Raison fiscale ou digitale : fin de la redevance ?

En fait. Le 7 mars, lors d’un déplacement à Poissy (Yvelines) pour son premier meeting de président-candidat, Emmanuel Macron a lancé lors d’un échange avec des Pisciacais : « On va supprimer des impôts qui restent ; la redevance télé en fait partie ». Trois de ses rivaux la supprimeraient aussi. Dès 2023. Démagogique ?

En clair. La droite et l’extrême droite promettent la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, alias la redevance, tandis que la gauche et l’extrême gauche sont contre sa disparition. Preuve encore que le clivage gauche-droite resurgit dans cette campagne présidentielle 2022.
Les réactions du monde de la production audiovisuelle et cinématographique, qui dépendent de la manne des chaînes publiques, ont fusé : « Le candidat-président assume un choix hypocrite et dangereux. Hypocrite car les ressources (…) devront être prélevées sur les ressources de l’État, financées par les impôts des Français. Dangereux car ce choix aboutira à la fragilisation de l’audiovisuel public et à la remise en cause de son indépendance en soumettant son financement aux aléas et au bon vouloir des décisions gouvernementales », a vertement critiqué la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), fustigeant « la démagogie en marche » et « un cynisme insupportable ». Le BBA (Bloc, Blic, Arp), lui, parle d’« une grande inconséquence » aux « conséquences dramatiques ». Le Syndicat des producteurs indépendants (SPI) a fait part de son côté de « sa stupéfaction et son incrédulité ». Quant à la Société civile des auteurs multimédias (Scam), elle évoque « le bug Macron » où le candidat « ignore » que le président a confié en octobre 2021 une mission à l’IGF (1) et à l’Igac (2) sur « l’avenir du financement du service public de l’audiovisuel », dont le rapport lui sera remis au printemps. Au gouvernement, Bercy et Culture sont en désaccord sur le plan B. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom (ex-CSA) a suggéré le 8 mars sur France Inter : « Pourquoi ne pas envisager (…) que le régulateur donne chaque année un avis sur les dotations qui sont attribuées au service public ? ».
Au-delà de sa remise en cause par quatre candidats (Le Pen, Zemmour, Pécresse et Macron), la redevance audiovisuelle faisait débat depuis dix ans. La Suisse a été le premier pays a décider en mai 2013 de ne plus la faire payer aux seuls détenteurs de téléviseur, mais par tous les foyers dotés d’écrans numériques – en réduisant la taxe au passage (3). En France, la règle obsolète du poste de télévision perdure malgré la révolution numérique. Cette taxe annuelle, stabilisée à 138 euros depuis 2020, a rapporté l’an dernier 3,7 milliards d’euros – dont 65% affectés à France Télévision et 16 % à Radio France (4). @

Cinéma : les salles et Canal+ protégées pour 3 ans

En fait. Le 24 janvier, toute la filière professionnelle du cinéma français et des plateformes de VOD/SVOD a signé – à l’exception de la SACD (1) – l’accord sur le réaménagement de la chronologie des médias. Malgré la révolution des usages, Canal+ (Vivendi) et les salles de cinéma (FNCF) préservent leur pré-carré jusqu’en février 2025.

