Après Popcorn Time, Torrents Time défie le cinéma

En fait. Le 8 février, le site web d’information TorrentFreak a révélé que l’organisation néerlandaise Brein – représentant des ayants droits (cinéma, musique, …) – a exigé des responsables de Torrents Time de cesser immédiatement de « faciliter » le partage de « contenus illicites » sur son
réseau peer-to-peer.

En clair. Regarder des films en streaming en utilisant la technologie peer-to-peer BitTorrent directement et facilement à partir de tout navigateur web. Voilà ce que permet Torrents Time, sur lequel s’appuient les nouveaux fork (1) de Popcorn Time – lequel avait été fermé en octobre dernier par la justice canadienne (2) – et bien d’autres
« Netflix » alternatifs. Ses créateurs n’entendent pas se laisser intimider par les industries culturelles, cinéma en tête. L’organisation de défense des ayants droits aux Pays-Bas (film, série, musique, livre, …) dont l’acronyme Brein signifie « Protection Rights Entertainment Industry Netherlands », a mis en garde Torrents Time – dans un récent courrier écrit par son juriste Pieter Haringsma – contre les copies piratées qui circulent sur ce réseau peer-to-peer. « Cessez et renoncez immédiatement à fournir Torrents Time », leur demande-t-il instamment, en menaçant explicitement l’équipe incriminée d’une action en justice non seulement contre leur hébergeur LeaseWeb, mais aussi contre eux mêmes en tant que responsables du logiciel de distribution.
« Nous vous tiendrons bien sûr responsable de tous les coûts encourus incluant des frais de justice. Ces coûts peuvent être substantiels », écrit le juriste. Torrents Time est ce nouveau plug-in devenu la nouvelle bête noire de l’industrie du cinéma dans le monde et particulièrement en Europe, le service ayant été notamment intégré par le nouveau Popcorn Time Online, par le site suédois The Pirate Bay de partage de fichiers musicaux ou vidéos, ou encore par KickassTorrents.
Ayant révélé le courrier de Brein, le site web d’information TorrentFreak rapporte que l’équipe de Torrents Time n’a pas battu en retraite face à ces menaces des ayants droits. Au contraire, les responsables du site web accusés de piratage ont envoyé
une fin de non recevoir à Brein : « Sachez que nos clients nient toutes les suppositions et les allégations contenues dans votre lettre, y compris le fait que Brein représentent les ayants droits et que vous avez la qualité à agir au nom d’entités anonymes et non identifiées », ont-ils rétorqué, tout en menaçant à leur tour de saisir la justice.
Le bras de fer entre les éditeurs de logiciels de partage en réseau peer-to-peer, qui s’estiment non responsables des contenus échangés par leurs utilisateurs, et les industries culturelles se poursuit. @

Piratage sur Internet : pourquoi Mireille Imbert-Quaretta dissuade de recourir aux amendes administratives

Présidente depuis six ans de la Commission de protection des droits (CPD), bras armé de l’Hadopi avec la réponse graduée, Mireille Imbert-Quaretta achève son mandat le 23 décembre. Cette conseillère d’Etat, qui dément la rumeur la faisant briguer la présidence de l’Hadopi, ne veut pas d’amendes sans juge.

Par Charles de Laubier

MIQCe sont des propos de Nicolas Seydoux, révélés par Edition Multimédi@ début novembre, qui ont relancés le débat sur l’amende forfaitaire automatique pour lutter contre piratage sur Internet. « Il n’y a qu’une seule solution : c’est l’amende automatique. Donc, on va essayer de passer un amendement au Sénat sur la nouvelle loi parlant de propriété littéraire et artistique [projet de loi « Liberté de création, architecture et patrimoine » qui sera débattu
en janvier 2016 au plus tôt, ndlr]. Je ne suis pas sûr que le Sénat votera cet amendement, mais ce dont je suis sûr, c’est que l’on prendra date sur ce sujet », avait confié le président de Gaumont (1) et président de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa).
Son entourage nous a indiqué, début décembre, qu’il était encore trop tôt pour faire état de cet amendement. Infliger des amendes administratives automatiques aux pirates du Net est une vieille idée, apparue bien avant l’Hadopi et poussée par les ayants droits
de la musique (dont le Snep (2)) et du cinéma (dont l’ARP (3)), puis portée dès son élection présidentielle en 2007 par Nicolas Sarkozy. Ce dernier rêvait de transposer
sur Internet sa politique de sécurité routière qu’il avait basée – lorsqu’il fut auparavant ministre de l’Intérieur – sur le déploiement national de radars automatiques, d’ailleurs sans aucun débat parlementaire (4)…

