Révision de la directive « SMA » : vers un rééquilibrage des obligations dans l’audiovisuel

En vue de la révision en 2016 de la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA), la Commission européenne mène une consultation publique jusqu’au 30 septembre sur les conséquences de la transformation numérique du paysage audiovisuel – notamment par les OTT.

Par Katia Duhamel, experte en droit et régulation des TICs, K. Duhamel Consulting

La consultation publique en cours (1) s’inscrit dans le droit fil de la consultation précédente sur le livre vert intitulé : « Se préparer à un monde audiovisuel totalement convergent : croissance, création et valeurs » (2). Ce qui a permis d’arrêter en 2013 les principaux enjeux du réexamen de
la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA), sur fond du débat récurrent sur les moyens de contrer la puissance des plateformes numériques américaines et leur stratégie d’optimisation réglementaire
et fiscale.

Vers une réglementation harmonisée
Les propositions d’attraire les OTT (Over-The-Top) sous le régime de la directive et de substituer au principe du pays d’origine (3) celui du pays du consommateur, si elles venaient à être adoptées, pourraient causer une vraie disruption dans le secteur numérique sans créer pour autant un cadre révolutionnaire pour les médias du XXIe siècle. La directive « SMA », adoptée le 18 décembre 2007 (4), est issue de la révision de la directive « Télévision sans frontières » (TVSF). Elle constitue le premier pas vers une règlementation harmonisée des services de médias audiovisuels indépendamment de la technologie et de la plateforme de distribution et de diffusion. Elle couvre donc l’ensemble de ces services sous réserve : qu’ils relèvent de la responsabilité éditoriale d’un fournisseur de services de médias, qu’ils aient pour objet principal la fourniture de programmes (au sein d’une grille ou d’un catalogue) dans le but d’informer, de divertir ou d’éduquer le grand public, et qu’ils soient mis à disposition via des réseaux de communications électroniques.
Sous cette ombrelle générale, la directive SMA distingue deux sous-catégories :
les « services linéaires » correspondent aux services classiques de radiodiffusion télévisuelle, alors que les « services non linéaires » concernent les services de vidéo à la demande (VOD ou catch up TV). Elle assujettit ensuite l’ensemble de ces services à un socle de règles communes concernant en particulier la prise en compte du principe du pays d’origine. Au-delà de ce socle, les services non linéaires sont soumis à une règlementation plus légère et moins prescriptive, notamment en termes d’obligations de contribution à la production audiovisuelle et cinématographique européenne. Enfin, cette directive ne s’applique pas aujourd’hui aux contenus hébergés par les plateformes de partage de vidéos et par les intermédiaires en ligne régis principalement par la directive sur le commerce électronique (5) en vertu de laquelle, dans certaines conditions, ils ne sont pas tenus responsables du contenu qu’ils transmettent, stockent ou hébergent.
Une des principales préoccupations de la Commission européenne concerne donc le maintien des conditions d’une concurrence équitable dans un monde sans frontières où prolifèrent les intermédiaires en ligne et se concentrent les échanges de contenus sur un nombre réduit de plateformes (autrement dit les OTT).
A ce titre, la consultation en cours envisage deux pistes : l’extension du champ d’application de la directive SMA aux fournisseurs proposant du contenu audiovisuel – qui ne peut être qualifié de « type télévisuel » – ou aux fournisseurs hébergeant du contenu généré par les utilisateurs, et la révision du principe du pays d’origine. De nombreux acteurs proposent des services directement concurrents de ceux des éditeurs de programmes audiovisuels classiques sans être eux-mêmes définis comme tels. Des plateformes comme Netflix, YouTube, Google Play Store ou l’iTunes Store d’Apple, pour ne citer qu’eux, recourent à des outils d’automatisation de l’organisation des contenus ainsi qu’à la délégation contractuelle de la responsabilité éditoriale auprès de tiers. Ce qui leur permet d’échapper à la qualification de service de média audiovisuel et à la réglementation associée.

Etendre la directive SMA aux OTT
Les pouvoirs publics, certains acteurs du marché français et des ayants droits s’indignent depuis longtemps déjà de ce qu’ils considèrent comme un déséquilibre réglementaire injustifié en termes d’obligations de production, d’exposition voire de déontologie, un déséquilibre qui est source d’avantages concurrentiels considérables
et indus pour lesdits OTT. L’extension du champ d’application de la directive SMA aux OTT est une des solutions proposée par la Commission européenne pour corriger ce déséquilibre mais elle propose également des alternatives moins radicales telles que, par exemple, la modification de la directive sur le commerce électronique complétée par des initiatives d’autorégulation et de corégulation. La Commission européenne propose aussi de renoncer au principe du pays d’origine. Elle distingue deux hypothèses :
la première consisterait à appliquer les dispositions de la directive SMA à tous les fournisseurs de services de medias audiovisuels établis hors de l’Union européenne (UE) qui s’adressent à des publics de l’UE ; la seconde à restreindre cette application
à ceux d’entre eux « dont la présence dans l’UE est significative en termes de part de marché/chiffre d’affaires ».

