La chronologie des médias suspendue à l’accord Canal+

En fait. Le 18 décembre prochain, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) se réunira – sous la houlette de son DG délégué Christophe Tardieu – pour tenter de sortir de l’impasse les négociations sur la chronologie des médias, censées aboutir d’ici la fin de l’année. Mais Canal+ bloque.

Christophe Tardieu

Christophe Tardieu, DG délégué du CNC

En clair. Selon nos informations, c’est le 13 novembre dernier que les organisations professionnelles du cinéma français ont adressé à Rodolphe Belmer, directeur général de Canal+, un courrier pour lui proposer de proroger de six mois, soit jusqu’au 30 juin 2015, leur accord 2010-2014 qui arrive à échéance le 31 décembre prochain.
Cet accord quinquennal, signé le 18 décembre 2009 avec la chaîne cryptée par les représentants du cinéma français (1),
ainsi que par le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN), fixe les obligations d’investissement et de préfinancement du groupe Canal+ dans des films français.

Du gel des droits et des fenêtres glissantes
Mais ce dernier, premier pourvoyeur de fonds du Septième Art français avec près
de 200 millions d’euros par an, avait stoppé net les discussions à peine engagées
et destinées à trouver un nouvel accord sur la prochaine période 2015-2019.
A l’origine de ce blocage : un courrier du Blic, du Bloc et d’UPF envoyé en octobre
à la ministre de la Culture et de la Communication Fleur Pellerin pour lui demander d’intercéder en leur faveur sur deux propositions d’évolution de la chronologie des médias. Cette initiative n’a pas du tout plu à Canal+. La première mesure souhaitée préconise le dégel des droits de la vidéo à la demande (VOD) pendant la fenêtre de diffusion des chaînes de télévision, Canal+ en tête. Il s’agit de remédier au fait qu’un film disponible en VOD au bout de quatre mois après la salle ne peut plus être commercialisé lorsque ce film est diffusé au bout de dix mois après la salle par la chaîne cryptée par exemple. La seconde mesure demandée par les organisations
du cinéma à Fleur Pellerin est la mise en place de fenêtres de diffusion glissantes lorsqu’une fenêtre d’exclusivité n’est pas exploitée par une chaîne de télévision.

La proposition de prorogation de six mois de l’accord « Cinéma » devrait aller dans
le sens de Canal+ qui ne voulait pas entendre parler de renégociations tant que la réforme en cours de la chronologie des médias n’avait pas abouti. Or, ces discussions sur les règles qui régissent la sortie de films après la salle de cinéma (VOD/DVD, chaînes payantes, chaînes gratuite) peinent à trouver un consensus (2) – notamment sur le passage de quatre à trois mois pour la disponibilité de films en VOD et le passage de trente-deux à vingt-quatre mois la disponibilité de films en SVOD –
le rapport Lescure ayant, lui, préconisé 18 mois. @

La simultanéité salles-VOD reste taboue en France, malgré les expériences day-and-date en Europe

La Fédération nationale des cinémas français (FNCF) bloque toute idée d’expérimentation de simultanéité salles-VOD en France, malgré les expérimentations prometteuses menées ailleurs en Europe – notamment par l’ARP qui a tenté de relancer le débat lors des 24e Rencontres cinématographiques de Dijon.

Par Charles de Laubier

Richard Patry, FNCF« Moi, je fais ce métier pour la salle. C’est pour cela que l’on est accroché à cette chronologie des médias. On nous parle effectivement d’expériences européennes [de sorties simultanées salles-VOD] partout, mais rien n’est comme la France. Rien ! », a lancé Richard Patry (photo), président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF).
C’était à Dijon, lors des Rencontres cinématographiques (16-18 octobre derniers). Et de poursuivre : « Aucun pays au monde n’a
un réseau de salles de cinémas comme le nôtre et de circuits de cinémas itinérants ».

