Bertelsmann avait prévenu : l’échec « TF1-M6 » aura un impact sur tout l’audiovisuel en Europe

Le projet de « fusion » entre TF1 et M6 a fait couler beaucoup d’encre depuis seize mois. L’annonce le 16 septembre 2022 de son abandon laisse le groupe allemand Bertelsmann (maison mère de RTL Group, contrôlant M6) sur un gros échec face aux Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+.

La discrète famille milliardaire Mohn, propriétaire de Bertelsmann, doit s’en mordre les doigts. Son homme de confiance, Thomas Rabe (photo), PDG du premier groupe de médias européen et directeur général de sa filiale RTL Group (elle-même contrôlant M6 en France), avait pourtant mis en garde les autorités antitrust françaises : si elles ne donnaient pas leur feu vert à la vente de M6 (alias Métropole Télévision) à TF1 (groupe Bouygues), cela aurait un « un impact profond sur le secteur audiovisuel en Europe ». En insistant : « J’espère que les décideurs en sont conscients ».

RTL Group perd une bataille devant Netflix
Thomas Rabe s’exprimait ainsi dans une interview au Financial Times, publiée le 31 août dernier. « Si les autorités décident de s’opposer à cette combinaison [TF1-M6],c’est une occasion perdue, non seulement pour cette année mais pour le long terme », prévenait-il. Soit quinze jours avant l’abandon du projet en raison des exigences de l’Autorité de la concurrence (cession soit de la chaîne TF1, soit de la chaîne M6 pour que l’opération soit acceptable). Thomas Rabe estimait qu’un échec du projet ne laisserait rien présager de bon en Europe : « Si cet accord ne passe pas en France, il sera très difficile pour un accord similaire de passer en Allemagne et dans d’autres pays ».
Or Bertelsmann prévoit justement en Allemagne de fusionner ses télévisions avec le groupe de chaînes payantes et gratuites ProSiebenSat.1 Media (1). Cela reviendra pour la famille Mohn à racheter ProSiebenSat.1, le rival allemand de RTL Group. Et aux Pays-Bas, RTL Nederland a annoncé il y a un an qu’il va absorber les activités audiovisuelles et multimédias de Talpa Network, le groupe néerlandais fondé par John de Mol. Parallèlement, afin de se recentrer sur « la création de champions média nationaux », Bertelsmann a vendu RTL Belgium aux groupes DPG Media et Rossel, et RTL Croatia au groupe CME du magnat des médias Ronald Lauder (2). Comme avec TF1 en France et ProSiebenSat.1 en Allemagne, l’objectif de la fusion avec Talpa Network aux Pays- Bas est le même : répliquer en Europe à l’offensive des plateformes numériques mondiales américaines, que sont Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore Apple TV+, en créant localement des groupes « cross-media » de taille capables d’investir dans les technologies et la créativité – en particulier dans des contenus premiums pour rivaliser avec les productions originales des GAFAN. Et à l’heure où Netflix, Amazon/Freevee (3) et Disney+ s’ouvrent à la publicité audiovisuelle, ces consolidations sur le marché européen de la télévision traditionnelle visent à résister avec des écrans publicitaires attractifs. Les éditeurs de télé redoutent en plus que l’audience des plateformes de SVOD soit certifiée et comparée avec celle de leurs chaînes (4). Dans leur communiqué commun du 16 septembre annonçant l’abandon du projet de fusion, RTL Group et Bouygues (maison mère de TF1 acquéreur de M6) sont amères : « Les parties regrettent que l’Autorité de la concurrence n’ait pas tenu compte de la rapidité et de l’ampleur des changements qui ont touché le secteur de l’audiovisuel française. Ils continuent de croire fermement qu’une fusion des groupes TF1 et M6 aurait fourni une réponse appropriée aux défis découlant de la concurrence accrue des plateformes internationales » (5). Le groupe de Martin Bouygues renonce ainsi à un ensemble de plus de 3,4milliards d’euros de chiffre d’affaires, qui aurait constitué le quatrième acteur de l’audiovisuel européen.
De son côté, Bertelsmann a aussitôt relancé le processus de cession de M6. Les candidats au rachat de M6 – dont l’autorisation de diffusion en France arrivera à échéance le 5 mai 2023 – avaient jusqu’au jeudi 29 septembre pour déposer leurs offres fermes (6). Et Bertelsmann n’aura que l’embarras du choix mais le groupe allemand doit aller vite au regard de cette échéance devant l’Arcom. Il y a trois favoris au rachat de M6 : Daniel Kretínsky (CMI) ; Stéphane Courbit (FL Entertainment (7)) avec Rodolphe Saadé (CMA CGM) et Marc Ladreit de Lacharrière (Fimalac) ; Xavier Niel avec l’italien MediaForEurope. Et d’autres potentiels candidats : Vivendi, Altice, NRJ, …

