Piratage audiovisuel : l’impact économique inconnu

En fait. Le 4 juillet, Frédéric Delacroix, délégué général de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), a indiqué à notre confrère NextInpact que son organisation allait « essayer d’estimer l’impact en termes économiques » du piratage audiovisuel, suite à son étude publiée le 2 juillet.

En clair. Au-delà de la querelle d’experts sur les résultats de l’étude de l’Alpa intitulée
« L’audience des sites Internet dédiés à la contrefaçon audiovisuelle en France », et de l’interprétation qui en faite à tort ou à raison par l’Hadopi, la prochaine étape sera de mesurer l’impact économique de ces pratiques illicites. « Avec Médiamétrie, on commence à avoir une approche de la volumétrie, notamment de contenus qui sont visionnés et/ou téléchargés, que l’on va essayer de mesurer dans le temps. À partir
de là, on essayera d’estimer l’impact que cela peut avoir sur les industries culturelles
du cinéma et de l’audiovisuel, en termes économiques », a indiqué Frédéric Delacroix, délégué général de l’Alpa, laquelle est présidée par Nicolas Seydoux, président de Gaumont. Quel est l’éventuel manque à gagner ? Y a-t-il vraiment une perte de revenu, sachant que les présumés pirates sont aussi des consommateurs ? Peut-on en tout
cas estimer les conséquences économiques lorsque près d’un tiers des internautes (28,7 %) consulte au moins une fois par mois « un site dédié à la contrefaçon audiovisuelle » (dixit l’Alpa) ? « C’est très difficile. Je crois que c’est la première fois qu’on arrive à mesurer de façon à peu près assez fine, notamment sur le streaming,
la consommation illégale. On va poursuivre de façon à essayer de quantifier la chose », a encore expliqué Frédéric Delacroix.

Selon cette étude réalisée à la demande de l’Alpa par Médiamétrie, avec la collaboration du CNC (1) et de la société nantaise Trident Media Guard (TMG),
13,2 millions de personnes ont consulté chaque mois en 2013 au moins un site dédié
à la contrefaçon audiovisuelle (piratage de séries ou de films), soit 15,8 % de plus
qu’en 2009 (2).
Mais, selon le délégué général de l’Alpa, la mesure du streaming – qui est le protocole désormais le plus utilisé par les internautes (38 %) au détriment du peer-to-peer et du direct download – est « faussée ». Car ont été exclus de l’étude YouTube et Dailymotion « qui, malheureusement, hébergent des contenus illégaux et qui font l’objet d’une fréquentation massive », a déploré Frédéric Delacroix. Quoi qu’il en soit, l’Hadopi conteste le contact d’augmentation du piratage audiovisuel car rapporté au nombre d’internautes, lesquels ont augmenté de 2,7 millions, leur proportion n’a que très peu varié, passant de 28,3 % en 2012 à 28,4 % en 2013. @

L’Hadopi démarre 2014 sur les chapeaux de roue

En fait. Le 11 février, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) a publié les chiffres de la réponse graduée sur janvier 2014. Le moindre que l’on puisse dire, c’est que l’année commence très
fort pour la Commission de protection des droits (CPD).

En clair. On croyait l’Hadopi morte. Or elle bouge encore ; elle est même en pleine forme ! C’est ce que démontre l’envoi en janvier, par la Commission de protection des droits (CPD), de 132.000 e-mails de premier avertissement aux internautes suspectés de piratage d’œuvres (musiques ou films) sur Internet. Il s’agit du deuxième mois le plus actif d’Hadopi depuis le lancement de la réponse graduée en octobre 2010, le mois d’octobre 2013 détenant encore le record historique à ce jour avec ses 138.000 e-mails de premier avertissement. Janvier 2014 porte à plus de 2,6 millions le cumul des premiers avertissements envoyés depuis trois ans et trois mois maintenant. L’année 2013 aura donc été marquée par une hausse de 73,7 % sur un an de ces premiers avertissements. Quant aux deuxièmes avertissements, ils sont au nombre de 11.950 en janvier – soit plus du double qu’il y a un an – pour un cumul de 270.673 envois depuis octobre 2010. Tandis que 7.350 récidivistes ont reçu une lettre recommandée avec accusé de réception, dont 57 ont vu leur dossier mis en délibération à la CPD (1) – le bras armé de l’Hadopi ne communicant pas le nombre transmis à la justice…