En clair. Deux monopoles vont pouvoir continuer à prospérer en France à l’ombre de la nouvelle chronologie des médias que viennent de signer la quasi-totalité des organisations du cinéma français – le Blic (2), le Bloc (3) et l’ARP (4) – avec Canal+ (historiquement favorisé car grand financeur de films) et la Sévad (Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande). Ces deux monopoles du 7e Art français, reconduits pour trois nouvelles années (jusqu’en février 2025), sont : d’une part, les salles de cinéma, qui conservent encore leur exclusivité durant quatre mois pour la première diffusion des nouveaux films, et, d’autre part, Canal+ du groupe Vivendi, qui est la seule chaîne cryptée avec OCS (dont Canal+ détient 33,33 % du capital aux côtés des 66,67 % d’Orange) à bénéficier des films dès six mois après leur sortie en salle.
Ces deux opérateurs historiques – les salles obscures et la chaîne cryptée – ne sont pas concurrencés sur leur propre marché respectif, entendez sur leur « fenêtre de diffusion » (dans le jargon de la chronologie des médias) pas aucun rival. Et pour cause : Canal+ et la FNCF (5) ont chacun défendu becs et ongles leur exclusivité monopolistique, les salles de cinéma durant quatre mois (trois mois en cas de rares dérogations) et la chaîne cryptée durant au moins neuf mois (sur les seize mois alloués). Ce statu quo des salles (aux quatre premiers mois inchangés) et de la chaîne cryptée (passant même à six mois après la salle au lieu de huit) paraît incompréhensible au regard de la révolution des usages numériques qui est à l’oeuvre depuis ces dernières années.
La nouvelle génération n’a pas d’attirance pour ni les salles ni la télé. En revanche, ces générations Y, Z et Alpha regardent volontiers leurs films et séries sur les plateformes de VOD et encore plus sur la SVOD : Netflix, Amazon Prime Video et Disney+ en tête. Or le « réaménagement » de la chronologie des médias, laquelle reste inexplicable pour le grand public, maintient la VOD à l’acte à quatre mois après la sortie des films et la SVOD par abonnement à… quinze mois voire dix-sept après la sortie des mêmes films. Certes, la SVOD avancent de quelques cases, comme dans un jeu de l’Oie, puisqu’elle était auparavant à trente-six mois. Le grand danger d’une telle anachronie est d’encourager le piratage sur Internet de ces œuvres cinématographiques et audiovisuelles. @

Chronologie des médias : en attendant la réforme, l’accord « pro-Canal+ » rebat les cartes

Même si Canal+ a conclu un accord triennal, daté du 2 décembre 2021, avec les organisations professionnelles du cinéma français (200 millions d’euros par an, fenêtre s’ouvrant dès 6 mois), cela ne règle en rien la réforme toujours en cours de la chronologie des médias – bien au contraire.

Par Anne-Marie Pecoraro*, avocate associée, UGGC Avocats

La réforme de la chronologie des médias est un maillon de plus à la réforme de l’audiovisuel français en cours. Censé compléter la trilogie règlementaire formée par le décret SMAd (1) applicable depuis le 1er juillet 2021, le projet de décret « Câblesatellite » toujours en cours de consultation publique (2), et le projet de décret TNT en voie de finalisation (3), le texte définitif sur la chronologie des médias tarde néanmoins à paraître et continue d’être au cœur des négociations.

