Droits de diffusion, chronologie des médias, statut d’hébergeur, conventionnement : les SMAd en question

Malgré une législation aménagée par rapport à celle applicable aux services linéaires, les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) peinent
à trouver leur place. Le CSA et la Commission européenne veulent favoriser
leur développement, le rapport Lescure livrant quelques pistes.

Par Christophe Clarenc (photo), associé, et Renaud Christol, counsel, August & Debouzy

Depuis l’adoption de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (1) (SMA) en 2007, dont les dispositions ont été transposées en droit français par une loi de 2009 (2) et complétées par le décret de 2010
sur les services de médias audiovisuels à la demande (3) (SMAd), les éditeurs de ces services en ligne – principalement vidéo à la demande (VOD) et télévision
de rattrapage (catch up TV) – bénéficient d’une réglementation propre. Leur développement est d’ailleurs présenté comme la réponse la plus appropriée au problème du téléchargement illégal, depuis que « l’échec de l’Hadopi » est – à tort ou à raison – une opinion généralement répandue.

Des barrières dressées par les chaînes
Après quatre ans d’application, force est de reconnaître que ces dispositions n’ont pas pleinement atteint leur objectif. Dans ce contexte, les initiatives se multiplient pour que l’essor des SMAd soit enfin significatif et durable. Ainsi, le CSA et la Commission européenne viennent chacun de publier, à quelques jours d’intervalle, une consultation publique portant, respectivement, sur l’application du décret SMAd (4) et sur un livre vert consacré à la convergence des services de radiodiffusion traditionnels et d’Internet (5). Tandis que le rapport Lescure, qui a été remis le 13 mai dernier au gouvernement dans le cadre de la mission « Acte II de l’exception culturelle », identifie certains freins au développement des SMAd nationaux.
Ce rapport Lescure estime, tout d’abord, que les éditeurs de services linéaires, en l’occurrence les chaînes de télévision, contraignent les éditeurs de SMAd, que sont
les services de VOD notamment, par des pratiques contractuelles qu’ils imposent aux détenteurs de droits cinématographiques grâce à leur pouvoir de négociation. La pratique présentée comme la plus problématique est celle du « gel des droits », par laquelle les éditeurs de services linéaires s’assurent qu’ils bénéficient de l’exclusivité de diffusion d’un film, pendant toute la durée du contrat, et non pas seulement pendant la période de diffusion télévisuelle du film (cette dernière exclusivité résulte de la version actuelle de la chronologie des médias). Ce faisant, l’éditeur de service linéaire s’assure qu’aucun SMAd (sauf éventuellement celui qu’il édite par ailleurs) ne pourra diffuser le film. Cette pratique est en contradiction avec le principe d’absence d’exclusivité qui prévaut en matière de commercialisation de droits non linéaires pour les films, principe garanti par les injonctions prononcées, en juillet 2012, par l’Autorité de la concurrence dans l’affaire Canal+/TPS (6). Surtout, elle restreint considérablement l’offre de films (nouveautés ou films de catalogue) sur les SMAd et détourne par conséquent les consommateurs de ces services, au profit principalement de l’offre illégale. Le rapport Lescure propose par conséquent une interdiction du gel des droits ou, en seconde hypothèse, une limitation de son champ d’application à la seule fenêtre de diffusion télévisuelle, dans laquelle l’éditeur de services linéaires est actif.
Le rapport pointe ensuite les désavantages des SMAd nationaux par rapport aux trois sources de concurrence identifiées : l’offre illégale, les hébergeurs et les opérateurs étrangers.
• S’agissant de l’offre illégale, il ne peut que constater qu’elle présente de nombreux avantages pour le consommateur : elle est gratuite, quasiment exhaustive et immédiatement accessible. Afin de pouvoir lutter à armes égales, le rapport Lescure propose – s’appropriant ainsi les demandes récurrentes des éditeurs de SMAd – de modifier la chronologie des médias.

