Rejet du projet d’accord Canal+/BeIn Sportspar l’Autorité de la concurrence : rendez-vous dans… cinq ans

L’Autorité de la concurrence a rejeté la demande du groupe Canal Plus de lever l’injonction imposée en 2012 qui l’empêche de distribuer en exclusivité des chaînes sportives premium. Imposer des mesures sur cinq ans à l’heure d’une économie numérique à l’évolution fulgurante est-elle pertinente ?

Rémy Fekete (photo), associé Jones Day, avec la collaboration de Christophe Chadaillac

Première devinette : quel groupe a présenté cinq films au dernier festival de Cannes ? (1) Deuxième devinette : quel groupe a passé la barre des 3 millions d’abonnés à l’occasion de la retransmission des matches de l’Euro 2016 ? (2) Et pour finir, question piège : le secteur de l’audiovisuel a-t-il considérablement évolué selon l’Autorité de la concurrence ?
(3) Quatre ans après avoir obtenu l’accord de l’Autorité de
la concurrence pour le rachat de TPS et CanalSatellite (4)
et les chaînes groupe Direct, le groupe Canal Plus est en perte de vitesse.

Dix ans après TPS/CanalSatellite
Canal+ a en effet affiché une perte de 264 millions d’euros en 2015 due notamment à une baisse d’abonnés (5). Face à la concurrence des acteurs dits OTT (Over-The- Top) tels que Netflix – et maintenant Amazon – sur le cinéma et les séries, Canal+ souhaitait se renforcer dans les contenus sportifs avec la conclusion d’un accord avec BeIn Sports, son principal concurrent dans l’acquisition des droits, pour distribuer ses chaînes en exclusivité. C’est en 2006 que le groupe Canal Plus avait été autorisé à prendre le contrôle de TPS et CanalSatellite (6). Après avoir retiré cette autorisation
en 2011 pour inexécution de plusieurs engagements déterminants souscrits à cette occasion (7), l’Autorité de la concurrence a finalement autorisé l’opération en 2012 (8). Dans le même temps, le groupe Canal Plus a racheté les chaînes Direct 8 et Direct Star au groupe Bolloré (9).
La décision d’autorisation de l’Autorité de la concurrence a été annulée par le Conseil d’Etat, mais l’opération a été autorisée à nouveau en 2014 (10). A l’issue de ces opérations, le groupe Canal Plus regroupait au sein de Canal+ France les bouquets satellitaires CanalSatellite et TPS, les chaînes thématiques de Canal+ et les chaînes gratuites de la TNT renommées D8 et D17. Afin de contrebalancer le renforcement de la position dominante du groupe sur le marché de l’achat de droits de diffusion et celui de la distribution, l’Autorité de la concurrence a assorti ses autorisations de mesures censées rétablir une concurrence suffisante sur les marchés de la télévision gratuite et payante et permettre à des distributeurs alternatifs de concurrencer le groupe Canal Plus. L’injonction dont le groupe Canal Plus a sollicité la levée lui impose de reprendre dans l’offre CanalSat toutes les chaînes premium, de cinéma ou sportives, sur une base non-exclusive (11). Celle-ci n’est toutefois que l’une des très nombreuses mesures imposées au groupe, au-delà du sport, soit au titre des injonctions fixées
par la décision 12-DCC-100, soit au titre des engagements pris par lui et rendus contraignants par la décision 14-DCC-50 (voir encadré page suivante).

Les chaînes de BeIn Sports détiennent notamment des droits de diffusion majeurs dans le football en France et en Europe. Le projet de distribution exclusive des chaînes devait recouvrir toutes les plateformes (ADSL, satellite, OTT), en garantissant une rémunération à BeIn Sports, tandis que le groupe Canal Plus devait gérer l’ensemble des abonnements aux chaînes et en percevoir les recettes en deçà d’un certain revenu. Les chaînes de BeIn Sports devaient faire leur entrée dans les offres groupées de Canal+, lesquelles devaient elles-mêmes être modernisées, ainsi qu’à travers un abonnement autonome en télévision linéaire et un accès sur Internet.
Un tel accord ne pouvait toutefois être conclu que si l’Autorité de la concurrence acceptait de lever l’injonction « 4 (a) » mentionnée. Le groupe Canal Plus a donc demandé, comme le prévoyait la décision 12-DCC-100, que l’injonction soit modifiée pour ne plus concerner les chaînes sportives. En vertu du projet d’accord, l’offre de télévision payante du groupe Canal Plus aurait regroupé plus de 70 % des droits sportifs (12), détenus par Canal+ et BeIn Sports. Pour l’Autorité de la concurrence, cette concentration des droits aurait présenté, entre autres, le risque d’affaiblir considérablement les offres de télévision payante concurrentes qui n’auraient plus de contenus sportifs attractifs à proposer à leurs abonnés : aucun distributeur ne pourrait sérieusement rivaliser avec le groupe Canal Plus, ni un nouvel acteur émerger.