Droit positif et fondements de la réforme
Cette nouvelle chronologie en gestation projette de modifier, notamment dans un sens plus favorable aux SMAd par abonnement, dont les plateformes de vidéos à la demande par abonnement (SVOD), les fenêtres prévoyant des exclusivités de diffusion des œuvres cinématographiques à compter de leur date de sortie en salles. Alors que les pratiques professionnelles d’autres pays se fondent plutôt sur des fenêtres contractuelles d’exclusivité, le système français part du postulat qu’une « diffusion prématurée des films à la télévision pourrait handicaper leur exploitation en salle » (4). Ce faisant, il fixe selon certains critères (audience du film, type de diffuseur et caractère vertueux, … ) un calendrier de répartition des différentes fenêtres d’exclusivité de diffusion des œuvres cinématographiques avec l’objectif de favoriser un financement optimal du film (5), un large accès aux œuvres et le développement de la création cinématographique. Tantôt décrite de « logique défensive », tantôt défendue comme ayant permis à la France d’avoir conservé une industrie cinématographique à l’offre diversifiée (6), la peau neuve de ce dispositif clivant est portée par une ordonnance de 2020 (7) transposant la directive européenne « SMAd » de 2018 (8).
L’actuelle révision des délais de diffusion des œuvres cinématographiques tient compte des réalités du marché. Tant que la réforme se fait attendre, la réglementation applicable aux délais de diffusion des films résulte de la chronologie des médias dont l’accord professionnel avait été signé le 6 septembre 2018 et son avenant le 21 décembre 2018. Ceux-ci (accord et avenant) ont été étendus par arrêté du 25 janvier 2019 à toutes les entreprises de cinéma, SMAd et éditeurs de services de télévisions (9) ; il expire le 10 février 2022. Le droit positif prévoit ainsi un ordre de diffusion des nouvelles œuvres cinématographiques. Celles-ci sont exploitées d’abord par les salles de cinéma, puis successivement les plateformes de VOD à l’acte et DVD, les chaînes de cinéma payantes (Canal+, OCS, …), les SVOD (Netflix, Disney+, Amazon Prime Video, …) et enfin les chaînes de télévision gratuites. Ainsi, ce n’est actuellement en principe qu’au bout de 36 mois que les plateformes de SVOD peuvent diffuser les œuvres cinématographiques, contre 8 mois par principe pour les chaînes de télévision de cinéma payantes ayant conclu un accord avec les organisations professionnelles de cinéma. Sauf cas particuliers : conclusion d’un accord avec les organisations professionnelles du cinéma, diffusion d’œuvres ayant réalisé moins de 100.000 entrées à l’issue de leur premier mois de diffusion en salle, ou engagements au développement de la production d’œuvres cinématographiques.
Signe de ralliement vers le « nouveau paysage » audiovisuel, un rapport présidentiel rappelle que « compte tenu des obligations ambitieuses de financement imposées, notamment aux plateformes étrangères, par la transposition de la directive SMA, l’adaptation de la chronologie des médias apparaît comme un corolaire naturel » (10). La logique est celle de contreparties réciproques. D’une part, le décret SMAd, qui concerne la VOD, la SVOD ou encore la télévision de rattrapage (replay), rend débiteur d’obligations de contribution à la production audiovisuelle et cinématographique française et européenne les désormais incontournables plateformes étrangères. A ce titre, elles doivent y investir entre 20 % et 25 % de leur chiffre d’affaires réalisé sur le territoire français, 20 % au moins de cette somme étant reversés à la filière cinématographique (11).

Si pas d’accord, un décret « tout prêt »
D’autre part, la révision de la chronologie des médias octroie en retour aux plateformes concernées une fenêtre de diffusion nettement rapprochée. A cet effet, l’article 28 de l’ordonnance précitée laisse le soin aux organisations professionnelles et aux éditeurs de services de conclure un nouvel accord professionnel sur la chronologie des médias. A défaut d’accord, le gouvernement intervient par voie de décret. Ce faisant, cette article 8 reprend le principe déjà posé par la directive SMA précédente (celle de 2010), modifiée par la directive SMAd (de 2018), qui prévoyait que « la question des délais spécifiques à chaque type d’exploitation des œuvres cinématographiques doit, en premier lieu, faire l’objet d’accords entre les parties intéressées ou les milieux professionnels concernés » (12). Cet article 8 prévoyait un délai, fixé par décret à six mois, pour parvenir à un accord (13). A défaut, tout en rappelant privilégier la voie des négociations, la ministre de la Culture avait annoncé disposer d’un « texte tout prêt » (14).