Risques de censure du Conseil constitutionnel
Pas sûr cependant que le Sénat vote en début d’année prochaine un tel amendement « Amende automatique ». Mireille Imbert- Quaretta (photo), présidente jusqu’à l’échéance de son mandat le 23 décembre de la Commission de protection des droits (CPD) chargée de la réponse graduée au sein de l’Hadopi, a déjà fait savoir en juin à la mission d’information sénatoriale sur l’Hadopi – dans une note révélée ici en ligne
que l’idée d’amende administrative – automatique ou pas – risquait d’essuyer un rejet constitutionnel.
« Le retour à des sanctions administratives prononcées par la CPD ne s’inscrirait plus dans un processus de saisine des juridictions judiciaires. Le dispositif ne respecterait pas les décisions du Conseil constitutionnel et encourrait de forts risques de censure »,
a prévenu Mireille Imbert-Quaretta (« MIQ ») dans sa cette note intitulée « Revenir à une sanction administrative ? ».

Juge judiciaire incontournable
Le 25 novembre dernier, MIQ l’a clairement redit, en ajoutant qu’une telle amende automatique administrative – sans décision du juge judiciaire – serait « totalement contre-productif ». Surtout que, selon elle, la réponse graduée est déjà « une usine
à gaz » ! Publié en juillet dernier, le rapport sénatorial sur l’Hadopi a tout de même préconisé une amende administrative « notifiée par une commission des sanctions indépendante », en remplacement de l’actuelle sanction judiciaire, tout en maintenant au sein de l’Hadopi la réponse graduée. Reste à savoir si le chef de l’Etat, François Hollande, prendra le risque électoral – surtout à l’approche de la présidentielle de 2017 – de faire ce dont Nicolas Sarkozy a rêvé… Il n’en reste pas moins que, dans la lutte contre le piratage sur Internet, les amendes pénales infligeables au cas par cas – sous le contrôle du juge – ne manquent pas et elles peuvent être lourdes – surtout si elles sont assorties de dommages et intérêts. Bras armé de l’Hadopi, la CPD peut saisir le procureur de la République au titre de la contravention dite de 5e classe pour
« négligence caractérisée » dans la surveillance d’un accès à Internet. Alors que la loi
« Hadopi » de 2009 limite l’action de la CPD aux réseaux peer-to-peer (le streaming et le téléchargement direct étant en dehors de ses compétences), la sanction maximale encourue est une amende de 1.500 euros pour un particulier ou 7.500 euros s’il s’agit d’une personne morale (entreprise, organisation, association, …). Dans les faits, les peines d’amende prononcées à l’encontre des internautes reconnus coupables de piraterie se situent entre 50 euros et 1.000 euros, assorties ou non de sursis (5). Or,
sur près de 100 millions de saisines de la CPD par les organisations des ayants droits de la musique (Sacem/SDRM, SCPP, SPPF) et du cinéma ou de l’audiovisuel (Alpa) depuis le coup d’envoi en septembre 2010 de la réponse graduée, l’Hadopi n’a en fin de compte envoyé en cinq ans et au 30 juin dernier qu’à peine 5 millions d’emails
de premier avertissement, lesquels ont été suivis de moins de 500.000 envois de deuxième avertissement par lettre remise contre signature (7). In fine, l’Hadopi a indiqué qu’elle avait transmis à la justice un total de 365 dossiers de pirates récidivistes depuis le tout premier d’entre eux établi en mars 2012 (dont 245 dossiers transmis rien que sur ces douze derniers mois, confirmant une accélération). « Ce n’est qu’en 2015, que la CPD est parvenue à traiter la moitié des saisines qu’elle reçoit chaque jour,
avec l’objectif de parvenir à toutes les traiter à moyen terme. Pour y parvenir, l’Hadopi
a besoin de moyens supplémentaires », nous a expliqué MIQ.

Reste à savoir ce que les procureurs de la République – moins d’une centaine d’entre eux ont été saisis par la CPD depuis le début – font de ces dossiers judiciaires : comment peut-on comprendre que l’Hadopi ne soit « pas toujours tenue informée »
des suites judiciaires données par ces procureurs ? A ce jour, seulement 51 décisions de justice ont été portées à la connaissance de la CPD en cinq ans – et encore, la moitié l’ayant été au cours de l’année écoulée… Pourtant, la CPD est censée être représentée lors des audiences des auteurs de faits incriminés. Mais en réalité, elle
n’a effectivement été présente que 27 fois depuis la toute première audience devant
un tribunal de police en 2013.