En France, l’Arcom et l’Arcep divergeaient
Quant à l’Arcom et à l’Arcep, ils ont rendu public le 21 septembre leur avis respectif sur le projet de rachat de M6 par TF1 – avis remis cinq mois plus tôt à l’Autorité de la concurrence. L’Arcom a émis des réserves en raison « des effets notables (…) sur les marchés publicitaires, de l’édition et de la distribution, ainsi que (…) de l’acquisition de programmes », tout en prenant en compte des mouvements de concentration en Europe face aux plateformes de streaming (8). L’Arcep, elle, y était défavorable, craignant « des risques sur le marché de la fourniture d’accès à Internet, au détriment des utilisateurs » (9), mais sans parler de ce qui se passe en Europe. @

Charles de Laubier

Guéguerre entre TF1 et Canal+ : la diffusion en ligne des chaînes gratuites devant la justice

C’est une manie de Maxime Saada, président du groupe Canal+ (Vivendi/Vincent Bolloré) : arrêter la distribution des chaînes du groupe TF1 lorsqu’il ne trouve pas d’accord commercial de diffusion avec ce dernier. C’était arrivé en 2018 ; c’est à nouveau le cas depuis début septembre.

Le groupe Canal+, non seulement éditeur de la chaîne cryptée éponyme mais aussi diffuseur de 150 autres chaînes en France via son service en ligne MyCanal (par ADSL, fibre, câble, …) ou via son TNT Sat (par satellite), n’y va pas par quatre chemins lorsqu’il ne trouve pas d’accord commercial avec les éditeurs de chaînes qu’il distribue : il les coupe. En somme, ce sont les téléspectateurs de ces chaînes-là – TF1, TMC, TFX, TF1 Séries films et LCI en l’occurrence – et qui plus est abonnés aux plateformes MyCanal et TNT Sat, qui sont pris en otage. C’est en tout cas un moyen de pression de Canal+ sur TF1 pour acculer à ce dernier à négocier un accord raisonnable.

