Déverrouiller les bibliothèques en ligne et baisser les prix des livres numériques

Si l’industrie du livre ne veut pas être victime du numérique, comme ce fut le
cas pour la musique, elle devra non seulement déverrouiller les plateformes et
les enrichir, mais aussi accepter de vendre jusqu’à 30 % moins cher les livres numériques par rapport aux livres imprimés.

Contrairement aux industries de la musique et du cinéma, les maisons d’édition ne voient pas les réseaux peer-to-peer (P2P) de type eDonkey ou Torrent comme une menace. Dans le premier baromètre des usages du livre numérique publié au Salon du livre par le SNE (1), la Sofia (2) et la SGDL (3), seuls 4 % des personnes interrogées y vont pour chercher des ebooks.

Face au triopole Amazon-Apple-Google
Ce sont en fait les grandes portails du Net, que sont Amazon, Apple Store ou encore Google Books qui constituent les premiers points de ralliement du livre numérique : 38 % des sondés s’y connectent, auxquels s’ajoutent les 21 % qui empruntent un moteur de recherche (Google en tête). Viennent ensuite les 30 % qui passent par les sites web de grands magasins spécialisées tels que Fnac, VirginMega ou Cultura (4). Le piratage d’ebooks est aussi moins préoccupant que la position dominante du triopole Amazon-Apple-Google : seuls 20 % déclarent avoir eu recours à une offre illégale de livres numériques et 2 % à avoir utilisé un site de streaming illégal d’ebooks. Ce que corrobore l’étude EbookZ3 du MOTif (5) publiée aussi lors du Salon du livre : le piratage représente moins de 2 % de l’offre légale papier (6). Recourir à l’Hadopi n’est toujours pas une priorité pour le SNE, comme l’avait révélé Edition Multimédi@ (7).
La « menace » vient d’ailleurs. « Ce qui se joue aujourd’hui, (…) c’est la possibilité d’une emprise sans partage ni retour de quelques acteurs globaux de la diffusion sur les industries de la création », s’est inquiété Antoine Gallimard, président du SNE,
en ouverture des 8e Assises du livre numérique au Salon du livre, le 16 mars. Il n’a cependant rien dit sur la riposte que Gallimard prépare face à Amazon, Apple et Google avec Editis, Seuil-La Martinière et Flammarion, en association avec Orange et SFR, ainsi qu’avec ePagine (utilisé par Eyrolles). Le projet consiste en une plateforme unique ouverte qui se veut une alternative aux modèles propriétaires (entendez fermés) des trois géants du Net. Amazon, qui exposait pour la première fois au Salon du livre, impose en effet son propre format AZW pour sa liseuse Kindle qui ne lit pas le standard EPUB.
Reste à savoir si les plates-formes d’Hachette (Numilog), d’Editis (E-Plateforme), de l’Harmattan (l’Harmathèque), ainsi que 1001libraires.com, Librairie.actualitte.com ou encore REA de Decitre, rejoindront le groupement. Le directeur du Centre d’analyse stratégique du Premier ministre, Vincent Chriqui, a plaidé, le 19 mars, pour « une plateforme unique de distribution ». L’interopérabilité sera en tout cas la clé du succès de ces plateformes légales de librairie numérique. « Notre engagement auprès des lecteurs passe par (…) l’interopérabilité des plateformes (…) », a promis Antoine Gallimard. Le prototype de la future plateforme commune est élaboré avec Orange, lequel a – selon nos informations – déposé le 29 février un dossier d’aide auprès du Grand emprunt (8), via le Fonds national pour la société numérique (FSN). Reposant sur le cloud computing, elle proposera aux internautes de choisir leurs livres numériques chez des libraires virtuels, de les stocker dans leur bibliothèque personnelle en ligne, et de pourvoir l’enrichir quelles que soient les évolutions technologiques des e-books (formats PDF, EPUB, HTML, …). La société miLibris pourrait jouer le rôle d’opérateur technique (lire interview p.1 et 2). Autre défi majeur : celui du prix. A la question « Quelles sont vos attentes concernant l’évolution du livre numérique ? », le baromètre montre que les plus nombreux (28 %) répondent : « Que les prix des livres numériques soient plus accessibles ». Le « prix unique » du livre – ainsi désigné car fixé par l’éditeur pour les livres imprimés depuis la loi du 10 août
1981 et pour les livres numériques par la loi du 26 mai 2011 – est-il déjà obsolète sur Internet ? Amazon, qui serait à l’origine de l’enquête ouverte début décembre par la Commission européenne à l’encontre de ces cinq éditeurs (9) et d’Apple sur une éventuelle entente sur les prix des ebooks (10), aimerait pratiquer des ristournes de
-50 % par rapport au livre papier comme il le fait aux Etats-Unis. En France, il est limité à -5 %. Pourtant, 56 % des sondés mettre le critère du prix en avant pour le livre numérique (contre seulement 34 % pour l’imprimé). Or selon le Centre d’analyse stratégique, « le public attend clairement une différence de prix de l’ordre de 40 %
ou 50%».