Promouvoir les SMAd nationaux
La VOD, qui n’est actuellement possible que 4 mois après la sortie en salles, pourrait être disponible 3 mois après (soit pour l’ensemble des offreurs, soit seulement pour ceux ayant pris des engagements volontaires dans le cadre d’un dispositif de conventionnement).
La fenêtre de SVOD (VOD par abonnement) serait, quant à elle, avancée de 36 à 18 mois pour l’ensemble des films, soit juste après la première fenêtre de télévision payante.
Selon le rapport, cela permettrait de maintenir, au profit des chaînes de télévision payante, une fenêtre d’exclusivité de huit mois suffisante pour amortir leurs investissements et préserver leur attractivité. En contrepartie, il propose que les services de SVOD qui souhaitent proposer des films dès 18 mois après leur sortie en salle, soient tenus de prendre des engagements en termes de contribution à la production du cinéma français, conformément au décret SMAd.

Hébergeurs et éditeurs : discriminations ?
• S’agissant des hébergeurs de plateformes de vidéo communautaires généralistes (7), le rapport Lescure relève que ces opérateurs bénéficient en France d’un statut particulier, notamment en matière de responsabilité (8). Et grâce à leur puissance commerciale, ils disposent d’un véritable pouvoir de négociation vis-à-vis des détenteurs de droits. Au surplus, ils ne sont soumis à aucune obligation en matière de contribution au financement du cinéma français – situation d’ailleurs combattue par le CSA (9). Or, les services proposés sur leurs plateformes sont de plus en plus regardés comme substituables avec les SMAd par les consommateurs : il est possible de regarder certains films sur Dailymotion ou YouTube et cette dernière a même lancé récemment de véritables « chaînes thématiques » disponibles à la demande. Dans ce contexte, le rapport propose (10) une saisine de l’Autorité de la concurrence, vraisemblablement une saisine pour avis qui pourrait donner lieu à une enquête sectorielle. Un tel examen du secteur pourrait permettre de contrôler les éventuelles discriminations pratiquées par les titulaires de droits, dans l’application de leurs conditions commerciales aux éditeurs et aux hébergeurs.
• S’agissant des opérateurs étrangers, les fameux « géants de l’Internet » qui sont agités par de nombreux opérateurs du secteur télévisuel comme des épouvantails, ils sont soumis à la législation de leur pays d’établissement. La directive SMA prévoit, en effet, que la législation applicable aux éditeurs de SMAd soit celle de leur pays d’origine, dans lequel ils sont établis, et non celle du ou des pays dans le(s)quel(s) le service est proposé. Même si cette règle avait un objectif vertueux (permettre à des éditeurs de SMAd de diffuser dans de nombreux pays de l’Union sans avoir à adapter leur pratique et leurs outils à chaque pays de diffusion), elle s’avère avoir des effets négatifs certains pour les éditeurs de SMAd localisés en France. Les éditeurs de SMAd étrangers bénéficient,
la plupart du temps, d’une fiscalité avantageuse par rapport à celle applicable en France. Surtout, ils échappent aux obligations de financement du cinéma français qui pèsent sur les éditeurs de SMAd établis en France, en application du décret SMAd. Enfin, ces services étrangers ne sont pas soumis à la chronologie des médias.
Le délai entre la sortie en salle et le moment où ils pourront proposer les films sur
leur plateforme, dépend donc exclusivement de leur pouvoir de négociation avec les détenteurs de droits. En d’autres termes, les éditeurs de SMAd établis en France sont pénalisés. Jusqu’à présent, la menace représentée par ces opérateurs pouvait apparaître théorique. Or, comme le souligne le rapport Lescure, il est déjà possible d’accéder, depuis la France, à des SMAd en principe destinés à des publics étrangers (tel que Lovefilm d’Amazon, implanté au Royaume-Uni), en utilisant des dispositifs comme les réseaux privés virtuels (en attendant le lancement imminent en France des offres de Netflix et Lovefilm).
Le rapport propose de modifier la directive SMA, afin de mettre en place la règle du pays de destination du service et d’instaurer, par ailleurs, un mécanisme de conventionnement de l’ensemble des éditeurs de SMAd, quelle que soit leur localisation, dès lors qu’ils sont actifs en France. Ce conventionnement serait, dans son principe, analogue à celui qui existe pour les chaînes linéaires, mais contiendrait des obligations allégées. Il est fort probable que ce conventionnement soit utilisé pour traiter la délicate question de la participation des SMAd, français et étrangers, au financement du cinéma français et que la règle finalement retenue ne soit pas de nature à défavoriser les opérateurs localisés
en France.
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres
La route risque d’être encore longue. On se souvient que la modification de la chronologie des médias, intervenue en 2009, avait fait l’objet de très nombreuses discussions et une nouvelle modification serait sans doute soumise à un processus analogue. Par ailleurs, les discriminations ne sont répréhensibles en droit de la concurrence, que si elles résultent d’une entente anticoncurrentielle ou d’un abus de position dominante. Enfin, la Commission européenne est réputée très attachée au maintien du principe du pays d’origine, et l’on peut s’interroger sur l’efficacité d’un conventionnement (couplant engagements et avantages) des opérateurs qui ne sont pas localisés en France et qui offrent leurs services par Internet. @