Statu quo sur la chronologie des médias
Cette puissante union syndicale de plus de 2.000 propriétaires et exploitants des quelque 5.612 salles de cinéma de l’Hexagone – que complète une centaine de réseaux itinérants – est à l’origine du statu quo actuel sur la chronologie des médias, laquelle accorde aux salles durant quatre mois l’exclusivité quasi monopolistique de la sortie des nouveaux films en France.
Pour la FNCF, pas question donc d’expérimenter la sortie simultanée d’un film en VOD et en salles : « Oui, c’est vrai, nous on est contre. Vous connaissez le discours que je fais tout le temps : rien avant [la salle], rien pendant ; après, on est des gens responsables prêts à discuter sur des assouplissements qui sont possibles pour permettre à certains films d’accéder un peu plus rapidement à la VOD, à la vidéo [DVD, Blu-ray, ndlr] ou aux nouveaux entrants ». Et encore, ces « assouplissements » ne doivent concerner que de rares dérogations limitées à quelques films qui ne rencontrent pas de succès en salles. Les quatre mois doivent, pour la FNCF, rester la règle afin de « sanctuariser la salle ». Alors pour le day-and-date (ou D&D), tel que le pratiquent d’autres pays, n’y pensez pas… « Si vous cassez les salles de cinéma en France, en réduisant leur fenêtre d’exclusivité, vous allez casser le modèle français et vous allez vous casser vous-mêmes ! Nous sommes intimement mariés, liés : le succès de vos films se fera dans nos salles. Ce n’est pas possible autrement », a mis en garde Richard Patry s’adressant aux producteurs et distributeurs de films. Et de prévenir clairement : « Nous connaissons nos spectateurs et je peux vous dire que vous ne ferez pas plus d’argent pour produire vos films en les sortant simultanément en VOD
et dans les salles de cinéma (2). Et parce que les salles ont beaucoup de films à sortir, elles ne sortiront pas les films qui sont disponibles sur d’autres plateformes [quelques applaudissements…] ». Fermez le ban ! Or le paradoxe est que justement, dans le même temps, les cinémas croulent désormais sous le nombre de films à « jouer » dans les salles : il y a embouteillage de long métrages et tous ne pourront être projetés.
« La pression est devenue majeure », a concédé Olivier Grandjean, directeur de la programmation de Pathé. « J’ai des décisions de vie ou de mort sur certains films »,
a reconnu Stéphane Libs, gérant des cinémas Star à Strasbourg. A cela s’ajoute,
avec toutes les salles désormais numérisées, la concentration de la programmation
des séances, la multiprogrammation et la multidiffusion. « On gère des flux ; on fait
des choix », admet, quant à lui, Richard Patry. L’hostilité du président de la FNCF envers la simultanéité salles-VOD fut d’autant plus remarquée qu’elle s’est exprimée
– sans contradicteurs – lors des 24e Rencontres cinématographiques, organisées à Dijon par l’ARP, laquelle mène pourtant en Europe des expérimentations day-and-date depuis 2012. La société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs de films a en effet coordonné jusqu’en juin dernier le projet « Tide » avec trois films proposés en salles et VOD (3) dans le cadre du programme Media (Creative Europe) de la Commission européenne. Celle-ci prépare d’ailleurs une recommandation « Film à
l’ère numérique ».
L’ARP coordonne maintenant le projet européen « Spide » (4), auquel s’est joint le producteur et distributeur français Wild Bunch (présidé par Vincent Grimond). « Le day-and-date, c’est comme choisir entre le stade et la télé pour voir un match. Le geste artistique est le même. C’est l’expérience qui est différente. A vous de voir », expliquait d’ailleurs l’ARP en 2e de couverture de son programme des Rencontres (5).