« Les chaînes gratuites doivent le rester » (Saada)
Maxime Saada (photo de gauche), le président du directoire du groupe Canal+, a justifié dans le JDD du 3 septembre dernier la décision annoncée la veille de « renoncer à la diffusion » des chaînes du groupe TF1 en France. « En 2018, nous avions été contraints de trouver un accord et de rémunérer les chaînes gratuites et les services du groupe TF1. Ce n’est pas faute d’avoir alerté alors sur le risque de voir augmenter sensiblement les demandes à l’échéance suivante, une fois acté le principe de paiement de ces chaînes. C’est exactement ce qui se passe : TF1 souhaite nous imposer une augmentation de 50 % de sa rémunération. Notre contrat étant arrivé à son terme le 31 août [2022], nous n’avions d’autre choix que de couper », at- il expliqué. Ce que reproche aussi Maxime Saada à la filiale audiovisuelle de Bouygues dirigée par Gilles Pelisson (photo de droite), c’est d’exiger que les contenus de TF1 soient visualisés dans sa propre application et non pas dans celle de Canal+. « Or nos abonnés ne souhaitent pas être contraints de multiplier les applications pour visionner leurs contenus », assure Maxime Saada.
Le groupe TF1 ne l’entend pas de cette oreille et a annoncé vouloir porter plainte. « Nous réfléchissons sérieusement aux suites à donner compte tenu du préjudice subi », avait indiqué le 5 septembre à Edition Multimédi@ une porteparole du groupe TF1. Deux jours après, la filiale audiovisuelle du groupe Bouygues confirmait avoir assigné en référé Canal+ devant le tribunal de commerce de Paris. Dans cette procédure d’urgence, la « Une » demande que soit rétablie sans tarder la diffusion de ses chaînes sur le service satellitaire TNT Sat de Canal+. Tandis que de son côté, l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, assure une médiation entre les deux parties pour que les chaînes de TF1 soient à nouveau disponibles auprès de millions d’abonnés de Canal+, dont ceux de MyCanal.
Qu’est-ce qui bloque ? Le 2 septembre, la filiale audiovisuelle du groupe Bouygues avait pris acte, tout en le « déplor[ant] fortement », de la décision du groupe Canal+ de « cesser la diffusion de ses chaînes et services ». Et de fustiger : « Canal + n’a pas souhaité conclure un nouvel accord de distribution des chaînes et services du groupe TF1 malgré des semaines de discussions et de négociations, faisant le choix de priver ses abonnés des chaînes et des services qu’ils payent dans leur abonnement » (1). Ce sont donc des millions de téléspectateurs qui reçoivent les chaînes du groupe TF1 via les plateformes de diffusion de Canal+. Cela représenterait pour la filiale télé de Bouygues jusqu’à 15% d’audience en moins. «Nos abonnés ont l’impression d’être pris en otage. Nous les comprenons », compatit Maxime Saada. Les chaînes TF1, TMC, TFX, TF1 Séries films et LCI sont cependant diffusées – en plus de la TNT (numérique hertzien) – sur les « box » par Bouygues Telecom (la société sœur de TF1 au sein de Bouygues), SFR (Altice), Free (Iliad), Orange, mais aussi par les plateformes Molotov et Salto. Elles sont également accessibles, avec leur service de télévision de rattrapage (replay), sur le site web MyTF1.fr et via l’application MyTF1 pour smartphones et tablettes. Autre argument utilisé par le patron du groupe Canal+ pour justifier le fait d’avoir coupé le signal des chaînes du groupe TF1 : le risque d’être attaqué devant la justice pour diffusion sans autorisation des chaînes de ce dernier. « Notre contrat étant arrivé à son terme le 31 août, nous n’avions d’autre choix que de couper. Nous avons vu ce qui s’est passé avec Molotov, attaqué en contrefaçon par TF1, et nous ne souhaitions pas nous retrouver dans cette situation », a expliqué Maxime Saada.

La jurisprudence « Molotov » (contrefaçon)
La plateforme numérique de télévision Molotov, rachetée en novembre 2021 par l’américain FuboTV, avait en effet perdu deux procès contre respectivement TF1 et M6 pour avoir poursuivi la diffusion de leurs chaînes alors que les accords avec les deux éditeurs de télévision étaient arrivés à échéance – le 1er juillet 2019 pour TF1 et le 31 mars 2018 pour M6. Molotov n’avait conclu en 2015 que des contrats de distribution expérimentaux avec M6 et avec TF1. Faute d’accord pour renouveler ces accords, la plateforme de télévision avait continué à diffuser les chaînes en question, en estimant qu’elle n’avait pas besoin d’autorisation de TF1 et de M6 du fait de l’obligation légale de reprise dite « must carry » dont bénéficient déjà l’hertzien, le câble et satellite (2) – alors pourquoi pas Internet. TF1 et M6 avaient chacun saisi le tribunal judicaire d’une action en contrefaçon. Les juges ont rejeté l’argument de Molotov en rappelant qu’en dehors de la diffusion par voie hertzienne – via la TNT depuis 2011 –, il n’y a aucune obligation légale de mise à disposition du signal à un distributeur, que ce soit par satellite ou par Internet.

