Le numérique pèse à peine 7 % du plan « France Relance » sur deux ans (2020-2022) : décevant

Etant donné que le numérique – télétravail, e-commerce, école à distance, téléconsultations ou encore administrations en ligne – a permis à la France de sauver les meubles lors des trois mois du confinement, il aurait été logique que le chef de l’Etat fasse du digital une priorité pour résorber la fracture numérique. Hélas.

Le président de la République Emmanuel Macron (photo), qui fut il n’y a pas si longtemps ministre de l’Economie, de l’Industrie et… du Numérique, aurait été bien inspiré de consacrer à ce dernier une part de son plan de relance bien plus grande que les à peine 7 % des 100 milliards d’euros annoncés en grandes pompes le 3 septembre. A titre de comparaison : l’écologie s’arroge à elle toute seule 30 % de cette même enveloppe « France Relance » sur la période 2020- 2022. Le numérique devra donc se contenter de 6,8 milliards d’euros environ sur deux ans, lorsque la transition écologique bénéficiera d’au moins 30,3 milliards d’euros. « France Relance », c’est donc deux poids, deux mesures. Cette disparité budgétaire pour reconstruire le monde d’après n’a pas échappé à France Digitale, une association créée en 2012 à la suite du mouvement des Pigeons et forte aujourd’hui de plus de 1.800 entrepreneurs et investisseurs du numérique français. « On s’attendait à ce qu’il y ait un peu plus d’effort sur le numérique. Le numérique n’est pas oublié du plan de relance, mais il n’est pas non plus la priorité et c’est dommage parce que justement il remplit la case emploi, la case souveraineté », a confié à l’AFP Frédéric Mazzella (Blablacar), coprésident de France Digitale, qui organise son France Digitale Day le 15 septembre.

« France Relance » numérique déçoit France Digitale
Dans son communiqué où elle prend acte, l’organisation des startup est plus policée et « invite le gouvernement à renforcer le plan de relance selon trois axes forts : envisager une politique inédite en matière de commande publique, visant à attribuer au moins 50 % des marchés publics technologiques aux entreprises européennes ; encourager la sobriété numérique, alors que la transition environnementale est une part essentielle du plan de relance ; accentuer les efforts sur les marchés stratégiques (IA, quantique, cyber et e-santé, … ». France Digitale appelle en outre les parlementaires à améliorer en faveur du numérique ce plan de relance dont ils seront bientôt saisis, en s’inspirant de ses quinze propositions présentées au sortir du confinement. Dans son rapport « Alternatives », l’association professionnelle estime « l’effort à 20 milliards d’investissement sur deux ans, à répartir entre secteurs public et privé » (2). C’est bien plus que l’enveloppe digitale du plan gouvernemental « France Relance ».