VOD-salles : des expérimentations en France ?
Le producteur et distributeur de films Jean Labadie, lui, a évoqué l’exemple de Curzon, un gros exploitant britannique de salles de cinéma et distributeur de films, qui pratique avec succès des sorties D&D outre-Manche. Mais, en France, la chronologie des médias interdit cette simultanéité et l’expérimenter supposerait un accord interprofessionnel plus qu’improbable. Interrogée en mai 2014 par Edition Multimédi@, la présidente du CNC (6), Frédérique Bredin, était restée très circonspecte sur la question (7). @

Rémunération proportionnelle du partage : le collège de l’Hadopi bientôt saisi

En fait. Le 17 octobre dernier, lors des 24e Rencontres cinématographiques de l’ARP (Auteurs, Réalisateurs, Producteurs) à Dijon, l’idée – vivement contestée par les producteurs – de « rémunération proportionnelle du partage » avancée par Eric Walter, secrétaire général de l’Hadopi, n’a pas du tout été ouvertement évoquée…

Marie-Françoise-MaraisEn clair. Selon nos informations, le collège de l’Hadopi compte se réunir avant la fin de l’année pour se prononcer sur le rapport que son secrétaire général, Eric Walter, a publié début septembre sur la « rémunération proportionnelle du partage » (RPP) pour, notamment, les échanges non-marchands sur Internet.
Cette idée provoque une levée de bouclier de la part des ayants droits du cinéma et de la musique, comme l’a montré le courrier courroucé daté du 22 septembre dernier et envoyé par les organisations du cinéma (le Bloc, dont l’APC, le Blic et l’UPF) à Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication (1).
Pour l’heure, la publication de ce rapport intermédiaire daté du 30 juin 2014 ne fait pas l’unanimité au sein du collège qui compte bien inscrire à l’ordre du jour de ses prochaines réunions ce rapport controversé.

La RPP inscrite à l’ordre du jour du collège de décembre ?
La RPP, présentée dans le rapport d’activité 2013-2014 du 28 octobre comme « l’hypothèse de l’Hadopi », n’a pas encore été soumise au collège. « Le collège a été saisi il y a deux ans par le secrétaire général de ce projet d’étude, lequel projet avait été approuvé. Eric Walter a récemment fait un point d’étape sur ses travaux et il les a publiés. Ce sont ses travaux et absolument pas la position du collège, dont certains membres n’apprécient pas que cette opération conduise à ce que l’on attribue ce rapport à l’Hadopi », explique à Edition Multimédi@ une personne interne à la Haute autorité, sous couvert d’anonymat.
Selon elle, le collège souhaite être saisie pour se prononcer sur le rapport final à venir et la présidente de l’Hadopi, Marie-Françoise Marais (photo) pourrait l’inscrire à l’ordre du jour de la réunion plénière du collège de décembre prochain une fois le débat budgétaire du PLF 2015 passé.
Et notre contact d’ajouter : « Ce qui énerve au collège de l’Hadopi, c’est que l’on
fasse de la rémunération proportionnelle du partage une contrepartie venant légaliser l’appropriation des œuvres illicites sur Internet ». Selon cette même source, il est légitime pour l’Hadopi de réfléchir à savoir comment on peut compenser – en rémunérant les ayants droits – le préjudice que représente le partage des œuvres
sur Internet et les réseaux peer-to-peer. « En revanche, dire qu’il en résultera une légalisation du partage, c’est en dehors du périmètre de l’Hadopi qui doit au contraire s’en tenir à éclairer les politiques pour leur faire part des obstacles juridiques et internationaux auxquels ils auraient à faire face s’ils décider de légaliser les échanges par la rémunération proportionnelle du partage », nous a encore expliqué notre interlocuteur. @

Europe : Jean-Claude Juncker est décidé à abolir les frontières en faveur d’un marché unique numérique

La nouvelle Commission européenne, que va présider Jean-Claude Juncker, s’apprête à prendre ses fonctions. Avec un vice-président en charge du Marché unique numérique (Andrus Ansip) et un commissaire à l’Economie numérique et à la Société (Günther Oettinger), Internet devient une grande priorité pour l’Europe.