Des perspectives et des enjeux délicats
Toujours est-il que si la question de la place à réserver à la vidéo à la demande dans la chronologie des médias n’est pas nouvelle, elle se pose de manière accrue au sortir d’une période noire. Le cinéma, affaibli par les confinements, a vu ses salles se vider à mesure qu’augmentaient tant le nombre de services de SVOD que le nombre de leurs abonnés : le covid-19 a bien entraîné (accompagné ?) une hausse de la consommation de biens culturels dématérialisés.
La nouvelle chronologie des médias très attendue, telle qu’envisagée sur la base de la dernière proposition datée du 19 juillet 2021 du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), modifie les délais prévus par les accords en vigueur précités. Cette proposition, hypothétique mais officielle (15), laisse inchangés les délais d’exploitation en salles et ceux applicables aux VOD à l’acte et DVD. Les premiers changements envisagés concernent les services de télévision payants de cinéma, dont la première fenêtre s’ouvrirait par principe à 9 mois, contre 8 actuellement, réductible sous conditions (16) à minimum 6 mois. Toutefois, c’est concernant les SMAd par abonnement que l’évolution est la plus remarquable : sous des conditions définies, la fenêtre de diffusion de la SVOD s’ouvrirait par principe à 15 mois, réductible à 12 mois sous conditions, voire moins sans toutefois pouvoir descendre en dessous de 6 mois. Mais le chemin n’est pas sans embûches.
Terrain d’âpres négociations, cette réforme peine à trouver les faveurs de toutes les parties prenantes, en témoigne le retard pris dans son adoption (17). Initialement prévue pour le 31 mars 2021 (18), reportée à juillet pour le Festival de Cannes, puis à la rentrée où elle s’est encore fait attendre, son retard a lui-même été la source de tensions : Netflix, en chef de file des services de SVOD, avait déposé un recours gracieux contre le décret SMAd (19), soulignant être tenue d’une obligation de financement des oeuvres sans le bénéfice promis d’une fenêtre de diffusion rapprochée ; Disney+ aurait de son côté envisagé de « sauter la case cinéma » pour préférer une diffusion immédiate de ses films sur sa plateforme et ainsi s’affranchir des contraintes d’attente, la règlementation de la chronologie des médias ne s’appliquant qu’aux films sortis en salles. Le géant d’Hollywood était en effet opposé à l’idée que les chaînes gratuites puissent avoir une exclusivité de diffusion à 22 mois, tel qu’envisagé, pendant laquelle les plateformes auraient dû stopper, ne serait-ce que temporairement, leur diffusion avant de pouvoir la reprendre. Une décision qui aurait eu des effets considérables, tant pour Disney que pour les diffuseurs.
Quant à au groupe Canal+, partenaire historique du financement du cinéma français, il exigeait que sa fenêtre d’exclusivité courre sur une durée de 9 mois à compter de 3 ou 4 mois après leur sortie, avant que les plateformes de SVOD ne puissent diffuser à leur tour. Ces souhaits s’étaient heurtés à la proposition du CNC du 14 juin 2021, lui offrant une plage moins longue (6 mois), et à celle des organisations du cinéma français – surnommées « BBA » (20) – du 1er juillet 2021 proposant une concurrence frontale avec les plateformes, sans fenêtre de diffusion séparées (21) : « Si nos principaux avantages en matière de cinéma sont remis en question, il n’y aura plus de raison pour notre groupe d’investir autant dans ce domaine », avait rétorqué le patron de la chaîne cryptée (22). Le financeur historique du cinéma français ne souhaitait plus assumer à lui seul une part si substantielle du budget annuel de la production cinématographique française sans pouvoir continuer à bénéficier d’une avance conséquente et d’une fenêtre de diffusion suffisante par rapport à ses concurrents. Un accord en date du 2 décembre 2021, conclu entre Canal+ et les organisations professionnelles du cinéma, rebat toutefois les cartes. Moyennant un investissement forfaitaire de plus de 200 millions d’euros par an pendant trois ans, Canal+ verrait sa fenêtre pour les films qu’il finance s’ouvrir dès 6 mois, ce pour une période d’exclusivité minimale de 9 mois – repoussant celle des plateformes de SVOD à 15 mois minimum, pour « les tenir à l’écart ».