Des ebooks à -20 %, -30 % ou -50 % ?
La France étant pionnière en Europe dans l’application aux ebooks du taux réduit de
TVA (7 % à partir du 1er avril), comme pour le livre imprimé, le SNE espère que Bruxelles entérinera cet alignement. Ainsi, explique le syndicat dans sa lettre aux candidats à l’élection présidentielle, « les éditeurs [pourront] proposer des prix plus attractifs ». Alors, -20 %, -30 % ou -50 % ? @

Charles de Laubier

 

Décret SMAd : le CSA pourrait proposer des modifications à partir de juin 2012

Le CSA a environ un an pour élaborer son rapport sur l’application du décret
SMAd (VOD, TV de rattrapage, SVOD, …), entré en vigueur il y a maintenant huit mois, et le transmettre au gouvernement. Avec, à la clé, d’éventuelles modifications.

Par Christophe Clarenc (photo), associé, et Elsa Pinon, collaboratrice, August & Debouzy

Depuis l’entrée en vigueur, au 1er janvier dernier, du décret daté du 12 novembre relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAd), il revient au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de contrôler l’application
de cette réglementation et de veiller au développement économique de ces nouveaux services.

 

La viabilité économique des SMAd en question
Ce décret impose aux services de médias audiovisuels à la demande des obligations
en matière d’exposition des œuvres européennes et françaises, ainsi que de soutien au développement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. A ce titre, et en vue d’une consultation publique qu’il a lancée jusqu’au 31 octobre, le CSA a commandé à l’Idate (1) une étude sur les modèles économiques des SMAd actifs sur le marché français. A savoir : vidéo à la demande à l’acte ou par abonnement et télévision de rattrapage, ces deux types de services pouvant être exploités sur Internet ou sur un téléviseur en réseau « managé » de type ADSL/IPTV, câble ou fibre optique (2). Sur la base des contributions écrites reçues, le CSA pourra rendre – entre juin et décembre 2012 – au gouvernement un rapport sur l’application des dispositions du décret SMAd.
Et ce, afin de « proposer, le cas échéant, les modifications destinées à les adapter à l’évolution des SMAd et aux relations entre les éditeurs de ces services, les producteurs et les auteurs » (3).
Le CSA estime que la réalisation des objectifs de promotion de la diversité culturelle contenus dans le décret (4) dépend pour une large part de l’équilibre économique de ces services. Or, dans son avis rendu il y a un an sur le projet de décret relatif aux SMAd (5), le CSA avait exprimé des craintes quant à la compétitivité des SMAd français au vu des charges que cette réglementation envisagée leur imposait. La loi applicable aux SMAd étant celle de leur pays d’origine, le CSA s’inquiétait en particulier du niveau élevé et de l’absence de progressivité de la contribution au développement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes et d’expression originale française.
Le CSA jugeait ces obligations « excessives » et de nature à entraver le développement des SMAd en France, à les pénaliser face à la concurrence de services étrangers et à encourager la délocalisation hors de France.
Si le décret SMAd a tenu compte de certaines de ses préoccupations, notamment quant à la progressivité des contributions financières (6), les disparités entre les différentes réglementations européennes laissaient subsister un doute sur la viabilité des SMAd « à la française ». L’étude menée par l’Idate vient ainsi préciser leur fonctionnement économique.