Renoncer au principe du pays d’origine
Dans les deux cas, la Commission européenne propose pour se faire d’exiger « de ces fournisseurs qu’ils s’enregistrent ou désignent un représentant dans un État membre (par exemple, le principal pays cible) ». Et d’ajouter : « Les règles de l’État membre d’enregistrement ou de représentation s’appliqueraient ». La seconde proposition pourrait avoir comme effet positif de permettre à de nouveaux services extra-européens d’émerger dans les conditions plus favorables de leurs aînés mais elle offrirait également des moyens de détournement. Par ailleurs, la mise en oeuvre du principe
du pays consommateur en substitution de celui du pays d’origine – en cours de mise
en oeuvre au niveau européen pour la TVA (voir encadré ci-contre) – suppose un changement complet de paradigme du droit qui peine à appréhender le caractère immatériel des facteurs de production et des échanges. Cela nécessitera un suivi régulier et systématique de l’activité des opérateurs économiques et une coopération sans faille entre les Etats membres.
Enfin, la subsistance des divergences qui ont déjà été observées dans la mise en oeuvre de la directive SMA (6), voire du déficit d’harmonisation fiscale au sein des Etats membres de l’UE, permettraient aux fournisseurs de services extra-européens de poursuivre leur stratégie d’optimisation réglementaire et fiscale en ciblant le pays de l’Union le plus laxiste en ces matières.
Une condition essentielle de l’efficacité des mesures envisagées dans le cadre de la révision de la directive SMA reste donc une meilleure harmonisation des règles applicables au niveau européen aux fins de créer un marché unique du numérique (7), au bénéfice des citoyens et des opérateurs économiques. La directive SMA comporte d’ores et déjà des règles destinées à protéger le consommateur (encadrement du placement de produits, du parrainage, de la publicité), les mineurs et les personnes handicapées et à interdire les discours haineux et les discriminations. Dans ces matières, la consultation publique pose essentiellement la question du maintien d’une régulation différentiée, c’est-à-dire plus légère pour les services à la demande. C’est notamment le cas pour la protection des mineurs dans le cadre de laquelle la directive ne prévoit pas de restriction concernant les programmes susceptibles d’être « préjudiciables » à l’épanouissement des mineurs pour ce qui concerne les services non linéaires – au contraire des services de radiodiffusion télévisuelle. Dans sa rédaction actuelle, la directive SMA vise en outre à promouvoir les œuvres européennes tout en laissant plus de latitude aux Etats membres – dans le cas des services à la demande – pour choisir diverses options, plus souples que les quotas imposés à la radiodiffusion télévisuelle. De fait, les différents Etats membres de l’UE ont mis en oeuvre des cadres très variables et plus ou moins prescriptifs. Pour autant, la consultation de la Commis-sion européenne envisage toutes les options : le statu quo, la suppression de toute règle visant à harmoniser au niveau de l’UE la promotion des œuvres européennes,
le choix donné aux fournisseurs de services de prendre des mesures de promotion des œuvres européennes ou de la manière dont elles sont mises en oeuvre, ou bien encore le renforcement des règles existantes.
Un tel renforcement pourrait passer par l’introduction de quotas supplémentaires pour les œuvres européennes non nationales et/ou pour les programmes européens de qualité, ou pour les coproductions. Voire par la fixation d’un pourcentage précis à réserver aux productions indépendantes récentes (8), ainsi que par une harmonisation plus poussée pour les services à la demande. En réalité, la question qui se pose également – mais qui n’est pas soulevée par la Commission européenne – concerne l’absence de contribution d’acteur comme Netflix, Amazon ou encore iTunes qui ne réinvestissent ni n’apportent aucune contribution financière dans du contenu européen. Alors que, par exemple, les deux premiers produisent des séries américaines en leur nom propre et les proposent moyennant paiement aux utilisateurs des pays européens ciblés. @

FOCUS

TVA du lieu de consommation : de 2015 à 2019
Concernant la TVA, la directive européenne du 12 février 2008 – qui substitue à la règle du pays d’origine celle du pays du consommateur (9), applicable en principe à partir 1er janvier 2015 – comporte pour les Etats membres de l’UE une période transitoire : la perception des ressources pour l’Etat où a lieu la prestation ne sera pleinement effective qu’à compter du 1er janvier 2019. Ainsi, l’Etat du prestataire conservera 30 % des recettes de TVA jusqu’au 31 décembre 2016 et 15 % jusqu’au 31 décembre 2018. Ce n’est qu’à partir du 1er janvier 2019 que l’Etat du consommateur percevra l’intégralité des recettes. @

Nonce Paolini, PDG du groupe TF1, va lancer des chaînes sur YouTube mais sous leur propre marque

Alors que TF1 fête ses 40 ans cette année, son PDG Nonce Paolini prend très au sérieux la concurrence que peut faire le Web à la télévision. Au point de se lancer enfin sur le marché des réseaux multi-chaînes (ou MCN) avec plusieurs projets sur YouTube, mais « pas sous la marque TF1 ».

