En voulant devenir « le premier GAFA européen », SFR veut lui aussi tirer partie de la data et de la pub

Michel Combes veut faire croire que l’opérateur télécoms SFR, dont il est le PDG, va devenir « le premier GAFA européen » ! « Un peu ambitieux », concède-t-il. Mais en investissant dans les contenus, il se donne les moyens d’accéder aux données de ses millions de clients monétisables par la publicité.

« L’alternative pour les opérateurs télécoms est simple : se cantonner au rôle de fournisseur de tuyaux dans lequel on essaie de nous inciter à rester, ou bien dépasser ce rôle originel pour être pourvoyeurs de services nous mêmes et en quelque sorte devenir “les nouveaux GAFA” du monde qui s’ouvre afin de renouer avec
la croissance. C’est le dilemme stratégique », a exposé Michel Combes (photo), président du groupe SFR, lors du colloque organisé le 31 mai par NPA Conseil sur le thème de « Vers le meilleur des deux mondes ».

SFR va importer en France les pratiques de publicités ciblées de Cablevision, câbloopérateur américain que
vient de racheter sa maison mère Altice.

Triptyque télécoms-médias-publicité
« Nous avons donc décidé de donner le coup d’envoi en France à une convergence entre les télécoms et les médias ou les services numériques, en positionnant clairement le nouveau groupe SFR comme le premier GAFA européen. C’est peut-être un peu ambitieux… », a-t-il poursuivi. La filiale télécoms d’Altice, holding du milliardaire Patrick Drahi, tente ainsi de mettre en place un triangle vertueux, en se positionnant sur trois ingrédients qu’elle estime essentiels : l’accès (le métier de base de SFR, fixe ou mobile totalement convergents), les contenus et services numériques (pour se différencier), la publicité, dont celle ciblée, en regroupant les régies (télévision, presse et digitale). « Il s’agit de construire dans les mois à venir un distributeur de contenus, mais surtout un acteur télécoms-médias-publicité », a-t-il résumé. En se positionnant résolument comme un GAFA, l’opérateur télécoms SFR est décidé à essayer de se battre à armes égales avec Google, Apple, Facebook, Amazon et les autres acteurs du numérique. Le nerf de la guerre réside dans le Big Data que la publicité en ligne permet de monétiser. « Quand Verizon achète AOL [en mai 2015 pour 4,4 milliards de dollars, ndlr] ou s’intéresse à Yahoo comme AT&T, c’est pour aller chercher de nouvelles compétences – notamment dans le domaine de la publicité ciblée, avec ce vieux rêve qu’un jour les opérateurs télécoms devraient rerentrer sur le marché de la publicité digitale », a justifié Michel Combes. Selon cet ingénieur X-Télécom (Polytechnique et Ecole nationale supérieure des télécommunications), « il n’y a pas de fatalité à ce que ce marché reste exclusivement aux mains des acteurs du numériques, alors même que les opérateurs télécoms concentrent entre leurs mains les portefeuilles de clients très importants, des audiences immenses qu’ils n’ont pas su jusqu’à présent monétiser ». Le groupe SFR compte 17 millions d’abonnés mobile et 6,3 millions dans le fixe. Mais de l’aveu même de Michel Combes, les données qu’ils représentent restent sous-exploitées. « Pour un opérateur télécoms, c’est difficile d’avoir accès à ces données car ses clients n’en voient pas la finalité ni l’intérêt. Alors que lorsque vous êtes un acteur de contenus, ils vont vous les donner. Donc, le fait d’être dans le contenu nous donne accès aussi aux data. (…) Nous avons besoin de la data individuelle du client », a-t-il indiqué. A ce propos, il se dit convaincu que « seuls des modèles d’opt-in fonctionneront à terme, c’est-à-dire que nous ne pourrons pas – et c’est peut-être un bien – utiliser les données des clients sans sa décision de nous donner accès à ses données ».

Une autre raison d’entrer dans le contenu est que cela donne à l’opérateur télécoms l’accès à un inventaire de publicités, c’est-à-dire aux espaces publicitaires disponibles sur les différents médias en ligne (sites web, applications mobile ou réseaux sociaux). SFR, dont la maison mère Altice finalise d’ici fin juin le rachat du câblo-opérateur américain Cablevision pour 17,8 milliards de dollars, compte importer en France les pratiques de publicités ciblées d’outre- Atlantique. « Les câblo-opérateurs aux Etats-Unis ont historiquement eu accès à une partie de l’inventaire publicitaire des programmes audiovisuels qu’ils distribuent. Une partie de leurs recettes n’est pas liée
à l’accès mais à la publicité. Ces opérateurs de télédistribution ont ainsi réfléchi à des modèles économiques un peu nouveaux pour mieux monétiser leurs audiences. Cablevision a lancé des activités de publicités ciblées, individualisées, sur l’écran
de télévision », a constaté le patron de SFR. Ainsi, aux Etats-Unis, le broadcast
se retrouve avec des schémas assez similaires à ceux de l’Internet : meilleure monétisation des publicités, avec la complétude des réseaux, la géolocalisation et
la capacité de comprendre les usages des téléspectateurs.

Accéder à l’inventaire publicitaire « Nous souhaitons amener ces briques technologiques en France, où nous n’avons pas accès à cet inventaire de publicité. C’est une des raisons de rentrer dans le contenu, car cela nous donne en fait un inventaire publicitaire ». En regroupant les régies publicitaires de la télévision (BFM TV, BFM Business, News24, …), de la presse (Libération, L’Express, …) et du digital (sites web, applis mobile, …), SFR veut tenir tête au GAFA en étant « GAFA » lui-même. @

Charles de Laubier