Panorama des différents services audiovisuels :
• Les services de vidéo à la demande (VOD) permettent de visionner des programmes, quatre mois après leur diffusion en salle pour la VOD à l’acte, « au moment choisi par l’utilisateur et sur demande individuelle sur la base d’un catalogue de programmes sélectionnés par le fournisseur de services » (7). Le marché français de la VOD est un marché naissant en forte croissance, occupé par trois principaux acteurs (24/24 Vidéo d’Orange, Club Vidéo de SFR, CanalPlay), bien que d’autres acteurs soient également présents (TF1 Vision, Free Home Vidéo et iTunes).

Contrainte de la chronologie des médias
Ces services payants se développent majoritairement via le téléviseur, bien qu’ils aient une forte présence sur l’Internet ouvert, et sont proposés selon trois types de modèles tarifaires : la location à l’acte qui permet de visionner un programme plusieurs fois pendant un temps limité (entre 24 et 48 h), la location sur abonnement mensuel (ou SVOD (8)) qui donne accès à un catalogue de programmes, et l’achat à l’acte qui permet de télécharger un programme de façon définitive. Cependant, les transactions sont essentiellement centralisées autour de la location à l’acte en raison du peu d’offres de téléchargement définitif ou d’abonnement dans ce domaine. En France, la contrainte réglementaire que représente la chronologie des médias empêche en effet d’offrir à l’abonnement un service de vidéo à la demande moins de 36 mois après la sortie du film en salle (9).
• La télévision de rattrapage (ou catch up TV) permet pour sa part de revoir un programme pendant sept jours (10) à compter de sa diffusion à la télévision. Proposé gratuitement par la plupart des chaînes, ce service a été particulièrement bien adopté par les jeunes de 15-24 ans qui privilégient la consommation de séries américaines. Ainsi, la télévision de rattrapage vient en complément des usages de télévision classique, sans y porter atteinte, car ce service est essentiellement disponible sur ordinateur via Internet, même s’il commence à se développer de plus en plus sur les réseaux « managés ».

Des modèles économiques et des coûts
Les revenus des services de VOD sont constitués par les tarifs de location, d’achat ou d’abonnement des vidéos proposées. Les deux plus gros postes de dépense de ces services sont : la commission versée à l’opérateur de réseau, qui couvre la diffusion de l’offre, les coûts techniques et la mise à disposition par l’opérateur de son portefeuille de clients et de son système de facturation ; les achats de droits, qui combinent un partage des recettes avec les ayants droits du contenu assorti d’un minima garanti.
Les services de VOD doivent s’acquitter de diverses taxes et prélèvements tels que : la taxe sur la vidéo à la demande au titre du soutien au cinéma et à l’audiovisuel (TSV) ; les reversements aux sociétés de gestion des droits d’auteur.
L’accès aux services de télévision de rattrapage sur Internet étant gratuit (11), l’essentiel des revenus de ces services provient de l’exploitation de la publicité diffusée sur les sites concernés. Les services de télévision de rattrapage sur réseau « managé » perçoivent en outre une rémunération annuelle de la part des opérateurs de réseau pour la reprise de leurs offres. Ils font face à de nombreux coûts techniques (bande passante, stockage, transcodage), ainsi qu’à des coûts d’acquisition de contenus sous forme d’achats de droits. Ils supportent en outre diverses taxes comme la taxe sur les éditeurs et distributeurs des services de télévision, la taxe sur la publicité et les reversements aux sociétés de gestion des droits d’auteurs.
L’étude constate que les taux de marge brute des différents SMAd sont très hétérogènes, en raison de leurs structures de coûts différentes. Elle tire de ce constat diverses observations et suggestions sur l’avenir des SMAd. Le développement du téléviseur connecté serait ainsi susceptible de mettre en péril l’avenir des services de VOD sur réseau « managé ». Ces derniers doivent en effet verser à l’opérateur de réseau une commission qui représente une part du chiffre d’affaires bien plus importante (29 %) que les coûts techniques engendrés par la distribution sur l’Internet ouvert (8 %). De plus, le montant des reversements aux ayants droits est calculé sur le prix de vente public avant déduction de la commission. La solution Internet apparaît ainsi plus attractive pour les éditeurs. Et ce, même si les coûts techniques devaient augmenter significativement pour la diffusion sur téléviseur connecté.
La question de la viabilité des services de VOD par abonnement est également soulevée. Leur attractivité dépend notamment pour les éditeurs du système de rémunération des ayants droits (12) et pour le consommateur de la fraîcheur du contenu. Or, dans le système français de chronologie des médias, la fenêtre de la VOD par abonnement ne s’ouvre que 36 mois après la sortie en salle. Avancer cette fenêtre de diffusion à 24 mois apparaît dès lors plus opportun souligne l’étude, au risque de bouleverser le système de chronologie des médias en place.
Concernant la télévision de rattrapage, l’étude propose une plate-forme commune qui agrégerait les offres des principales chaînes de télévision sur l’Internet ouvert et permettrait ainsi de réaliser des économies d’échelle non négligeables tout en facilitant l’accès des consommateurs à une offre centralisée.