Cédric O ne tarit pas d’éloges
Quant à la fédération Infranum (3), qui espérait des pouvoirs publics 7 milliards d’euros sur les 11,2 milliards d’euros estimés indispensables, selon elle (4), pour relancer la filière (5), elle a réagi en pointant d’autres « questions de financement » qui restent en suspens (6). Du côté de la Fédération française des télécoms (FFTélécoms), pas de communiqué mais seulement un tweet satisfait : « #FranceRelance va booster les investissements des opérateurs télécoms » (7). Enthousiaste, le secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, Cédric O, ne tarit pas d’éloges sur le volet numérique du plan de relance. « La transition numérique de notre économie et de notre société est une obligation si la France veut sauvegarder ses emplois, tenir son rang et continuer à faire société. Elle est au coeur de #FranceRelance, qui lui consacre des moyens inédits ! », a-t-il assuré sur Twitter (8). Et dans une tribune publiée sur Medium, il place « la transition numérique au cœur de la relance et de notre pacte social » (9). Même si le digital semble réduit à une portion congrue dans le plan de relance présenté par le Premier ministre, Jean Castex (photo de droite), et par son ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, le gouvernement veut se mettre en quatre. Cédric O a cependant indiqué qu’Emmanuel Macron s’exprimera « dans les semaines à venir » pour parler de numérique et de plans spécifiques.
D’ici à la fin du quinquennat (2020-2022), le plan « France Relance » prévoit, lui, d’injecter dans le digital :
• 3,7 milliards pour le soutien aux start-up et aux technologies stratégiques. Le Programme d’investissements d’avenir (PIA), qui fête d’ailleurs ses dix ans cette année, consacrera une augmentation de 60 % des aides à l’innovation destinées annuellement à la French Tech, pour un total de 800 millions. A quoi s’ajouteront 500 millions qui seront consacrés en plus au soutien des levées de fonds. Mais ce sont surtout 2,4 ,milliards d’euros qui seront consacrés aux « technologies numériques de rupture » où la France entend ne pas être en rupture de ban justement sur ces marchés-clés mondiaux : informatique quantique, cybersécurité, intelligence artificielle, cloud, edtech, santé digitale, fintech, etc. « Le plan de relance a vocation à accélérer la croissance de l’écosystème de la French Tech et à renforcer notre souveraineté numérique, tant par le soutien au développement de nos start-up que par une plus grande maîtrise des technologies numériques stratégiques », a expliqué Cédric O. Il s’agit aussi de faire émerger des licornes (10) et des champions capables de rivaliser avec les Big Tech.
• 2,3 milliards d’euros à la transformation numérique de l’Etat, des territoires et des entreprises. Pour l’Etat et les territoires, il est prévu sur cette somme 1,7 milliard d’euros de crédits qui permettront notamment de « financer le déploiement d’une identité numérique de niveau élevé, la modernisation et la sécurisation des infrastructures numériques de l’Etat, et l’utilisation de technologies numériques de pointe par les administrations ». Cédric O assure en outre que l’amélioration de la qualité du service public sera au cœur des préoccupations, tant au niveau de l’Etat, avec 1 milliard pour les démarches en ligne, et des territoires, avec près de 300 millions d’euros pour « les projets les plus prometteurs ». Quant à la santé, dans le cadre du « Ségur de la Santé » (11), 200 millions d’euros seront consacrés à la numérisation du système de santé. Pour les entreprises, cette fois, 400 millions d’euros seront injectés pour accompagner la transformation numérique des TPE, PME et ETI, ou accélérer l’adoption de technologies liées à l’industrie du futur et à l’intelligence artificielle. Tandis que 200 millions d’euros serviront à accélérer la numérisation des filières aéronautique et automobile.
• 500 millions d’euros consacrés au numérique du quotidien, partout et pour tous. C’est ce que le plan de relance va rajouter aux efforts non seulement pour contribuer à « la généralisation de la couverture fibrée du territoire à l’horizon 2025 » avec « 240 millions d’euros supplémentaires », mais aussi – « effort inédit et historique de 250 millions d’euros » – pour lutter contre la fracture numérique et l’illectronisme. « La fibre [optique] doit être aujourd’hui considérée comme une infrastructure essentielle (12) et l’accès à une bonne connexion Internet comme un service universel auquel l’Etat doit garantir l’accès. (…) Aujourd’hui encore, un Français sur six n’utilise pas Internet et plus d’un sur trois manque de compétences de base », affirme Cédric O. Là aussi, Emmanuel Macron devrait détailler un plan d’action dans les prochaines semaines.
• 300 millions d’euros pour la formation aux métiers du numérique. Il s’agit de tirer parti de l’opportunité pour l’insertion des jeunes que représentent les métiers du digital, lesquels font partie des « métiers prioritaires d’avenir » auxquels le gouvernement promet de former 100.000 jeunes. Sont également concernés tous ceux dont les métiers seront affectés par la crise et les mutations économiques. « Donner l’accès pour tous aux emplois du numérique contribue à l’effort de démocratisation du numérique », assure le gouvernement.

Notification en vue à Bruxelles
Il reste maintenant à la France à notifier son plan « France Relance » à la Commission européenne – a priori en octobre – et à obtenir l’approbation des autres Etats membres de l’Union européenne. Si ça passe, la France pourra espérer de l’Europe 40 milliards d’euros pour son plan à 100 milliards. De son côté, le Conseil national du numérique (CNNum) a remis le 8 septembre au gouvernement un avis (13) appelant « la France numérique » à inclure plus de talents « issus de la diversité ». @

Charles de Laubier

Et combien coûtera la stratégie digitale de l’Europe ?