Nonce PaoliniTF1 entre enfin dans la danse des MCN (Multi- Channel Networks), ces réseaux multichaînes diffusés sur les plateformes vidéo telles que YouTube ou Dailymotion, et capables de fédérer de larges audiences en ligne recherchées par les annonceurs publicitaires.
Après Canal+, M6 et même France Télévisions, la filiale du groupe Bouygues se lance à son tour dans la télévision sur Internet. « Puisque l’on sait faire de la télévision, on devrait être capable aussi de faire des MCN dont on parle beaucoup. TF1 y travaille, même si cela est encore un travail de laboratoire. Nous avons devant nous tout un espace de création absolument formidable », a dévoilé son PDG, Nonce Paolini, lors d’un dîner-débat sur « le bel avenir de la télévision », organisé au Sénat le 8 janvier dernier par le Club audiovisuel de Paris.

Des chaînes sur YouTube et un atelier d’écriture
« Aujourd’hui, nous travaillons sur un certains nombre de chaînes de ce type. Ce sont des projets, parfois très avancés », a-t-il poursuivi. TF1 a donc changé d’avis, n’éprouvant pas jusque-là la nécessité de diffuser des contenus sur les plateformes vidéo et estimant sa propre plateforme Wat.tv suffisante (1).
Contrairement à M6, Canal+ voire Fimalac qui ont procédé par acquisitions ou prises de participations, la démarche de TF1 dans les MCN se veut « moins institutionnelle » et plus orientée vers les capacités internes du groupe et des talents extérieurs. « Dans le cadre de la Fondation TF1, on a créé un atelier d’écriture pour de jeunes auteurs issus de la diversité. C’est aussi dans le domaine de l’expérimentation. On est très ouverts à des idées, avec en même une économie générale très tendue. (…) Il faut quand même dire qu’il n’y a pas d’économie sur YouTube, en tout cas pas celle conventionnelle que l’on connaît. Les coûts sont très bas. Mais cela n’empêche pas la qualité. Un certain nombre de stars du Web l’ont fait avec des moyens de fortune. C’est un champ d’exploration assez fort », a expliqué Nonce Paolini.
L’atelier d’écriture de la Fondation d’entreprise TF1, laquelle fut constituée en 2007 pour oeuvrer en faveur de la diversité et l’insertion professionnelle des jeunes « des quartiers sensibles » (2), est placé sous la houlette de Samira Djouadi (coordinatrice) et de Nathalie Laurent (directrice artistique de la fiction française chez TF1), en partenariat avec notamment Alain Pancrazi (PM production).

Hache de guerre enterrée avec YouTube
L’intérêt pour une chaîne de télévision de lancer son propre réseau multi-chaîne et de pouvoir ainsi monétiser des chaînes sur Internet avec la publicité vidéo en plein boom. Les annonceurs en quête d’audiences en ligne sont au rendez-vous. Il s’agit aussi de se situer entre les vidéos amateurs que l’on trouve sur YouTube ou Dailymotion et les programmes professionnels diffusés à l’antenne. « Nous ne nous lancerons certainement pas sur le MCN sous la marque TF1 qui reste une marque avec des programmes premium et qui s’adresse au plus grand nombre en faisant ce que j’appelle le “populaire chic”. Ce seront des chaînes avec leur propre personnalité, qui toucheront leur propre public, avec leur propre identité. Mais pas sous la marque TF1 », a-t-il tenu à préciser.
Ironie de l’histoire : le réseau des réseaux a quarante ans, la première chaîne française aussi (3)… TF1 voyait jusqu’à maintenant Internet comme un repère de pirates, ferraillant notamment en justice contre YouTube et Dailymotion – les accusant de contrefaçon. « N’oublions pas que YouTube et Dailymotion ont fondé leur modèle économique au départ sur le piratage. En fin d’année dernière, nous avons mis un terme aux procédures (judiciaires) qui se sont engagées en 2008 contre eux. Nous avons gagné : nous avons passé une transaction avec Google [maison mère de YouTube, ndlr] qui ne voulait pas un jugement défavorable et nous avons fait condamner Dailymotion [à payer 1,38 million d’euros à TFI pour piratage, ndlr] »,
s’est félicité celui qui fut nommé DG du groupe TF1 en mai 2007, puis PDG en août 2008. Le 14 novembre 2014, le groupe TF1 annonçait en effet que lui et YouTube
non seulement mettaient « fin au contentieux judiciaire qui les oppose depuis plusieurs années » mais aussi annonçaient « un partenariat relatif à la création par TF1 de chaînes et contenus originaux sur la plateforme ». Et le recours à la technologie Content ID de YouTube permettra à TF1 de protéger ses contenus vidéo contre le piratage. Selon nos informations, et contrairement à ce que laisse en entendre Nonce Paolini, c’est le groupe TF1 qui devait perdre son procès contre YouTube – à qui il réclamait 150 millions d’euros de dommages et intérêts.
Si la procédure en appel – initiée par TF1 – était allée jusqu’à son terme, il y a de grande chance que l’arrêt aurait confirmé le jugement prononcé le 29 mai 2012 par
le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, lequel a confirmé le statut d’hébergeur de la plateforme de partage vidéo de Google (4). La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (loi dite LCEN) prévoit en effet – depuis plus de dix ans maintenant – une responsabilité limitée des hébergeurs techniques, lesquels ne sont tenus responsables de piratage en ligne que si les contenus contrefaits leurs sont signalés par notification. Dans ce cas, ils sont obligés les retirer promptement. Or, le juge du TGI avait constaté que YouTube avait « systématiquement et avec diligence traité les notifications » qui lui ont été adressées par TF1. De plus, dès le 25 avril 2008, le géant du Web avait tendu la main à la chaîne du groupe Bouygues en lui proposant de recourir à sa technologie de reconnaissance de contenus, Content ID, afin d’empêcher la mise en ligne de copies non autorisées. Mais c’est seulement le
16 décembre 2011, soit plus de trois ans et demi après, que TF1 avait souscrit à Content ID de YouTube. C’est pour ne pas avoir suffisamment « promptement » retiré des contenus de la chaîne (des extraits d’un spectacle de Gad Elmaleh par exemple) que la plateforme Dailymotion a, elle, été condamnée par un arrêt de la Cour d’appel
de Paris du 2 décembre 2014 à payer 1,38 million d’euros à TFI pour piratage.