Diversifier l’offre pour le public
A cet égard, les acquisitions des droits de diffusion de la seule Premier League Anglaise par SFR ou des jeux olympiques par Discovery n’ont pas convaincu l’Autorité de la concurrence d’une évolution significative du marché – alors que les effets vertueux de ses injonctions commencent à peine, selon elle, à se faire ressentir. L’Autorité de la concurrence, tout comme le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), considère que cette injonction s’inscrit dans un dispositif dont l’objet est de favoriser la diversification de l’offre pour les consommateurs en permettant l’accès
des distributeurs concurrents à une offre de gros de chaînes suffisante, à la fois pour
le cinéma et le sport. Elle est ainsi associée aux injonctions relatives à la reprise de chaînes indépendantes dans l’offre CanalSat, aux dégroupages des chaînes cinéma
du bouquet CanalSat et à la limitation des exclusivités mentionnées.

Préparer la révision de 2017
Lever cette seule injonction à la demande du groupe Canal Plus reviendrait ainsi, pour l’Autorité de la concurrence, à rompre l’équilibre de ce dispositif qui perdrait de son effectivité. La direction des groupes Canal Plus et Vivendi n’a pas hésité à décrire une situation financière et économique de Canal+ catastrophique et des pertes qui seraient insurmontables sans la conclusion de cet accord. Jusqu’en assemblée générale, Vivendi n’a pas hésité à brandir le risque de disparition de la chaîne, en soulignant les risques de pertes d’emplois et de financement du PAF – les représentants du cinéma français ont d’ailleurs publiquement demandé à l’Autorité de la concurrence d’autoriser l’accord. Cette demande participe donc plus généralement d’une stratégie de moyen terme, qui prépare la révision de 2017 : les mesures correctrices imposées par les décisions 12-DCC-100 et 14-DCC-50 arrivent à échéance le 23 juillet 2017. A cette date, l’Autorité peut prolonger leur application pour cinq années supplémentaires à l’issue d’une nouvelle analyse « en considération de l’évolution des circonstances de droit ou de fait ». La demande s’inscrit également dans la politique de restructuration interne menée par Vivendi au sein de Canal+. Le refus de l’Autorité de la concurrence n’est pas une surprise pour de nombreux commentateurs, et la décision correctement fondée.

Reste l’essentiel : le mode de fonctionnement de l’Autorité de la concurrence, sa relative lenteur, l’idée même de décision susceptible de geler pendant une durée de cinq ans un secteur dont l’évolution est aussi véloce que celui du numérique, tout
cela ne mériterait il pas une profonde révision ? Ne peut-on espérer de l’Autorité de la concurrence un mode de travail plus adapté aux rythmes de l’évolution des marchés dont elles ont la charge ? Selon l’Autorité de la concurrence et le CSA, le marché des droits sportifs n’a pas évolué au point de justifier une anticipation d’un an sur le réexamen de la situation concurrentielle. On aurait préféré que, se saisissant de l’opportunité du dossier, elle procède au réexamen de la situation concurrentielle,
quitte à en conclure à une forme de statut quo pour l’année 2016 mais en donnant plus de visibilité au marché sur l’après 2017. L’Autorité de la concurrence vient d’annoncer qu’elle lance – le 20 juillet – une consultation publique « auprès des éditeurs de chaînes payantes et gratuites, et des nouveaux entrants comme Netflix voire Amazon en France, pour voir ce qui a changé ». Enfin… @

