l’injonction de devoir publier durant deux jours la condamnation prononcée par la Cnil, puis au fond. Selon Le Figaro, Google a déposé le 15 janvier justement un recours en référé devant le Conseil d’Etat, ainsi qu’un recours sur le fond. Ce recours en référé étant suspensif, Google n’aurait pas à faire état de cette condamnation sur son moteur de recherches. Ce qu’il aurait dû mettre en ligne à partir du 16 janvier.
Les condamnations récentes prononcées à l’encontre de Google dans d’autres pays européens, n’ont pas fait l’objet d’appel, Google se contentant de payer une amende qui, au regard de sa taille, est symbolique. Ainsi, le 19 décembre 2013 en Espagne, Google écopait de trois amendes simultanées pour un montant total de 900.000 euros (3). Fin novembre 2013, l’autorité néerlandaise rendait des conclusions similaires à l’encontre du géant du Net.

Autant de règles que de services ?
En tout état de cause, quelles peuvent être pour les sociétés françaises les leçons
à tirer de la condamnation prononcée par la Cnil ? Elles sont au nombre de deux :
• Lorsqu’une entreprise fournit divers services régis par autant de conditions d’utilisation, mais obéissant à une seule privacy policy, la Cnil semble estimer que
la juxtaposition des diverses finalités d’utilisation des données, serait illicite. Selon la Cnil, les utilisateurs devraient pouvoir accepter des finalités propres au service qu’ils souscrivent, et rejeter d’autres finalités pour les services qu’ils n’ont pas encore utilisés. Si les entreprises françaises devaient tirer les conséquences d’une telle opinion, elles devraient élaborer autant de privacy policy qu’elles ont de services. Pourtant, aucune disposition française ou européenne de protection des données à caractère personnel, n’exige d’une même entreprise qu’elle s’interdise l’usage croisé des données de ses clients ayant souscrit tel ou tel service qu’elle fournit.

Le « tout ou rien » critiqué par la Cnil
• D’après la Cnil, Google s’autoriserait, « sans base légale », à combiner toutes les données qu’elle détient sur ses utilisateurs, à travers l’ensemble de ses services. Or, l’exigence d’une « base légale » formulée par la Cnil ne repose sur aucun fondement juridique. En filigrane, la Cnil conteste le souhait d’une fusion simplificatrice des finalités
de traitement des données portées à la connaissance des personnes. En l’espèce, Google a remplacé des centaines de pages de privacy policies cumulées pour 65 services différents, en un document transversal de seize pages (4) (*) (**) propre à l’ensemble des services fournis par le groupe Google et une vidéo d’information. Selon la Cnil, simplifier à outrance reviendrait à désinformer et favoriserait une logique du
« tout ou rien ».
Paradoxalement, la Cnil, avec ses homologues européens du groupe dit « G29 » (5), critique l’inefficacité des explications trop longues qui dissuaderaient les utilisateurs
de prendre connaissance du fonctionnement des services et de leurs droits. Ainsi, par exemple, en matière de cookies, les autorités de protection des données en Europe,
dont la Cnil en France, ont travaillé à réduire les textes d’information des personnes et
à simplifier à outrance la description des finalités d’utilisation des cookies. Poursuivant une logique simpliste, ces autorités tendent à suggérer une distinction binaire entre les finalités liées exclusivement à la fourniture d’un service et celles – qui seraient dangereuses et soumises à l’autorisation préalable des personnes – liées à la publicité. En conclusion, il ne s’agit pas, ici, de prendre une position pour ou contre la Cnil, ni pour ou contre Google. Il s’agit essentiellement de relever qu’en extrapolant le raisonnement intellectuel suivi par la Cnil pour condamner Google, de nombreuses entreprises françaises pourraient tomber sous le coup d’une condamnation pécuniaire au motif qu’elles fournissent plusieurs types de services régis par une privacy policy commune, réalisant une synthèse dans un souci de simplification.
Enfin, l’exigence d’une publication d’un communiqué sur le site Google.fr – à savoir sur la page d’accueil française du célèbre moteur de recherche – révèle que la Cnil, elle-même, poursuit une logique de communication, plutôt que de rigueur juridique. En effet, en droit français, la publication d’une condamnation est une peine complémentaire qui doit être expressément prévue par la loi. Une telle obligation de publication n’est pas prévue par la loi « Informatique et libertés ». La logique de communication et de polémique médiatique entre Google et la Cnil ne présente aucun intérêt pour les entreprises françaises. En revanche, si l’appel formé par Google devant le Conseil d’Etat ne permettait d’approfondir le raisonnement suivi par la Cnil et, si cet appel était rejeté sur des motifs de fond confortant ce raisonnement, la sécurité juridique des entreprises françaises pourrait s’en trouver affaiblie. Quoi qu’on pense de la puissance hégémonique de Google et des risques internationaux qui pèsent sur la vie privée des personnes, on ne saurait se réjouir d’une telle insécurité juridique. Gageons que le Conseil d’Etat ne sera pas aveuglé par la cible de la Cnil (6), faute de quoi les entreprises françaises pourraient, à l’avenir, suivre le chemin de condamnations ou devoir bouleverser leurs modèles contractuels et économiques, de crainte de se voir appliquer une « jurisprudence Google » qui ne leur serait pas aussi indolore qu’elle le serait pour le géant américain. @