En fait. Le 19 février, la Commission européenne a présenté sa stratégie numérique pour les cinq prochaines années en matière de données, d’une part, et d’intelligence artificielle, d’autre part. Deux enquêtes sont menées en ligne, jusqu’au 19 mai pour le livre blanc sur l’IA. Mais le financement reste à préciser.

En clair. Le projet de budget 2021-2027 de l’Union européenne, post-Brexit, a déjà été drastiquement revu à la baisse sous la dernière présidence de la Finlande (1). Bien que la nouvelle Commission « Leyen » soit placée sous le signe d’« une Europe préparée à l’ère numérique », sous la houlette de la vice-présidente Margrethe Vestager, l’heure n’est pas trop aux stratégies dispendieuses. En présentant ses « idées et mesures » en matière de données et d’intelligence artificielle, l’exécutif européen n’a pas précisé comment serait financier ses ambitions digitales dans ces domaines. Il est cependant indiqué, en marge de sa communication du 19 février, que « les investissements nécessaires seront possibles grâce à des fonds transférés du Programme pour une Europe numérique [Digital Europe Programme (2)], du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe [Connecting Europe Facility (3)] et d’Horizon Europe (4) ». Sans pour autant chiffrer le montant global issu de ces trois véhicules budgétaires pour financer sa stratégie numérique, la Commission européenne indique qu’elle a proposé d’investir, dans le cadre du Digital Europe Programme, « près de 2,5 milliards d’euros dans le déploiement de plateformes de données et d’applications de l’IA ». En ce qui concerne le programme de recherche et développement Horizon Europe, la Commission « Juncker » – avant l’actuelle Commission « Leyen » – avait proposé un investissement ambitieux de 100 milliards d’euros tous secteurs d’activités confondus, dont « 15 milliards d’euros dans le pôle “Numérique, industrie et espace”, au sein duquel l’IA constituerait un secteur clé à soutenir ».
Dans le livre blanc sur l’IA (5), il est mentionné qu’« au cours des trois dernières années, le financement de l’UE en faveur de la recherche et de l’innovation dans le domaine de l’IA a atteint 1,5 milliard d’euros ». En revanche, aucun montant n’est avancé pour le véhicule budgétaire Connecting Europe Facility (CEF2). Mais dans un document informel (non-paper), la Commission européenne évoque une somme de 3 milliards d’euros sur trois ans (2021-2023) « pour le volet consacré aux infrastructures stratégiques de connectivité numérique », au sein de l’Union européenne, dont jusqu’à 75 % en soutien du déploiement d’infrastructures 5G et jusqu’à 25 % pour les investissements dans des infrastructures de données transfrontalières. @

La France est fermée à la Libra, mais pas tout le G7

En fait. Le 17 octobre se tenaient les 3es Assises des Technologies financières, à Paris, organisées par l’agence Aromates sur le thème de « Banque du futur : la construire ou la subir ? ». Le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, s’y est exprimé par vidéo pour réaffirmer son opposition à Libra.

