Pourquoi Google passe sous la coupe d’Alphabet

En fait. Le 10 août, Google a annoncé la création d’une société baptisée Alphabet. Il s’agit d’une holding dont dépendra à 100 % le géant du Net, mais délesté des activités périphériques du groupe pour se recentrer sur ses cœurs de métiers (moteur de recherche, publicité en ligne, vidéo avec YouTube, …).

En clair. Google passe sous la coupe d’Alphabet, une holding créée pour alléger le géant du Net des activités qui ne relèvent pas de son cœur de métier. Elle sera dirigée par les deux cofondateurs du moteur de recherche, Larry Page et Sergey Brin (1).
Le premier, jusqu’alors directeur général de Google, cède dans le même temps cette fonction à l’Indien Sundar Pichai (2). Le « nouveau » Google – ainsi recentré sur ses cœurs de métiers (moteur de recherche, publicité en ligne, vidéo avec YouTube, système d’exploitation Android, cartographie Google Map, …) – devient une filiale détenue à 100 % par la nouvelle holding Alphabet. Cette maison mère contrôlera par ailleurs les autres activités périphériques du groupe telles que celles des autres filiales : Calico et Life Science (santé) Fiber (réseau de fibre optique) ou encore X-Lab (incubateur). De cette dernière entitée dépendent notamment les projets de voitures sans chauffeur (Car), de livraison par drones (Wing), de relais- Internet via des montgolfières (Loon), de lunettes connectées (Glass) ou encore d’objets connectés
à domicile (Nest).

La firme de Moutain View veut ainsi faire preuve de transparence financière entre son core business et ses activités annexes, ce que souhaitaient depuis plusieurs années
les investisseurs. Si la rentabilité de Google proprement dit (Internet) ne fait plus aucun doute, il n’en va pas forcément de même pour les autres domaines de développement où l’opacité se le dispute au flou financier. La publication séparée des comptes d’Alphabet, qui remplacera Google en Bourse d’ici la fin de l’année, devrait y remédier. Pour les dirigeants de Google, l’intérêt est aussi d’éviter que la marque Google ne soit associée à d’éventuels échecs inhérents aux recherches menées parfois tous azimuts sur le long terme. Cela permettra aussi à Larry Page et Sergey Brin de regrouper des activités de diversification, de les rendre indépendants, voire d’en arrêter – sans que Google soit (en théorie) associé à leurs décisions.
Cette réorganisation donne en outre l’impression que les deux cofondateurs de Google se lassent de la gestion quotidien et routinière du moteur de recherche et de ses recettes publicitaires. Cette scission n’est-elle pas aussi un signe que Google a atteint son apogée technologique et que les prochains relais de croissance se trouvent ailleurs que sur Internet proprement dit ? @

Hadopi : le cinéma français a eu raison d’Eric Walter

En fait. Le 29 août, Eric Walter – qui s’est fait licencié le 1er août de l’Hadopi, après en avoir été secrétaire général depuis mars 2010 – s’est exprimé pour la première fois (sur le site web de BFM TV) mais pas sur son éviction. Cependant,
il évoque brièvement « la polémique avec le milieu du cinéma ».

En clair. « Le seul lien avec la Hadopi [par rapport à son projet de site web créé en mémoire de l’Orchestre symphonique européen, ndlr] est la polémique avec le milieu
du cinéma. C’est ce qui a fait émerger cette histoire. Après ces controverses, j’ai compris que les représentants de ce secteur avaient l’impression que je m’exprimais
en défaveur de la création. Je me suis alors demandé si je n’avais pas fait un syndrome de Stockholm (1) en basculant dans le camp des internautes ou si j’avais toujours cette fibre passionnelle avec le monde artistique. C’est ce qui m’a amené à remonter dans
le temps pour voir d’où j’étais parti. Je me suis rendu compte que ce n’était pas un syndrome de Stockholm mais bien la fibre créatrice qui m’anime », a expliqué Eric Walter, à BFM Business. L’ex-secrétaire général de l’Hadopi a ainsi fait référence – pour la première fois depuis son éviction – à ses relations houleuses avec le cinéma français. Le sort de ce haut fonctionnaire n’a-t-il pas été scellé à partir de la présentation à ses collègues – dès 2012 – de son projet de « rémunération proportionnelle du partage des œuvres sur Internet » ? L’année suivante, en juin 2013, l’Hadopi a engagé l’analyse d’un tel système qui n’a pas manqué de rappeler aux ayants droits du cinéma français leurs mauvais souvenirs de la « licence globale » (accès aux œuvres contre une rémunération forfaitaire prélevée par les FAI) qui n’a jamais vu le jour.