Réduire la TVA, augmenter les marges
Enfin, certains pays d’Europe appliquent un taux réduit de TVA aux SMAd (13). Cela peut causer un déséquilibre concurrentiel au détriment des SMAd français qui restent soumis au taux normal de TVA à 19,6 %. L’étude suggère donc de baisser la TVA des services de VOD sur Internet, ce qui permettrait de proposer les programmes à un prix réduit ou d’augmenter la marge, tout en profitant aux ayants droits qui bénéficieraient alors d’une rémunération supérieure (14). Il ressort également de l’étude que, contrairement aux craintes initialement énoncées par le CSA, la TSV ne crée pas de distorsion significative de concurrence vis-à-vis de services extra-nationaux, dans la mesure où elle inclut les reversements aux ayants droits. @

Marc Tessier, Vidéo Futur : « Le délai de quatre mois après la salle est trop long pour certains films »

Le président du groupe Vidéo Futur Entertainment, Marc Tessier, président du Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sévàd), ancien PDG de France Télévisions et ancien DG de Canal+, explique à Edition Multimédi@ pourquoi
il croit au décollage de la VOD cette année.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : La vidéo sur Internet explose. Pourtant, la VOD, elle, décolle très lentement pour atteindre en 2010 les 135 millions d’euros de ventes.
Et ils sont seulement 4,2 millions en France à avoir visionné de la VOD sur 38 millions d’internautes. Comment expliquez-vous ce lent décollage de la VOD ? Marc Tessier (photo) :
Les statistiques concernant la
VAD [vidéo à la demande, ndlr] donnent lieu à deux réactions diamétralement opposées : déception quant au niveau en valeur absolue, encore faible, ou, au contraire, satisfaction de voir les chiffres doubler d’une année à l’autre, sans pour autant que le marché du DVD n’en soit trop affecté…
Le verre à moitié vide ou à moitié plein, en quelque sorte. Dans les faits, l’essor de la
VAD s’inscrit dans le mouvement plus large, qualifié de « délinéarisation » de l’offre audiovisuelle. Les nouveaux usages VAD (catch up TV gratuite ou payante, web TV reprise sur YouTube ou Dailymotion, …) se concurrencent, notamment sur la gratuité
ou sur le principe d’un paiement, tout en s’épaulant mutuellement.
C’est pourquoi, je parierais plutôt sur un décollage de la VAD dès cette année. Mais à deux conditions : une efficacité accrue de la lutte contre le piratage, notamment celui
des plateformes illégales « off shore » faute d’un accord international sur le droit de suite, et une meilleure mise en place des offres disponibles via Internet.

« Le plus urgent à régler, c’est d’abord celui du différentiel de taux de TVA – 16 points d’écart !!! – entre les opérateurs basés au Luxembourg et nous-mêmes ».

