Frédéric Delacroix, délégué général de l’Alpa : « Le piratage reste à un niveau très important »

L’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), qui a 30 ans cette année, participe depuis 5 ans maintenant à la réponse graduée sur les réseaux peer-to-peer. Son délégué général estime que les chartes « anti-piratage » concernant tous les réseaux sont des mesures complémentaires à l’action
de l’Hadopi.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Frédéric Delacroix

Edition Multimédi@ : C’est à l’initiative du ministre de la Culture de l’époque, Jack Lang, et des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel que fut créée l’Alpa il y a 30 ans. Quels étaient les fondateurs ?
Frédéric Delacroix :
L’Alpa a été créée le 15 octobre 1985 (date de publication au Journal Officiel) à l’initiative des pouvoirs publics et des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel. Les membres fondateurs étaient le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) (1), la Fédération nationale des distributeurs de film (FNDF), le Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN) (2), la Société pour l’administration du droit de reproduction mécanique (SDRM), qui dépend de la Sacem (3), l’Association des producteurs de cinéma (APC) (4), ainsi que la Motion Picture Association (MPA),
dont sont membres les principaux studios de cinéma américains (Paramount, Sony Pictures, Twentieth Century Fox, Universal Studios, Walt Disney Studios et Warner Bros.).

EM@ : Ce sont aussi les 5 ans de l’autorisation que la Cnil (5) a accordée à
l’Alpa pour transmettre à l’Hadopi des adresses IP des internautes soupçonnés de piratage de films sur les réseaux peer-to-peer : qu’observez-vous ?
F. D. :
L’Alpa a obtenu en juin 2010 deux autorisations de la Cnil lui permettant de collecter 25.000 adresses IP par jour correspondant aux connexions détectées comme mettant à disposition sur les réseaux P2P des fichiers préalablement identifiés en tant que contrefaçons d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques. Précisons que ce sont les œuvres contrefaites qui font l’objet d’une observation de leur mise à disposition. Ainsi, 24.999 adresses IP par jour font l’objet de procès verbaux (PV) des agents assermentés de l’Alpa, qui sont transmis quotidiennement à l’Hadopi, laquelle identifie les titulaires des connexions auprès des FAI (6), puis leur adresse une première recommandation par e-mail. En cas de deuxième détection, une lettre recommandée est adressée au titulaire de la connexion et en cas de troisième détection de la même connexion, l’Hadopi peut transmettre le dossier au procureur
de la République compétent. L’abonné risque alors une pénalité de contravention de
5e classe pour défaut de surveillance et de sécurisation de sa connexion. Une des autorisations de la Cnil permet, à chaque collecte, d’adresser directement au procureur de la République l’IP de la connexion détectée comme mettant le plus d’œuvres contrefaites (fichiers) à disposition sur les réseaux P2P. Et ce, en vue de poursuite
pour le délit de contrefaçon.

EM@ : A combien d’IP avez-vous culminé par jour ? Et est-ce que la réponse graduée a fait baisser le piratage ? Quel bilan faites-vous ?
F. D. :
Il est évident que l’Alpa n’a pu culminer qu’à hauteur des 25.000 adresses IP
par jour autorisées par la Cnil ! L’envoi des premières lettres recommandées en mars 2011 par l’Hadopi a entraîné une forte baisse de l’utilisation des réseaux P2P. Cependant, depuis 2012, leur utilisation reste sensiblement au même niveau, à savoir plus de 6,5 millions d’utilisateurs uniques par mois.