En clair. Bien que ces Assises des Technologies financières soient placées depuis 2017 sous le parrainage du ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire n’a pu y intervenir physiquement cette année car il était à Washington où se réunissait ce 17 octobre les ministres des Finances du G7 (1) – en marge des réunions du FMI et de la Banque Mondiale. Avec ses homologues, il a tiré la sonnette d’alarme à propos de la cryptomonnaie Libra que Facebook va lancer en 2020 (lire p. 4). Le G7 estime qu’« une base juridique solide (…) est une condition préalable absolue ».
A Washington, Bruno Le Maire a annoncé que la France, l’Italie et l’Allemagne ont décidé d’interdire la Libra. Alors que le communiqué du G7 reste plus ouvert à condition que les problèmes posés soient réglés avant. Le ministre français des Finances dit non à la Libra : « Il faut faire attention à ce que cette innovation financière n’empiète pas sur la souveraineté des Etats. La blockchain, oui. Le développement des technologies financières, trois fois oui. Mais avoir des grandes entreprises privées qui cherchent à se doter d’un outil monétaire souverain comme les Etats, c’est le projet Libra, ça, je n’y suis pas favorable », a-t-il déclaré par vidéo aux Assises des Technologies financières. « Et donc cela suppose que nous soyons capables de répondre aux défis des transactions financières par d’autres moyens que par ces projets des grands géants du digital, a-t-il insisté. Comment réduire les coûts de transaction, comment accélérer ces transactions, pour que cela soit toujours mieux pour le consommateur, sans remettre en cause la souveraineté monétaire des Etats ». Mais des voix dissonantes se sont faites entendre, comme celle de Yannick Lostie de Kerhor, Chief Digital Officer de EY. Il rappelle que des monnaies locales sont déjà apparues nombreuses en France (2) pour servir une tendance sociétale vers le circuit court et l’amplification des échanges localisés. « Finalement, le token [jeton numérique constituant la monnaie virtuelle, ndlr] est la même chose : une monnaie adossée à un lieu d’échange. Sauf que là, ce n’est plus un territoire mais une plateforme numérique. C’est une question confiance. Les plateformes, qui ont la confiance de leurs utilisateurs, veulent battre monnaie. Je comprends la crainte de ministre des Finances. Mais si ce n’est pas Facebook, ce sera un autre ». @

Cédric O, porte-voix « French Tech » d’Emmanuel Macron, est secrétaire d’Etat chargé du Numérique depuis 6 mois

Cédric O fut le coorganisateur de la soirée « French Tech » à Las Vegas en 2016, événement qui donna le coup d’envoi de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. Depuis plus de 6 mois maintenant, l’ancien trésorier d’En marche (devenu LREM) est au pouvoir et pousse les feux sur le numérique et surtout les start-up.

Six mois maintenant qu’il est à Bercy où il a remplacé Mounir Mahjoubi. Cédric O (photo) est l’un des plus jeunes (36 ans) membres du gouvernement, secrétaire d’Etat chargé du Numérique auprès du ministre de l’Economie et des Finances (Bruno Le Maire) et du ministre de l’Action et des Comptes publics (Gérald Darmanin). Ce portefeuille « par délégation », il l’a remporté à la faveur de l’élection présidentielle d’Emmanuel Macron, qui fut lui-même ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique (août 2014 à août 2016). Comme Mounir Mahjoubi, Cédric O a été désigné par le locataire de l’Elysée en raison de son engagement politique à ses côtés lorsque ce dernier était candidat aux plus hautes fonctions de l’Etat. Proche conseiller d’Emmanuel Macron, Cédric O a remplacé le 31 mars dernier Mounir Mahjoubi, lequel venait de quitter le gouvernement en vue de se porter candidat aux élections municipales à Paris en 2020 – la macronie ayant finalement préféré investir Benjamin Griveaux. Mais Mounir Mahjoubi avait entre temps retrouvé son siège de député de Paris (1) où il avait été élu en juin 2017, avec comme suppléante une certaine… Delphine O, la soeur cadette de Cédric O. Celle-ci est devenue députée au moment où Mounir Mahjoubi fut de mai 2017 à mars 2019 le « Monsieur numérique » du gouvernement.

Celui qui murmure « digital » à l’oreille de Macron
Redonnant alors son siège de députation à Mounir Mahjoubi en avril 2019, Delphine O intègre le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et est nommée le mois suivant ambassadrice, secrétaire générale de la conférence mondiale de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur les femmes depuis juin dernier. Son frère, lui, a profité de ce jeu de chaises musicales en étant nommé secrétaire d’Etat chargé du Numérique. Concours de circonstance ou népotisme ? Quoi qu’il en soit, les deux O, nés d’une Française et d’un Coréen, ne manquent pas d’entregent. Diplômé de HEC Paris en 2006, Cédric O est attiré par la politique et fera partie – avec notamment Benjamin Griveaux – de l’équipe de campagne de Dominique Strauss-Kahn pour la primaire PS de 2006 en vue de l’élection présidentielle à l’époque. Il participe en outre à la création du think tank Terra Nova. Après l’affaire « DSK » en 2012, il se rallie à la campagne présidentielle de François Hollande.