TF1 pour les vieux, le Web pour les jeunes !
Maintenant que TF1 a enterré la hache de guerre avec YouTube, l’année 2015 sera celle de sa conquête du Web et de la reconquête de jeunes téléspectateurs qui se détournent de plus en plus de la télévision linéaire. Mais Nonce Paolini, en observant ses trois filles (voir Zoom), s’inscrit en faux contre cette fatalité : « On nous explique que les jeunes ne regardent plus la télévision. C’est évidemment faux ! Les
15-24 ans la regardent. Mais depuis 2008, c’est une télévision qui petit à petit se consomme non seulement sur le grand écran avec des programmes linéaires mais aussi de façon délinéarisée ».
S’il admet que des jeunes ne regardent plus le petit écran et se rendent sur Internet,
il ne perçoit pas cela comme une concurrence à TF1 : « Bien sûr que les jeunes vont sur YouTube. Mais ils n’y vont pas pour regarder le premium de TF1, qu’ils peuvent cependant visionner soit en piratant en streaming, soit en regardant en direct, soit en délinéarisé… Sur YouTube, la consommation n’est pas celle de programmes de chaînes premium. C’est une consommation qui est de courte durée par rapport à
des programmes comme les nôtres. C’est un mode de consommation qui est aussi complémentaires ». TF1 entend continuer à séduire la jeune génération, laquelle est majoritaire sur des émissions telles The Voice, Danse avec les Stars ou encore Kolanta. Quant à Wat.tv, plateforme vidéo du groupe TF1, elle continuera d’exister
mais avec les contenus premium des chaînes. Selon Médiamétrie, la mesure d’audience de la vidéo sur Internet en France sur le mois de novembre 2014 (derniers relevé disponible en date), Google/YouTube est toujours largement en tête avec plus
de 29,2 millions de visiteurs uniques dans le mois pour 1,2 milliard de vidéos vues. TF1/Wat arrive en cinquième position (derrière Dailymotion, Facebook et Digiteka) avec plus de 9,2 millions de visiteurs uniques dans le mois pour 54,3 millions de vidéos vues. Où l’on constate que YouTube constitue une source d’audiences nouvelles pour TF1.

L’échec de M6 (Rising Star) : leçon pour TF1
Mais Nonce Paolini veut rester prudent avec le Web : « Lorsque l’on veut faire des réseaux sociaux l’objet principal d’une émission, c’est un désastre… Rising Star
[sur M6] n’était pas une émission mais des votes par réseaux sociaux et promesse
de “trombine” à la télé ! Cela n’a pas marché. C’était une expérience. Rising Star fut
un échec. Il y a bien eu beaucoup de votes sur le Web, mais ce n’est pas cela une émission. Donc le défi qui nous est lancé est celui de notre propre créativité, notre propre capacité à faire des événements, à imaginer des séries et des soirées ». TF1
est restée en 2014 la chaîne de télévision la plus regardée de France, réalisant 95
des 100 meilleurs résultats d’audiences et une part d’audience qui se maintient tant bien que mal sur l’année : 22,9, contre 14,1 pour France 2, 10,1 pour M6 et 9,4 pour France 3. @

Charles de Laubier

ZOOM

Le PDG de TF1 voit dans ses filles le futur de la télé !
« J’ai une fille de 35 ans (Marion), une de 24 ans (Raphaëlle) et une de 20 ans
(Emma) », a confié Nonce Paolini, PDG du groupe TF1 devant le Club audiovisuel
de Paris, le 8 janvier dernier.
« On voit bien qu’il y a des situations différentes. Et s’il y a un effet générationnel on regarde cela de très près : Marion, qui a été une folle de technologies, regarde maintenant la “téloche” avec son gamin… Raphaëlle, qui est une passionnée, regarde des [séries] avant moi … et je ne veux pas savoir comment elle fait : si la gendarmerie arrive, elle aura à répondre de ses actes ! [rires des convives]. Emma, c’est d’abord les réseaux sociaux et les relations avec sa communauté, avec sa fac, et dans sa coloc[ation] je ne lui ai pas mis de télévision (la durée d’écoute s’est, là, effondrée d’un coup !) ». Si cette génération-là est née avec le Web et consomme des contenus sous toutes ses formes et sur tous les supports, il est comme soulagé de voir le mode de consommation de sa fille aînée Marion changer : « Le grand avantage des jeunes,
c’est qu’ils vieillissent ! C’est vrai que lorsque l’on vieillit, on consomme plus de télévision linéaire. (…) C’est à nous de relever le défi et d’être capable d’être présent sur tous ces supports, quelques fois dans un scepticisme des producteurs vis-à-vis des programmes à imaginer spécifiquement pour le Web ». La télé doit se réinventer… @