Play Media : pas de « must carry » en ligne
Par un jugement du 2 décembre 2021 pour M6 (3) et du 7 janvier 2022 pour TF1 (4), la société Molotov a été reconnue coupable d’actes de contrefaçon de droits voisins et des marques des sociétés du groupe M6 et du groupe TF1. De plus, la même société Molotov a été condamnée à payer à 7millions d’euros de dommages et intérêts à M6 et 8,5 millions d’euros à TF1 (5) (*) (**).
Auparavant, en 2014, ce fut la plateforme Play Media, pionnier de la diffusion de chaînes en ligne, qui avait essuyé les plâtres de la diffusion de chaînes gratuite sur Internet, en l’occurrence celles de France Télévisions qui avait porté l’affaire devant la justice. Le groupe public, qui offrait à l’époque ses chaînes sur son propre service en ligne, Pluzz, avait assigné en concurrence déloyale Play Media pour avoir proposé un visionnage en direct et un accès à la télévision de rattrapage de ses chaînes sur la plateforme Playtv.fr. Et ce, sans son autorisation. France Télévisions avait obtenu, dans un jugement du 9 octobre 2014, 1 million d’euros de réparation de la part de Play Media pour avoir repris ses chaînes sans son accord. Cette première affaire s’était soldée par le rejet du « must carry » en ligne, après cinq années de procédure et de nombreuses décisions – jusqu’en cassation en juillet 2019 (6). La plateforme Myskreen.com, pourtant épaulée le groupe Figaro et Habert Dassault Finance via la société The Skreenhouse Factory créée par Frédéric Sitterlé (7), avait aussi eu maille à partir avec les chaînes de télévision, qui l’on amené à cesser ses activités et à être liquidée en 2015.
C’est face à cette jurisprudence générée par les France Télévisions, TF1 et autres M6 que le groupe Canal+ n’a pas pris le risque de reprendre les chaînes de TF1 sans autorisation. Pas plus qu’il ne l’avait fait en 2018. Cette année-là, la filiale télé de Vivendi avait coupé le signal de TF1 et porté plainte devant le tribunal de commerce de Paris sur le différend commercial qui les opposait sur la diffusion des chaînes sur MyCanal et sur CanalSat. « Nous saisissons le tribunal de commerce plutôt que le CSA [Conseil supérieur de l’audiovisuel, à l’époque, devenu l’Arcom, ndlr] car c’est une question de principe, étant donné que ces chaînes sont déjà disponibles gratuitement partout », nous avait répondu une porte-parole de Canal+ (8). Pour compenser en partie la baisse de ses recettes publicitaires dans un contexte de concurrence grandissante des services de SVOD Comme Netflix, TF1 veut faire payer la diffusion de ses chaînes assorties de services associés, ou premium, tels que replay, vidéo à la demande (VOD) ou encore programmes en avant-première. En 2019, le groupe Altice s’était lui aussi engouffré dans la brèche en demandant à Free de le rémunérer pour la diffusion de ses chaînes. Ce que l’opérateur de la Freebox s’était refusé à faire. Le TGI de Paris a estimé le 26 juillet de la même année que « Free n’a[vait] pas le droit de diffuser sans autorisation BFMTV, RMC Découverte et RMC Story sur ses réseaux » et lui a ordonné « de cesser cette diffusion, sous astreinte de 100.000 euros par jour de retard et par chaîne ». Ce jour-là, Free a cessé de diffuser les chaînes gratuites d’Altice, mais en prévoyant de les proposer en option payante. Saisi, le CSA avait considéré que Free n’avait aucune obligation de diffuser les chaînes pour lesquelles Altice est néanmoins en droit de se faire rémunérer (9) (*) (**).
Tout comme TF1 aujourd’hui. A condition que la filiale TV de Bouygues n’abuse pas de sa position dominante – qui serait renforcée si la fusion TF1-M6 en cours d’examen à l’ADLC obtenait un feu vert. « Le groupe TF1 a un sentiment de toute-puissance du fait de sa position dominante, et ce avant même une possible fusion », a dénoncé Maxime Saada dans le JDD. A défaut de pouvoir étendre le « must carry » des chaînes gratuites de la TNT à tous les moyens de diffusion – alors que l’on aurait pu penser le contraire au regard de la neutralité technologique –, TF1 et Canal+ sont condamnés à s’entendre. Soit dans le cadre d’une médiation organisée par l’Arcom, soit devant le tribunal de commerce. A moins que l’ADLC ne se saisisse de cette problématique des chaînes gratuite. N’étant ni la justice ni le régulateur, le gouvernement semble démuni face à ces bras de fer qui se font sur le dos des téléspectateurs.