Réponse graduée et contrefaçon
De leur côté, les ayants droits de la musique ou du cinéma ont la possibilité d’intenter une action en justice fondée sur le délit de contrefaçon – puni cette fois de trois ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende, voire de cinq ans de prison et 500.000 euros d’amende en cas de délit ou de blanchiment en bande organisée – et de demander des dommages et intérêts pouvant atteindre plusieurs millions d’euros. Bref, les sanctions pécuniaires – amendes ou dommages et intérêts – ne font pas défaut dans l’arsenal judiciaire français. Mais les ayants droits ne sont toujours pas contents… @

Charles de Laubier

ZOOM

Mireille Imbert-Quaretta ne peut succéder à Marie-Françoise Marais à la tête de l’Hadopi
Edition Multimédi@ a demandé à Mireille Imbert-Quaretta (« MIQ ») si la rumeur la faisant briguer la présidence de l’Hadopi pour succéder à Marie-Françoise Marais, dont le mandat arrive comme le sien à échéance le 23 décembre prochain, était fondée.
« Je ne comprends pas cette rumeur. A la lecture de l’article L. 331-16 du code de
la propriété intellectuelle, le Premier président de la Cour de cassation ne peut
nommer qu’un membre en activité de la Cour de cassation, fonctions que je n’ai jamais exercées », nous a-t-elle répondu. Magistrate et conseillère d’Etat (68 ans), « MIQ »
fut notamment directrice adjointe du cabinet d’Elisabeth Guigou au ministère de la Justice (1997-2000). Elle vient tout juste d’être nommée – par arrêté du 27 novembre
– « personnalité qualifiée, chargée du contrôle de la plateforme nationale des interceptions judiciaires ». « Je n’avais pas envisagé cette dernière activité (PNIJ)
pour laquelle je n’ai été sollicitée que très récemment »,nous a-t-elle confié. @

Frédéric Delacroix, délégué général de l’Alpa : « Le piratage reste à un niveau très important »

L’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), qui a 30 ans cette année, participe depuis 5 ans maintenant à la réponse graduée sur les réseaux peer-to-peer. Son délégué général estime que les chartes « anti-piratage » concernant tous les réseaux sont des mesures complémentaires à l’action
de l’Hadopi.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Frédéric Delacroix

Edition Multimédi@ : C’est à l’initiative du ministre de la Culture de l’époque, Jack Lang, et des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel que fut créée l’Alpa il y a 30 ans. Quels étaient les fondateurs ?
Frédéric Delacroix :
L’Alpa a été créée le 15 octobre 1985 (date de publication au Journal Officiel) à l’initiative des pouvoirs publics et des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel. Les membres fondateurs étaient le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) (1), la Fédération nationale des distributeurs de film (FNDF), le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN) (2), la Société pour l’administration du droit de reproduction mécanique (SDRM), qui dépend de la Sacem (3), l’Association des producteurs de cinéma (APC) (4), ainsi que la Motion Picture Association (MPA),
dont sont membres les principaux studios de cinéma américains (Paramount, Sony Pictures, Twentieth Century Fox, Universal Studios, Walt Disney Studios et Warner Bros.).

EM@ : Ce sont aussi les 5 ans de l’autorisation que la Cnil (5) a accordée à
l’Alpa pour transmettre à l’Hadopi des adresses IP des internautes soupçonnés de piratage de films sur les réseaux peer-to-peer : qu’observez-vous ?
F. D. :
L’Alpa a obtenu en juin 2010 deux autorisations de la Cnil lui permettant de collecter 25.000 adresses IP par jour correspondant aux connexions détectées comme mettant à disposition sur les réseaux P2P des fichiers préalablement identifiés en tant que contrefaçons d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques. Précisons que ce sont les œuvres contrefaites qui font l’objet d’une observation de leur mise à disposition. Ainsi, 24.999 adresses IP par jour font l’objet de procès verbaux (PV) des agents assermentés de l’Alpa, qui sont transmis quotidiennement à l’Hadopi, laquelle identifie les titulaires des connexions auprès des FAI (6), puis leur adresse une première recommandation par e-mail. En cas de deuxième détection, une lettre recommandée est adressée au titulaire de la connexion et en cas de troisième détection de la même connexion, l’Hadopi peut transmettre le dossier au procureur
de la République compétent. L’abonné risque alors une pénalité de contravention de
5e classe pour défaut de surveillance et de sécurisation de sa connexion. Une des autorisations de la Cnil permet, à chaque collecte, d’adresser directement au procureur de la République l’IP de la connexion détectée comme mettant le plus d’œuvres contrefaites (fichiers) à disposition sur les réseaux P2P. Et ce, en vue de poursuite
pour le délit de contrefaçon.