Neelie Kroes, Commission européenne : « Avec la convergence, l’audiovisuel n’a plus besoin d’autant de régulation »

La vice-présidente de la Commission européenne, en charge de l’Agenda numérique, nous explique la raison d’un nouveau livre vert sur l’audiovisuel
et la télévision connectée, et dit ce qu’elle attend de la consultation publique.
Des décisions seront prises dès 2014 pour prendre en compte la convergence.

Propos recueillis par Charles de Laubier

NKEdition Multimédi@ : La Commission européenne lance
une consultation publique sur la convergence audiovisuelle.
En juillet 2011, elle mettait en route un précédent livre vert sur l’audiovisuel en ligne. En mars 2012, elle initiait une consultation publique sur les aides d’Etat au cinéma à l’heure de la VOD : ces sujets ne sont-ils pas liés et quand prendrez-vous des mesures ?

Neelie Kroes : Le livre vert de 2011 sur la distribution en ligne
d’œuvres audiovisuelles dans l’Union européenne (sous-titré
« Vers un marché unique du numérique : possibilités et obstacles ») portait sur le copyright et les droits de retransmission, dont les résultats devraient être publiés cette année.
En décembre 2012, la Commission européenne a réaffirmé ses engagements pour travailler à un cadre moderne du droit d’auteur dans l’économie du numérique. Il s’agit
de mener deux types d’actions parallèles : instaurer en 2013 un dialogue des parties prenantes et achever des études de marchés, des évaluations d’impact et des travaux d’élaboration juridique, en vue d’une décision en 2014 en fonction des propositions de réforme législative qui seront sur la table.
Le livre vert que nous avons adopté le 24 avril dernier concerne la convergence audiovisuelle mais pas le droit d’auteur ni les aides d’Etat au cinéma. Les travaux
sur ces différents sujets sont donc complémentaires.

« La convergence dans le secteur audiovisuel apporte
des opportunités pour tous les acteurs du marché.
(…) Face à d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles,
la Commission européenne pourra intervenir. »

EM@ : La TV connectée bouscule les paysages audiovisuels historiques nationaux et abolit les frontières entre Internet et la télévision : soumettre les nouveaux acteurs OTT aux mêmes exigences réglementaires (diversité, protection des enfants, publicité, …) que les chaînes nationales ne reviendrait-il pas à réguler Internet, ce qui semble impossible car mondial ?
N. K. : La directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) s’applique aux fournisseurs de services média, dont ceux distribuant des contenus sur Internet. Tant qu’un fournisseur a la responsabilité du choix du contenu et détermine la manière dont il est organisé, il tombe sous la juridiction de la directive SMA et doit respecter les règles audiovisuelles de l’Union européenne. Cette directive traite les services linéaires (les émissions de télévision) et ceux non-linéaires (les services à la demande) de différentes façons.
Le raisonnement est le suivant : puisque les consommateurs ont de plus en plus de choix et un contrôle plus grand sur ce qu’ils voient sur les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd), il y a un besoin moindre de régulation dans les services à la demande. Cependant, la convergence et la TV connectée brouillent les lignes. Les consommateurs peuvent parfois avoir beaucoup de mal à faire la différence entre le linaire et le non-linéaire. Le livre vert sur « un monde audiovisuel totalement convergeant » cherche à savoir, et en demande la preuve, si le traitement différencié actuel ne provoque pas des distorsions de concurrence sur le marché de l’audiovisuel.