5 milliards d’euros pour les start-up : assez ?
Cédric O aurait pu alors être ministre mais, poussé par Pierre Moscovici dont il fut le conseiller parlementaire en 2010, il préfère être embauché par le groupe d’aéronautique Safran où il restera jusqu’à son entrée au cabinet de la présidence à l’Elysée en 2017. Il y devient à l’époque conseiller technique « participations et économie numérique » à la fois du nouveau président de la République et du non moins nouveau Premier ministre (3). On le dit alors plus influent auprès du chef de l’Etat Emmanuel Macron que ne l’aurait été Mounir Mahjoubi au poste de secrétaire d’Etat au Numérique. Il serait même meilleur défenseur des « lobbys du numérique » (4). Sur BFM Business, le 11 septembre dernier, Cédric O affirme même que « les GAFA sont une brique essentielle de notre compétitivité », alors même que les géants du Net sont dans le collimateur de l’Europe et des Etats-Unis (5). Avec la question de leur démantèlement éventuel comme épée de Damoclès au-dessus d’eux. « Si on décide de réduire, de tailler les GAFA pour des raisons économiques et pour des raisons démocratiques, alors il faudra se poser la question de notre politique commerciale », a prévenu le secrétaire d’Etat au Numérique.
Une semaine après, Cédric O faisait le service après-vente des mesures en faveur de la French Tech annoncées le 17 septembre par le président Emmanuel Macron : financement des start-up technologiques françaises à hauteur de 5 milliards d’euros provenant, sur trois ans, d’investisseurs institutionnels, d’établissements bancaires et de compagnies d’assurance. Assez ambitieux ? Les besoins seraient plutôt de 20 milliards d’euros si l’on en le rapport rendu en juillet par Philippe Tibi. Et encore, sur l’enveloppe française des 5 milliards, 60 % seront alloués à des fonds d’investissement pour des entreprises de la French Tech cotées en Bourse. Il ne reste plus que 2 milliards d’euros, toujours sur trois ans, pour le financement des start-up non-cotées – en vue notamment d’en faire des « licornes » (entreprises non-cotées valorisées au moins 1milliard d’euros). La banque publique d’investissement Bpifrance a répondu le lendemain à l’appel du chef de l’Etat en annonçant la création d’un « fonds de fonds privé pour le compte d’investisseurs institutionnels privés français » de 500 millions d’euros pour financer des jeunes pousses technologiques. Par ailleurs, sur les fonds propres et pour le compte du Programmes d’investissements d’avenir (PIA) de l’Etat français, Bpifrance met sur la table 1 milliard d’euros supplémentaires sur trois ans pour le financement d’entreprises technologiques en forte croissance. Au salon France Digitale qui se tenait à Paris le surlendemain de l’annonce présidentielle, la déception était palpable. En Grande-Bretagne, la « British Tech » est financée à près de 10 milliards, presque le double… Le 3 octobre dernier, Bruno Le Maire, a tenté de redonner du baume au coeur à la French Tech en annonçant que « la France investira ces prochaines années 1,5 milliard d’euros dans l’intelligence artificielle ». Comptable des deniers publics, Bercy veut éviter de financer la French Tech bourse déliée, afin sans doute pour ne pas créer une nouvelle « bulle Internet » près de 20 ans après l’éclatement de la première. Qui trop embrasse mal étreint. Il ne reste plus qu’à l’hyperprésident de la French Tech d’espérer que ses 5 milliards d’euros prévues d’ici à la fin de son quinquennat provoquent un effet de levier en attirant de nombreux investisseurs étrangers. En déplacement justement à Londres le 19 septembre dernier, Cédric O a déclaré à l’AFP sur place : « Notre objectif est de devenir le premier écosystème technologique en Europe. Nous pouvons considérer qu’aujourd’hui nous sommes numéro deux puisque nous venons de dépasser les Allemands, mais les Britanniques sont encore devant nous. (…) Pour être parmi les meilleurs du monde, les entreprises françaises doivent être internationales ».
Dans la foulée de l’annonce d’Emmanuel Macron à 5milliards, le gouvernement dévoilait une « sélection des 40 entreprises technologiques dont l’avenir est européen et mondial » pour constituer ce qu’il appelle le Next40. « Le Next40, c’est le CAC40 français des entreprises technologiques, a expliqué Cédric O. Dans cette bataille internationale de l’innovation, elles seront la tête de proue de la French Tech pour faire de notre écosystème le premier européen et le positionner sur la scène internationale. Il en va de notre souveraineté [lire p. 3] et des emplois de demain ». Le gouvernement promet à la clé 25.000 emplois directs qui seront créés par les start-up dans les douze prochains mois. Là aussi, à l’instar des 5milliards pour la French Tech, il risque d’y avoir de la déception dans l’air de la… French Jobs (6).

