Marc Tessier, Vidéo Futur : « Le délai de quatre mois après la salle est trop long pour certains films »

Le président du groupe Vidéo Futur Entertainment, Marc Tessier, président du Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sévàd), ancien PDG de France Télévisions et ancien DG de Canal+, explique à Edition Multimédi@ pourquoi
il croit au décollage de la VOD cette année.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : La vidéo sur Internet explose. Pourtant, la VOD, elle, décolle très lentement pour atteindre en 2010 les 135 millions d’euros de ventes.
Et ils sont seulement 4,2 millions en France à avoir visionné de la VOD sur 38 millions d’internautes. Comment expliquez-vous ce lent décollage de la VOD ? Marc Tessier (photo) :
Les statistiques concernant la
VAD [vidéo à la demande, ndlr] donnent lieu à deux réactions diamétralement opposées : déception quant au niveau en valeur absolue, encore faible, ou, au contraire, satisfaction de voir les chiffres doubler d’une année à l’autre, sans pour autant que le marché du DVD n’en soit trop affecté…
Le verre à moitié vide ou à moitié plein, en quelque sorte. Dans les faits, l’essor de la
VAD s’inscrit dans le mouvement plus large, qualifié de « délinéarisation » de l’offre audiovisuelle. Les nouveaux usages VAD (catch up TV gratuite ou payante, web TV reprise sur YouTube ou Dailymotion, …) se concurrencent, notamment sur la gratuité
ou sur le principe d’un paiement, tout en s’épaulant mutuellement.
C’est pourquoi, je parierais plutôt sur un décollage de la VAD dès cette année. Mais à deux conditions : une efficacité accrue de la lutte contre le piratage, notamment celui
des plateformes illégales « off shore » faute d’un accord international sur le droit de suite, et une meilleure mise en place des offres disponibles via Internet.

« Le plus urgent à régler, c’est d’abord celui du différentiel de taux de TVA – 16 points d’écart !!! – entre les opérateurs basés au Luxembourg et nous-mêmes ».

EM@ : Sylvie Hubac propose dans son rapport sur les SMAd remis début janvier au Centre national du cinéma (CNC), dont vous avez été directeur, de réduire le délai de diffusion des films en VOD par abonnement à 22 mois, voire à 10 mois (contre actuellement de 36 mois) après la sortie en salle. Faut-il aller plus loin dans une réforme de la chronologie des médias, y compris des 4 mois pour la VOD à l’acte ? M. T. : Il s’agit là d’un sujet sensible. Soyons objectifs. Il me paraît clair que le délai de quatre mois est trop long pour des films sortis sur un petit nombre de copies, et disponibles dès la deuxième ou troisième semaine dans seulement une ou deux villes en France. La campagne de marketing, souvent financée par le CNC au moment du lancement, est oubliée quatre mois après… Et il est exclu d’en financer
une nouvelle de même ampleur…
Le raccourcissement du délai pour ces films – à deux mois après leur sortie en salle – n’aurait que peu d’impact macroéconomique et doperait leurs performances au cours des premiers mois. Ces films faisant peu d’entrées en salles pourraient ainsi tirer parti de leur disponibilité en DVD/Blu-Ray et en VAD. Concernant la VAD par abonnement,
le délai applicable a toujours été corrélé au niveau des contributions des éditeurs de services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) au financement de la production, pour ne pas déstabiliser le système actuel d’aide à la création cinématographique. L’heure est donc venue d’ouvrir les discussions interprofessionnelles, puisque le niveau de ces contributions vient d’être fixé par décret [daté du 12 novembre 2010 et publié au J.O. du 14 novembre]. A contribution égale, délais identiques : telle serait une bonne approche pour l’avenir.

EM@ : Vous avez affirmé que la TV connectée est une opportunité pour Vidéo Futur de proposer aux spectateurs en ligne des films à la demande que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) rechignent à mettre dans leur bouquet. Quels accords avez-vous par ailleurs avec des fabricants de téléviseurs ?
M. T. :
La TV connectée fait peur ! A beaucoup mais pas aux équipes de Vidéo Futur. C’est en effet une formidable opportunité pour un éditeur indépendant de retrouver l’accès direct au téléspectateur qui lui était fermé par les FAI. Certes, d’autres pourront en tirer avantage également (Google, Amazon, Apple, …). Il nous appartient donc de nous fédérer pour offrir une plateforme de référencement nationale commune. Les projets ne manquent pas à partir de sites existants – et ils sont nombreux. Reste à concevoir une charte d’usage avec les principaux éditeurs VAD. Le syndicat que je préside s’y emploiera, si nécessaire. Pour ce qui concerne Vidéo Futur, l’important
est d’être le « service d’accueil sur ces tablettes et téléviseurs » conçu et adapté en fonction des choix techniques des industriels. Ce qui est le cas pour Samsung, Philips et Toshiba, qui sont nos partenaires dans la télévision connectée.

EM@ : Vidéo Futur a lancé en mai dernier une offre d’abonnement-location de films récents en DVD-Blu-Ray s’inspirant du modèle de Netflix. Cette formule ne risque-t-elle pas de compromettre l’essor de la VOD ? Ou est-ce le seul moyen de concurrencer les chaînes de cinéma payantes, le couple Canal+-Orange en tête ?
M. T. :
DVD et VAD même combat ! Ou plutôt usages complémentaires, si je peux le formuler ainsi. Améliorer notre offre de vidéo à domicile par voie postale correspond aux attentes de notre clientèle. Y associer une offre VAD, notamment pour les films récents, c’est marquer la complémentarité entre DVD et VAD. Nous réfléchissons d’ailleurs à d’autres formules combinant les deux modes.
Alors s’il s’agit de concurrencer Canal+ et le nouveau tandem Canal Plus-Orange, pourquoi pas ? Notre formule permet, pour 14,90 euros par mois, de recevoir chez
soi tous les DVD en nombre illimité, alors que nous continuons à rémunérer les producteurs et ayants-droits au même niveau qu’auparavant. C’est donc une bonne chose pour le cinéma. Il faut se garder de tout monopole, si vertueux soit-il. Et il est sain qu’un éditeur indépendant français s’y essaye… non ?

EM@ : Le second décret SMAd, celui du 17 décembre, donne au CSA le pouvoir de suspendre un service de VOD ou de catch up TV en cas de « contournement » de la loi (obligations de financement de films notamment). Ce dispositif sera-t-il suffisant pour éviter la concurrence « sans contraintes » des iTunes, Google, Amazon, Vevo et autres Hulu ?
M. T. :
Sérions les problèmes : le plus urgent à régler, c’est d’abord celui du différentiel de taux de TVA – 16 points d’écart !!! – entre les opérateurs basés au Luxembourg et nous-mêmes. Reconnaissez que la passivité des pouvoirs publics sur ce point n’envoie pas un signal encourageant pour l’avenir. Plutôt que de parler encore et toujours de règlementation, on devrait s’organiser pour négocier. Il n’est pas inscrit dans les lois fondamentales du numérique qu’aucun accord, qui respecterait les identités nationales,
ne soit possible avec ces géants de l’Internet. Nous y sommes parvenus avec les studios américains dans le passé, en diffusion analogique il est vrai. Mais pour bien négocier, fédérons-nous et si possible à l’initiative des professionnels eux-mêmes.
Gare aux querelles de clochers : aux syndicats de se regrouper pour faire avancer les solutions les meilleures pour les opérateurs français. Vidéo Futur et le syndicat que je représentey sont disposés. @