EM@ : Sylvie Hubac propose dans son rapport sur les SMAd remis début janvier au Centre national du cinéma (CNC), dont vous avez été directeur, de réduire le délai de diffusion des films en VOD par abonnement à 22 mois, voire à 10 mois (contre actuellement de 36 mois) après la sortie en salle. Faut-il aller plus loin dans une réforme de la chronologie des médias, y compris des 4 mois pour la VOD à l’acte ? M. T. : Il s’agit là d’un sujet sensible. Soyons objectifs. Il me paraît clair que le délai de quatre mois est trop long pour des films sortis sur un petit nombre de copies, et disponibles dès la deuxième ou troisième semaine dans seulement une ou deux villes en France. La campagne de marketing, souvent financée par le CNC au moment du lancement, est oubliée quatre mois après… Et il est exclu d’en financer
une nouvelle de même ampleur…
Le raccourcissement du délai pour ces films – à deux mois après leur sortie en salle – n’aurait que peu d’impact macroéconomique et doperait leurs performances au cours des premiers mois. Ces films faisant peu d’entrées en salles pourraient ainsi tirer parti de leur disponibilité en DVD/Blu-Ray et en VAD. Concernant la VAD par abonnement,
le délai applicable a toujours été corrélé au niveau des contributions des éditeurs de services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) au financement de la production, pour ne pas déstabiliser le système actuel d’aide à la création cinématographique. L’heure est donc venue d’ouvrir les discussions interprofessionnelles, puisque le niveau de ces contributions vient d’être fixé par décret [daté du 12 novembre 2010 et publié au J.O. du 14 novembre]. A contribution égale, délais identiques : telle serait une bonne approche pour l’avenir.

EM@ : Vous avez affirmé que la TV connectée est une opportunité pour Vidéo Futur de proposer aux spectateurs en ligne des films à la demande que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) rechignent à mettre dans leur bouquet. Quels accords avez-vous par ailleurs avec des fabricants de téléviseurs ?
M. T. :
La TV connectée fait peur ! A beaucoup mais pas aux équipes de Vidéo Futur. C’est en effet une formidable opportunité pour un éditeur indépendant de retrouver l’accès direct au téléspectateur qui lui était fermé par les FAI. Certes, d’autres pourront en tirer avantage également (Google, Amazon, Apple, …). Il nous appartient donc de nous fédérer pour offrir une plateforme de référencement nationale commune. Les projets ne manquent pas à partir de sites existants – et ils sont nombreux. Reste à concevoir une charte d’usage avec les principaux éditeurs VAD. Le syndicat que je préside s’y emploiera, si nécessaire. Pour ce qui concerne Vidéo Futur, l’important
est d’être le « service d’accueil sur ces tablettes et téléviseurs » conçu et adapté en fonction des choix techniques des industriels. Ce qui est le cas pour Samsung, Philips et Toshiba, qui sont nos partenaires dans la télévision connectée.

EM@ : Vidéo Futur a lancé en mai dernier une offre d’abonnement-location de films récents en DVD-Blu-Ray s’inspirant du modèle de Netflix. Cette formule ne risque-t-elle pas de compromettre l’essor de la VOD ? Ou est-ce le seul moyen de concurrencer les chaînes de cinéma payantes, le couple Canal+-Orange en tête ?
M. T. :
DVD et VAD même combat ! Ou plutôt usages complémentaires, si je peux le formuler ainsi. Améliorer notre offre de vidéo à domicile par voie postale correspond aux attentes de notre clientèle. Y associer une offre VAD, notamment pour les films récents, c’est marquer la complémentarité entre DVD et VAD. Nous réfléchissons d’ailleurs à d’autres formules combinant les deux modes.
Alors s’il s’agit de concurrencer Canal+ et le nouveau tandem Canal Plus-Orange, pourquoi pas ? Notre formule permet, pour 14,90 euros par mois, de recevoir chez
soi tous les DVD en nombre illimité, alors que nous continuons à rémunérer les producteurs et ayants-droits au même niveau qu’auparavant. C’est donc une bonne chose pour le cinéma. Il faut se garder de tout monopole, si vertueux soit-il. Et il est sain qu’un éditeur indépendant français s’y essaye… non ?

EM@ : Le second décret SMAd, celui du 17 décembre, donne au CSA le pouvoir de suspendre un service de VOD ou de catch up TV en cas de « contournement » de la loi (obligations de financement de films notamment). Ce dispositif sera-t-il suffisant pour éviter la concurrence « sans contraintes » des iTunes, Google, Amazon, Vevo et autres Hulu ?
M. T. :
Sérions les problèmes : le plus urgent à régler, c’est d’abord celui du différentiel de taux de TVA – 16 points d’écart !!! – entre les opérateurs basés au Luxembourg et nous-mêmes. Reconnaissez que la passivité des pouvoirs publics sur ce point n’envoie pas un signal encourageant pour l’avenir. Plutôt que de parler encore et toujours de règlementation, on devrait s’organiser pour négocier. Il n’est pas inscrit dans les lois fondamentales du numérique qu’aucun accord, qui respecterait les identités nationales,
ne soit possible avec ces géants de l’Internet. Nous y sommes parvenus avec les studios américains dans le passé, en diffusion analogique il est vrai. Mais pour bien négocier, fédérons-nous et si possible à l’initiative des professionnels eux-mêmes.
Gare aux querelles de clochers : aux syndicats de se regrouper pour faire avancer les solutions les meilleures pour les opérateurs français. Vidéo Futur et le syndicat que je représentey sont disposés. @