FOCUS

La course aux réseaux multi-chaînes sur le Net bat son plein
RTL Group, la maison mère de M6, investit dans des MCN à travers des participations significatives ou des prises de contrôles telles que dans la société canadienne BroadbandTV, l’un des plus importants MCN sur YouTube, à hauteur de 51 % du
capital acquis en juin 2013, ou dans la société américaine StyleHaul, avec 22,3 %
en avril 2013, augmentée à près de 100 % en novembre 2014. Quant au groupe M6, fort de ses succès avec Golden Moustache (aussi connu sur le Web que Norman ou Cyprien), Rose Carpet et Minute Facile, il a lancé en novembre dernier une nouvelle chaîne YouTube avec Cover Garden. De son côté, Canal+ détient non seulement une participation minoritaire (5 %) dans Maker Studios – le géant américain des MCN, détenu par Disney – mais aussi a racheté en mars 2014 la start-up française Studio Bagel qui diffuse plus d’une vingtaine de chaînes sur YouTube. La chaîne cryptée
du groupe Vivendi avait auparavant lancé, en 2013, un réseau multi-chaîne baptisé CanalFactory avec une vingtaine de chaînes vidéo également.
Le groupe France Télévisions s’est lui aussi lancé dès janvier 2013 dans le MCN et compte aujourd’hui plus de 25 chaînes sur YouTube. Quant au groupe Webedia, détenu par Fimalac (la holding de Marc Ladreit de Lacharrière), il s’est offert en février 2014 un autre français du MCN : Melberries, diffusant ses chaînes sur YouTube, Dailymotion ou encore Wat.tv et Orange, propriétaire de Dailymotion. @

La TV connectée, qui n’en finit pas d’émerger en Europe, a-t-elle vraiment un avenir ?

Selon l’Observatoire européen de l’audiovisuel (OEA), l’offre de Smart TV laisse à désirer. Non seulement les consommateurs des Vingt-huit ne mettent pas la connexion à Internet en tête de leurs critères de choix lors de l’achat, mais en plus ils préfèrent utiliser les autres terminaux pour cela.

Susanne Nikoltchev

Susanne Nikoltchev, directrice de l’OEA.

« Les Smart TV sont-elles réellement smart ? C’est une question qui reste jusqu’à maintenant sans réponse, dans la mesure où les consommateurs ne recherchent pas en premier lieu la connectivité Internet, lorsqu’il décident d’acheter un nouveau téléviseur, les trois principaux critères de choix étant plutôt la taille de l’écran, le prix et la qualité de l’image », constate l’Observatoire européen de l’audiovisuel (OEA) dans son étude sur les marchés audiovisuels à la demande dans les Vingt-huit.
Et l’organisme de service public européen, composé de 40 Etats membres et de l’Union européenne, représentée par
la Commission européenne, d’ajouter : « Les consommateurs n’accèdent même pas aux contenus sur leur Smart TV, leur préférant leurs tablettes, leurs box Internet ou leurs ordinateurs comme principaux moyens de consulter en ligne ces contenus ».

2014 : point de basculement des ventes
La télévision connectée est-elle mort-née ? L’OEA, basé à Strasbourg au sein du Conseil de l’Europe, se le demande, tant les usages de la Smart TV sont très en deçà de l’offre de téléviseurs connectés. Selon Screen Digest (IHS), c’est justement au cours de cette année que devrait être atteint le point de basculement où les ventes mondiales de Smart TV dépasseront les autres téléviseurs (plus de 50 % des téléviseurs écoulés en 2014 sont connectables, contre 35 % en 2013, en attendant un taux de 65 % en 2016). Si la croissance de 15 % par an en moyenne est au rendez-vous, ce n’est pas
le cas pour les téléspectateurs connectés !
« Même si les clients consomment beaucoup de contenus à la demande, ces derniers sont surtout payés aux fournisseurs d’accès à Internet via leurs box, ou aux entreprises de matériels tels qu’Apple, Roku et Tivo (et bientôt Amazon, voire peut-être Intel) », souligne le rapport. Et si les cycles de remplacement sont maintenant de sept ans, au lieu de plus de huit ans auparavant, ce n’est pas grâce aux téléviseurs connectés mais plutôt au fait que les consommateurs changent leur vieux téléviseurs cathodiques pour des écrans plats ! La taille et la haute définition (HD) arrivent en tête des critères de choix, suivies du prix qui reste déterminant. Autant dire que les fabricants (Sony, Samsung, LG, Philips, Sharp, …) ne sont pas sur la même longueur d’ondes que les consommateurs : les premiers pensent que la connexion à Internet est un service premium sur lequel ils comptent pour accélérer le renouvellement des téléviseurs,
alors que les consommateurs ne voient pas ce plus comme aussi important. Ce peut d’engouement expliquerait qu’Apple hésite encore à fabriquer ses iTV, se contentant d’offrir le boîtier « Apple TV », et que Google ou Amazon s’en tiennent à des « dongle » (clé à brancher sur l’écran de télévision pour se connecter à Internet de son smartphone ou sa tablette), avec respectivement Chromecast et Fire TV. Orange prépare un tel « dongle » (1). Ce qui ne va pas sans créer une certaine confusion auprès des consommateurs sur les notions de téléviseurs connectés. S’agit-il d’une
« Connected TV » via une box, une console de jeux ou un « dongle » ? Ou est-ce
une Smart TV, c’est-à-dire intégrant dans sa conception la connexion Internet ?
Quoi qu’il en soit, ce que veulent les télénautes, c’est de pouvoir naviguer librement
sur le Web à partir de leur TV connectée pour trouver les contenus – principalement vidéo – correspondant à leurs goûts. Cela tombe bien car la tendance va dans le sens des Smart TV « contrôlées par les consommateurs », contrairement aux Smarts TV
« controlées par le fabricant ».