EM@ : Les fabricants de téléviseurs (Samsung, Toshiba, Philips, …) veulent
eux aussi conquérir l’écran de télévision et proposer des bouquets audiovisuels, mais ils sont confrontés aux éditeurs de chaînes de télévision qui veulent garder
– avec l’aide des ISP et de leur box IPTV – le contrôle de l’écran : les chaînes et les box IPTV sont-elles des freins à la concurrence ?
N. K. :
La convergence dans le secteur audiovisuel apporte des opportunités pour
tous les acteurs du marché. Pour les fabricants d’équipement et les développeurs technologiques, c’est l’occasion d’appréhender un marché en croissance avec des terminaux innovants, y compris avec des interfaces conviviales et des solutions d’accessibilité. Les opérateurs de réseau verront une demande accrue de bande passante avec un impact positif sur les investissements dans le très haut débit. Les créateurs de contenus peuvent trouver de nouvelles façons de maximiser leur audience, monétiser leurs œuvres et expériences avec des façons créatives de produire et de proposer les contenus. Les producteurs audiovisuels peuvent trouver plus de plates-formes pour distribuer leurs contenus et améliorer leurs offres interactives. Si certains facteurs gênent les possibilités de profiter de ces opportunités, alors nous espérons
en avoir un feedback durant la consultation publique.
Autrement, face à d’éventuelles pratiques anti-concurrentielles, la Commission européenne pourra intervenir, au besoin, en faisant usage des compétences que le
Traité de l’UE lui confère en matière de politique de la concurrence.

EM@ : Le 14 juin, le Conseil de l’Union européenne doit examiner le projet de mandat de négociation que la Commission européenne a adopté le 12 mars pour
un accord de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis : faut-il vraiment en exclure, comme le demande la France, les services audiovisuels, alors que l’audiovisuel en ligne s’affranchit des frontières ?
N. K. :
La culture n’est pas une marchandise, loin de là. Elle bénéficie d’un statut spécial dans la loi de l’Union européenne. La Commission est garante de ce principe et est même légalement obligée de défendre ce statut, conformément aux Traités européens. L’Europe ne mettra pas son exception culturelle en danger par des négociations commerciales.
Je suis d’accord avec les commentaires récents de mon collègue Karel De Gucht [commissaire européen en charge du Commerce, dans « L’exception culturelle ne sera pas négociée ! », le 22 avril (lire page suivante), ndlr].

EM@ : Le retard pris dans la révision de la directive IPRED sur les droits de propriété intellectuelle n’est-il pas un frein au développement de l’audiovisuel
en ligne sur le « marché unique numérique » que vous souhaitez rapidement ? Comment la chronologie des médias, qui accorde une exclusivité de plusieurs
mois à la salle au détriment de la VOD, doit-elle être réformée ?
N. K. :
La Commission européenne avait pris la décision d’ouvrir la procédure de la consultation publique pendant quatre mois, afin de permettre aux différents acteurs de donner leurs avis dans ce domaine qui est très sensible d’un point de vue politique. La décision sur l’éventuelle révision de la directive IPRED requiert une réflexion approfondie de la part du législateur européen. Quant à la question des fenêtres de diffusion dans
la chronologie des médias, elle est toujours en réflexion en interne à la Commission européenne et n’est donc pas explicitement reprise dans le livre vert. Cependant, nous sommes conscients qu’il y a différentes voix dans l’industrie. Par exemple, à la table ronde « Financement et distribution de films européens sur le marché numérique
européen : distribution transfrontalière et chronologie des médias » qui s’est tenue à Cannes le 9 octobre 2012 [à l’occasion du Mipcom, ndlr], plusieurs participants ont mentionné que le maintien rigide de l’actuel système de « fenêtrage » met l’innovation
en danger, et ils ont apporté leur soutien à des expérimentations de sorties simultanées
ou quasisimultanées de films – en salle de cinéma et en vidéo à la demande (VOD) –
qui ont lieu dans quelques pays. Avec ma collègue Androulla Vassiliou [commissaire européenne en charge Education et Culture, ndlr], nous avons pris ce jour-là une position communication. @

 

Dailymotion, victime de l’ « exception culturelle française »

En fait. Le 2 mai, la polémique a continué à enfler après qu’Arnaud Montebourg ait dit « non » à Yahoo qui voulait racheter à France Télécom 75 % de Dailymotion au lieu de 50 % proposés par le ministre du Redressement productif. Du coup, Yahoo aurait renoncé à s’emparer du concurrent français de YouTube.