Le torchon entre Eric Walter et les organisations du cinéma français (Blic, Bloc, ARP, UPF, …) s’est ensuite sérieusement mis à brûler lors de la publication – il y a tout juste un an – du rapport intermédiaire sur ces travaux engagés sur la rémunération proportionnelle du partage (2). A tel point que les ayants droits français du 7e Art ont adressé le 22 septembre 2014 à Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, une lettre courroucée dénonçant « [ce] que le secrétaire général de l’Hadopi appelle désormais “partage” », ainsi que ses propos dans les médias sur « une prétendue insuffisance de l’offre légale » (3). Nicolas Seydoux, président de Gaumont et de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), décidé à en découdre, s’en est alors plaint directement auprès de Fleur Pellerin le 8 octobre suivant. L’Hadopi s’est alors déchiré en interne (lire EM@ 111, p. 3). Eric Walter était licencié neuf mois après… @

Avec Delphine Ernotte Cunci comme présidente, France Télévisions va coûter plus cher aux Français

Présidente de France Télévisions depuis le 22 août, Delphine Ernotte Cunci – ancienne directrice exécutive d’Orange France – se dit favorable à une extension de la redevance audiovisuelle aux écrans numériques et souhaite d’avantage monétiser les contenus des cinq chaînes publiques, quitte à se lancer dans la SVOD.

Le mandat de cinq ans de Delphine Ernotte Cunci (photo)
à la présidence de France Télévisions devrait être marqué par l’élargissement de l’assiette de la redevance audiovisuelle – pour tenir compte de la consommation de
la télévision sur d’autres écrans numériques – et par la revalorisation de son montant. La ministre de la Culture
et de la Communication, Fleur Pellerin, a indiqué le 2 septembre sur France Info qu’« il n’est pas question de taxer les smartphones ou les tablettes » pour élargir l’assiette de la redevance, mais que son« extension aux boxes » des fournisseur d’accès à Internet (FAI) était « une option ».
Mais Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au Numérique, a dit à L’Opinion le lendemain qu’elle n’y était « pas tellement favorable ». Fleur Pellerin avait aussi évoqué le 27 août sur iTélé une éventuelle « légère augmentation » par rapport aux 136 euros actuels.
Le Premier ministre et le président de la République arbitreront « dans les prochains jours ». De son côté, la nouvelle présidente de France Télévisions s’est dite « favorable à une réforme de la redevance à l’allemande, en l’élargissant à d’autres supports ».
Elle l’a redit devant l’Association des journalistes médias (AJM) le 31 août : « On peut même ‘fiscaliser’ cette redevance en la faisant dépendre son montant du niveau de revenu pour une grande justice sociale, et pourquoi pas le prélever à la source »,
a poursuivi Delphine Ernotte Cunci.

Une redevance en hausse appliquée à tous les foyers ?
En 2013, notre voisin outre-Rhin a en effet réformé sa redevance en l’appliquant à tous les foyers fiscaux allemands quel que soit le nombre d’écrans utilisés. Et le montant de cette contribution a été fixé de façon forfaitaire à 17,98 euros par mois, soit près de 216 euros par an. C’est près de 60 % de plus qu’en France. La contribution à l’audiovisuel public (CAP), comme l’appelle Bercy, peut difficilement s’aligner sur le modèle allemand, car une hausse brutale serait contraire à la volonté du président de la République, François Hollande, de baisser la pression fiscale l’an prochain. Ce dernier n’avait-il pas prôné devant le CSA (1), le 2 octobre 2014, « une assiette plus large et plus juste (…) sans que ça ne coûte rien de plus à personne » ?

Rendre payants plus de contenus
Cependant, à l’occasion des prochains débats parlementaires prévus à l’automne sur
le projet de loi de Finances pour 2016, une nouvelle « légère » hausse de la redevance n’est pas à exclure – supérieure à l’indexation habituelle sur l’inflation. Ce fut déjà le cas pour cette année avec une augmentation de 2,2 % à 136 euros pour la France métropolitaine (2). Elle va rapporter à l’audiovisuel public 3,67 milliards d’euros en 2015. France Télévisions est le premier groupe audiovisuel public à en bénéficier, à hauteur de plus de 2,3 milliards d’euros – soit près de 65 % de cette manne fiscale (3).