ZOOM

Mesures correctives imposées à Canal+ jusqu’en juillet 2017
Aux termes de ces décisions, le groupe Canal Plus doit ainsi, jusqu’en juillet 2017 :
• Limiter à trois ans la durée des accords-cadre (« output deals ») conclus avec les majors américaines pour l’achat de droits de diffusion de films en TV payante (1e et
2e fenêtre) ;
• S’abstenir de conclure avec plus d’une major des output deals portant à la fois sur l’acquisition, d’une part, de droits de diffusion de films en 1e et/ou 2e fenêtre de TV payante et, d’autre part, de droits de diffusion de films inédits et/ou de séries récentes en clair ;
• Négocier et conclure séparément ses output deals avec les majors portant sur les droits pour des films en TV payante en 1e fenêtre, ceux en 2e fenêtre et pour les séries récentes avec une valorisation individuelle et sans remise de couplage ;
• S’abstenir de conclure des output deals avec les détenteurs de droits français et opérer la même séparation dans la conclusion de contrats pour les achats de droits français pour la 1e et la 2e fenêtre en TV payante ;
• Acheter séparément auprès des majors les droits de diffusion pour la VOD et la SVOD , sur une base non exclusive et sans les coupler avec des achats de droits pour une diffusion linéaire de TV payante ;
• S’abstenir de demander à ce que sa plateforme VOD ou SVOD soit distribuée de manière exclusive sur les plateformes des FAI ;
• S’abstenir de préacheter les droits de diffusion en TV payante et en clair d’un même film français pour plus de 20 films par an, avec en sus des quotas en fonction du devis des films ;
• Négocier séparément les droits de diffusion de films français, de films et séries américains récents et d’évènements sportifs d’importance majeure pour la TV payante et gratuite, sans couplage, et opérer une séparation juridique et opérationnelle des activités d’acquisition de droits de diffusion en TV payante et en clair .
• Céder avec mise en concurrence les droits de diffusion en clair des évènements sportifs d’importance majeure non diffusés en clair sur Canal+ que D8 et D17 souhaiteraient diffuser ;
• Limiter les acquisitions de droits de diffusion par D8 et D17 auprès de StudioCanal en fonction du nombre d’acquisition annuelles total par celles-ci et de leur valeur ;
• Opérer une séparation juridique et comptable des activités d’édition et de distribution des chaînes du Groupe Canal Plus ;
• Reprendre dans l’offre CanalSat un quota de chaînes indépendantes dans des conditions transparentes, objectives et non discriminatoires ;
• Découpler la distribution exclusive de chaînes sur CanalSatellite et sur les plateformes d’opérateurs tiers avec une valorisation distincte dans les contrats ;
• Dégrouper les chaînes cinéma du bouquet CanalSat éditées par le Groupe Canal Plus avec un maintien de leur qualité pour les mettre à la disposition de tout distributeur qui en fait la demande ; Pour l’ensemble de ces mesures, le Groupe Canal Plus a en outre été soumis à la surveillance de mandataires. @

1 – A savoir les groupes intégrés autour de NBC Universal, Sony
Pictures, 20th Century Fox, Walt Disney, Warner Bros. et
Paramount/CBS et leurs filiales, qui représentent 80 % de la
production de films et séries américaines.
• 2 – Injonction 1 (a).
• 3 – Engagement 2.1 de la décision 14-DCC-50.
• 4 – Injonction 1 (b) de la décision 12-DCC-100.
• 5 – Injonction 1 (d).
• 6 – Injonction 7 (a).
• 7 – Vidéo à la demande à l’acte (VOD) et par abonnement(SVOD).
• 8 – Injonction 7 (c).
• 9 – Engagement 2.2.1 de la décision 14-DCC-50.
• 10 – Engagement 2.6.
• 11 – Engagement 2.4.
• 12 – Engagement 2.3.
• 13 – Injonction 9 (a) de la décision 12-DCC-100.
• 14 – Injonctions 3 (a) et (b).
• 15 – Injonction 5 (a).
• 16 – Injonction 6 (a).
• 17 – Injonction 10 de la décision 12-DCC-100 et engagement 4 de la décision 14-DCC-50.

Un an après son lancement en France, comment Netflix tire le marché de la SVOD

Grâce à Netflix présent en France depuis un an, le marché de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) commence à décoller et devrait atteindre 470 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018. Mais le numéro un américain s’arrogera les deux-tiers : pas très réjouissant pour les autres…

Reed HastingsSelon les prévisions du cabinet d’études NPA Conseil, Netflix devrait réaliser en 2018 environ 290 millions d’euros de chiffre d’affaires sur le marché français de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) qui atteindrait alors un total de 470 millions d’euros – contre 173 millions attendus cette année (voir graphique ci-dessous).
Pendant que la firme américaine dirigée par Reed Hastings (photo) se taillera la part du lion, soit les deux tiers du marché français, les autres services concurrents essaieront de tirer tant bien que mal leur épingle du jeu. CanalPlay devrait stagner au cours de ces trois prochaines années, après avoir atteint les 600.000 abonnés fin 2014 (700.000 revendiqués aujourd’hui).