Financement de films, TVA ADSL et taxe Cosip

En fait. Le 3 janvier, l’Association des producteurs de cinéma (APC) a critiqué l’annonce de Free qui veut dissocier la distribution de chaînes de télévision en faisant une option facturée 1,99 euro par mois – au lieu de la moitié de la facture triple play. Ce serait moins de financement pour les films.

En clair.. La polémique sur les conséquences de la hausse de la TVA à 19,6 % sur
les offres triple play (téléphone-Internet-télévision), au lieu de 5,5 % sur la moitié de la facture liée aux chaînes de télévision, continue de faire des vagues dans le monde du septième art. Comme le calcul de la taxe dite Cosip (1) – destinée à établir le niveau
de contribution obligatoire des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) au financement de films français et européens – est effectué sur la moitié de la facture triple play, l’initiative de Free réduirait à la portion congrue l’assiette de calcul. « Il semble que Free tente ainsi de faire une économie sur le dos de la création cinématographique et audiovisuelle, en ayant pour objectif de réduire drastiquement l’assiette de la taxe destinée à cette dernière, qui est perçue par le CNC (2), tout en continuant plus que jamais à faire des œuvres un “produit d’appel“ », estime Frédéric Goldsmith, délégué général de l’APC. L’association, qui représente près de la moitié des budgets du cinéma français, « conteste ce qui représenterait selon elle un contournement artificiel des dispositions de la loi de finances pour 2011 et des engagements du Président de la République ». Nicolas Sarkozy avait annoncé aux organisations du cinéma français – reçues le soir du 6 septembre 2010 – que le gouvernement garantirait le financement des films via le fonds Cosip à l’occasion du projet de loi de Finances 2011. Ce qui fut fait le 15 décembre dernier avec l’adoption du texte qui prévoit le maintien de la contribution des FAI calculée sur 45 % de leur chiffre d’affaires triple play. Rappelons que c’est la Commission européenne qui a estimé illégale l’application par la France
de la TVA réduite sur la moitié du triple play, cette mesure ayant été instaurée par la loi du 5 mars 2007 « en contrepartie » de la taxe Cosip (lire EM@19, p. 7). Jusqu’alors, les FAI versaient aux sociétés d’auteurs 3,75 % sur la moitié des recettes triple play soumise à la TVA réduite de 5,5 %. Ils paieront désormais autant sur
la totalité de la facture triple play passée à la TVA à 19,6% mais bénéficieront d’un abattement de 55 %. En ramenant à 6,2 % la part « télévision » dans son offre triple play, Free fait donc grincer des dents les ayants droits. Le directeur général de la SACD (3), Pascal Rogard, estime que « les créateurs (…) seraient fondés à exercer [leur droit d’autoriser ou d’interdire la retransmission des programmes, ndlr] pour éviter d’être dépouillés par cette carabistouille »… @

Vers une « exception culturelle » fiscale pour les œuvres vendues en ligne en Europe ?

La Commission européenne a lancé une consultation – jusqu’au 31 mai 2011 – en vue de réformer la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). La question est notamment de savoir s’il faut un taux réduit sur tous les biens culturels, livres et presse compris, vendus sur Internet.

« Distorsion de concurrence », « obsolescence d’un droit communautaire qui n’a pas pris en compte les effets de la révolution numérique », « situation préoccupante »,
« frein au développement de la nouvelle économie », « concurrence aiguë de la part d’entreprises globales non européennes », « retards ». C’est en ces termes que le président Nicolas Sarkozy, fustige la « fiscalité culturelle » en Europe.

