Révision de la directive « SMA » : vers un rééquilibrage des obligations dans l’audiovisuel

En vue de la révision en 2016 de la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA), la Commission européenne mène une consultation publique jusqu’au 30 septembre sur les conséquences de la transformation numérique du paysage audiovisuel – notamment par les OTT.

Par Katia Duhamel, experte en droit et régulation des TICs, K. Duhamel Consulting

La consultation publique en cours (1) s’inscrit dans le droit fil de la consultation précédente sur le livre vert intitulé : « Se préparer à un monde audiovisuel totalement convergent : croissance, création et valeurs » (2). Ce qui a permis d’arrêter en 2013 les principaux enjeux du réexamen de
la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA), sur fond du débat récurrent sur les moyens de contrer la puissance des plateformes numériques américaines et leur stratégie d’optimisation réglementaire
et fiscale.

Vers une réglementation harmonisée
Les propositions d’attraire les OTT (Over-The-Top) sous le régime de la directive et de substituer au principe du pays d’origine (3) celui du pays du consommateur, si elles venaient à être adoptées, pourraient causer une vraie disruption dans le secteur numérique sans créer pour autant un cadre révolutionnaire pour les médias du XXIe siècle. La directive « SMA », adoptée le 18 décembre 2007 (4), est issue de la révision de la directive « Télévision sans frontières » (TVSF). Elle constitue le premier pas vers une règlementation harmonisée des services de médias audiovisuels indépendamment de la technologie et de la plateforme de distribution et de diffusion. Elle couvre donc l’ensemble de ces services sous réserve : qu’ils relèvent de la responsabilité éditoriale d’un fournisseur de services de médias, qu’ils aient pour objet principal la fourniture de programmes (au sein d’une grille ou d’un catalogue) dans le but d’informer, de divertir ou d’éduquer le grand public, et qu’ils soient mis à disposition via des réseaux de communications électroniques.
Sous cette ombrelle générale, la directive SMA distingue deux sous-catégories :
les « services linéaires » correspondent aux services classiques de radiodiffusion télévisuelle, alors que les « services non linéaires » concernent les services de vidéo à la demande (VOD ou catch up TV). Elle assujettit ensuite l’ensemble de ces services à un socle de règles communes concernant en particulier la prise en compte du principe du pays d’origine. Au-delà de ce socle, les services non linéaires sont soumis à une règlementation plus légère et moins prescriptive, notamment en termes d’obligations de contribution à la production audiovisuelle et cinématographique européenne. Enfin, cette directive ne s’applique pas aujourd’hui aux contenus hébergés par les plateformes de partage de vidéos et par les intermédiaires en ligne régis principalement par la directive sur le commerce électronique (5) en vertu de laquelle, dans certaines conditions, ils ne sont pas tenus responsables du contenu qu’ils transmettent, stockent ou hébergent.
Une des principales préoccupations de la Commission européenne concerne donc le maintien des conditions d’une concurrence équitable dans un monde sans frontières où prolifèrent les intermédiaires en ligne et se concentrent les échanges de contenus sur un nombre réduit de plateformes (autrement dit les OTT).
A ce titre, la consultation en cours envisage deux pistes : l’extension du champ d’application de la directive SMA aux fournisseurs proposant du contenu audiovisuel – qui ne peut être qualifié de « type télévisuel » – ou aux fournisseurs hébergeant du contenu généré par les utilisateurs, et la révision du principe du pays d’origine. De nombreux acteurs proposent des services directement concurrents de ceux des éditeurs de programmes audiovisuels classiques sans être eux-mêmes définis comme tels. Des plateformes comme Netflix, YouTube, Google Play Store ou l’iTunes Store d’Apple, pour ne citer qu’eux, recourent à des outils d’automatisation de l’organisation des contenus ainsi qu’à la délégation contractuelle de la responsabilité éditoriale auprès de tiers. Ce qui leur permet d’échapper à la qualification de service de média audiovisuel et à la réglementation associée.

Etendre la directive SMA aux OTT
Les pouvoirs publics, certains acteurs du marché français et des ayants droits s’indignent depuis longtemps déjà de ce qu’ils considèrent comme un déséquilibre réglementaire injustifié en termes d’obligations de production, d’exposition voire de déontologie, un déséquilibre qui est source d’avantages concurrentiels considérables
et indus pour lesdits OTT. L’extension du champ d’application de la directive SMA aux OTT est une des solutions proposée par la Commission européenne pour corriger ce déséquilibre mais elle propose également des alternatives moins radicales telles que, par exemple, la modification de la directive sur le commerce électronique complétée par des initiatives d’autorégulation et de corégulation. La Commission européenne propose aussi de renoncer au principe du pays d’origine. Elle distingue deux hypothèses :
la première consisterait à appliquer les dispositions de la directive SMA à tous les fournisseurs de services de medias audiovisuels établis hors de l’Union européenne (UE) qui s’adressent à des publics de l’UE ; la seconde à restreindre cette application
à ceux d’entre eux « dont la présence dans l’UE est significative en termes de part de marché/chiffre d’affaires ».