Par Charles de Laubier

En clair. Alors que l’Internet accélère l’abolition des frontières à l’heure de la mondialisation, comment expliquer que l’Etat français puisse empêcher la multinationale France Télécom de céder la majeure partie du capital de sa filiale Dailymotion à une autre entreprise mondiale qu’est Yahoo ?
Alors que par ailleurs la France défend bec et ongles son « exception culturelle » pour mieux exclure les services audiovisuels et culturels des négociations pour un accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne (1), voici que l’Hexagone entonne un deuxième hymne national qu’est le « patriotisme économique » pour instaurer un protectionnisme dans les services audiovisuels également.

Ligne Maginot culturelle et économique ?
Cet interventionnisme culturel et économique d’Etat à tout-va risque de desservir l’Etat lui-même et galvauder ses pouvoirs régaliens. D’autant que dans l’affaire d’Etat « Dailymotion », « le patriotisme économique français est une ligne Maginot intenable à l’ère d’Internet », pour plagier le titre d’une tribune de l’auteur publiée par Le Monde le 22 mars (2), où il est question de l’« exception culturelle française ».
Dans ce protectionnisme qui se le dispute au nationalisme, la France se replie sur soi, alors que les frontières tombent les unes après les autres au profit d’un monde plus ouvert et numérique. Le Village global est là.
Pourquoi ne pas avoir alors empêché en 2010 le rachat de PriceMinister par le japonais Rakuten, par exemple ? Au nom de quelle raison le français Dailymotion ne peut-il pas être détenue par l’américain Yahoo ?
Surtout que l’Etat français ne possède plus que 26,94 % du capital de France Télécom, dont la moitié détenus directement et l’autre via le FSI (3). Cela fait dix ans maintenant, depuis la loi du 31 décembre 2003 sur France Télécom, que l’opérateur historique français est une entreprise privée.

Provoquant l’échec des négociations avec Yahoo
De plus, comme le rappelle la société cotée depuis octobre 1997 « l’Etat ne bénéficie ni d’action de préférence (golden share) ni d’aucun autre avantage particulier ».
Dans ses conditions, pourquoi le gouvernement français et François Hollande se sont-ils arrogés le droit de s’interposer dans les négociations de ces deux entreprises privées pour tenter d’imposer leurs conditions, à savoir « un accord de partenariat équilibré » entre Yahoo et Orange avec un partage du capital « à 50/50 », provoquant l’échec de ce projet historique ? @

Maturité des web-programmes

Vous êtes déjà en 2020, Par Jean-Dominique Séval*

JD SévalLe programme qui fait le buzz ces jours-ci, bien plus que qu’un simple bourdonnement d’ailleurs puisqu’il s’agit d’un véritable phénomène médiatique, est celui de tous les records. Notamment celui d’être le premier web-programme à tenir en haleine plusieurs centaines de millions d’internautes, un véritable record d’audience au niveau mondial.
Le secret de ce succès tient à quelques recettes terriblement efficaces : une web-série événement, mettant en scène quelques vedettes hollywoodiennes et s’appuyant sur une action haletante se déroulant dans plusieurs capitales.