Mais l’Observatoire européen de l’audiovisuel (OEA), qui recense plus de 3.000 services audiovisuels à la demande (SMAd) établis dans l’ensemble des Vingt-huit
(voir encadré ci-dessous), n’a pas trouvé de données récentes sur l’état du marché
de la Smart TV en Europe. « Les chiffres sont soit contradictoires, soit ne sont pas actualisés. (…) Trouver des chiffres sur la vidéo à la demande pour Smart TV fut impossible », pointe le rapport. Bref, entre les consommateurs qui restent quasi indifférents aux fonctionnalités Smart TV, la confusion sur ce qu’est le téléviseur connecté et l’absence de chiffres récents ou cohérents, ce marché émergent est mal parti. A cela se rajoute la fragmentation des plateformes de Smart TV qui, selon l’étude de l’OEA, constitue « un des obstacles majeurs encore à lever » malgré les initiatives des industriels de s’allier (2) pour promouvoir un standard de développement d’applications TV commun. @

FOCUS

La catch up TV domine les SMAd
Sur les 3.088 services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) dans l’Union européenne, les services de télévision de rattrapage arrivent en tête (au nombre de
1 104), les chaînes diffusées Internet (711 répertoriées) et les services les services de VOD (409). Toutes catégories de SMAd confondues, le Royaume-Uni en compte 682, la France 434 et l’Allemagne 330. En outre, 223 services établis aux Etats-Unis ciblent un ou plusieurs pays européens. @

Giuseppe de Martino, Asic : « Les services de vidéos en ligne ne sont pas concernés par le conventionnement »

Le président de l’Association des services Internet communautaires (Asic), dont sont membres Google/YouTube, Facebook, Dailymotion, Yahoo, AOL, Spotify ou encore Deezer, tient à mettre les points sur les “i” pour dire que la régulation de l’audiovisuel n’est pas transposable à Internet.

Propos recueillis par Charles de Laubier

GdeMEdition Multimédi@ : La consultation Communication audiovisuelle et services culturels numériques de la DGMIC s’est achevée le 30 octobre. Sans attendre les résultats, la loi sur l’audiovisuel public qui va être promulguée prévoit aux articles 24 et 25 que tous les services de vidéo en ligne sur Internet (SMAd) devront être déclarés auprès du CSA : est-ce justifié et craignez-vous le conventionnement de ces services assorti d’obligations ?
Giuseppe de Martino :
Vous ne pouvez pas dire cela ! Les services de vidéo en ligne ne sont pas en soi des services de médias audiovisuels à la demande (SMAd). Des plates-formes comme YouTube et Dailymotion sont expressément exclues de la définition des SMAd, et ceci tant par la directive européenne « Services de médias audiovisuels » (1) et notamment son attendu n°16 que par la loi française elle-même. Relisez le texte !
Donc nous ne craignons rien, si ce n’est – pour les SMAd que nous ne représentons
pas – un formalisme inutile et freinant leur développement balbutiant.
On souhaiterait annihiler l’écosystème français et sa capacité à se développer que l’on
ne s’y prendrait pas autrement. Qui se souvient que la culture française est l’un de nos premiers secteurs d’exportation? En empêchant des acteurs français de se développer
et de pouvoir se battre à armes égales en Europe, on va tout simplement insérer des clous supplémentaires dans leur cercueil.

EM@ : Quels types de sites vidéo (YouTube, Dailymotion, Viadeo, presse en ligne, blogs, webradios, …) seraient concernés par le conventionnement des SMAd auprès du CSA ? Ce conventionnement, sur le mode « convention contre accès aux oeuvres », doit-il être volontaire ou obligatoire ? Craignez-vous la régulation du Net par le CSA ? Y a-t-il risque pour les droits fondamentaux ?
G. de M. : Nous, plates-formes de vidéos sur Internet, ne sommes pas concernés. Après, il est vrai que le parlement a souhaité soumettre une centaine de SMAd – incluant, principalement, la presse en ligne – à une déclaration auprès du CSA sous peine de sanction pénale. Cela est sans doute regrettable. surtout que ces médias, ayant jusqu’alors une liberté de ton et d’opinion, devront, notamment à l’occasion des prochaines élections municipales, respecter les règles rigides créées pour la télévision. A l’heure où la vidéo est devenue accessible à tous, le numérique offrant une vaste diversité, est-ce qu’il y a encore un intérêt à vouloir réguler ces expressions politiques ? Et de notre côté, est-ce que nous craignons le CSA ?
Pas du tout ! Nous avons un dialogue constructif avec la nouvelle équipe et nous maintenons notre position habituelle : la régulation de l’audiovisuel, contrepartie de l’attribution de fréquences, ressources rares, n’est en aucun cas transposable à Internet. Les seuls pays qui régulent Internet sont des dictatures. Donc, la France est a priori épargnée.