Près de 1 million d’abonnés Netflix en France d’ici la fin de l’année
Le service de SVOD du groupe Canal+ serait ainsi en passe d’être dépassé par Netflix, lequel devrait atteindre en fin d’année : soit 600.000 abonnés (scénario pessimiste de NPA Conseil), soit 900.000 abonnés (scénario optimiste).
Si CanalPlay risque de stagner à moins de 1 million d’abonnés d’ici à 2018, le service américain devrait quant à lui afficher 1,1 million d’abonné (scénario pessimiste), voire 2,7 millions (scénario optimiste). Une des raisons de ce succès annoncé de ce nouvel entrant réside dans dans son catalogue qui, ayant démarré il y a un an en France avec seulement 3.598 programmes, dépasse maintenant en nombre ceux de tous ses concurrents : à fin juin, Netflix propose en France 10.848 programmes (dont 131 séries, parmi lesquelles 9 françaises), contre 9.136 programmes chez CanalPlay (dont 115 séries, parmi lesquelles 12 françaises), suivi de Jook Video avec 3.890 programmes (que AB Groupe a arrêté le 30 juin dernier (1) pour se concentrer sur des thématiques), TFou Max de TF1 avec 2.683, Club Video SFR de Numericable- SFR avec 1.876 programmes, Video Futur de Netgem avec 1.256 programmes, Pass M6 avec 992 programmes et Filmo TV du groupe Wild Bunch avec 445 programmes. Netflix se distingue aussi par ses créations originales : House of Cards, Orange is the New Black, Marco Polo, Daredevil, … Même si le service de SVOD aux 70 millions d’abonnés dans le monde, est en passe d’écraser tous ses concurrents français, il leur fait tout de même profiter de sa dynamique de développement. « La montée en puissance de Netflix devrait exercer un effet moteur sur l’ensemble du marché, et particulièrement pour les services qui se positionneront de façon alternative aux grandes plateformes généralistes (à l’exemple de TFou Max ou de Gulli Max sur le segment jeunesse, ou d’Afrostream dont le lancement interviendra à la rentrée) », prévoit NPA Conseil, pour qui la firme de Los Gatos fait preuve d’une « implantation solide et durable en France ». Netflix propose en outre à fin juin quelque 130 films français, dont un nombre significatif ont moins de 36 mois car ils sont sortis aux Etats-Unis. En France, la réglementation de la chronologie des médias interdit actuellement de commercialiser un nouveau film en SVOD avant 36 mois justement. Cette contrainte en vigueur depuis 2009 aurait pu être un obstacle au décollage de Netflix sur l’Hexagone : il n’en est rien, même si ce délai de trois ans est devenu anachronique à l’heure d’Internet. La reprise des négociations le 1er juillet dernier pour réformer cette chronologie des médias (2) obsolète pourrait aboutir à un passage de 36 mois à 30, 22, voire 21 mois (3). Ce serait un petit coup
de pouce pour rafraîchir un peu les catalogues de la SVOD en France. @

Charles de Laubier

CSA : un régulateur du PAF en quête d’un PAE émergent

En fait. Le 2 octobre, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – doté de compétences économiques depuis la loi du 15 novembre 2013 – a organisé
un premier séminaire sur « l’enjeu économique » du secteur confronté au numérique et à de nouveaux entrants dans le PAE (paysage audiovisuel européen).

En clair. Le PAF est mort. Vive le PAE (paysage audiovisuel européen) ! C’est en substance ce qui ressortait tant bien que mal de ce premier séminaire économique
du CSA, lequel s’est lancé le défi de réunir auteurs, producteurs, ayants droits, éditeurs, diffuseurs, distributeurs, annonceurs ou encore équipementiers pour un « dialogue » qui fait défaut jusque-là. Il s’agit surtout de préparer la réforme du cadre réglementaire national d’un audiovisuel encore très franco-français dépassé par la nouvelle donne
du numérique résolument transfrontalière. Et ce, dans un contexte très délicat de crise structurelle. « Le secteur de l’audiovisuel (…) est aujourd’hui confronté à un marché publicitaire sérieusement atteint et à l’arrivée d’acteurs globaux [dont Netflix, Google
ou Amazon, ndlr] dans un environnement numérique riche d’interrogations et de potentialités », a diagnostiqué le président du CSA, Olivier Schrameck, qui a aussitôt placé les enjeux économiques de l’audiovisuel au niveau de l’Europe. « L’adaptation
de la législation européenne est en effet indispensable pour affronter la concurrence internationale. C’est une priorité pour la régulation », a-t-il souligné. Il n’a pas manqué de rappeler qu’il avait été élu en mars dernier – et jusqu’à fin 2015 – président du Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA) (1), dont la deuxième réunion plénière se tiendra le 21 octobre à Bruxelles et la troisième devrait avoir lieu à Paris début 2015. Une aubaine pour la France qui pourra y faire valoir ses positions et son « exception culturelle ».