Pour autant, comme le montre la 4e vague du baromètre des usages Ifop-Hadopi publiée le 6 février dernier, il n’y a « pas de bouleversement dans la répartition des usages licites et illicites depuis un an ». La part de consommateurs déclarant des usages illicites de biens culturels est même stable : 15 % en octobre 2013, contre 17 % en mai 2013 et 14 % en octobre 2012. Les films sont les plus piratés, suivis des séries télé, puis des musiques, des logiciels et des livres.
Mais l’Hadopi n’intervient, faut-il le rappeler, que sur les constatations d’infractions relevées – par la société nantaise TMG (2) pour le compte de la Sacem, la SCPP, la SPPF (les trois organisations représentant la musique) et l’Alpa (3) (pour l’audiovisuel
et le cinéma) – sur les seuls réseaux peer-to-peer dont l’usage décline au profit des sites de streaming. Ces derniers ne sont donc pas du ressort des compétences de l’Hadopi. Les propositions du rapport « Lutte contre la contrefaçon », que Mireille Imbert-Quaretta (présidente de la CPD) devrait rendre d’ici fin février, irait dans le sens d’une implication de tous les intermédiaires du Net (moteurs, régies, systèmes de paiement, …) dans la lutte contre le piratage en ligne et en streaming. @

La Co-révolution

La saison 2025 des prix littéraires est de retour, avec son lot de rumeurs, de secrets et de scandales. Cette année, c’est au tour du prix Goncourt d’être à l’honneur, et pas seulement pour la qualité évidente du roman couronné. Le prestigieux jury vient de se voir ridiculisé en encensant un auteur… qui n’existe pas.
L’écrivain se cachant derrière son pseudonyme reste insaisissable, et pour cause. Quelle place, en effet, peut-on donner à une plate-forme de création collaborative ?
A une oeuvre co-écrite par des centaines d’internautes ? Chez Drouant, le jury vient
de commander une nouvelle tournée générale de camomille. En revanche, en ce qui concerne les créateurs de la plate-forme, on peut dire qu’ils ont réussi un coup de
pub magistral. Quel chemin parcouru depuis l’apparition confidentiel des premiers
« wikiromans » au début des années 2000, publiés peu après l’émergence des plates-formes de wiki, et du premier roman policier, « A Million Penguins », édité en 2007 par Penguins Book. Si des tentatives de créations collectives furent tentées tout au long
du XXe siècle, il fallut attendre la puissance et la simplicité des nouveaux outils collaboratifs en ligne pour rencontrer le succès. L’encyclopédie Wikipédia fut la
première véritable réussite collaborative, d’envergure planétaire. La co-création a
ainsi progressivement conquis ses lettres de noblesse, gagné en efficacité, tout en élargissement dans le même temps son champ d’action. Comme la révolution industrielle engendra les premiers mouvements coopératifs, comme autant de remparts dressés contre les violences et les risques économiques et sociaux des nouvelles formes de capitalisme, la révolution numérique est née sous le signe de la collaboration et de la participation.