EM@ : A combien d’IP avez-vous culminé par jour ? Et est-ce que la réponse graduée a fait baisser le piratage ? Quel bilan faites-vous ?
F. D. :
Il est évident que l’Alpa n’a pu culminer qu’à hauteur des 25.000 adresses IP
par jour autorisées par la Cnil ! L’envoi des premières lettres recommandées en mars 2011 par l’Hadopi a entraîné une forte baisse de l’utilisation des réseaux P2P. Cependant, depuis 2012, leur utilisation reste sensiblement au même niveau, à savoir plus de 6,5 millions d’utilisateurs uniques par mois.

EM@ : Depuis 2008, l’Alpa associée au CNC, en collaboration avec Médiamétrie
et la société TMG (choisie fin 2009 par l’Alpa, la SCPP, la Sacem et le SPPF pour identifier les pirates d’oeuvres sur le Net), réalise une étude d’audience des sites de piraterie audiovisuelle. Quels sont les derniers constats ?
F. D. : L’étude de l’Alpa de 2008 portait uniquement sur le téléchargement de films sur les réseaux peer-to-peer (P2P) et avait été réalisée avec un autre prestataire. L’étude réalisée avec Médiamétrie, le CNC et TMG en 2014 pour le secteur audiovisuel essaie de mesurer l’ampleur du piratage – tous réseaux confondus – et les contenus les plus piratés sur le streaming et le direct download (DDL).
Celle de 2015, publiée début avril, n’est que la mise à jour de la précédente et montre une relative stabilisation des usages du piratage. A savoir : un tiers sur le P2P, un tiers en DDL, et un tiers en streaming. Le piratage reste à un niveau très important puisque près d’un internaute sur trois a été « vu » utilisant les services d’un site web ou d’un protocole dédiés à la contrefaçon audiovisuelle/cinématographique, soit 13,5 millions d’internautes uniques.

EM@ : L’Hadopi, qui a un budget moindre en 2015 (6 M€ au lieu de 8,5M€), serait tentée de concentrer la réponse graduée sur les plus « gros » pirates du peer-to-peer, quitte à ne plus inquiéter les « petits » : qu’en pensez-vous ?
F. D. : L’Alpa ne dispose d’aucune information sur la stratégie adoptée par l’Hadopi.
Il est évident que, sur les réseaux P2P, cibler les « gros pirates » qui sont en fait techniquement des « gros diffuseurs » de contenus illicites a un sens. En réduisant cette source « d’essaimage » de contenus piratés, cela devrait techniquement faire baisser le piratage sur les réseaux P2P et donc avoir également une incidence sur le nombre de ce que vous nommez les « petits » pirates. Au 31 mars, l’Hadopi a transmis au parquet 249 dossiers, mais nous n’avons aucune visibilité sur les décisions prononcées.

EM@ : En octobre 2014, Nicolas Seydoux, président de l’Alpa, a demandé que soit mis en place des juges spécialisés « propriété littéraire et artistique » dans les tribunaux pour faire face au nombre de dossiers de piratage : a-t-il été entendu ?
F. D. :
La demande du président de l’Alpa semble avoir été entendue puisque le
conseil des ministres du 11 mars dernier fait état de la nomination « d’ici la fin juin »
de « magistrats référents » dans le cadre des affaires de contrefaçon « les plus complexes », suite à la communication faite par la ministre de la Culture et de la Communication sur des mesures pour lutter contre le piratage sur internet.

EM@ : La charte de lutte contre le piratage a été signée en mars par les professionnels de la publicité en ligne et les ayants droits, dont l’Alpa.
Allez-vous aussi cosigner en juin une autre charte avec cette fois les acteurs
du e-paiement ?
F. D. :
La charte signée le 23 mars dernier est une étape importante dans la lutte contre le piratage et le financement des sites dédiés à la contrefaçon. L’origine du piratage est aujourd’hui le fait d’une délinquance organisée, souvent à caractère international, dont le seul but est la recherche de profit. Ces revenus proviennent, pour ce qui concerne notre secteur, essentiellement de la publicité. Les niveaux de fréquentation de certains sites pirates génèrent des revenus très importants. Il est regrettable que les internautes ne se rendent pas compte qu’en utilisant les services de ces sites web, ils contribuent à financer ces réseaux de délinquants. La charte sur les moyens de paiement, à laquelle nous serons probablement associés, est également essentielle pour assécher les revenus de ces sites.