Résorber le retard « innovation » de la France
Mais c’est déjà un premier pas, quoiqu’un peu tardif. C’est du moins ce qu’a reconnu en creux Bruno Le Maire le 18 septembre à l’occasion de la présentation des pépites françaises (heureuses) élues (7) du Next40 : « Dans la course aux leaders technologiques, la France a pris du retard. Nous devons faire émerger des géants du numérique français ou européens comparables aux géants américains ou aux géants chinois ». Selon un indice mondial de l’innovation 2019 publié cet été (8), la France n’arrive qu’en 16e position. Décevant. @

Charles de Laubier

« Souveraineté numérique » : nationalisme digital ?

En fait. Le 3 octobre, la commission d’enquête du Sénat sur « la souveraineté numérique » a rendu son rapport rédigé par Gérard Longuet (LR) et Franck Montaugé (PS). Le problème est que la définition même de « souveraineté numérique » reste toujours floue à l’heure de l’Internet sans frontières.

En clair. On se souvient des Assises de la souveraineté numérique que l’agence de relations publiques Aromates a organisées de 2014 à 2017. « A l’ère de l’Internet des objets et de la blockchain, la vision naïve ou romantique d’un numérique libertaire est devenu dangereuse et il est grand temps que la France se dote d’une véritable et ambitieuse politique de souveraineté numérique », prévenait son président Jacques Marceau, lors de la quatrième et dernière édition de ces Assises de la souveraineté numérique (1). Le problème de la « souveraineté numérique » est son absence de définition. Aujourd’hui, avec le rapport sénatorial sur la souveraineté numérique rendu public le 3 octobre par Gérard Longuet (LR) et Franck Montaugé (PS), la signification de la souveraineté numérique laisse encore à désirer. S’agit-il d’une « souveraineté numérique national » (abordée cinq fois dans le rapport), de son équivalente « souveraineté numérique française » (évoquée six fois), voire d’un « nationalisme numérique » (dont il est question une fois) ? Ou bien parle-t-on de « souveraineté numérique européenne » (mentionnée qu’une fois) ? Et que recouvre-t-elle au juste cette « souveraineté numérique » ?
Est-elle partie intégrante de la « souveraineté nationale » (citée dix fois) ? Bref, le concept est à géométrie variable et floue, voire nationalistes (2). A l’heure du cyberespace sans frontières qu’est l’Internet, la souveraineté numérique sonne comme une ligne Maginot virtuelle qui relève plus de l’utopie défensive que de la Realpolitik offensive. La souveraineté numérique, est-ce instaurer « des frontières pour arrêter les nuages ? », pour reprendre le titre d’une tribune (3) de Jacques Marceau parue en 2014. Va-t-on vers un « patriotisme numérique » dans la foulée du « patriotisme économique » aux arrières-pensées protectionnistes ?
Le rapport sénatorial (4), qui rappelle l’échec du « cloud souverain » français, laisse toujours perplexe sur la notion de souveraineté numérique : « L’homme est moins un citoyen et un sujet de droit, mais de plus en plus une somme de données à exploiter. Ce n’est pas notre conception de la personne humaine, ce n’est pas non plus le modèle de société que nous portons et dans lequel s’incarnent nos valeurs de respect de tous et de chacun. La souveraineté numérique est donc la condition nécessaire et indispensable à la préservation de ces valeurs ». @