« La différence entre programmes-télé et web-programmes n’est plus nécessaire pour distinguer des contenus financés par des groupes médias intégrés. »

Mais l’innovation vient surtout de l’utilisation, pour la première fois convaincante, de l’interactivité qui permet aux spectateurs d’intervenir dans le déroulement des futurs épisodes et de l’intégration d’un gameplay grandeur nature qui offre aux joueurs l’occasion de vivre l’expérience de la série dans les décors des grandes villes visitées.
Ce fut un tel succès que la saison 2 est désormais diffusée simultanément en « mondovision » sur le Net. J’utilise à dessein le terme de web-série pour me faire mieux comprendre, mais cette distinction n’est plus guère utilisée de nos jours.
La différence entre programmes-télé et web-programmes n’est plus nécessaire pour distinguer des contenus financés, produits et diffusés par des groupes médias intégrés et disponibles sur tous les écrans fixes et mobiles.Mais avant d’en arriver là, l’histoire de la webTV a été, durant ses presque 30 ans d’existence, un véritable laboratoire « à ciel ouvert », en dehors des réseaux traditionnels de diffusion des programmes de télévision. Les premières « webtélés » sont apparues aux États-Unis, dès qu’il a été facile de diffuser de la vidéo sur Internet.
Dès 1995, le publicitaire new-yorkais Scott Zakarin sut convaincre son employeur Fattal & Collins de financer une série en ligne. En France, en 1997, Jacques Rosselin créa CanalWeb en installant les studios de l’une des toutes premières webtélés à une adresse mythique : la rue Cognacq Jay. Ce fut l’occasion de créer des programmes variés allant des jeux à la musique, en passant par la cuisine, l’actualité internationale et les talks shows.
Cette époque pionnière avait déjà testé tous les formats, avant de bénéficier à partir de 2000 de l’apparition du streaming et des plateformes-clés pour leur diffusion que furent YouTube ou Dailymotion. L’année 2006 marqua ainsi l’avènement des premières séries indépendantes aux audiences millionnaires : lonelygirl15, Soup of the Day, California Heaven ou SamHas7Friends, …
Mais l’on était, malgré tout, encore loin des succès grands publics des séries télévisées. Jusqu’à l’arrivée de grandes chaînes comme ABC, qui lança en 2008 sa web-comédie Squeegie, ou NBC, qui proposa une web-série de science-fiction Gemini Division.

Cette maturité nouvelle donnait l’impression que la jeune industrie de la webtélé singeait sa grande soeur. Mais ce serait s’y méprendre : avec l’Internet, c’est bien de nouveaux formats qui trouvent peu à peu leur place.

L’effervescence fut telle, que des festivals dédiés virent le jour pour consacrer le meilleur de la production de l’année. L’International Academy of Web Television, établi en 2009 aux Etats-Unis, organisa les Streamy Awards, premières récompenses des programmes de l’industrie de la webTV.
L’année suivante furent décernées les premières récompenses par le Festival international de télévision sur Internet de La Rochelle. Autant d’occasions de distinguer une production déjà très variée dans de nombreuses catégories : web-actualité, webanimation, web-tourisme, web-documentaire, web-fiction, web-humour, web-jeunesse ou web-culture.
Cette maturité nouvelle donnait l’impression que la jeune industrie de la webtélé singeait sa grande soeur. Mais ce serait s’y méprendre : avec l’Internet, c’est bien de nouveaux formats qui trouvent peu à peu leur place. Comme la télévision vida les écrans de cinémas des actualités et des courts-métrages, les webtélés provoquèrent une évolution radicale des programmes de l’ancienne télévision.
Un continuum de programmes, des plus courts aux plus longs, amateurs ou professionnels, linéaires ou interactifs cohabitent désormais sur nos écrans connectés. Cette avalanche de contenus semble donner raison à Andy Warhol, lorsqu’il déclarait qu’il n’y avait plus « aucune différence entre vivre et regarder la télévision » ! @

* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Télé et vidéo payantes

L’avenir de la TV connectée est entre les mains de la Commission européenne

Une commission peut en cacher une autre : la Commission de suivi des usages
de la télévision connectée du CSA, initiative sans précédent en Europe, est suivie de très près par la Commission européenne, laquelle va lancer début 2013 une consultation publique assortie d’un Livre vert.

Par Charles de Laubier

NKAprès les directives européennes Télévision sans frontières (TVSF) de 1989 et Services de médias audiovisuels (SMA) de 2007, la Commission européenne en prépare une troisième encore plus décisive pour la libre circulation des contenus audiovisuels : la directive TV connectée. « La directive SMA est efficace, mais du fait des changements dus à Internet, comme la télévision connectée, nous ne pouvons nous permettre de dormir sur nos lauriers », a prévenu Neelie Kroes (photo), vice-présidente de la Commission européenne, en charge de l’Agenda numérique, le 7 mai 2012.