Ce séminaire a finalement pris acte de la fin du PAF au profit d’un PAE, dont les directives européennes qui le régissent détermineront plus que jamais les orientations législatives nationales (lire en Une). Aussi, le prochain séminaire du CSA sera consacré à « la rénovation des instruments juridiques européens », en particulier à la refonte de la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA). Cette dernière (2) exclut de la définition des SMAd – « d » pour « à la demande comme la VOD ou la catch up TV – les plateformes telles que YouTube, Dailymotion ou encore Netflix. Cela suppose aussi de revisiter d’autres directives européennes : « Commerce électronique » (sur la question sensible de la responsabilité des hébergeurs), « IPRED » (sur les droits d’auteur), « DADVSI » (dont la définition des intermédiaires d’Internet). @

Corinne Denis, présidente du Geste : « Google Actualités s’est construit avec nos contenus »

Présidente du Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste), lequel a
25 ans cette année, Corinne Denis – par ailleurs DGA du groupe Express Roularta
– parle des grands défis de son mandat : mesure d’audience, Google Actualités, publicité en ligne, fiscalité numérique, multi-écran, …

Propos recueillies par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Vous avez été élue il y a quatre mois à la présidence du Geste. Quelles sont vos priorités ? La diversité de vos membres et l’absence
de définition du métier d’éditeur de service en ligne
ne sont-elles pas des handicaps pour trouver des consensus ?
Corinne Denis :
Les priorités du Geste n’ont pas changé avec ma nomination. Notre organisation regroupe toujours ses membres autour du business, de l’innovation et du partage d’expertises sur les nouveaux modèles économiques. Avec, pour principal objectif, la construction d’un écosystème pérenne et équitable pour les éditeurs. Ainsi, nous prenons position sur des sujets qui touchent le cœur de notre activité, suivons de près les usages et les besoins, et sommes exigeants sur la qualité des mesures de certification. La diversité des membres n’a jamais été un obstacle et a toujours participé de la pertinence des prises de positions du Geste. C’est le seul endroit en France où se côtoie l’ensemble des professionnels éditeurs en ligne, tous horizons confondus (médias, vidéo, musique, jeux, ou encore des petites annonces et enchères). Certains sujets ne font pas l’unanimité, comme dans toute association, mais les sujets qui intéressent tout
le monde sont légion: réseaux sociaux, télévision connectée, monétisation des contenus, jeux en ligne, protection des données utilisateurs, neutralité du Net… Le Geste élit chaque année un conseil d’administration qui représente les différents secteurs de l’édition en ligne. Il permet d’orienter la stratégie de l’association, son positionnement, son organisation en commissions et ses prises de parole.

« La mesure d’audience hybride sera positive pour
les sites web à forte proportion de jeunes, mais plus
mitigée pour certains sites féminin ou plus seniors ».

EM@ : Après les 11 onze ans de Philippe Jannet, homme de presse (Parisien Libéré, Les Echos, Le Monde), vous, femme de presse (L’Express, Express Roularta), lui succédez, alors que certains au Geste auraient préféré avoir une présidence issue d’un groupe multi-écran et audiovisuel pour mieux appréhender les nouveaux enjeux du PAF ? Que leur dites-vous ?
C. D. :
Je pense que c’est Philippe, avec l’excellente équipe des permanents du Geste, qui a réussi à fédérer plus de 120 sociétés, avec les télévisions, les radios et bon nombre d’éditeurs de services en ligne, et permis à l’association d’exister aujourd’hui avec cette dynamique et cette reconnaissance publique. Face à cette réussite incontestée, son media d’origine me semble de peu d’importance. Il est vrai qu’il y a dix ans, les enjeux des éditeurs en ligne concernaient surtout les entreprises de presse, alors que les TV ne sont concernées par les défis du numérique que depuis trois ou quatre ans… Quant à moi, je me définis plus comme une femme de médias que de presse, dans un groupe qui fait
déjà du multi-écran, même si la chaîne de TV de Roularta n’émet qu’en Belgique. Ce n’est surtout pas moi seule qui incarne le Geste, mais son conseil d’administration et son bureau, qui regroupe des hommes et des femmes entrepreneurs du Net et reconnus par la profession. Nous avons eu, cette année, quinze candidats pour neuf postes, et cette belle diversité a donné naissance à un conseil où, entre autre, les acteurs du PAF sont représentés.