Contrat privé versus pouvoir public
La ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak (RAM), a fait parvenir le 2 septembre un courrier au patron de Canal+ qu’elle exhorte : « J’en appelle à votre sens des responsabilités et de l’intérêt général pour éviter de priver des centaines de milliers de foyers de la réception de l’intégralité des chaînes de la TNT ». De plus, ajoute RAM, « cette situation n’est pas conforme à l’intention du législateur qui était de garantir une couverture intégrale du territoire par la TNT en obligeant les chaînes de la TNT à mettre leur signal gratuitement à disposition d’un distributeur satellite qui en fait la demande ». La missive n’a pas produit l’effet escompté. @

Charles de Laubier

Fin de la redevance : sonne-t-elle le glas de la TV ?

En fait. Le 19 juillet, le ministre délégué des Comptes publics, Gabriel Attal, a indiqué sur France info « regarder [la] piste » de parlementaires proposant l’affectation d’une partie de la TVA à l’audiovisuel public pour remplacer la redevance. La suppression de celle-ci illustre surtout le recul de la télé.

En clair. Le numérique aura eu raison de la redevance audiovisuelle. Son assiette est assise pour sa quasi-totalité sur les foyers détenteurs d’au moins un téléviseur, tandis que des professionnels la paient mais dans une proportion infinitésimale. Sur l’année 2022, la dernière a priori où elle sera appliquée, la contribution à l’audiovisuel public (CAP) rapportera quelque 3,2 milliards d’euros : 96,4 % réglés par les particuliers (à raison de 138 euros par foyers) et 3,6 % par des professionnels.
La prise en compte du seul téléviseur – déclaré par son détenteur – pour déclencher son assujettissement relevait déjà d’une anomalie historique, puisque cette CAP financement non seulement la télévision public (France Télévisions pour une grosse part, Arte France, France Médias Monde et TV5 Monde), mais aussi Radio France et l’Ina (1) qui n’éditent pas de chaînes de télévision. De plus, les ressources de la redevance audiovisuelle voient leur assiette s’éroder en raison de la diminution du taux d’équipement des ménages en téléviseur : ce taux est passé d’environ 98 % il y a quelques années à 90,9 % fin 2021, selon Médiamétrie pour l’Arcom (2). Ce taux est à comparer à celui des ordinateurs (relativement stable à 85,8 %) et aux smartphones (en croissance à 79,7 %), bien loin des tablettes (en recul à 46,3 %). Ces autres équipements que le téléviseur ont, au fil des années, rendu obsolète la règle du téléviseur pour le calcul de la redevance audiovisuelle. Etendre son assiette aux ordinateurs, smartphones et tablettes a fait l’objet de débats récurrents depuis douze ans (3).
Quant au téléviseur lui-même, il est regardé de plus en plus mais pour d’autres contenus audiovisuels que les chaînes de télévision, et a fortiori que les chaînes publiques financées par la CAP. En effet, la télévision ne sert plus seulement à regarder la télévision : sur l’année 2021, les chaînes n’occupent plus que 75 % du petit écran, le quart restant étant consacré à 16 % à de la vidéo sur Internet comme sur YouTube (4) et à 9% à de la vidéo à la demande par abonnement ou SVOD (Netflix, Amazon Prime Video, Disney+, etc.). En conséquence, même si les Français regardent plus de 4h30 par jour leur écran TV, ils y regardent de moins en moins les chaînes – tant publiques que privées. Continuer à faire payer la redevance pour des chaînes publiques que les foyers regardent de moins en moins, cela devenait difficile à justifier pour un gouvernement. @