Par Charles de Laubier

« Nous devons faire une bien meilleure utilisation des opportunités offertes par les technologies numériques qui ne connaissent pas de frontières. Pour y parvenir, nous devrons casser les silos nationaux dans la régulation des télécoms, le droit d’auteur et la protection des données, dans la gestion des fréquences et dans la mise en oeuvre de la concurrence », a préconisé le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker (photo), le successeur du Portugais José Manuel Barroso.
Selon nos constatations, ce propos se retrouve dans chacune des lettres de mission datées du 10 septembre et adressées respectivement à L’Estonien Andrus Ansip, désigné comme futur vice-président de la Commission européenne en charge du Marché unique numérique, et à l’Allemand Günther Oettinger, futur commissaire à l’Economie numérique et à la Société.

Télécoms, droit d’auteur, … : « Casser les silos nationaux »
« En créant un marché unique numérique connecté, nous pourrons générer jusqu’à 250 milliards d’euros de croissance supplémentaire en Europe au cours du mandat de la Commission européenne, en créant des centaines de milliers de nouveaux emplois »,
a-t-il assuré à Andrus Ansip. Et à Günther Oettinger : « Plus les marchés seront régulés de manière transnationale, plus les règles concurrentielles peuvent devenir transversales et même continentales ».
Les deux commissaires européens en charge du numérique devront travailler ensemble pour présenter « dans les six premiers mois » après leur prise de fonction prévue initialement le 1er novembre, soit d’ici fin avril 2015, « des étapes législatives ambitieuses vers un marché unique numérique connecté ». Régulation des télécoms, réforme du droit d’auteur et protection des données seront ainsi au cœur des prochaines évolutions de plusieurs directives européenne afin de parvenir à un
marché unique numérique que Andrus Ansip doit mener à bien. « Je veux que
nous surpassions les mentalités en silos », a prévenu en introduction de chacune des lettres de mission le prochain président de la Commission européenne. Le plus grand défi auquel la prochaine équipe de l’exécutif européen sera en effet de s’attaquer aux législations nationales qui, souvent héritées de l’époque d’avant Internet et devenues aujourd’hui obsolètes pour la plupart, entretiennent encore un patchwork réglementaire au niveau des Vingt-huit.