EM@ : La mesure d’audience hybride (panel et site centric) est un enjeu global majeur pour les éditeurs online cette année : quels enseignements peut-on tirer
des premiers résultats depuis le printemps ? Le CESP a-t-il retenu la même méthodologie que celle de Médiamétrie ? Certains sites web risque de voir le nombre de VU/mois chuter jusqu’à 20 % : pourquoi ?
C. D. :
La première mesure d’audience hybride n’est pas encore publiée parce que Médiamétrie [NDRL : qui nous indique une publication « fin octobre »] attend les conclusions définitives du Centre d’étude des supports de publicité (CESP) sur trois
mois consécutifs de mesure. Cette nouvelle mesure, très attendue par l’ensemble des acteurs, en plus de rapprocher les visites issues du site centric et celles du users centric, est impactée par un important redressement du panel – enfin ! – pour une meilleure représentation des jeunes, une sous-pondération des seniors et des femmes jeunes et consommatrices. La mesure qui sortira ne sera donc pas comparable aux résultats du panel de l’« ancienne méthode », puisque son périmètre n’est pas le même. Ce sera
donc effectivement un gros enjeu pour le marché et les éditeurs. C’est une mesure positive pour les sites web à forte proportion de jeunes, dont on savait qu’ils étaient sous-estimés à cause de la représentativité de cette classe d’âge, mais un bilan plus mitigé pour certains sites féminin ou plus seniors. Nous espérons que Nielsen [qui est associé à Médiamétrie pour créer la mesure d’audience « Médiamétrie-Netratings », ndlr] saura efficacement communiquer pour que le marché ne tire pas de conclusions hâtives sur
ces résultats qui ne reflètent pas seulement l’« hybridation » de la mesure, mais aussi
un important redressement du panel.

EM@ : Le 28 septembre, le Geste a considéré comme « piste de réflexion intéressante » la proposition de loi de l’IPG (SPQN, SEPM et SPQR) pour que Google rémunère la presse sur Google Actualités. Entre la taxe Google 2.0
(Geste opposé) et la Lex Google (Geste favorable) des éditeurs allemands et français, Google ne risque-t-il pas de devenir une vache à lait ?
C. D. :
Franchement, avant que Google ne devienne une vache à lait pour les éditeurs français il y a de la marge ! On estime qu’aujourd’hui en France, le chiffre d’affaires de la presse en ligne serait de l’ordre de 300 millions, d’euros pour 1,3 à 1,5 milliard de dollars pour les moteurs de recherche. Or Google ne déclarent que 40 millions d’euros de recettes sur notre territoire… Ils participent peu à la création d’emplois (entre 300 et 350 personnes chez Google France). Google Actualités s’est construit avec nos contenus. D’ailleurs, depuis des années, nous échangeons avec eux sur ce sujet. Et s’ils ont tenu leur promesse de ne jamais vendre de publicité sur Google Actualités, en incluant les news dans le moteur, ils ont habilement contourné l’obstacle. Seule exception notable :
le bras de fer avec l’AFP les a obligés à rémunérer la reprise des dépêches. Preuve que, parfois, la négociation aboutit…

EM@ : Le marché de la publicité en ligne est confronté à un recul de ses recettes (ralentissement de la croissance en 2012). Ne craignez-vous pas que les nouvelles règles de consentement préalable obligatoire, de protection des données personnelles et de fiscalité numérique ne donnent un coût de frein aux investissements des annonceurs ?
C. D. :
Nous sommes effectivement préoccupés quant à l’impact de cet encadrement sur le comportement des annonceurs et la stabilité des modèles économiques mis en oeuvre par les éditeurs. Mais en réalité, ceux qui ont le plus à perdre sont ceux dont l’activité est à 100 % dépendante de la collecte de données (data) et le « reciblage » (retargeting) publicitaire. Donc, in fine, ce sont les mécanismes d’achat d’espaces, d’enchères, et de RTB (real time bidding ou enchères en temps réel d’espaces publicitaires en ligne, ndlr) qui sont à risques. Or ces derniers monétisent globalement la masse d’inventaire invendue du point de vue des éditeurs ou à faible valeur ajoutée hors zone premium. @