Face aux plateformes, Canal+ inflexible
Reste que la proposition doit encore convaincre ces plateformes de SVOD, lesquelles avaient précédemment annoncé ne pas se contenter d’un tel délai. Or Canal+, inflexible, annonce qu’en cas de délai inférieur, elle réduira son engagement de 30 à 50 millions par an. Aussi faudra-til convaincre les chaînes gratuites, dont Canal+ refuse qu’elles puissent diffuser simultanément dix films gratuits en replay. Roch-Olivier Maistre, président du CSA (et bientôt de l’Arcom), disait de la réforme de la chronologie des médias qu’elle doit « préserver les acteurs traditionnels, en particulier les salles de cinéma et les acteurs de la télévision payant et gratuite, tout en améliorant la situation des plateformes de vidéo à la demande par abonnement » (23). Question d’équilibre, donc. Mais ce nouvel équilibre conviendra-t-il à tous ? @

* Anne-Marie Pecoraro est avocate spécialisée en droit de la
propriété intellectuelle, des marques, des nouvelles
technologies et de l’exploitation des données personnelles.

Projet de fusion TF1-M6 : Xavier Niel appelle à la rescousse la Commission européenne

Le président du conseil d’administration du groupe Iliad (maison mère de Free dont il est le fondateur), Xavier Niel, estime que la Commission européenne serait bien mieux à même d’instruire le projet de fusion entre TF1 et M6, au lieu de laisser faire l’Autorité de la concurrence.

A défaut d’avoir pu racheter le groupe M6, pour lequel il s’était porté candidat parmi d’autres au printemps dernier auprès du principal actionnaire vendeur, l’allemand Bertelsmann, Xavier Niel (photo) est décidé à mettre des bâtons dans les roues du projet de fusion entre TF1 – filiale du groupe Bouygues qui a été retenue comme l’acquéreur – et M6. L’Autorité de la concurrence, qui n’a pas attendu d’avoir la notification de cette opération pour lancer dès le mois d’octobre (1) les « tests de marché » (2) avec envoi de questionnaires aux professionnels concernés, compte rendre sa décision d’ici à l’été 2022.