Plus loin que Kroes, Reding et Barnier
Les résistances nationales sont toujours fortes et sujettes à tensions, comme ont
pu le montrer les relations parfois houleuses entre le président de la Commission européenne sortant et le monde la culture – en particulier avec la France où
« l’exception culturelle » fait souvent office de ligne Maginot pour préserver en l’état
des niveaux élevés de subventions, de quotas de diffusion ou encore d’obligations de financement. José Manuel Barroso n’avait-il pas fustigé, dans l’International Herald Tribune du 17 juin 2013, la « vision anti-mondialisation réactionnaire » de ceux qui, comme la France, veulent exclure les services audiovisuels et culturels des négociations entre l’Union européenne et les Etats-Unis (1) (*) (**) en vue d’un accord de libre-échange commercial ?
Malgré les avancées enregistrées en dix ans vers une harmonisation européenne – avec la Néerlandaise Neelie Kroes (2) (*) (**), qui fut commissaire européenne en charge de la Concurrence (2004-2009), puis vice-présidente au Numérique (2009-2014), et avec Viviane Reding (3), qui fut commissaire européenne en charge de la Société de l’information et des Médias (2004-2009), puis de vice-présidente à la Justice, aux Droits fondamentaux et à la Citoyenneté (2009-2014) –, beaucoup de chemin reste encore à faire pour décloisonner l’Europe. Que cela soit dans les télécoms (itinérance mobile, déploiement du haut et très haut débit, gestions des fréquences, gouvernance du Net, …), les industries culturelles (droits de propriété intellectuelle, gestion collective, copie privée, plateformes d’offres légales, …), la protection des consommateurs (données personnelles, neutralité de l’Internet, libertés fondamentales, …) ou encore la fiscalité numérique (TVA du lieu de consommation, lutte contre l’évasion fiscale, neutralité technologique, …), la fragmentation du Vieux Continent devient la première des préoccupations. « Vous ferez en sorte que les utilisateurs sont bien au centre de votre action. Ils devraient pouvoir utiliser leurs mobiles à travers l’Europe sans avoir de frais d’itinérance à payer. Ils devraient avoir accès à des services, de la musique, des films, des événements sportifs sur leurs terminaux électroniques où qu’ils soient en Europe et sans considération de frontières. Vous devrez vous assurer que les bonnes conditions sont là, y compris à travers la législation du droit d’auteur, pour soutenir les industries de la culture et de la création
et pour exploiter leur potentiel économique », a encore donné comme consigne Jean-Claude Juncker à Günther Oettinger. Les droits de propriété intellectuelle devront donc être modernisés à la lumière de la révolution digitale, des nouveaux comportements des utilisateurs et de la diversité culturelle en Europe. Le Français Michel Barnier (4)
(*) (**), qui fut commissaire européen en charge du Marché intérieur et des Services (2010-2014), n’a pas réussi, lui, à trouver un consensus pour réformer la directive sur les droits de propriété intellectuelle (IPRED). La Commission européenne a même renoncé à publier fin septembre le « livre blanc », dont le draft daté de juin dernier circule sur le Web (5), alors qu’il était issu de quatre ans de concertations et de consultations publiques. Seul un rapport sur les réponses
à la dernière consultation publique a été publié le 24 juillet. Dans son audition du 29 septembre, Günther Oettinger – en charge l’Economie numérique et de la Société,
dont le copyright – a promis qu’il reviendra « dans un à deux ans avec une réforme équilibrée du droit d’auteur » – soit d’ici à 2016. Dans son audition du 6 octobre,
Andrus Ansip est lui aussi resté dans les pas du nouveau président de la Commission européenne.

Les réactions provoquées par le propos sans langue de bois de Jean-Claude Juncker, lorsqu’il appelle notamment à « casser les silos nationaux (…) dans le droit d’auteur », laissent présager de nouveaux bras-de-fer entre Bruxelles et certaines organisations d’ayants droits dans la mise en oeuvre du marché unique numérique dans la culture
et l’audiovisuel. Les Coalitions européennes pour la diversité culturelle (CEDC) – groupement informel créé en 2005 (6) – se sont par exemple insurgé le 23 septembre dernier de la formule employée par le nouveau président de la Commission européenne. « M. Juncker, ne fragilisez pas le droit d’auteur ! », a rétorqué le 26 septembre le cinéaste français Bertrand Tavernier, dans une tribune mise en ligne
sur Euractiv. La Société des Auteurs Audiovisuels (SAA), représentant les sociétés
de gestion collective des droits d’auteur dans une quinzaine de pays, s’est de son
coté étonnée que Günther Oettinger ne soit pas auditionné par la commission des Affaires juridique (concernée par le droit d’auteur), comme il l’a été devant les commissions Industrie et Culture. « Saura-t-il résister au lobbying des grands
acteurs du numérique ? », demande la SAA, elle-même lobby des ayants droits.

Verdict du Parlement européen le 22 octobre
Quoi qu’il en soit, à l’issue des auditions, le Parlement européen se prononcera le
22 octobre pour dire si elle accorde l’investiture à l’équipe de Jean-Claude Juncker,
y compris avec le Hongrois Tibor Navracsis à l’Éducation et à la Culture. Même avec
du retard, la nouvelle Commission européenne devra se mettre au travail dès sa prise de fonction. @

Manuel Valls fut contre l’Hadopi : il est aujourd’hui pour la réponse graduée et la répression contre le piratage

Pour la seconde fois depuis qu’il est Premier Ministre, Manuel Valls a obtenu la confiance de l’Assemblée nationale. Mais s’il est un sujet sur lequel le chef du gouvernement a bien changé, c’est sur la lutte contre le piratage – à la satisfaction du monde de culture. C’est le retour en grâce de l’Hadopi.