Vincent Dureau fut le grand absent du lancement en France de la Google TV, dont il est le « père »

Intervenu le 18 septembre à Paris lors de la première grande démonstration de la Google TV, dont il est le directeur des partenariats pour l’Europe, Christian Witt a donné le 27 septembre le coup d’envoi en France de la « box Internet » de Sony qui va déchaîner la télévision et le PAF.

Vincent Dureau

Le paysage audiovisuel français (PAF) s’en remettra-t-il ? Le coup d’envoi de la commercialisation de la Google TV a été donné le 27 septembre par le japonais Sony. La France est ainsi le deuxième pays en Europe – avec l’Allemagne et les Pays-Bas – à commercialiser la box audiovisuelle intégrant le système d’exploitation Android, l’accès optimisé à YouTube, le navigateur Chrome et la boutique Google Play. Et ce, après la Grande-Bretagne et l’Australie en juillet, et avant le Brésil et le Mexique en octobre. Le sud-coréen Samsung vise lui aussi l’Europe. « La Smart TV avec Google TV sera lancée d’ici la fin de l’année, avec les contenus premium de Samsung Apps », nous a indiqué Christian Witt, directeur des partenariats Google TV pour la région EMEA (1).
Ailleurs, d’autres fabricants se partagent les rôles. Aux Etats-Unis, le sud-coréen LG commercialise depuis juin et l’américano-taïwanais Vizio depuis juillet. Au Canada, Mexique et Brésil, c’est pour bientôt. Quant au chinois Hisense, il se lancera en Amérique du Nord cet automne et en Asie ensuite.

Sony ne donne pas d’objectifs de ventes…
Ironie de l’histoire, le « père » de la Google TV est un Français ! Il s’agit du très discret Vincent Dureau (notre photo) qui est à l’origine du projet depuis qu’il a rejoint la firme de Mountain View dans la baie de San Francisco. Ex-ingénieur ENST (2) chez Thomson durant dix ans, c’est lui qui avait ensuite co-fondé en 1994 OpenTV – pionnier franco-américain des décodeurs TV interactifs. Mais il a brillé par son absence en France pour le lancement… Après l’échec de la première version de la Google TV lancée aux Etats-Unis il y a deux ans, où Sony, Intel et Logitech ont essuyé les plâtres, Vincent Dureau espère enfin être récompensé de sept ans d’efforts.
En Europe, la petite box Internet de Sony – la NSZ-GS7 de 20 cm sur 15 – est commercialisée avec ou sans lecteur Blu-Ray, 199 euros, accompagnée d’une télécommande recto-verso (clavier d’un côté) et gyroscopique (pour en faire une manette de jeux). « Nous ne divulguons pas nos objectifs de ventes », a nous répondu Philippe Citroën, DG de Sony France, en marge de la présentation du 27 septembre (lire aussi ci-contre). C’est sans doute pour ne pas gêner le lancement européen de la box TV de Sony que, le 31 juillet, le géant du Net a reporté à une date indéterminée de sa sphère Nexus Q, laquelle, connectée à un téléviseur, permet d’y diffuser des contenus multimédias (films, séries, musiques, télévisions, …).