Vers un jeu de domino européen
Or, parmi les opposants – comme Canal+ – à cette mégafusion audiovisuelle si elle était acceptée, Xavier Niel, président du conseil d’administration d’Iliad (maison mère de Free dont il est le fondateur), conteste non seulement ce projet « TF1- M6 » mais aussi le fait que ce dossier puisse être instruit à Paris par l’Autorité de la concurrence et non pas à Bruxelles par la Commission européenne. Canal+ serait sur la même longueur d’onde. En novembre dernier, d’après Les Echos, il l’a fait savoir directement auprès des autorités antitrust de l’exécutif européen. Parmi elles, il y a la « DG Comp » (3) qui est chapeautée par la commissaire Margrethe Vestager, viceprésidente de la Commission européenne. Cette montée de Xavier Niel au créneau européen est intervenue après que le Conseil d’Etat, en France, l’ait débouté le 5 novembre de son recours en référé déposé le 27 octobre.
Selon Capital, il exigeait que l’Autorité de la concurrence (ADLC) explique pourquoi elle « s’estime compétente » pour examiner cette opération de concentration. Les juges du Palais Royal l’ont débouté de sa demande (4). Qu’à cela ne tienne, le président d’Iliad porte l’affaire au niveau européen en arguant du fait que le nouvel ensemble TF1-M6 ne sera pas contrôlé uniquement par le groupe Bouygues, mais conjointement avec le géant allemand Bertelsmann et actuel propriétaire de M6. Détenu par la discrète famille Mohn (5), le géant international des médias Bertelsmann, qui possèdera 16 % du nouvel ensemble avec deux sièges au conseil d’administration, réalise en France moins les deux tiers de son chiffre d’affaires européen. Ce qui plaide, selon Xavier Niel, pour un examen de cette opération de concentration à l’échelon européen et non pas franco-français. Or le groupe de Martin Bouygues, qui aura 30 % du nouvel ensemble et quatre sièges au conseil d’administration, est pour l’instant considéré a priori comme l’acquéreur et réalisant plus des deux tiers de son chiffre d’affaires européen en France. Ce qui en fait, notamment aux yeux de TF1 et de l’ADLC, une affaire française relevant du gendarme de la concurrence hexagonale. Ni dans son communiqué du 8 juillet (6) ni dans celui du 17 mai (7), le premier groupe privé français de télévision ne mentionne la Commission européenne, mais seulement l’ADLC et le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Pourtant : « Ce mariage fait de TF1-M6 un groupe très important sur le plan européen », avait estimé Michel Abouchahla, président du magazine Ecran Total spécialisé dans le cinéma, dans un entretien à l’AFP fin mai dernier. Avec un chiffre d’affaires conjugué proche des 3,5 milliards d’euros, le nouvel ensemble pourrait peser pas loin de 5 % de la production de fiction en Europe, d’après l’Observatoire européen de l’audiovisuel.
Dans un autre entretien à l’AFP, Isabelle de Silva – alors présidente de l’ADLC – avec évoqué Bruxelles en ces termes : « Sur des opérations d’envergure telles que celle-ci, nous aurons sûrement des échanges avec la Commission européenne (…), d’autant que la problématique qui se pose aujourd’hui en France pourrait se présenter demain en Belgique ou en Allemagne ». Et surtout, l’opération TF1-M6 pourrait être suivie en Allemagne par la fusion des médias télévisés de Bertelsmann avec le groupe de chaînes gratuites et payantes ProSiebenSat.1 Media. Ce dernier est détenu à hauteur de 15 % par l’italien Mediaset (appartenant à la holding Fininvest de Sylvio Berlusconi), lequel prévoit de fusionner ses activités italiennes, espagnoles et allemande dans sa nouvelle holding de droit néerlandais baptisée Media For Europe (MFE). Bref, un vrai jeu de domino dans l’audiovisuel européen et le marché publicitaire de la télévision.

Un « quasi-monopole » de la TV privée
Le gendarme de la concurrence estime le poids du nouvel ensemble TF1-M6 à l’aune des chiffres d’affaires nets (après rabais) de la publicité télévisée de chacun des deux groupes privés. Leur part de marché publicitaire cumulée en 2020 dépasserait les 75 % (49 % pour TF1 et 27 % pour M6) sur le marché français de la pub TV, lequel totalise plus de 2,8 milliards d’euros cette année-là (hors digital). Lors d’une audition devant le CSA le 5 juillet (8), le vice-président d’Iliad, Maxime Lombardini, avait mis en garde contre un « quasi-monopole de la télévision privée ». @

Charles de Laubier

Droits de diffusion du sport : le public paie le prix fort pour voir les retransmissions

Le rapport parlementaire sur les droits de diffusion audiovisuelle des manifestations sportives sera présenté le 15 décembre. Il devrait proposer des évolutions pour favoriser la retransmission des matches et compétitions auprès d’un plus large public, voire gratuitement.

Six mois après la constitution de la mission d’information sur les droits de diffusion audiovisuelle des manifestations sportives et trois mois après le psychodrame « Mediapro » autour de la diffusion des rencontres de la Ligue 1 de football, la mission d’information sur les droits de diffusion audiovisuelle des manifestations sportives est dans sa dernière ligne droite. Le député Cédric Roussel (photo) présentera son rapport le 15 décembre. Ses conclusions sont très attendues sur la question de l’accès gratuit ou payant du public aux retransmissions des matches et des rencontres sportives.