Par Charles de Laubier

Manuel Valls DR« Nous avons sans doute sous-estimé l’impact du piratage de masse. Il est pourtant une vraie source d’appauvrissement pour l’ensemble du secteur de la création. La réponse graduée garde toute son actualité pour lutter contre les pratiques illégales sur les sites utilisant le peer-to-peer », a lancé Manuel Valls (photo), la veille de son grand oral devant l’Assemblée nationale pour obtenir la confiance de son second gouvernement en cinq mois (1). C’était devant un parterre très sélect du monde de la Culture, le 15 septembre dernier, à l’occasion de l’inauguration d’une exposition au Grand Palais et
en présence de Fleur Pellerin, nouvelle ministre de la Culture et de la Communication.

Streaming : le Premier ministre fait sien le rapport MIQ
Qu’il est loin le temps où celui qui est devenu Premier ministre tenait un tout autre discours sur la lutte contre le piratage. « Le projet de loi Hadopi est attentatoire aux libertés fondamentales et n’apportant aucune réponse aux besoins de financement
des créateurs », avait-il signé dans un appel du 17 juin 2008 paru dans Libération.
L’année suivante, il avait encore fustigé la loi Hadopi dans un discours prononcé le 29 juin 2009 au Théâtre Michel, alors que le premier volet de cette loi controversée venait tout juste d’être promulgué : « La loi Hadopi a révélé au grand jour l’incapacité du pouvoir en place [Nicolas Sarkozy et François Fillon à l’époque, ndlr], et pas seulement, à saisir les enjeux et les évolutions technologiques de notre époque » (2).
Puis, cette fois lors des primaires socialistes où il était candidat à l’investiture du PS pour la présidentielle, il déclarait le 8 octobre 2011 sur son blog de campagne Valls2012.org : « Je n’ai jamais tergiversé sur l’abrogation nécessaire de cette loi qui induit la répression, soldée par une sanction pénale, administrative et financière ». Celui qui fut député-maire d’Évry (Essonne) durant dix ans (2002 à 2012), qui se disait en plus favorable à une « contribution créative adaptée » à défaut de licence globale (3), a donc changé d’avis et renié ses convictions-là, maintenant qu’il est Premier ministre depuis le 31 mars. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de discréditer la loi Hadopi – laquelle a certes entre temps été amputée de la coupure de l’accès à Internet, comme l’avait profit François Hollande. Bien au contraire : « Mais il faut aussi s’attaquer aux autres vecteurs de piraterie en se concentrant sur ceux qui diffusent massivement des oeuvres. Le rapport de Mireille Imbert-Quaretta a ouvert des pistes de travail intéressantes, impliquant notamment une autorégulation des opérateurs de l’Internet », a-t-il poursuivi dans son discours au Grand Palais.