ZOOM

Ce que Google n’a pas (encore) publié
« Communiqué : la formation restreinte de la Commission nationale de l’informatique
et des libertés a condamné la société Google à 150.000 euros d’amende pour manquements aux règles de protection des données personnelles consacrées par
la loi ‘’Informatique et libertés’’. Décision accessible à l’adresse suivant : http://www.cnil.fr/linstitution/missions/sanctionner/Google/ ». Ce texte que la Cnil
a demandé au géant du Net de publier sur Google.fr ne l’a pas encore été (à la date
où nous bouclons ce numéro).
La délibération n°2013-420, prononçant une sanction pécuniaire à l’encontre de Google, a aussi « ordonné » à ce dernier la publication durant 48 heures de ce texte en le justifiant, « compte tenu du caractère massif des données collectées par la société [Google], du nombre important et indéterminé des personnes concernées, qui pour nombre d’entre elles ne sont pas en mesure de s’y opposer ni même d’en être informées ». @

Rémunération des artistes-interprètes sur le Net : après la cassation, l’intervention législative ?

Certes, la « débâcle judiciaire pour la Spedidam » – dixit le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) – contre iTunes, E-compil et autres Fnacmusic devant la Cour de cassation fut cuisante le 11 septembre 2013. Mais les artistes-interprètes s’en remettent maintenant au législateur.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée (photo) et Laurent Teyssandier, avocat, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

A l’occasion de litiges opposant la Société de perception
et de distribution des droits des artistesinterprètes de la musique et de la danse (Spedidam) à plusieurs plates-formes de téléchargement de fichiers musicaux (iTunes/ Apple, On demand Distribution/ Nokia, E-compil/Universal Music on Line, Sony, Virgin Mega, Fnac Direct/Fnacmusic), la Cour de cassation a jugé – dans six arrêts du 11 septembre 2013 – que l’autorisation donnée par des artistes-interprètes pour l’exploitation de l’enregistrement de leurs interprétations inclut la mise à disposition du public par voie de téléchargement payant.