Netflix France tire toujours à boulets rouges sur la chronologie des médias, bientôt rediscutée

La chronologie des médias n’en finit pas d’être remise sur le métier. Bien que la clause de revoyure ait fixé à janvier 2023 le prochain rendez-vous des signataires, le retour autour de la table des négociations est prévu dès septembre prochain. Netflix entend faire encore bouger les lignes.

Damien Bernet (photo), directeur du développement (1) de Netflix France depuis avril 2020, était l’invité le 28 juin dernier de l’Association des journalistes médias (AJM), accompagné d’Anne-Gabrielle Dauba- Pantanacce, directrice de la communication. Il a notamment été amené à s’exprimer sur la nouvelle chronologie des médias en vigueur depuis le 24 janvier 2022 (2), Netflix étant la seule plateforme de la SVOD à l’avoir signée (3). En est-il satisfait ? « Oui et non, a-t-il répondu. Oui car ce fut un pas important. Nous étions à 36 mois après la salle de cinéma dans l’univers du cinéma français, ce qui était totalement anachronique. Le fait de passer à 15 mois, c’est déjà une victoire ».

Revoyure dès septembre prochain
« C’est la raison pour laquelle nous l’avons signée, pour signifier et concrétiser cette avancée, montrer que Netflix est un acteur vertueux. Nous avons montré dans la discussion que nous étions ouvert à la négociation : Netflix est le seul acteur de la SVOD à l’avoir signée. Maintenant, a prévenu Damien Bernet, l’ex-ministre de la Culture Roselyne Bachelot l’a déclaré au moment de la signature : ce n’est qu’un premier pas ; il y a une clause de revoyure en janvier 2023. En fait, la revoyure sera dès le mois de septembre 2022… Tout le monde va revenir à la table des négociations ». Il n’a pas manqué de rappeler « le mouvement de Disney » qui a décidé de sortir en fin d’année en France son film d’animation « Strange World » directement sur sa plateforme Disney+, sans passer par les salles de cinéma. Il a rappelé aussi que Disney+ est adossé à un grand studio de cinéma, comme le sont les plateformes HBO Max (attendue en France en 2023) au sein du groupe Warner Bros. Discovery et Paramount+ (dont le lancement français est programmé pour décembre prochain) au sein de Paramount Global, ex-ViacomCBS.
La pression ne cesse donc de croître sur la chronologie des médias française jugée obsolète. Damien Bernet la fustige : « Cette chronologie des médias ne peut pas tenir. Elle ne correspond pas aux usages – le public a besoin d’avoir les contenus rapidement. Et les mettre sur une étagère ou au frigo pendant 15 mois n’a aucun sens. Cela ne sert surtout pas le programme, le film. Ce que cela génère, c’est du piratage ». Sert-elle les salles de cinéma, qui bénéficient de quatre mois d’exclusivité lors de la sortie des nouveaux films ? « Non, répond-t-il, le fait de séparer de 15 mois la sortie en salle et la sortie sur Netflix n’a aucun intérêt pour la salle ». Sert-elle Canal+, qui fut longtemps le premier pourvoyeur de fonds du cinéma français ? « Canal+ a une position qui correspond à une histoire et à la manière dont cette chronologie des médias se déroule. Maintenant, déplore-il, celle-ci n’est pas cohérente film par film. Dans les autres pays, il y a une date de sortie qui est négociée pour chaque film selon le diffuseur. En France, cette rigidité a été créée par cette histoire qui se règle sur l’acteur historique (Canal+) ». Cette situation est unique au monde, alors qu’au-delà de l’Hexagone la sortie d’un film en SVOD 45 jours après la salle ne choque personne – notamment aux Etats- Unis pour les blockbusters d’Hollywood. Lorsque ce n’est pas dans certains cas des sorties simultanées salles streaming (day-and-date), comme ce fut le cas en 2021 des films « Dune » et « Matrix » de Warner Bros. Pictures, ou de « Mulan » et « Soul » sur Disney+.
« Nous sommes favorables au cas-par-cas. On serait prêt à payer plus, film par film, et à financer beaucoup plus sur un film donné si on peut disposer d’une fenêtre qui soit plus cohérence dans l’intérêt de nos abonnés, explique Damien Bernet. Dans le monde, on le voit, il y a un usage à 45 jours. Mais on ne fait pas de la sortie en salle une condition pour nous. La sortie en salle peut parfois se justifier sur certaines œuvres, comme nous l’avons fait sur “The Power of the Dog”» (4). Netflix sort environ 30 films par an dans le monde entier, et la salle ne leur est pas interdite, notamment lors de festivals ou d’avant-premières. « On a toujours dit qu’il y avait une complémentarité totale salles-streaming. Mais ce n’est pas le cœur de notre business model, temporise quant à elle Anne-Gabrielle Dauba-Pantanacce. On n’est pas dogmatique. Nous le faisons sur certains films ».