EM@ : Depuis le rapport Lescure et les déclarations du président du CSA, Olivier Schrameck, la question de la redéfinition juridique du statut d’hébergeur (aux obligations limitées) et du statut d’éditeur (aux obligations renforcées) est plus
que jamais posée. Est-il envisageable de cerner et d’isoler l’activité éditoriale des plates-formes vidéo ?
G. de M. :
La question de la redéfinition juridique de l’hébergeur, alors même que ce statut est sanctifié par la Cour de cassation et par la réglementation européenne, n’est soulevée que par les lobbyistes de l’industrie culturelle française. Et ce, alors même que les membres de leurs syndicats, ceux qui évoluent dans la « vraie » vie, dans la vie économique, travaillent déjà avec nous. Arrêtons donc de donner de l’importance à
ces vagissements stériles. Les chiens aboient et la caravane passe…

EM@ : Le gouvernement étudie à responsabiliser davantage les intermédiaires techniques _ hébergeurs, financiers, publicitaires, … _ dans la lutte contre le piratage. L’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit déjà que
« toute personne » puisse y contribuer comme dans l’affaire AlloStreaming : le gouvernement doit-il suivre les rapports de Mireille Imbert Quaretta (2) et de
Pierre Lescure (3) à ce sujet ?
G. de M. :
Il faut arrêter de penser comme si le village des irréductibles Gaulois existait vraiment : toute réflexion doit être européenne, voire mondiale. Les initiatives locales sont condamnées à échouer misérablement. On peut juste s’étonner que Bruxelles travaille activement sur la question de l’amélioration des procédures de notification ou sur la lutte contre la contrefaçon commerciale, et qu’elle ne trouve aucun soutien de la part du gouvernement français. A la place, depuis plus de dix-huit mois, plus d’une dizaine de rapports ont été demandés, sur quasiment tous les sujets traités par Pierre Lescure. A l’heure du numérique, peut-être serait-il utile d’arrêter d’abattre des arbres pour imprimer des rapports. Ce n’est pas en les abattant qu’on découvrira ce que cache la forêt. C’est en ouvrant les yeux !

EM@ : Le projet de loi Egalité femmes-hommes prévoit l’extension à de
« nombreuses infractions » de l’obligation de signalement imposée aux acteurs
et intermédiaires de l’Internet. Pourquoi l’Asic a-t-elle tiré la sonnette d’alarme
le 27 septembre dernier ?
G. de M. :
A l’occasion de son examen, le Sénat a imposé, à l’article 17, de nouvelles obligations de signalement pesant sur l’ensemble des acteurs d’Internet. Alors que cette obligation était – pour des raisons d’efficacité – circonscrite aux infractions les plus graves, les sénateurs ont souhaité étendre la mesure à de nombreuses infractions et
vont remettre en cause son équilibre. Pour l’Asic, cette mesure est contre-productive et dangereuse à plus d’un titre. Elle va aboutir à envoyer un très grand nombre de signalement aux services de police et en particulier à la plate-forme de signalement de l’OCLCTIC (4), dite « Pharos ». En effet, les intermédiaires d’Internet n’ont aujourd’hui
pas les pouvoirs, ni la légitimité, de juger si un contenu relève ou non d’un des cas de discrimination visé par cet article 17.
Le principe de précaution aboutira donc à adresser toutes ces notifications aux autorités répressives. Si l’ensemble des membres de l’Asic pense que la lutte contre les discriminations est importante, il est regrettable de constater qu’aucun moyen humain supplémentaire n’a été octroyé à ces services pour les prochaines années.

EM@ : Pourquoi craignez-vous que cela n’engorge la plate-forme policière de signalements ?
G. de M. :
Imaginez, Pharos c’est aujourd’hui uniquement 10 policiers et gendarmes qui ont dû traiter en 2012 près de 120.000 signalements. De manière pratique, chaque agent se doit donc d’analyser un signalement toutes les 5 minutes ? Comment voulez-vous que l’on ait un traitement satisfaisant ! Avec cette nouvelle loi, nous allons assister à une situation effrayante où les contenus les plus ignobles, des propos ouvertement haineux ou révisionnistes et des comportements dangereux pour la sécurité intérieure, seront noyés parmi les signalements reçus par les autorités. Avec un tel article adopté, sans aucun moyen – important et sans précédent – offert aux services de police et de gendarmerie, nous risquons de laisser certains crimes se commettre. Nous sommes étonnés que ni les parlementaires, ni le gouvernement n’aient fourni des garanties permettant de s’assurer que les autorités auront les moyens de gérer efficacement ces nouvelles obligations. Aucune étude d’impact ne semble avoir été réalisée. @

Libre-échange US-UE : les Vingt-sept trouvent un compromis sur les services audiovisuels

Le 14 juin 2013, le Conseil européen a trouvé un compromis – avec notamment
la France – autour de la question des services audiovisuels qui, dans l’immédiat,
ne seront pas « négociés » dans le cadre du futur accord de libre-échange transatlantique mais « discutés » avec les Etats-Unis.