Six litiges contre six plates-formes
Ces litiges soumis à l’appréciation de la haute juridiction illustrent l’opposition forte qui existe entre les artistes-interprètes, les producteurs et les exploitants de plates-formes
de téléchargement d’oeuvres musicales sur la question de la rémunération des artistesinterprètes en cas de commercialisation de leurs interprétations en ligne.
La Spedidam, qui représente les artistes-interprètes, estime que la mise en ligne des
« phonogrammes » doit être soumise à une autorisation préalable des artistes-interprètes dont la prestation a été fixée sur ces enregistrements numériques. Pour cette société de gestion, toute exploitation immatérielle qui n’aurait pas été autorisée expressément dans l’accord initial porte préjudice aux intérêts de l’artiste-interprète qui se trouverait privé de rémunération pour cette nouvelle forme d’exploitation.
En revanche, les producteurs et les exploitations de plateformes de téléchargement considèrent que l’autorisation donnée par un artiste-interprète à la commercialisation de son interprétation sur support physique inclut également l’autorisation de mettre cette même interprétation à la disposition du public sur les plateformes de téléchargement payant.
Dans le but d’obtenir réparation du préjudice personnel subi par les artistes-interprètes
et du préjudice collectif subi par l’ensemble de la profession la Spedidam a assigné en justice, dans six procédures distinctes, les sociétés iTunes, Universal Music on Line, Sony UK, On Demand Distribution, Virgin Mega et Fnac Direct (1).
Les termes du débat sont identiques dans chacun des six litiges portés devant la Cour
de cassation : l’autorisation donnée par un artiste-interprète pour l’exploitation de l’enregistrement d’une interprétation « sous la forme de phonogrammes publiés à des fins de commerce » inclut-elle la mise à disposition du public de l’enregistrement par voie de téléchargement payant ?
Pour répondre à cette question, la Cour de cassation apporte des précisions sur les contours de la notion de « phonogramme ». La question est de savoir si cette notion vise uniquement le support physique réceptacle de l’enregistrement ou si elle peut également désigner un simple fichier informatique.
Naturellement, la Spedidam considère que la notion de phonogramme ne doit s’entendre que du support physique – Vinyle 16, 45, 33 ou 78 tours, cassettes audio, Minidisc et disque compact – fixant l’enregistrement. Pour cette société de gestion, la notion de « publication » visée dans les autorisations données par certains artistes-interprètes suppose nécessairement la mise en circulation d’un support matériel de la prestation et exclut toute mise à disposition sur une plate-forme de téléchargement.
Cette approche ne sera pas celle retenue par la Cour d’appel de Paris dans ses arrêts
du 7 mars 2012, ni celle retenue par la Cour de cassation dans les six arrêts du 11 septembre 2013.

Le « phonogramme » est digital compatible
Rappelant la notion de « phonogramme » définie par, d’une part, l’articles 3-b de la Convention internationale du 26 octobre 1961 sur la protection des artistes interprètes
ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion
– appelée « Convention de Rome » (2) – et, d’autre part, l’article 2-e du Traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) du 20 décembre 1996 sur
les interprétations et exécutions et les phonogrammes (3), la Cour de cassation approuve les décisions de la Cour d’appel de Paris et affirme que « la qualification juridique de phonogramme [est] indépendante de l’existence ou non d’un support tangible ».

Convention de Rome et Traité de l’OMPI
La haute cours de justice donne ainsi raison aux plates-formes de musique en ligne, dont le leader du secteur est iTunes, filiale d’Apple, qui soutiennent – comme il résulte d’ailleurs des travaux parlementaires de la loi du 3 juillet 1985 modifiée le 24 juillet 2009 (4) – « que la qualification juridique de phonogramme du commerce est indépendante d’un support et que la mise à la disposition du public, en quantité suffisante, de supports dématérialisés n’implique pas de changement de destination du phonogramme initialement fixé ; que dès lors, l’exploitation autorisée par les artistes-interprètes dont les prestations sont reproduites [sous forme de fichier numérique, ndlr] inclut la mise à disposition du public par voie de téléchargement payant ». Une telle décision apparaît conforme non seulement à l’esprit de la Convention de Rome et du Traité de l’OMPI, lesquels définissent le phonogramme comme une fixation de sons provenant d’une interprétation sans distinction de la matérialité ou l’immatérialité du support, mais également à la lettre de l’article L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) qui ne distingue pas l’exploitation physique de l’exploitation numérique. « Sont soumises à l’autorisation écrite de l’artiste-interprète la fixation de
sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l’image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour
le son et l’image », stipule en effet cet article du CPI. Si cet article pose un principe de spécialité, de sorte que l’autorisation de fixer ne vaut pas autorisation de reproduire
ou de communiquer au public, il n’opère aucune distinction selon que ces actions soient exécutées pour des phonogrammes sur support physique ou en version numérique.