Légiférer à nouveau contre le piratage
Mireille Imbert-Quaretta (« MIQ »), qui est au sein de l’Hadopi la présidente de la commission de protection des droits (CPD), à savoir la dernière courroie de transmission avant l’envoi des supposés pirates récidivistes devant la justice, a remis
le 12 mai dernier son rapport sur « les moyens de lutte contre le streaming et le téléchargement direct illicites » (4). MIQ y préconise d’impliquer les intermédiaires de l’Internet à la lutte contre les sites de streaming et de téléchargement direct illicites :
les moteurs de recherche en déréférençant les liens incriminés, les régies publicitaires en ne passant plus d’annonces sur ces sites, ou encore les fournisseurs de systèmes de paiement en empêchant tout règlement.
Manuel Valls a donc clairement dit que le rapport MIQ fera l’objet de transpositions législative : « Je ne doute pas que le Parlement – et je salue Patrick Bloche, le président de la commission des Affaires culturelles à l’Assemblée nationale – s’en saisira, et que Fleur Pellerin [ministre de la Culture et de la Communication], déjà une fine connaisseuse, ouverte au monde, moderne, qui n’est pas repliée sur elle-même (…), en fera une priorité de son action ». Ainsi, le Premier ministre compte bien sur Fleur Pellerin, qui fut ministre déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique (mai 2012 à avril 2014), pour réhabiliter l’Hadopi. Reste à savoir si elle fera sienne le projet de loi « Création », dont la première mouture avait été esquissée par Aurélie Filippetti (5) avant d’être repoussée à 2015.
Quoi qu’il en soit, le discours en faveur d’un élargicement de la lutte contre le piratage au streaming redonne du baume au coeur des industries culturelles, comme le montre l’Association des producteurs de cinéma (APC) qui « salue la volonté du Premier Ministre de lutter contre le piratage des oeuvres sur les réseaux électroniques » et « se félicite que cela soit désormais une priorité » – pour peu que, selon elle, les ministères de la Culture, de la Justice et de l’Intérieur placent « ce combat au coeur de leurs priorités ». De son côté, la SACD demande à voir : « On jugera l’arbre à ses fruits », a écrit son DG Pascal Rogard sur son blog. Cependant, Manuel Valls a dit qu’il ne s’en tiendra pas à la lutte contre le piratage. « Il faut ensuite encourager l’offre légale. Je connais ces débats ; j’y ai participé et je suis ici sous la surveillance d’avis très différents [sourire du ministre]… Les acteurs français de l’audiovisuel et du numérique doivent travailler ensemble pour offrir une alternative forte aux services des acteurs extra-européens ». Car, pour le Premier ministre, « l’offre culturelle ne peut être dans les mains exclusives de géants tels qu’Amazon ou Netflix, aussi attractifs pour les consommateurs que soient leur offre (et nous y participons tous) ». Selon lui, il y a déjà un grand déséquilibre entre d’une part les créateurs et de l’autre les diffuseurs et distributeurs de l’Internet. « Diffuser largement ne doit pas revenir à bafouer l’exception culturelle ou à piétiner les droits des auteurs et des créateurs. Or, cette menace existe ; ne nous le cachons pas. (…) Nous devons bien sûr savoir rapidement nous adapter en faisant tout d’abord mieux contribuer les acteurs de l’Internet à la création. L’enjeu est européen », a-t-il affirmé.
Au cabinet de Fleur Pellerin, une conseillère a justement été officiellement nommée par arrêté publié au J.O. du 11 septembre dernier « chargée du financement de la création, du développement de l’offre légale et du droit d’auteur ». Dans la dénomination à rallonge de sa fonction, l’ordre des trois préoccupations on ne plus sensibles n’est sans doute pas anodine. C’est en tout cas sur elle, Emilie Cariou, qui fut conseillère juridique et fiscale de Fleur Pellerin à l’Economie numérique, puis directrice adjointe en charge du budget et des financements au CNC (6), que le lobbying des ayants droit et des acteurs du Net va s’exercer au cours des prochaines semaines. « Emilie Cariou aura
un rôle très important dans l’écriture de la future loi Création », a confié à Edition Multimédi@ un juriste des indutries culturelles. Elle était par exemple présente lorsque Fleur Pellerin avait été invité le 8 octobre 2012 par la SACD, société de gestion collective des droits dans l’audiovisuel. Elle etait aussi à la soirée de lancement de Netflix en France le 15 septembre…

Emilie Cariou, une conseillère très courtisée
Si le financement de la création est en tête de ses attributions, la fiscalité du numérique n’est pas loin. En tant qu’ancienne élève de l’École nationale des impôts (7) et avec ses treize ans passés au ministère de l’Économie et des Finances, Emilie Cariou s’y intéresse aussi de près : elle fut auditionnée pour le rapport « Collin & Colin » de 2013 sur la fiscalité de l’économie numérique, ainsi que pour celui du sénateur Philippe Marini en 2012. Reste maintenant au Premier ministre à ne pas décevoir les tenants de la répression accrue contre le piratage sur Internet. @