Un élargissement de l’assiette de la redevance à tous les foyers français pourrait rapporter encore plus, dans la mesure où 3,3 % d’entre eux déclarent aujourd’hui ne pas posséder de téléviseur et échappent donc à la redevance. Delphine Ernotte Cunci n’est pas la première à la tête de la télévision publique à se dire favorable à l’élargissement de la redevance. Rémy Pflimlin, son prédécesseur, a milité pour à plusieurs reprises.
Le rapport sur l’avenir de France Télévisions, coordonné par Marc Schwartz (ex-directeur financier de France Télévisions) et remis en février à Fleur Pellerin, a recommandé au gouvernement « que l’élargissement de l’assiette de la contribution à l’audiovisuel public [CPA] soit mis en chantier dès maintenant, pour pouvoir être voté, dans la mesure du possible, dès le projet de loi de Finances pour 2016 ».

Ce que craint en fait Bercy, c’est une érosion à moyen terme de l’assiette de la CPA avec la jeune génération plus encline à regarder la télévision délinéarisée (à la demande ou en rattrapage) sur les seconds écrans numériques. Résultat, l’audience
de la télévision linéaire est en recul d’année en année : en juillet dernier, TF1 a réalisé le plus mauvais score d’audience depuis sa naissance en 1987. Si France Télévisions s’en tire mieux sur la même période, cela n’empêche pas les cinq chaînes publiques de suivre la tendance baissière : toutes chaînes confondues, la part d’audience du groupe est tombée à 28,8 % en 2014 contre 35 % en 2008.
C’est dans ce contexte que Delphine Ernotte Cunci a précisé le 24 août son projet de lancer en septembre 2016 une chaîne publique d’information en continu sur Internet, accessible sur les supports numériques (sans exclure une diffusion à terme sur la TNT). Lancer cette chaîne d’information gratuite, en partenariat avec son homologue Mathieu Gallet à Radio France, revient à faire d’une pierre deux coups : rajeunir l’audience en allant chercher les jeunes téléspectateurs là où ils se trouvent, et justifier implicitement la perspective que la redevance concerne aussi Internet.
Quoi qu’il en soit, c’est en contrepartie de la redevance audiovisuelle que les contribuables sont en droit de recevoir « gratuitement » les chaînes de télévision publiques. Mais pour Delphine Ernotte Cunci, cela n’est pas antinomique avec le fait
de faire payer certains services (4). Elle entend simplifier et renforcer la monétisation
de la vidéo à la demande (VOD). Le service Pluzz fut lancé dès 2010 pour proposer
les chaînes publiques en replay, puis la VOD payante à l’acte deux ans après.

Prochaine étape : la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) que le président sortant, Rémy Pflimlin, n’avait pas osé lancer au regard de la redevance (5). « Je n’ai aucun scrupule. Car la monétisation des contenus, c’est l’avenir. Ce n’est pas pour avoir plus d’argent – nous sommes pas une entreprise commerciale ; on ne cherche pas à faire des bénéfices – mais pour inscrire France Télévisions dans la durée, à dix ans, à quinze ans, et de maintenir son équilibre financier. [Les Français qui paient la redevance pourront s’abonner à un service de SVOD] : c’est leur choix ; personne n’oblique qui que ce soit à s’abonner à un service de SVOD », a répondu la présidente de France Télévisions devant l’AJM à la question de savoir si les Français n’aurait pas le sentiment de payer deux fois. Le rapport Schwartz, lui, la conforte dans cette voie en estimant que « France Télévisions pourrait aussi se poser la question de l’ouverture d’une plateforme de SVOD, comme l’a fait récemment le radiodiffuseur public canadien – cette réflexion devant certainement être menée en commun avec les autres sociétés de l’audiovisuel public ».