La directive SMA ne suffit plus
Autrement dit, 23 ans après le début de la libéralisation du marché audiovisuel au sein
de l’Union européenne, tout reste à faire ! L’extension des obligations audiovisuelles aux services non linéaires, tels que la VOD ou la catch up TV, n’était qu’un avant-goût de ce qui attend le paysage audiovisuel européen.
Si la télévision traditionnelle relève encore essentiellement de marchés nationaux (de par l’audience des chaînes et la réglementation locale applicable), la TV connectée, elle, est résolument ouverte sur Internet avec les OTT (Over-The-Top) et va rapidement abolir les frontières audiovisuelles.

Consultation publique début 2013
Pour préparer le terrain à sa révision législative, la Commission va lancer début 2013
– et non d’ici la fin de l’année comme elle l’avait initialement prévu – une consultation publique sur la télévision connectée, accompagnée d’un Livre vert. Bruxelles a-t-il retardé son calendrier pour attendre les premières propositions de Paris sur la
question ? Toujours est-il que la France est pionnière dans la réflexion sur la TV connectée. « Il fallait convaincre la Commission européenne de lancer la réflexion. Nous avons ainsi été parmi les premiers à s’intéresser à ce sujet avec un colloque
en avril 2011 et en installant en février 2012 cette commission de suivi des usages
de la télévision connectée, aux réunions de laquelle est présent un représentant
de la Commission », a indiqué Emmanuel Gabla, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), lors de la présentation le 5 décembre dernier des 14 premières propositions. A noter que la première d’entre elles a une portée communautaire justement : « Mettre en place au niveau européen les conditions techniques et les normes assurant que services et terminaux connectés puissent opérer ensemble ». Mais les enjeux de la TV connectée en Europe vont bien au-delà de la seule problématique de l’interopérabilité. Bien d’autres problèmes se posent et nécessitent une réponse collective : chronologie des médias, financement de la création, fiscalité numérique et TVA, aides au cinéma, seuils de concentration, circulation des œuvres audiovisuelles et cinématographiques, diversité culturelle, propriété intellectuelle, pratiques publicitaires, données personnelles ou encore protection des jeunes publics
C’est pour éviter un patchwork à 27 et favoriser un marché unique numérique que Bruxelles suit de près les travaux de Paris. « A l’exception de la réunion plénière intermédiaire du 4 juillet, qui visait à faire un point d’avancement sur les chantiers en cours, Gaëlle Garnier était présente à l’occasion de l’installation de la commission [de suivi des usages de la télévision connectée] le 16 février dernier, et Elisabeth Markot à
la plus récente du 5 décembre », nous a précisé Christophe Cousin, adjoint au directeur des études et de la prospective du CSA. Ces deux représentantes de la Commission travaillent à la DG Connect (1) de Neelie Kroes (2), la première en tant qu’économiste audiovisuel et média, la seconde comme spécialiste d’Internet et de la TV connectée.
Etant pionnière de la réflexion sur la TV connectée avec notamment le Royaume-Uni
et l’Allemagne (3), la France participe d’autant plus aux travaux de la Commission : Emmanuel Gabla représente le CSA au Forum de l’Union européenne sur l’avenir des médias que Neelie Kroes a mis en place le 7 décembre 2011 (4) ; il participe également une à deux fois par an à Bruxelles au Groupe des régulateurs audiovisuels européens.
Le CSA et la DGMIC (5) coopèrent en outre avec les autres régulateurs audiovisuels et
la Commission européenne au suivi de la directive SMA.

Vers l’exception culturelle européenne Entre Paris qui veut défendre une exception culturelle française et Bruxelles qui veut libéraliser l’audiovisuel et le cinéma, l’adoption d’une directive TV connectée n’est pas pour demain. « La révision législative ira au-delà de 2014, au-delà du mandat de la Commission européenne [de José Manuel Barroso,
qui se termine en octobre 2014, ndlr] », a précisé Emmanuel Gabla. Pour les Google TV, YouTube, Apple et autres Netflix, c’est maintenant ! @