Cannes : Lescure part, Netflix arrive
Netflix sera présent au festival international du film La Mostra de Venise, du 31 août au 10 septembre 2022. « Pour le Festival de Cannes, cela ne dépend pas de nous, rappelle la directrice de la communication. Nous sommes accueillis dans tous les festivals (de cinéma) du monde entier… Il y a un changement de président au Festival de Cannes : on verra dans les prochains mois ». Iris Knobloch, ancienne présidente de Warner Bros. en France, a remplacé le 1er juillet dernier Pierre Lescure à la présidente du Festival de Cannes. Netflix a de l’avenir sur la Croisette. @

Charles de Laubier

Lecteur multimédia, Plex se mue en plateforme de streaming personnelle, fort de 15 ans d’existence

Le japonais Rakuten vient de rejoindre la longue liste des partenaires de contenu de l’application multimédia Plex de la société du même nom cofondée il y a quinze ans. Celle-ci veut « sauver le streaming du chaos ». De lecteur multimédia à plateforme de streaming, Plex bouscule TV et SVOD.

Plex aura quinze ans en fin d’année, le développeur Elan Feingold (photo de gauche), aujourd’hui directeur de la technologie, ayant été à l’origine de la création en décembre 2007 d’un lecteur multimédia personnel pour son Mac (Apple) à partir d’un logiciel open source appelé à l’époque XBMC – pour Xbox Media Center, lequel devint de son côté Kodi (1). Elan Feingold a eu la chance d’obtenir aussitôt pour son projet devenu Plex deux investisseurs qui avaient revendu leur entreprise à Cisco, Cayce Ullman et Scott Olechowski (photo de droite). Si le premier a quitté fin 2011 Plex, dont il fut cofondateur et directeur général, le second y est toujours présent en tant que directeur produit (2).