EM@ : Depuis 2008, l’Alpa associée au CNC, en collaboration avec Médiamétrie
et la société TMG (choisie fin 2009 par l’Alpa, la SCPP, la Sacem et le SPPF pour identifier les pirates d’oeuvres sur le Net), réalise une étude d’audience des sites de piraterie audiovisuelle. Quels sont les derniers constats ?
F. D. : L’étude de l’Alpa de 2008 portait uniquement sur le téléchargement de films sur les réseaux peer-to-peer (P2P) et avait été réalisée avec un autre prestataire. L’étude réalisée avec Médiamétrie, le CNC et TMG en 2014 pour le secteur audiovisuel essaie de mesurer l’ampleur du piratage – tous réseaux confondus – et les contenus les plus piratés sur le streaming et le direct download (DDL).
Celle de 2015, publiée début avril, n’est que la mise à jour de la précédente et montre une relative stabilisation des usages du piratage. A savoir : un tiers sur le P2P, un tiers en DDL, et un tiers en streaming. Le piratage reste à un niveau très important puisque près d’un internaute sur trois a été « vu » utilisant les services d’un site web ou d’un protocole dédiés à la contrefaçon audiovisuelle/cinématographique, soit 13,5 millions d’internautes uniques.

EM@ : L’Hadopi, qui a un budget moindre en 2015 (6 M€ au lieu de 8,5M€), serait tentée de concentrer la réponse graduée sur les plus « gros » pirates du peer-to-peer, quitte à ne plus inquiéter les « petits » : qu’en pensez-vous ?
F. D. : L’Alpa ne dispose d’aucune information sur la stratégie adoptée par l’Hadopi.
Il est évident que, sur les réseaux P2P, cibler les « gros pirates » qui sont en fait techniquement des « gros diffuseurs » de contenus illicites a un sens. En réduisant cette source « d’essaimage » de contenus piratés, cela devrait techniquement faire baisser le piratage sur les réseaux P2P et donc avoir également une incidence sur le nombre de ce que vous nommez les « petits » pirates. Au 31 mars, l’Hadopi a transmis au parquet 249 dossiers, mais nous n’avons aucune visibilité sur les décisions prononcées.

EM@ : En octobre 2014, Nicolas Seydoux, président de l’Alpa, a demandé que soit mis en place des juges spécialisés « propriété littéraire et artistique » dans les tribunaux pour faire face au nombre de dossiers de piratage : a-t-il été entendu ?
F. D. :
La demande du président de l’Alpa semble avoir été entendue puisque le
conseil des ministres du 11 mars dernier fait état de la nomination « d’ici la fin juin »
de « magistrats référents » dans le cadre des affaires de contrefaçon « les plus complexes », suite à la communication faite par la ministre de la Culture et de la Communication sur des mesures pour lutter contre le piratage sur internet.

EM@ : La charte de lutte contre le piratage a été signée en mars par les professionnels de la publicité en ligne et les ayants droits, dont l’Alpa.
Allez-vous aussi cosigner en juin une autre charte avec cette fois les acteurs
du e-paiement ?
F. D. :
La charte signée le 23 mars dernier est une étape importante dans la lutte contre le piratage et le financement des sites dédiés à la contrefaçon. L’origine du piratage est aujourd’hui le fait d’une délinquance organisée, souvent à caractère international, dont le seul but est la recherche de profit. Ces revenus proviennent, pour ce qui concerne notre secteur, essentiellement de la publicité. Les niveaux de fréquentation de certains sites pirates génèrent des revenus très importants. Il est regrettable que les internautes ne se rendent pas compte qu’en utilisant les services de ces sites web, ils contribuent à financer ces réseaux de délinquants. La charte sur les moyens de paiement, à laquelle nous serons probablement associés, est également essentielle pour assécher les revenus de ces sites.

EM@ : Quels sites web l’Alpa a contribué à faire condamner en contrefaçon ?
F. D. :
La dernière condamnation en date, suite à des actions de l’Alpa, concerne le
site Wawa-mania, dont l’administrateur a été condamné à un an de prison ferme par le tribunal correctionnel. Depuis le début de l’année ont été jugés les administrateurs des sites GKS (6 mois de prison avec sursis et près de 2 millions de dommages et intérêts), Wawa-torrent (3 mois de prison avec sursis et 154 000 euros), eMule Paradise (jugement en délibéré). L’Alpa a de nombreuses affaires en cours auprès de services de police ou de gendarmerie. The Pirate Bay et T411 sont des actions du secteur de
la musique sur du blocage d’accès. Les membres de l’Alpa ont été précurseurs sur
ce type d’action avec l’affaire Allostreaming. @