Corinne Denis, présidente du Geste : « Google Actualités s’est construit avec nos contenus »

Présidente du Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste), lequel a
25 ans cette année, Corinne Denis – par ailleurs DGA du groupe Express Roularta
– parle des grands défis de son mandat : mesure d’audience, Google Actualités, publicité en ligne, fiscalité numérique, multi-écran, …

Propos recueillies par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Vous avez été élue il y a quatre mois à la présidence du Geste. Quelles sont vos priorités ? La diversité de vos membres et l’absence
de définition du métier d’éditeur de service en ligne
ne sont-elles pas des handicaps pour trouver des consensus ?
Corinne Denis :
Les priorités du Geste n’ont pas changé avec ma nomination. Notre organisation regroupe toujours ses membres autour du business, de l’innovation et du partage d’expertises sur les nouveaux modèles économiques. Avec, pour principal objectif, la construction d’un écosystème pérenne et équitable pour les éditeurs. Ainsi, nous prenons position sur des sujets qui touchent le cœur de notre activité, suivons de près les usages et les besoins, et sommes exigeants sur la qualité des mesures de certification. La diversité des membres n’a jamais été un obstacle et a toujours participé de la pertinence des prises de positions du Geste. C’est le seul endroit en France où se côtoie l’ensemble des professionnels éditeurs en ligne, tous horizons confondus (médias, vidéo, musique, jeux, ou encore des petites annonces et enchères). Certains sujets ne font pas l’unanimité, comme dans toute association, mais les sujets qui intéressent tout
le monde sont légion: réseaux sociaux, télévision connectée, monétisation des contenus, jeux en ligne, protection des données utilisateurs, neutralité du Net… Le Geste élit chaque année un conseil d’administration qui représente les différents secteurs de l’édition en ligne. Il permet d’orienter la stratégie de l’association, son positionnement, son organisation en commissions et ses prises de parole.

« La mesure d’audience hybride sera positive pour
les sites web à forte proportion de jeunes, mais plus
mitigée pour certains sites féminin ou plus seniors ».

EM@ : Après les 11 onze ans de Philippe Jannet, homme de presse (Parisien Libéré, Les Echos, Le Monde), vous, femme de presse (L’Express, Express Roularta), lui succédez, alors que certains au Geste auraient préféré avoir une présidence issue d’un groupe multi-écran et audiovisuel pour mieux appréhender les nouveaux enjeux du PAF ? Que leur dites-vous ?
C. D. :
Je pense que c’est Philippe, avec l’excellente équipe des permanents du Geste, qui a réussi à fédérer plus de 120 sociétés, avec les télévisions, les radios et bon nombre d’éditeurs de services en ligne, et permis à l’association d’exister aujourd’hui avec cette dynamique et cette reconnaissance publique. Face à cette réussite incontestée, son media d’origine me semble de peu d’importance. Il est vrai qu’il y a dix ans, les enjeux des éditeurs en ligne concernaient surtout les entreprises de presse, alors que les TV ne sont concernées par les défis du numérique que depuis trois ou quatre ans… Quant à moi, je me définis plus comme une femme de médias que de presse, dans un groupe qui fait
déjà du multi-écran, même si la chaîne de TV de Roularta n’émet qu’en Belgique. Ce n’est surtout pas moi seule qui incarne le Geste, mais son conseil d’administration et son bureau, qui regroupe des hommes et des femmes entrepreneurs du Net et reconnus par la profession. Nous avons eu, cette année, quinze candidats pour neuf postes, et cette belle diversité a donné naissance à un conseil où, entre autre, les acteurs du PAF sont représentés.

