La simultanéité salles-VOD reste taboue en France, malgré les expériences day-and-date en Europe

La Fédération nationale des cinémas français (FNCF) bloque toute idée d’expérimentation de simultanéité salles-VOD en France, malgré les expérimentations prometteuses menées ailleurs en Europe – notamment par l’ARP qui a tenté de relancer le débat lors des 24e Rencontres cinématographiques de Dijon.

Par Charles de Laubier

Richard Patry, FNCF« Moi, je fais ce métier pour la salle. C’est pour cela que l’on est accroché à cette chronologie des médias. On nous parle effectivement d’expériences européennes [de sorties simultanées salles-VOD] partout, mais rien n’est comme la France. Rien ! », a lancé Richard Patry (photo), président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF).
C’était à Dijon, lors des Rencontres cinématographiques (16-18 octobre derniers). Et de poursuivre : « Aucun pays au monde n’a
un réseau de salles de cinémas comme le nôtre et de circuits de cinémas itinérants ».

Statu quo sur la chronologie des médias
Cette puissante union syndicale de plus de 2.000 propriétaires et exploitants des quelque 5.612 salles de cinéma de l’Hexagone – que complète une centaine de réseaux itinérants – est à l’origine du statu quo actuel sur la chronologie des médias, laquelle accorde aux salles durant quatre mois l’exclusivité quasi monopolistique de la sortie des nouveaux films en France.
Pour la FNCF, pas question donc d’expérimenter la sortie simultanée d’un film en VOD et en salles : « Oui, c’est vrai, nous on est contre. Vous connaissez le discours que je fais tout le temps : rien avant [la salle], rien pendant ; après, on est des gens responsables prêts à discuter sur des assouplissements qui sont possibles pour permettre à certains films d’accéder un peu plus rapidement à la VOD, à la vidéo [DVD, Blu-ray, ndlr] ou aux nouveaux entrants ». Et encore, ces « assouplissements » ne doivent concerner que de rares dérogations limitées à quelques films qui ne rencontrent pas de succès en salles. Les quatre mois doivent, pour la FNCF, rester la règle afin de « sanctuariser la salle ». Alors pour le day-and-date (ou D&D), tel que le pratiquent d’autres pays, n’y pensez pas… « Si vous cassez les salles de cinéma en France, en réduisant leur fenêtre d’exclusivité, vous allez casser le modèle français et vous allez vous casser vous-mêmes ! Nous sommes intimement mariés, liés : le succès de vos films se fera dans nos salles. Ce n’est pas possible autrement », a mis en garde Richard Patry s’adressant aux producteurs et distributeurs de films. Et de prévenir clairement : « Nous connaissons nos spectateurs et je peux vous dire que vous ne ferez pas plus d’argent pour produire vos films en les sortant simultanément en VOD
et dans les salles de cinéma (2). Et parce que les salles ont beaucoup de films à sortir, elles ne sortiront pas les films qui sont disponibles sur d’autres plateformes [quelques applaudissements…] ». Fermez le ban ! Or le paradoxe est que justement, dans le même temps, les cinémas croulent désormais sous le nombre de films à « jouer » dans les salles : il y a embouteillage de long métrages et tous ne pourront être projetés.
« La pression est devenue majeure », a concédé Olivier Grandjean, directeur de la programmation de Pathé. « J’ai des décisions de vie ou de mort sur certains films »,
a reconnu Stéphane Libs, gérant des cinémas Star à Strasbourg. A cela s’ajoute,
avec toutes les salles désormais numérisées, la concentration de la programmation
des séances, la multiprogrammation et la multidiffusion. « On gère des flux ; on fait
des choix », admet, quant à lui, Richard Patry. L’hostilité du président de la FNCF envers la simultanéité salles-VOD fut d’autant plus remarquée qu’elle s’est exprimée
– sans contradicteurs – lors des 24e Rencontres cinématographiques, organisées à Dijon par l’ARP, laquelle mène pourtant en Europe des expérimentations day-and-date depuis 2012. La société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs de films a en effet coordonné jusqu’en juin dernier le projet « Tide » avec trois films proposés en salles et VOD (3) dans le cadre du programme Media (Creative Europe) de la Commission européenne. Celle-ci prépare d’ailleurs une recommandation « Film à
l’ère numérique ».
L’ARP coordonne maintenant le projet européen « Spide » (4), auquel s’est joint le producteur et distributeur français Wild Bunch (présidé par Vincent Grimond). « Le day-and-date, c’est comme choisir entre le stade et la télé pour voir un match. Le geste artistique est le même. C’est l’expérience qui est différente. A vous de voir », expliquait d’ailleurs l’ARP en 2e de couverture de son programme des Rencontres (5).

VOD-salles : des expérimentations en France ?
Le producteur et distributeur de films Jean Labadie, lui, a évoqué l’exemple de Curzon, un gros exploitant britannique de salles de cinéma et distributeur de films, qui pratique avec succès des sorties D&D outre-Manche. Mais, en France, la chronologie des médias interdit cette simultanéité et l’expérimenter supposerait un accord interprofessionnel plus qu’improbable. Interrogée en mai 2014 par Edition Multimédi@, la présidente du CNC (6), Frédérique Bredin, était restée très circonspecte sur la question (7). @