Jacques Toubon et le livre vert « TVA »
« Les journaux et périodiques, la fourniture de livres et la réception de services de radiodiffusion et de télévision bénéficient de cette disposition et se voient appliquer un taux réduit de TVA en France. En revanche les disques, la vidéo et les services en ligne, y compris la presse en ligne et les livres numériques (…) sont exclus du bénéfice d’un taux de TVA minoré et sont soumis au taux normal (19,6 %) », explique le chef de l’Etat à Jacques Toubon qu’il a missionné le 9 décembre sur « les défis de la révolution numérique au règles fiscales européennes ». Contacté par Edition Multimédi@, ce dernier explique que « l’objectif de [sa] mission, au-delà du taux réduit sur la presse et le livre numérique, à court terme, est de concrétiser le principe et la diversité culturelle dans le régime définitif de la TVA qui sera établi en 2015 ». Cette mission a en fait été lancée quelques jours après que la Commission européenne a ouvert – jusqu’au 31 mai 2011 – une consultation sur la base du Livre vert sur l’avenir de la TVA, publié le 1er décembre dernier. « Il subsiste des incohérences dans les taux de TVA appliqués à des biens ou services comparables. Ainsi, les États membres peuvent appliquer un taux réduit à certains biens culturels. Mais ils doivent appliquer le taux normal aux services en ligne concurrents de ces biens, comme les livres ou les journaux électroniques », y constate déjà l’exécutif européen, qui a, dès mai dernier, affirmé que « les défis de la convergence entre les environnements numériques et physiques doivent être pris en compte à l’occasion de tout réexamen de la politique générale, y compris en matière fiscale » (1).
Pour remédier à ce qui peut être perçu comme une « entrave » au marché unique et à
une « distorsion de concurrence », la Commission pose d’emblée une alternative dans son livre vert : « Pour mettre un terme à cette discrimination, il existe deux solutions : maintenir le taux de TVA normal ou transposer dans l’environnement numérique les taux réduits existants pour les biens sur supports traditionnels ». Les Vingt-sept ont encore cinq mois devant eux pour répondre notamment à cette question : préféreriez-vous qu’il n’y ait pas de taux réduits (ou qu’il en existe simplement une liste très courte) ou seriez-vous favorable à la création d’une liste de taux réduits de TVA obligatoire et uniformément appliquée dans l’Union européenne ? Pour l’heure, la France s’impatiente : le gouvernement s’est rallié le 8 décembre à la décision du Sénat – dans le cadre de la loi de Finances 2011 – d’abaisser le taux de TVA sur le livre numérique
à 5,5 % au lieu de 19,6 %, « au nom de l’exception culturelle française ». Or, le lundi
6 décembre, le gouvernement s’était d’abord opposé à cette baisse en la considérant
« contraire au droit européen » (2). En changeant d’avis, la France veut-elle faire pression sur les Vingt-sept ? Contactée par Edition Multimédi@, la porte-parole du commissaire européen Algirdas Semeta, en charge de la fiscalité et de la lutte antifraude (3), est formelle : « Les taux réduits (…) s’appliquent uniquement aux biens et services tels que définies dans l’annexe de la directive “TVA”. Comme les livres numériques ne sont pas mentionnés dans cette annexe, ils ne peuvent pas bénéficier du taux réduit de TVA ».
Et Emer Traynor d’ajouter : « Sur la base des réponses reçues, la Commission européenne présentera les priorités en vue d’un futur système de TVA dans une communication qu’elle publiera à la fin de l’année 2011. Néanmoins, ce livre vert n’autorise pas les Etats membres à prendre des libertés avec l’application de la directive TVA ».

Il faudra l’unanimité des Etats membres
Quoi qu’il en soit, Neelie Kroes – commissaire européenne en charge de la stratégie numérique – avait indiqué être favorable à un taux réduit sur les livres numériques et à d’autres biens culturels. « Il est vrai qu’il existe actuellement des divergences dans les taux de TVA appliqués à des produits ou services comparables », nous avait-elle dit dans une interview fin novembre (4). Mais la difficulté de l’Union européenne va être
de mettre d’accord les Vingt-sept sur une harmonisation de la fiscalité des œuvres culturelles vendues sur Internet. Car toute modification de la législation communautaire sur la TVA requiert l’unanimité des Etats membres. @

Charles de Laubier