En l’espèce, les artistes-interprètes concernés avaient, selon les mentions figurant
sur les feuilles de présence qu’ils avaient émargées, autorisé l’exploitation de l’enregistrement de leurs prestations « sous la forme de phonogrammes publiés à
des fins de commerce » à une époque où la commercialisation commercialisation des œuvres musicales en ligne n’existait pas encore. Pour la Spedidam, l’autorisation donnée par les artistes-interprètes à la « publication » de leur interprétation sous forme de phonogramme ne permettait pas au producteur ou à l’exploitant d’une plate-forme de téléchargement de commercialiser ce phonogramme sous forme immatérielle.
Cette décision apparaît respecter également la Convention collective nationale de l’édition phonographique du 30 juin 2008 (5), qui n’opèrent aucune dichotomie entre
la communication au public sur support physique ou sur support numérique.
Les parties signataires de l’annexe « artiste interprète » à cette convention collective affirment qu’« elles partagent la conviction que l’essor de nouveaux marchés d’exploitation de la production phonographique constitue une opportunité tant pour
les producteurs de phonogrammes que pour les artistes interprètes », mais aussi
« elles constatent que l’absence d’accord écrit avant l’entrée en vigueur de la loi de 1985, le développement de nouvelles formes d’exploitation de la production phonographique et l’absence d’accord collectif définissant les modes d’exploitation entraînent des incertitudes quant à la portée de l’autorisation consentie ».
Cependant, tirant les conséquences de ce que la qualification juridique de phonogramme est indépendante de l’existence ou non d’un support tangible, la Cour
de cassation approuve la décision de la Cour d’appel de Paris qui avait jugé que « les autorisations litigieuses données par les artistes-interprètes incluaient la mise à disposition du public par voie de téléchargement payant ».

Vers une intervention législative ?
En réaction à cette décision, la Spedidam a appelé le législateur à intervenir pour distinguer l’exploitation sur support physique de l’exploitation sous forme numérique (6). Cette question sera très certainement abordée et traitée dans le cadre de la mission confiée par la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, à Christian Phéline, magistrat de la Cour des comptes, et portant sur la question du partage de la valeur générée par la musique numérique avec les créateurs. Ce dernier doit rendre ses conclusions d’ici fin novembre. Restera ensuite à savoir si la future « grande loi sur la création » (7) que promet la ministre d’ici mars 2014 répondra aux attentes des artistes-interprètes. @

* Christiane Féral-Schuhl est Bâtonnier du barreau de Paris.

France Télévisions renonce à un budget numérique de 125 millions d’euros en 2015

Sur fond d’échec de rentrée sur l’avant 20 heures (access prime time) et de réduction de ses effectifs, France Télévision espère rebondir avec une « 6e chaîne » – celle de la télévision délinéarisée et connectée. Et ce, malgré à peine 2 % du budget total du groupe alloués au numérique.

Par Charles de Laubier

BPSelon nos informations, le budget numérique de France Télévisions pour 2014 devrait rester autour de 60 millions d’euros. La perspective d’atteindre 125 millions d’euros en 2015 est désormais écartée. « Le budget numérique 2014 n’est pas arrêté mais la perspective du COM précédent à 125 millions d’euros n’est hélas plus en ligne de mire », nous a indiqué Bruno Patino (photo), directeur général délégué aux programmes, aux antennes et aux développements numériques du groupe public de télévisions.