Ligne 1 : Amazon marque un but
Constituée le 26 mai par la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, avec comme rapporteur Cédric Roussel (député « marcheur » des Alpes-Maritimes) et comme président Régis Juanico (député « socialiste » de la Loire), cette mission aura auditionné en un semestre des dizaines de personnalités des mondes du sport et des médias. Le but est de proposer de « possibles évolutions législatives et réglementaires pour favoriser l’accès du plus large public aux manifestations sportives, sécuriser les ressources du sport amateur et encourager les spectateurs à visionner leurs événements favoris de façon légale ».
Car le public français ne sait plus où donner de l’attention ni de l’argent, entre les retransmissions sportives gratuites considérée d’« intérêt général » et les autres payantes de plus en plus nombreuses. Les passionnés de sports constituent un public de frustrés potentiels, tant il leur faudrait être riches pour d’abonner à plusieurs plateformes de (live) streaming sportif, et être souvent disponibles pour regarder en lignes les matches, les rencontres et les compétitions. Côté payant : Amazon Prime Video est devenu en juin le nouveau diffuseur de la Ligue 1 de football (L1). Le géant du e-commerce en a acquis les droits de diffusion audiovisuel pour 80 % des matches (1), le dimanche soir compris, moyennant 250 millions d’euros. En plus de l’adhésion au service Prime de 5,99 euros par mois (ou 49 euros par an), le Pass Ligne 1 pour voir la L1 est de 12,99 euros par mois. D’après une étude Harris Interactive/NPA Conseil réalisée début octobre, Amazon atteignait les 1,4 million d’abonnés à son offre des championnats français de football. Certes, la chaîne gratuite TF1 rediffuse des extraits de matches de la L1 dans Téléfoot, après un accord avec Amazon annoncé en octobre dernier, mais ces courts différés ont de quoi laisser sur leur faim les amateurs de foot et les supporteurs téléspectateurs. Les autres rencontres de la L1 sont diffusées par la chaîne cryptée Canal+, la filiale du groupe Vivendi ayant été contrainte par la justice début août d’assurer cette diffusion alors qu’elle refusait cet été devant les tribunaux de verser 332 millions d’euros pour ses 20 % de la L1 – comparés aux 250 millions d’euros versés par Amazon pour… 80 % de cette même L1. « Ces décisions (2) permettent d’offrir une lisibilité claire pour les téléspectateurs qui pourront suivre (…) les rencontres (…) en intégralité et en exclusivité sur les chaînes du groupe Canal+ et la plateforme Prime Video d’Amazon », s’était alors félicitée la Ligue de football professionnel (LFP). Canal+ a fait appel de ce verdict.
Cette bataille judiciaire estivale était intervenue après la défaillance du groupe de médias catalan espagnol Mediapro (à capitaux chinois) qui avait été retenu en 2018 par la LFP pour 80 % des droits de diffusion 2020-2024, moyennant 800 millions d’euros par an – sur un total à l’époque de 1,15 milliard d’euros par an tous diffuseurs confondus (3). Avec les nouveaux diffuseurs (Amazon et Canal+ en tête), les droits du football français ont été ramenés à 700 millions d’euros, fragilisant ainsi la situation financière des clubs qui en dépendent. La mission d’information sur les droits de diffusion audiovisuelle des manifestations sportives avait d’ailleurs voulu tirer les choses au clair en auditionnant le 16 septembre dernier Jaume Roures, le PDG du groupe Mediapro, qui a invoqué la crise pandémique pour justifier son retrait. Tandis que la mission a entendu Amazon le 5 octobre par la voix de son DG France, Frédéric Duval.

Le free gratuit, le premium payant
Ce sport business autour des droits de diffusion payés au prix fort par des diffuseurs en quête d’abonnés payants, au premier rang desquels Amazon, explique que l’intérêt général du sport et la gratuité de ses retransmissions soient passés par pertes et profits. Il y a bien Free qui est détenteur des droits pour tous les matchs de la L1 jusqu’en 2024 : l’opérateur télécoms en propose gratuitement aux fans « quel que soit leur opérateur » (sur appli mobile), mais seulement des extraits et pas en live. Pour le reste, c’est du premium à 3,99 euros par mois. @

Charles de Laubier