EM@ : Quels sites web l’Alpa a contribué à faire condamner en contrefaçon ?
F. D. :
La dernière condamnation en date, suite à des actions de l’Alpa, concerne le
site Wawa-mania, dont l’administrateur a été condamné à un an de prison ferme par le tribunal correctionnel. Depuis le début de l’année ont été jugés les administrateurs des sites GKS (6 mois de prison avec sursis et près de 2 millions de dommages et intérêts), Wawa-torrent (3 mois de prison avec sursis et 154 000 euros), eMule Paradise (jugement en délibéré). L’Alpa a de nombreuses affaires en cours auprès de services de police ou de gendarmerie. The Pirate Bay et T411 sont des actions du secteur de
la musique sur du blocage d’accès. Les membres de l’Alpa ont été précurseurs sur
ce type d’action avec l’affaire Allostreaming. @

Des musiciens tentés par la vente directe en ligne

En fait. Le 27 septembre, Thom Yorke, le leader du groupe de rock britannique Radiohead, a sorti son deuxième nouvel album en solo disponible sur le nouveau site BitTorrent Bundle pour 6 dollars (4,72 euros). Il expérimente ainsi une distribution directe – passant outre les intermédiaires – sur peer-to-peer.

En clair. Court-circuiter les producteurs et distributeurs des industries culturelles ! C’est ce que prône le principal chanteur du groupe Radiohead. « C’est une expérimentation pour voir si le mécanisme de ce système correspond à ce que le grand public attend.
Si cela marche, cela pourrait être une façon effective de reprendre le contrôle du commerce Internet pour les gens qui créent leurs oeuvres. Permettre à ceux qui font leur musique, leur vidéo ou tout autre contenu numérique de le vendre eux-mêmes.
Et de contourner les distributeurs (gatekeepers) autodéclarés. Si cela marche, tout le monde pourra faire exactement comme nous avons fait », a expliqué en détail le Britannique Thom Yorke, à l’occasion de la promotion à la fois de son nouvelle album en solo mais aussi de la nouvelle plateforme peer-to-peer « Bundle » de BitTorrent. L’album « Tomorrow’s Modern Boxes » est payant mais l’offre en ligne comprend aussi deux titres gratuit en téléchargement. Le musicien l’a fait savoir auprès de ses 588.000 abonnés à son compte Twitter : « J’essaie quelque chose de nouveau ; je ne sais pas comment cela se passera. Mais voici [renvoyant vers la page de son nouvel album sur BitTorrent Bundle]». Radiohead n’en est pas à sa première tentative de distribution directe par Internet. En 2011, l’album « The King of Limbs » avait été d’abord proposé aux internautes. Dès 2007, le groupe britannique avait proposé sur Internet un autre de leurs albums, « In Rainbows ». Cette initiative de Thom Yorke intervient une quinzaine de jours après que le groupe irlandais U2 ait mis gratuitement sur iTunes (1) son nouvel album « Songs of Innocence », le chanteur leader Bono ayant présenté cette offre aux côtés du PDG d’Apple, Tim Cook, au moment du lancement de l’iPhone 6. Mais cette tentative de Thom Yorke de s’affranchir des « intermédiaires auto-proclamés » arrive à la suite du différend qui oppose depuis le printemps dernier les producteurs de musique indépendants réunis dans la Worldwide Independent Music Industry Network (WIN)
– où est représenté le label indépendant XL de Radiohead – à YouTube (2).
Et ce, au moment où beaucoup de musiciens et d’artistes d’interrogent sur leur juste rémunération à l’heure du Net. Le chanteur français Grégoire s’était, lui, fait connaître directement sur Internet après s’être inscrit sur le site My Major Company fin 2007… @

