Financement du cinéma et réforme fiscale du « multi play » : dommage collatéral

Le projet d’augmentation de la TVA sur les offres multi-services Internet-
télévision-téléphone, envisagé dans la prochaine loi de Finances 2011, aurait des conséquences insoupçonnées sur le financement du Septième art français par
les fournisseurs d’accès à Internet.

Le ministre du Budget (1), François Baroin, l’a affirmé le 25 août sur Europe 1 :
« Le statut quo sur le triple play n’est pas possible. On a une injonction de Bruxelles
qui nous pousse à bouger. On va bouger suffisamment pour être en ligne sur le plan économique avec Bruxelles ». Du coup, les organisations professionnelles du cinéma (ARP, APC, SACD, …) s’inquiètent. Quel est le problème ? La Commission européenne
a envoyé le 18 mars 2010 à Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, une
mise en demeure enjoignant la France de mettre la fiscalité des offres triple play des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) – quadruple play si le mobile est inclus – en conformité avec la directive TVA.

Quid de la « contrepartie » des FAI au Cosip ?
Dans son courrier, que La Tribune avait révélé le 23 avril et que Edition Multimédi@ a consulté, le commissaire européen en charge de la fiscalité, Algirdas Semeta constate que « le taux réduit [5,5 % au lieu de 19,6 %, ndlr] est applicable sur 50 % du prix [de l’offre triple play], même si le client n’est pas matériellement susceptible de bénévicier
du service de télévision en principe inclus dans l’“offre” ».
Cela bénéficie aux 20 millions d’abonnés ADSL de l’Hexagone. Or le fait que la moitié
du prix d’une offre multi-service (2) – tarifé par exemple 29,90 euros par mois – bénéficie d’une TVA à 5,5 % relève d’une infraction aux yeux de l’exécutif européen.
Et le commissaire de relever que « cette mesure, issue de la loi [française] du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, aurait été accordée comme “contrepartie” à la taxe prélevée sur les opérateur [les FAI, ndlr] pour le financement du Cosip [compte de soutien à l’industrie des programmes cinématographiques et audiovisuels] ». Si le gouvernement français envisageait de revoir sa copie en n’appliquant plus le taux réduit qu’à une plus petite partie du prix du triple play, voire sa totalité (3), cela pourrait remettre en cause l’accord tacite de l’Etat français avec les FAI sur le financement du cinéma français et de la création audiovisuelle. Pour l’entourage de la ministre de l’Economie, Christine Lagarde, « il n’y a aucune remise en cause, même mineure, du financement du cinéma ». Malgré cette assurance recueillie le 24 août par Reuters (4), le cinéma français peut-il dès lors dormir sur ses deux oreilles ? Pas si sûr. D’autant que les dommages collatéraux pourraient être importants. Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), qui gère le Cosip censé collecter les sommes prélevées auprès des FAI, a ainsi déjà recueilli quelque 30 millions d’euros en 2008, plus de 50 millions d’euros l’an dernier
(5) et probablement pas loin de 100 millions d’euros cette année. Contacté par Edition Multimédi@, le CNC n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet : « Rien n’est arrêté ; les choses sont encore floues. La ministre [Christine Lagarde, ndlr] a, par ailleurs, affirmé dans la presse que le financement du cinéma ne serait pas affecté », explique une porte-parole. Parmi les organisations du cinéma, l’ARP (6) a fait part de son
« inquiétude » et s’oppose à « une remise en cause du niveau de participation des FAI à l’industrie cinématographique et audiovisuelle ».
La SACD (7) qui a fait part de sa « consternation » à François Baroin dans un courrier du 31 août, elle, estime que « Bruxelles a bon dos », comme l’explique son directeur général Pascal Rogard dans son blog : « La Commission [européenne] n’a aucunement demandé un alourdissement de la fiscalité applicable à des services qui (…) contribuent au financement de la création cinématographique et audiovisuelle ». Quant à l’APC (8), elle se dit « surprise » et demande de « maintenir l’assiette de la TVA à taux réduit ». Du côté du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le conseiller Emmanuel Gabla avait déclaré dans une interview à Edition Multimédi@ (EM@13, p. 2) que « la question de
la TVA sur les offres multi-services est importante pour le financement du cinéma ».
Et d’ajouter : « Le CSA suivra donc de près les conséquences de la procédure d’infraction ».

L’audiovisuel pèse plus lourd sur l’ADSL
Quoi qu’il en soit, cette réforme imposée par Bruxelles interviendrait au moment où un projet de décret sur les « SMAd » – qui doit être publié à la rentrée et entrer en vigueur
le 1er janvier 2011 (lire Juridique p. 8 et 9) – doit étendre l’obligation de financement des films français et européens aux opérateurs de services de médias audiovisuels à la demande de type tels que vidéo à la demande (VOD) et télévision de rattrapage (catch-
up TV). Or ces deux services sont de plus en plus pratiqués dans les offres triple ou quadruple play de l’ADSL et du câble. @

Charles de Laubier