Dans la lignée des « media center »
Aujourd’hui, grâce au duo fondateur restant soutenu par six investisseurs (Intercap, Kleiner Perkin, Tribune Media, StartX, McClatchy et Knight Foundation), Plex est une application-plateforme permettant à des millions d’utilisateurs dans 180 pays, dont la France, de personna-liser leur utilisation du streaming dans une seule médiathèque multimédia. Et ce, quels que soient les terminaux et appareils qu’ils utilisent. Plex fonctionne aussi bien sur téléviseurs (Roku, Amazon Fire TV, Chromecast, Android TV, Apple TV, Samsung, …) que sur smartphones, consoles de jeu (PSP, Xbox, …) ou ordinateurs. Plex s’est imposé face à d’autres « media center » tels que Kodi, MediaPortal ou encore Emby (ex-Media Browser). « Pour les fans de films et de spectacles qui sont submergés par le chaos de l’univers fragmenté du streaming, Plex offre une expérience plus personnalisée et intuitive dans une application facile à utiliser, puissante et belle. Que vous soyez intéressé par la gestion de votre médiathèque personnelle ou à regarder gratuitement la télévision en direct ou à visionner des milliers de films gratuits en streaming, Plex est la maison pour tous vos divertissements », résume l’entreprise suisse.
Domiciliée dans le canton de Nidwald, cette holding chapeaute sa filiale californienne Plex basée à Los Gatos mais enregistrée fiscalement dans l’Etat du Delaware. C’est fin 2019 que Plex – jusqu’alors connu aux Etats-Unis pour son lecteur multimédia intuitif – s’est diversifié dans le streaming en proposant sur Plex.tv séries, films, documentaires et clips vidéo en accès libre mais avec de la publicité (3) : un pionnier de l’AVOD (Advertising Supported Video on Demand), marché que convoitent des géants comme Amazon Studios et Netflix (4). Le catalogue actuel de Plex est conséquent : 50.000 titres, des dizaines de programmes de télévision et une centaine de chaînes TV diffusées en live streaming. Et ce, grâce à une liste de « partenaires de contenu » digne d’un inventaire à la Prévert, parmi lesquels Metro Goldwyn Mayer (MGM, entre les mains d’Amazon), Warner Bros. Discovery, Paramount (Paramount Global, ex-ViacomCBS), Sony Pictures Television. Lionsgate, Sinclair Broadcast Group, A+E, AMC, Crackle Crown Media Family Networks ou encore Fremantle (RTL Group/M6). Pour la musique en streaming, Plex a intégré en novembre 2018 les contenus de Tidal, l’ex-plateforme « hi-fi » du rappeur Jay-Z, laquelle est contrôlée depuis mars 2021 par Square, la société fondée par Jack Dorsey (cofondateur et ancien patron de Twitter).
Dernier arrivé parmi cette trentaine de fournisseurs de contenus (5) : le japonais Rakuten, qui a fêté ses 25 ans cette année (6). Sa plateforme « Rakuten TV » a annoncé le 15 juin dernier un accord pour diffuser 91 chaînes, dont des chaînes thématiques cinéma, sur « la plateforme de divertissement » de Plex. Déjà disponibles via les téléviseurs connecté (Smart TV), sur le Web et les applications mobiles, elles seront aussi disponibles désormais en streaming via Plex en France, en Espagne, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Italie, aux Pays-Bas, en Suède, en Finlande et en Norvège. Le japonais sera aussi présent sur Plex avec sa propre chaîne gratuite « Rakuten Stories » financée par de la publicité, selon le mode FAST (Free Ad-supported Streaming TV). Le japonais y diffuse des contenus originaux et exclusifs.

Diffusion massive de Rakuten TV
Plex étoffe ainsi son offre télévisuelle qui compte plus de 250 chaînes accessibles gratuitement. « Rakuten TV est disponible dans 43 pays européens et regroupe plus de 110 millions de foyers qui se connectent via l’installation de l’application sur certaines Smart TV ou grâce à des télécommandes où figurent le bouton “Rakuten TV” », précise la filiale Rakuten TV Europe, basée à Barcelone (Espagne) et dirigée par le Français Cédric Dufour. Dans la ligné des « media center », Plex entend résoudre le casse-tête des internautes qui aspirent à plus de simplicité et de fluidité dans l’accès à tous leurs contenus multimédias. C’est le défi que devrait relever tous les fournisseurs de contenus. @

Charles de Laubier