Renoncer au principe du pays d’origine
Dans les deux cas, la Commission européenne propose pour se faire d’exiger « de ces fournisseurs qu’ils s’enregistrent ou désignent un représentant dans un État membre (par exemple, le principal pays cible) ». Et d’ajouter : « Les règles de l’État membre d’enregistrement ou de représentation s’appliqueraient ». La seconde proposition pourrait avoir comme effet positif de permettre à de nouveaux services extra-européens d’émerger dans les conditions plus favorables de leurs aînés mais elle offrirait également des moyens de détournement. Par ailleurs, la mise en oeuvre du principe
du pays consommateur en substitution de celui du pays d’origine – en cours de mise
en oeuvre au niveau européen pour la TVA (voir encadré ci-contre) – suppose un changement complet de paradigme du droit qui peine à appréhender le caractère immatériel des facteurs de production et des échanges. Cela nécessitera un suivi régulier et systématique de l’activité des opérateurs économiques et une coopération sans faille entre les Etats membres.
Enfin, la subsistance des divergences qui ont déjà été observées dans la mise en oeuvre de la directive SMA (6), voire du déficit d’harmonisation fiscale au sein des Etats membres de l’UE, permettraient aux fournisseurs de services extra-européens de poursuivre leur stratégie d’optimisation réglementaire et fiscale en ciblant le pays de l’Union le plus laxiste en ces matières.
Une condition essentielle de l’efficacité des mesures envisagées dans le cadre de la révision de la directive SMA reste donc une meilleure harmonisation des règles applicables au niveau européen aux fins de créer un marché unique du numérique (7), au bénéfice des citoyens et des opérateurs économiques. La directive SMA comporte d’ores et déjà des règles destinées à protéger le consommateur (encadrement du placement de produits, du parrainage, de la publicité), les mineurs et les personnes handicapées et à interdire les discours haineux et les discriminations. Dans ces matières, la consultation publique pose essentiellement la question du maintien d’une régulation différentiée, c’est-à-dire plus légère pour les services à la demande. C’est notamment le cas pour la protection des mineurs dans le cadre de laquelle la directive ne prévoit pas de restriction concernant les programmes susceptibles d’être « préjudiciables » à l’épanouissement des mineurs pour ce qui concerne les services non linéaires – au contraire des services de radiodiffusion télévisuelle. Dans sa rédaction actuelle, la directive SMA vise en outre à promouvoir les œuvres européennes tout en laissant plus de latitude aux Etats membres – dans le cas des services à la demande – pour choisir diverses options, plus souples que les quotas imposés à la radiodiffusion télévisuelle. De fait, les différents Etats membres de l’UE ont mis en oeuvre des cadres très variables et plus ou moins prescriptifs. Pour autant, la consultation de la Commis-sion européenne envisage toutes les options : le statu quo, la suppression de toute règle visant à harmoniser au niveau de l’UE la promotion des œuvres européennes,
le choix donné aux fournisseurs de services de prendre des mesures de promotion des œuvres européennes ou de la manière dont elles sont mises en oeuvre, ou bien encore le renforcement des règles existantes.
Un tel renforcement pourrait passer par l’introduction de quotas supplémentaires pour les œuvres européennes non nationales et/ou pour les programmes européens de qualité, ou pour les coproductions. Voire par la fixation d’un pourcentage précis à réserver aux productions indépendantes récentes (8), ainsi que par une harmonisation plus poussée pour les services à la demande. En réalité, la question qui se pose également – mais qui n’est pas soulevée par la Commission européenne – concerne l’absence de contribution d’acteur comme Netflix, Amazon ou encore iTunes qui ne réinvestissent ni n’apportent aucune contribution financière dans du contenu européen. Alors que, par exemple, les deux premiers produisent des séries américaines en leur nom propre et les proposent moyennant paiement aux utilisateurs des pays européens ciblés. @

FOCUS

TVA du lieu de consommation : de 2015 à 2019
Concernant la TVA, la directive européenne du 12 février 2008 – qui substitue à la règle du pays d’origine celle du pays du consommateur (9), applicable en principe à partir 1er janvier 2015 – comporte pour les Etats membres de l’UE une période transitoire : la perception des ressources pour l’Etat où a lieu la prestation ne sera pleinement effective qu’à compter du 1er janvier 2019. Ainsi, l’Etat du prestataire conservera 30 % des recettes de TVA jusqu’au 31 décembre 2016 et 15 % jusqu’au 31 décembre 2018. Ce n’est qu’à partir du 1er janvier 2019 que l’Etat du consommateur percevra l’intégralité des recettes. @