62 millions d’euros en 2013
Le contrat d’objectifs et de moyens (COM) initial, signé il y a deux ans sous Nicolas Sarkozy, prévoyait de passer de 55 millions d’euros en 2011 à 125 millions d’euros en 2015. C’était sans compter l’arrivée de François Hollande à la tête de l’Etat et des restrictions budgétaires imposées dès 2012 (1). « Le budget numérique était de 53 millions d’euros en 2011, 56,6 millions en 2012 et 62 millions en 2013 », nous a-t-il précisé. Après l’avenant au COM adopté sur 2013-2015 par le conseil d’administration de France Télévisions le 31 octobre, le budget numérique devrait rester à la portion congrue – soit à 2 % des 3 milliards d’euros du budget total du groupe dû aux cinq chaînes nationales publiques (2). Invité le 6 novembre de l’Association des journalistes médias (AJM), Bruno Patino a dit qu’il s’attendait à une stagnation : « Dans la conjoncture actuelle, ma position est de faire en sorte que le budget du numérique ne soit pas réduit. Je pense qu’il doit croître et que l’effort singulier qui avait été fait à l’arrivée de Rémy [Pflimlin, PDG de France Télévisions] soit maintenu au niveau de là où il est ». Ce dernier, dont le mandat s’achève en août 2015, avait encore déclaré le 27 août : « L’enjeu fondamental de mon mandat est de réussir le virage numérique ».
A budget constant, Bruno Patino espère donc réussir la troisième étape qu’il s’était fixée dans le numérique. La première étape a consisté à « rattraper notre retard » avec les lancements de Francetv Info, de Francetv Sport, de Francetv Education et de Culture Box. La seconde étape fut celle de la catch up TV et de Pluzz – présenté comme la « 6e chaîne » du groupe ou la « 1re chaîne délinéarisée » – et de l’entrée de la Social TV dans les programmes. « Je n’ai pas changé mon plan de route, a assuré Bruno Patino. La troisième étape est maintenant de préparer la TV connectée, peu importe comment votre télé est connectée (3). Un premier rendez-vous fort aura lieu en décembre ou janvier 2014 autour de Francetv Info, où l’on innovera fortement dans un univers de TV connectée ». Fin septembre, le fabricant de téléviseurs LG avait indiqué que l’application Francetv Info sur ses Smart TV permettra aux télé-connectés « d’accéder à un flux continu, personnalisé, et qui peut, selon le souhait de son utilisateur, cibler les dernières actualités en temps réel ou au contraire prendre du recul et proposer contexte et perspective ». France Télévisions compte ainsi sur la TV connectée pour « solidifier les ‘’verticales’’ » (4).
Après le nouveau Francetv Info, ce sera au tour du lancement de Francetv Jeunesse
qui accompagnera la modification prochaine de France 4. « France 4 va changer graduellement. Le basculement est prévu en mars 2014 avec un nouvel habillage. Il n’y
a pas d’idée de Big Bang. On modifie juste le positionnement de cette chaîne », a-t-il indiqué. Pour France Télévisions, il s’agit de renforcer l’offre jeunesse au moment où
ses 34 % détenus dans la chaîne jeunesse Gulli vont être cédés d’ici la fin de l’année à Lagardère qui en détient 66 %. Les futures France 4 et plate-forme verticale Francetv Jeunesse permettront de renforcer l’offre à destination des Internet Natives. « Mais il est impossible d’être puissant sur tablettes si l’on est pas puissant sur une chaîne. Du moins au jour d’aujourd’hui. Dans cinq ans, les plates-formes de SVOD pourront être lancées sans être appuyées sur une chaîne ». En outre, côté création, les rendez-vous des
« Nuits 4.0 » (5) sur France 4 prendront de l’ampleur.

Réinventer la façon de faire de la télé
Mais France 4 ne doit pas être la seule chaîne du groupe à faire des expérimentations.
« France 4 n’est pas une chaîne laboratoire. Il faut que les chaînes prennent de temps en temps le risque de filer les clés du royaume à des gens qui réinventent aussi la façon de faire de la télé. Aujourd’hui, on ne trouve pas forcément ces gens-là dans les chaînes…
Il s’agit de faire de la télé, mais j’insiste : de la télé, car on va pas diffuser du web à la télé ! Le Web diffuse très bien le web lui-même et il n’a pas besoin de la télé pour se diffuser », a-t-il prévenu. Enfin, une refonte de toute la catch up TV est aussi prévue pour l’an prochain. @

Charles de Laubier