« La sharing economy a signé l’entrée d’Internet
dans son troisième âge : après le Web statique et
le Web social, voici venu le temps du Web collaboratif. »

Cette révolution du partage et de l’entraide communautaires, facilitée par Internet, instille ses germes subversifs portant les noms d’open source, de creative common suivis par une longue procession de termes en « co » : coworking, covoiturage, colocation, colunching, coproduction, … Un dynamitage en règle de l’économie traditionnelle et de ses intermédiaires, avec des milliers de sites web facilitant l’intermédiation directe entre particuliers : location de voitures (Blablacar), d’appartements de vacances (AirBnb), de machine à laver (Lamachineduvoisin), partage culinaires (SuperMarmite), crédit entre particuliers ou peer-to-peer lending (Prêt d’union), financement participatif (Kickstarter),
et même université entre particuliers (Cup Of Teach). On comptait déjà en 2013 plus de 400 sites de services participatifs, rien qu’en France. La longue succession de crises mondiales a également servi de catalyseur et de stimulant au développement d’une économie de la collaboration, de l’altruisme et du partage.
D’abord marginal, ce courant est en train de devenir mainstream. Après les particuliers, les entreprises se sont mises à échanger des services et des ressources. Les villes, elles-mêmes, se lancèrent dès 2012 dans le programme pionnier Collaborative Cities, associant douze villes d’Europe et d’Amérique du Nord.
Les principaux acteurs sont devenus, paradoxalement, de nouveaux géants de l’Internet, participant à la consolidation de milliers de start-up.
Il y a plus de dix ans, les plus enthousiastes prophétisaient, à raison, que la sharing economy signait l’entrée d’Internet dans son troisième âge : après le Web statique et le Web social, voici venu le temps du Web collaboratif. De nouvelles manières de vivre,
de communiquer et de créer se mettent ainsi peu à peu en place pour lesquelles il a fallu imaginer de nouvelles règles de droit afin d’endiguer et canaliser les contentieux accompagnant ces nouvelles pratiques.
C’est en 2014 que la ministre française de la Culture et de la Communication de l’époque édicta la première loi sur la création, incluant des dispositions pour sécuriser les nouveaux usages créatifs et les œuvres « transformatives » sur Internet. Mais cela n’empêcha pas les centaines de co-lauréats du prix Goncourt 2025 de s’entredéchirer pour savoir qui était le véritable auteur de l’idée originale, l’écrivain génial du désormais fameux chapitre 7 ou le contributeur de la chute finale devenue un classique de la littérature mondiale. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Télécoms en Europe.
* Directeur général adjoint de l’IDATE.

Les ayants droits ont surestimé le nombre de pirates

En fait. Le 3 septembre, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) a publié un état chiffré de la réponse graduée, mois par mois, depuis son lancement il y a près de trois ans.
Mais combien de dossiers de récidivistes ont-ils été transmis à la justice ?

En clair. Lancée en octobre 2010, la réponse graduée mise en oeuvre par la Commission de protection des droits (CPD) – bras armé de l’Hadopi – est bien loin des 125.000 constats de piratages par jour qu’avaient prévu d’atteindre potentiellement les organisations de la musique et du cinéma sur les réseaux peer-to-peer.
La Cnil a en effet fixé en juin 2010 un plafond de 25.000 constats par jour pour chacune des cinq autorisations accordées à la SCPP, la SPPF, la Sacem et la SDRM pour la musique, ainsi qu’à l’Alpa pour le cinéma (1) (*) (**).