Convaincre publicitaires et partenaires
Edition Multimédi@ a par ailleurs demandé à Christian Witt si Google envisageait de lancer sa propre « Nexus TV », comme cela est fait depuis cet été avec la tablette Nexus
7 ou après la tentative avortée du smartphone Nexus One il y a deux. « Non, ce n’est pas prévu. Nous nous appuyons sur nos différents partenaires industriels qui intègrent Android et Google TV », nous a-t-il répondu en marge de la première grande démonstration en France de la Google TV, le 18 septembre devant un parterre de
150 professionnels de la publicité (annonceurs et agences) réunis sur le thème de la convergence.
« La télévision va rester le premier écran grâce à l’intégration d’Android et de Google Play, et à la facilité d’usage offerte. Le téléspectateur pourra interagir avec son téléviseur à partir de son smartphone ou sa tablette (3), laquelle devient le second écran TV », leur a expliqué Christian Witt. Google TV joue l’ouverture avec sa nouvelle plateforme Android TV proposée gratuitement aux fabricants – comme il le fait pour les smartphones auprès des fabricants de mobiles – et des développeurs d’applications. Google Play prélève 30 % de commission sur les ventes.
En France, les premiers partenariats avec des fournisseurs de contenus ont été conclus avec non seulement France Télévision, France 24 et Euronews, mais aussi une multitude d’éditeurs tels que AuFeminin (Axel Springer), Universal Music (Vivendi), Télé 7 Jours (Lagardère), Dailymotion (France Télécom), MySkreen (Frédéric Sitterlé), 20 Minutes (Schibsted), ou encore QooQ (Unowhy). Mais derrière la Google TV, il y a la puissance de feu de YouTube qui ambitionne de concurrencer les chaînes de télévision en lançant ses propres chaînes thématiques et des programmes exclusifs.
C’est l’effet « GooTube » (4) ! Le bouquet TV du géant du Net doit être lancé en France « avant fin 2012 », comme l’a indiqué le DG de Google France, Jean-Marc Tassetto. AuFeminin en ferait partie, tout comme le producteur Endemol, l’agence Capa, Kabo Productions ou encore 3e OEil Productions.

« GooTube » affole le PAF
YouTube achète chaque programme original jusqu’à 1 million d’euros, puis partage les recettes publicitaires (5). Pour mesurer l’audience « multi-écran », Google s’est associé à Médiamétrie pour lancer un panel en avril 2013. Les fameux Original Programming lancés aux Etats-Unis sur YouTube Channels drainent déjà plusieurs millions de téléspectateurs, parfois plus que des chaînes traditionnelles américaines. En mai 2011, Google avait annoncé qu’il consacrerait 100 millions de dollars dans des contenus audiovisuels exclusifs.
L’investissement de Google dans la production audiovisuelle est un tournant historique pour le PAF. D’autant qu’en France, plus que partout ailleurs dans le monde, les groupes privés de télévision craignent l’arrivée de ce nouvel entrant Over-The-Top (OTT). Contrairement à France Télévisions, les TF1, M6 et Canal+ – ainsi que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) avec lesquels elles veulent préserver leur écosystème fermé IPTV (6) – ne cessent de dénoncer un « Internet non régulé » et la « concurrence déloyale » que représentent ces acteurs du Net « venus de l’étranger » et non soumis aux mêmes règles en termes de financement de la création et de fiscalité numérique. Ils en appellent aux pouvoirs publics pour imposer aux nouveaux venus de la TV connectée et de la VOD implantés en dehors de l’Hexagone les mêmes obligations et taxes qui pèsent sur eux (7). Et concernant la « taxe Google 2.0 » (sur les régies publicitaires du Net), Jean-Marc Tassetto nous a répondu en marge de la conférence du 18 septembre que « taxer la publicité en ligne va pénaliser les PME qui créent des emplois en France » et « que [ses] équipes [des Affaires publiques] discutent actuellement » avec son auteur Philippe Marini, le président de la commission des Finances du Sénat…

TV connectée : livre vert européen fin 2012
Par ailleurs, Google participe – contrairement à Apple – aux réunions confidentielles de la Commission de suivi des usages de la TV connectée mise en place par le CSA (8), lequel doit – selon nos informations – dresser un premier bilan des travaux « à l’automne » à l’issue de la prochaine plénière prévue « vers la Toussaint ». Tandis que la Commission européenne publiera un livre vert sur la TV connectée « avant la fin de l’année ». Quant à la Cnil (9), elle compte publier à l’automne un guide des bonnes pratiques de la TV connectée… @

Philippe Citroën, DG de Sony France :
« Les discussions se poursuivent avec TF1 et M6 »

Interrogé par EM@ sur l’absence dans le bouquet Google TV de TF1 et M6, pourtant présentes sur respectivement Google Play et les téléviseurs connectés Bravia de Sony, le patron de Sony a répondu que « les discussions se poursuivent avec elles ». Depuis la charte « TV connectée » signée par les seules chaînes le 19 octobre 2010, « un désaccord persiste sur l’utilisation de la surface de l’écran » (pas de surimpression sur leurs programmes). Par ailleurs, selon nos informations, TF1 – qui a perdu le 29 mai dernier contre YouTube – va faire appel. @