SVOD : négocier les droits
Les programmes jeunesse pourraient faire l’objet d’une première offre de SVOD, comme l’a laissé entendre Delphine Ernotte Cunci devant le CSA avant sa nomination le 23 avril : « Le catalogue vaste en programmes pour la jeunesse est une première piste à explorer. France Télévisions peut agir seule sur la [VOD] jeunesse, premier motif de visite sur Netflix ou CanalPlay ».
Devant l’AJM, cette fois, elle a aussi évoqué un possible service de SVOD axé sur le documentaire. Mais cela suppose dans tous les cas de négocier le partage des droits avec les producteurs, pour qu’une partie des ventes de SVOD revienne à France Télévisions (financeur et diffuseur de 50 % de la production audiovisuelle française). Cela permettrait, selon elle, de faire face à la concurrence de Netflix et demain Amazon et Google/YouTube. @

Charles de Laubier

Un an après son lancement en France, comment Netflix tire le marché de la SVOD

Grâce à Netflix présent en France depuis un an, le marché de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) commence à décoller et devrait atteindre 470 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018. Mais le numéro un américain s’arrogera les deux-tiers : pas très réjouissant pour les autres…

Reed HastingsSelon les prévisions du cabinet d’études NPA Conseil, Netflix devrait réaliser en 2018 environ 290 millions d’euros de chiffre d’affaires sur le marché français de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) qui atteindrait alors un total de 470 millions d’euros – contre 173 millions attendus cette année (voir graphique ci-dessous).
Pendant que la firme américaine dirigée par Reed Hastings (photo) se taillera la part du lion, soit les deux tiers du marché français, les autres services concurrents essaieront de tirer tant bien que mal leur épingle du jeu. CanalPlay devrait stagner au cours de ces trois prochaines années, après avoir atteint les 600.000 abonnés fin 2014 (700.000 revendiqués aujourd’hui).

Près de 1 million d’abonnés Netflix en France d’ici la fin de l’année
Le service de SVOD du groupe Canal+ serait ainsi en passe d’être dépassé par Netflix, lequel devrait atteindre en fin d’année : soit 600.000 abonnés (scénario pessimiste de NPA Conseil), soit 900.000 abonnés (scénario optimiste).
Si CanalPlay risque de stagner à moins de 1 million d’abonnés d’ici à 2018, le service américain devrait quant à lui afficher 1,1 million d’abonné (scénario pessimiste), voire 2,7 millions (scénario optimiste). Une des raisons de ce succès annoncé de ce nouvel entrant réside dans dans son catalogue qui, ayant démarré il y a un an en France avec seulement 3.598 programmes, dépasse maintenant en nombre ceux de tous ses concurrents : à fin juin, Netflix propose en France 10.848 programmes (dont 131 séries, parmi lesquelles 9 françaises), contre 9.136 programmes chez CanalPlay (dont 115 séries, parmi lesquelles 12 françaises), suivi de Jook Video avec 3.890 programmes (que AB Groupe a arrêté le 30 juin dernier (1) pour se concentrer sur des thématiques), TFou Max de TF1 avec 2.683, Club Video SFR de Numericable- SFR avec 1.876 programmes, Video Futur de Netgem avec 1.256 programmes, Pass M6 avec 992 programmes et Filmo TV du groupe Wild Bunch avec 445 programmes. Netflix se distingue aussi par ses créations originales : House of Cards, Orange is the New Black, Marco Polo, Daredevil, … Même si le service de SVOD aux 70 millions d’abonnés dans le monde, est en passe d’écraser tous ses concurrents français, il leur fait tout de même profiter de sa dynamique de développement. « La montée en puissance de Netflix devrait exercer un effet moteur sur l’ensemble du marché, et particulièrement pour les services qui se positionneront de façon alternative aux grandes plateformes généralistes (à l’exemple de TFou Max ou de Gulli Max sur le segment jeunesse, ou d’Afrostream dont le lancement interviendra à la rentrée) », prévoit NPA Conseil, pour qui la firme de Los Gatos fait preuve d’une « implantation solide et durable en France ». Netflix propose en outre à fin juin quelque 130 films français, dont un nombre significatif ont moins de 36 mois car ils sont sortis aux Etats-Unis. En France, la réglementation de la chronologie des médias interdit actuellement de commercialiser un nouveau film en SVOD avant 36 mois justement. Cette contrainte en vigueur depuis 2009 aurait pu être un obstacle au décollage de Netflix sur l’Hexagone : il n’en est rien, même si ce délai de trois ans est devenu anachronique à l’heure d’Internet. La reprise des négociations le 1er juillet dernier pour réformer cette chronologie des médias (2) obsolète pourrait aboutir à un passage de 36 mois à 30, 22, voire 21 mois (3). Ce serait un petit coup
de pouce pour rafraîchir un peu les catalogues de la SVOD en France. @

Charles de Laubier