EM@ : La mesure d’audience hybride (panel et site centric) est un enjeu global majeur pour les éditeurs online cette année : quels enseignements peut-on tirer
des premiers résultats depuis le printemps ? Le CESP a-t-il retenu la même méthodologie que celle de Médiamétrie ? Certains sites web risque de voir le nombre de VU/mois chuter jusqu’à 20 % : pourquoi ?
C. D. :
La première mesure d’audience hybride n’est pas encore publiée parce que Médiamétrie [NDRL : qui nous indique une publication « fin octobre »] attend les conclusions définitives du Centre d’étude des supports de publicité (CESP) sur trois
mois consécutifs de mesure. Cette nouvelle mesure, très attendue par l’ensemble des acteurs, en plus de rapprocher les visites issues du site centric et celles du users centric, est impactée par un important redressement du panel – enfin ! – pour une meilleure représentation des jeunes, une sous-pondération des seniors et des femmes jeunes et consommatrices. La mesure qui sortira ne sera donc pas comparable aux résultats du panel de l’« ancienne méthode », puisque son périmètre n’est pas le même. Ce sera
donc effectivement un gros enjeu pour le marché et les éditeurs. C’est une mesure positive pour les sites web à forte proportion de jeunes, dont on savait qu’ils étaient sous-estimés à cause de la représentativité de cette classe d’âge, mais un bilan plus mitigé pour certains sites féminin ou plus seniors. Nous espérons que Nielsen [qui est associé à Médiamétrie pour créer la mesure d’audience « Médiamétrie-Netratings », ndlr] saura efficacement communiquer pour que le marché ne tire pas de conclusions hâtives sur
ces résultats qui ne reflètent pas seulement l’« hybridation » de la mesure, mais aussi
un important redressement du panel.

EM@ : Le 28 septembre, le Geste a considéré comme « piste de réflexion intéressante » la proposition de loi de l’IPG (SPQN, SEPM et SPQR) pour que Google rémunère la presse sur Google Actualités. Entre la taxe Google 2.0
(Geste opposé) et la Lex Google (Geste favorable) des éditeurs allemands et français, Google ne risque-t-il pas de devenir une vache à lait ?
C. D. :
Franchement, avant que Google ne devienne une vache à lait pour les éditeurs français il y a de la marge ! On estime qu’aujourd’hui en France, le chiffre d’affaires de la presse en ligne serait de l’ordre de 300 millions, d’euros pour 1,3 à 1,5 milliard de dollars pour les moteurs de recherche. Or Google ne déclarent que 40 millions d’euros de recettes sur notre territoire… Ils participent peu à la création d’emplois (entre 300 et 350 personnes chez Google France). Google Actualités s’est construit avec nos contenus. D’ailleurs, depuis des années, nous échangeons avec eux sur ce sujet. Et s’ils ont tenu leur promesse de ne jamais vendre de publicité sur Google Actualités, en incluant les news dans le moteur, ils ont habilement contourné l’obstacle. Seule exception notable :
le bras de fer avec l’AFP les a obligés à rémunérer la reprise des dépêches. Preuve que, parfois, la négociation aboutit…

EM@ : Le marché de la publicité en ligne est confronté à un recul de ses recettes (ralentissement de la croissance en 2012). Ne craignez-vous pas que les nouvelles règles de consentement préalable obligatoire, de protection des données personnelles et de fiscalité numérique ne donnent un coût de frein aux investissements des annonceurs ?
C. D. :
Nous sommes effectivement préoccupés quant à l’impact de cet encadrement sur le comportement des annonceurs et la stabilité des modèles économiques mis en oeuvre par les éditeurs. Mais en réalité, ceux qui ont le plus à perdre sont ceux dont l’activité est à 100 % dépendante de la collecte de données (data) et le « reciblage » (retargeting) publicitaire. Donc, in fine, ce sont les mécanismes d’achat d’espaces, d’enchères, et de RTB (real time bidding ou enchères en temps réel d’espaces publicitaires en ligne, ndlr) qui sont à risques. Or ces derniers monétisent globalement la masse d’inventaire invendue du point de vue des éditeurs ou à faible valeur ajoutée hors zone premium. @