Les Crypto-monnayeurs

Ce soir, j’ai rendez-vous avec un ami qui m’a promis de tout me dire sur son activité de « mineur », tout autant mystérieuse que nocturne. Quand il m’ouvre la porte, je suis presque déçu de ne pas le trouver le visage noirci,
moi qui vaguement l’imaginais travaillant à creuser une galerie au fond de sa cave, à la lueur d’une lampe frontale, en quête d’un trésor ancestral… Si nous descendons bien l’escalier, c’est pour découvrir un mini data center patiemment assemblé par mon ami qui s’est doté de la puissance nécessaire pour se livrer au « minage ».
Il fait ainsi partie des milliers de particuliers autour de la planète qui participent à la création d’unités de comptes des nouvelles monnaies virtuelles. Être partie prenante
du réseau peer-to-peer de ces crypto-monnaies est autant un passe-temps pour geek avancé qu’une perspective de revenus très concrète, même si cette activité est de plus en plus confisquée par des professionnels. Ainsi équipé, il est en effet possible de faire participer son ordinateur à la résolution des calculs nécessaires à la validation de chaque transaction, et de se voir attribuer un certain nombre d’unités de la monnaie virtuelle concernée. Chacun espère ainsi accumuler des « coins » qui firent la fortune de quelques pionniers.

« Il s’agit bien d’un phénomène majeur inscrit
désormais dans la longue histoire de la monnaie. »

Il s’agit bien d’un phénomène majeur, inscrit désormais dans la longue histoire de
la monnaie, après le billet, le chèque et la carte bancaire. Une étape de plus dans le processus de dématérialisation de l’argent et un changement de nature fondamental car affranchi de tout système bancaire. Non sans règle, bien au contraire. Bitcoin,
la première des monnaies virtuelles, créée en 2009, repose sur un cryptage des transactions réputé inviolable, le suivi en temps réel des échanges sur le site ouvert Blockchain.info et le nombre d’unités limité à 21 millions de bitcoins à l’horizon… 2140, afin d’organiser la rareté et limiter les risques d’hyperinflation. Mais les débuts furent entachés d’une très forte spéculation : plus de 70 % des détenteurs de bitcoins en
2014 les achetaient pour les conserver, tandis que l’anonymat et l’extraterritorialité favorisaient le blanchiment des fonds issus de tous les trafics. Outre la conservation, les achats ou les transferts de fond sans frais, nos monnaies virtuelles nous permettent désormais d’effectuer des micropaiements à très faible coût, des médiations de contentieux, du crowdfunding et divers types d’emprunts. Face à cette évolution fondamentale, tous les acteurs ont dû se positionner. Les spécialistes des transferts de fonds, comme Western Union, ont lancé des offensives réglementaires protectionnistes visant à limiter les opérations de ses nouveaux concurrents. Dès 2014 des entreprises majeures comme Dell, Monoprix ou Wikipedia, parmi des commerçants de plus en plus nombreux, ont accepté les bitcoins.

Tandis qu’apparaissaient les premiers automates permettant d’acheter des bitcoins
ou de les changer contre des dollars ou des euros. Les géants de l’Internet, d’abord surpris par cet essor si rapide, surent en tirer parti : eBay utilisa sa filiale consacrée
au paiement, Braintree, pour mettre en place les premiers règlements en bitcoins ; Amazon testa le principe en lançant ses Amazoncoins ; Google lança Googlecoin et associa des crypto-devises avec son outil Google Wallet, lequel fut une réponse aux principaux problèmes de sécurité et de stockage des détenteurs de monnaie virtuel. Quelques acteurs solides ont ainsi mis un peu d’ordre et apporté de la confiance, là
où de nombreuses plateformes d’échanges de bitcoins proliféraient et déstabilisaient régulièrement les cours au grès de leurs faillites ou de leurs failles révélées par les assauts répétés des hackeurs. Aujourd’hui, seule une poignée de crypto-monnaies matures ont la faveur d’un large public, mais la révolution monétaire est en marche.
Les dizaines de e-monnaies créées dès 2012 (Litecoin, Bitcoin, Dogecoin, Peercoin, Quarck, Stablecoin, Telsacoin, Vertecoin, …) ont été rejointes par d’autres : e-monnaies nationales, comme Auroracoin (islande) ou Isracoin (Israël), ethniques, solidaires, ou même celles créées par des… réseaux bancaires ! En quittant mon ami, légèrement fiévreux, je me remémorais cette phrase d’André Gide dans « Les Faux-Monnayeurs » : « On ne découvre pas de terre nouvelle sans consentir à perdre de vue, d’abord et longtemps, tout rivage. ». @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Petits opérateurs
* Directeur général adjoint de l’IDATE,
auteur du livre « Vous êtes déjà en 2025 »
(http://lc.cx/Broché2025).