En ce qui concerne les services audiovisuels, ce qui vraiment en jeu dans ce secteur
est la révolution numérique de l’environnement médiatique. Mais il n’existe actuellement pas de législation de l’Union européenne sur les médias numériques. La Commission européenne a récemment invité toutes les parties intéressées à faire [jusqu’au 31 août 2013, ndlr] des remarques sur le livre vert (1) consacré à cette question. Donc, nous ne voulons pas le traiter maintenant, mais revenir sur la question à un stade ultérieur », a déclaré Karel De Gucht, le commissaire européen en charge du Commerce, à l’issue du compromis trouvé tard le soir du 14 juin par le Conseil de l’Union européenne réunissant les vingt-sept ministres du Commerce.

Négocier sans, mais discuter avec
Alors que la France se réjouissait aussitôt à l’unisson – de l’extrême-droite à toute la gauche, en passant par le gouvernement – de « l’exclusion des services audiovisuels
et culturels » de ces négociations historiques, Karel De Gucht a tenu à préciser :
« Laissez-moi être clair : il ne s’agit pas d’une exclusion (carve-out). Les services audiovisuels ne sont pas actuellement dans le mandat, mais celui-ci indique clairement que la Commission européenne a la possibilité de revenir par la suite devant le Conseil avec des directives de négociation supplémentaires sur la base d’une discussion avec nos partenaires américains ». Ce qu’a approuvé le 20 juin l’ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’UE et ancien président de la FCC, William Kennard : « Il n’est pas tout à fait exact de dire que c’est une exclusion complète, c’est plus une réserve ». De quoi faire déchanter les plus intransigeants de « l’exception culturelle », dont la France qui
a brandi jusqu’au bout son « droit de veto » avant le compromis trouvé après plus de douze heures de débats à Luxembourg. « Nous sommes prêts à discuter avec [les Etats-Unis] et à écouter leur avis sur cette question. C’est à ce moment-là que nous en viendrons à la conclusion de savoir si nous demandons des directives de négociation supplémentaires », a ajouté Karel De Gucht. Ce qui revient in fine à mettre tout sur la table, comme le souhaitait par exemple la Grande-Bretagne (2) ou comme l’a exprimé l’Italie. Les inquiétudes soulevées par ce compromis ont ensuite laissé place à la polémique déclenchée par le qualificatif de « réactionnaire » employé par José Manuel Barroso, président de la Commission, dans l’International Herald Tribune du 17 juin, pour désigner ceux qui veulent exclure les services audiovisuels des négociations.
« Cela s’inscrit dans le cadre d’une vision anti-mondialisation que je considère complètement réactionnaire », a-t-il lancé, provoquant l’ire de la France. Reste que les enjeux de la plus vaste zone de libre-échange au monde (40 % du commerce mondial) sont colossaux pour les services audiovisuels et les industries culturelles (musiques, films, séries télévisées, programmes, jeux vidéo, livres, etc). En discuter – voire à terme négocier – avec les Etats-Unis permettrait de parvenir à un rééquilibrage « culturel » en faveur du Vieux Continent. Car aujourd’hui, dans l’audiovisuel, les Etats-Unis exportent plus vers l’Europe qu’ils n’importent (3). Et à l’heure de l’Internet sans frontières et de la circulation numérique accrue des œuvres,  il serait surprenant que les services audiovisuels soient définitivement écartés de ces échanges commerciaux. Cela priverait la diversité culturelle européenne de nouvelles opportunités pour faire vraiment rayonner ses œuvres audiovisuelles outre-Atlantique, dans des conditions négociées, non discriminatoires et régulées (4). Ce « Buy Transtantic Act » serait aussi une chance pour les services émergents que sont les plates-formes de vidéo à la demande (VOD), de musique en ligne ou de jeux vidéo, mais aussi pour la télévision en ligne et tous autres services de médias audiovisuels à la demande (SMAd). Avancer
« l’exception culturelle » pour préserver en l’état des niveaux élevés de subventions,
des quotas de diffusion (5), ou encore d’obligations de financement, revient à se replier derrière une ligne Maginot culturelle intenable à l’heure d’Internet et de la mondialisation (6).

Confiance dans le négociateur européen
L’inflexibilité de la France a démontré un manque de confiance, comme l’a souligné
Marc Tessier, président du Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sevad) et administrateur de Videofutur, lors des Assises de l’audiovisuel le 5 juin dernier : « Une
des raisons pour lesquelles nous avons cette position sur l’exception culturelle dans
les négociations de l’accord de libre-échange, c’est tout simplement que l’on n’ a pas confiance dans le négociateur européen. Cela fait des années que cela dure. Et pourtant, la plupart des solutions que l’on peut imaginer ne peuvent se concevoir que dans le cadre européen, aussi bien les codes des usages que les évolutions des règles de la concurrence, ou même des règles d’arbitrage en cas de différends ». L’auditoire l’a applaudit. @

Charles de Laubier