Seulement 1,6 % du potentiel envisagé en 2010
Or, en trente-cinq mois d’activité de la CPD, le nombre de « saisines » quotidiennes d’adresses IP de pirates présumés a été – au mieux – de 3.533 en moyenne par jour sur un mois, en l’occurrence en mai 2011.
Ce niveau d’infractions jamais atteint ni dépassé depuis. Il s’agit pourtant du cumul pour les cinq organisations. Au total, le bilan chiffré de l’Hadopi d’octobre 2010 à août 2013 affiche 2.084.847 de premiers e-mails d’avertissement envoyés. Edition Multimédi@
a ramené ce cumul aux trente-cinq mois de réponse graduée : cela représente une moyenne de 59.567 emails par mois – soit finalement moins de 2.000 e-mail par jour
en moyenne. C’est, selon nos calculs, seulement 1,6 % du potentiel des 125.000 constats quotidiens envisagés au départ par les ayants droits ! La SCPP, la SPPF, la Sacem,
la SDRM et l’Alpa ont-ils surestimé l’ampleur du piratage sur Internet, du moins sur les réseaux peer-to-peer sur lesquels l’Hadopi est habilité par la loi à intervenir (à défaut
de pouvoir agir sur le streaming et le direct download) ?
Puis, seuls 10 % des pirates présumés qui ont reçu un premier avertissement ont été destinataires d’un deuxième avertissement, cette fois par courrier avec accusé de réception au nombre de 210.603 au total sur trente-cinq mois. Parmi ces récalcitrants, seul 0,3 % – soit 710 récidivistes – ont fait l’objet de délibérations de la part de la CPD. Edition Multimédi@ a demandé, en vain, à l’Hadopi de lui indiquer le nombre de dossiers de récidiviste transmis en fin de compte à la justice. Tout au plus sait-on qu’à la date du 1er octobre 2012, 18 dossiers de récidivistes avaient été transmis aux parquets et qu’à
ce jour seules quatre jugements ont été prononcés. Un seul a été condamné à une suspension de son accès à Internet durant quinze jours, peine qui ne sera pas appliquée a révélé PC INpact… @

Les services gérés neutralisent la neutralité du Net

En fait. Le 25 mars, l’Arcep met en place un « dispositif de mesure et de suivi de
la qualité du service fixe d’accès à l’Internet » pour informer les internautes sur la neutralité du Net, notamment sur trois usages-types : usage web, usage streaming vidéo, usage peer-to-peer. Et les services gérés ?

En clair. Derrière les grands débats sur la neutralité du Net et les grandes déclarations
en faveur d’une loi pour préserver ce principe, un pan entier du réseau des réseaux reste à l’écart : les « services gérés » ou « réseaux managés » de type IPTV ou réseaux IP privés (1), autant de réseaux dans le réseau où les opérateurs télécoms veulent garder une liberté totale. Un Internet peut ainsi en cacher un autre, comme le conçoivent bien l’Arcep et le Conseil national du numérique (CNNum) dans respectivement la décision du 29 janvier 2013 sur la mesure de la qualité des services et le rapport sur la Net neutralité du 1er mars 2013. « Les offres commerciales retenues [par l’Arcep pour ses ‘’points de mesure de qualité’’, ndlr] ne devront toutefois en aucun cas être des offres de type ‘’premium’’, c’est à dire susceptibles de bénéficier d’une qualité de service supérieure à celle obtenue au travers des offres les plus largement commercialisées par l’opérateur auprès du grand public », précise ainsi le régulateur. Le CNNum, lui, fait bien aussi le distinguo : « Afin de préserver la capacité d’innovation de l’ensemble des acteurs, tout opérateur de communications électroniques doit disposer de la possibilité de proposer,
en complément de l’accès à l’Internet, des ‘’services gérés’’, aussi bien vis-à-vis des utilisateurs finals que des prestataires de services de la société de l’information (…) ».
En fait, depuis le début des débats en 2010 sur la neutralité du Net, la dichotomie se le dispute à la schizophrénie ! « Si une qualité suffisante de l’accès à Internet, la transparence et l’interdiction des mesures de dégradation ciblée de la qualité de service sont assurées, il n’y a pas de raison d’empêcher les opérateurs de réseaux de proposer des services d’acheminement avec différents niveaux de qualité », ont ainsi expliqué il
y a deux ans les députées Corinne Erhel et Laure de La Raudière dans leur rapport à l’Assemblée nationale (2).
Ces deux Internet, avec un réseau où la neutralité des réseaux s’appliquerait et l’autre
où elle serait proscrite, risque d’amener les opérateurs télécoms et les FAI à migrer progressivement leurs services et contenus vers leurs « réseaux ménagés ». Tandis
que l’Internet historique, dit « grand public », serait dépouillé de ses contenus. A quoi
bon alors une qualité minimale garantie si les services proposés se réduisent à peau
de chagrin ? @