Le magnat du câble et des médias John Malone, qui vient d’avoir 80 ans, consolide son empire « Liberty »

L’Américain multimilliardaire John Malone, « modèle » pour Patrick Drahi dont il est le « protégé », a fêté ses 80 ans le 7 mars dernier. Président de Liberty Media, de Liberty Global et de Qurate Retail (ex-Liberty Interactive), le « cow-boy du câble » poursuit sa stratégie de convergence aux Etats-Unis et en Europe.

(Une semaine après la parution de cet article dans Edition Multimédi@ n°255, AT&T a annoncé le 17 mai 2021 qu’il allait fusionner sa filiale WarnerMedia avec le groupe de télévision Discovery, lequel est détenu à 21 % par John Malone).

John Malone (photo) est devenu une légende dans les télécoms et les médias, aux Etats-Unis comme en Europe. A 80 ans tout juste, ce stratège hors pair préside toujours son empire « Liberty », composé aujourd’hui de Liberty Global dans les télécoms internationales (11 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2020), de Liberty Media dans les contenus (8 milliards), de Qurate Retail (10 milliards) dans les services Internet, et de Liberty Broadband avec sa participation dans le câbloopérateur Charter aux Etats-Unis et en Alaska. Le tycoon contrôle tous ces groupes de télécoms, de médias et du numérique en tant que principal actionnaire. Classé 316e personne la plus riche du monde, avec une fortune professionnelle estimée par Forbes à près de 8 milliards de dollars, John Malone détient ainsi 30 % de Liberty Global 47 % de Liberty Media, 40 % de Qurate Retail (ex-Liberty Interactive), 48 % de Liberty Broadband, sans oublier environ 21 % du groupe de média américain Discovery, présent aussi en Europe. Réputé libertarien – « directeur émérite » du think tank libertarien Cato Institute –, John Malone fut surnommé le « cowboy du câble », lorsque ce ne fut pas « Dark Vador » de façon plus méchante, voire « Mad Max » ! Sa succession ? En 2008, l’octogénaire a fait entrer le cadet de ses deux fils, Evan (photo suivante), au conseil d’administration de Liberty Media en tant que directeur. Il apparaît comme le successeur potentiel de l’empire « Malone ».

John Malone, pris de court par Netflix ?
Comme câblo-opérateur, le conglomérat « Liberty » s’est fait le champion aux Etats-Unis de l’abonnement TV et, dans la foulée, de l’accès à Internet en surfant dès les années 1990 sur les set-top-box. Mais avec le cord-cutting, tendance où les Américains ne veulent plus être abonnés à la télévision par câble, ils sont de plus en plus nombreux à préférer l’audiovisuel sur Internet en mode OTT (Over-the-Top). John Malone n’a pas vraiment vu venir la météorite Netflix. C’est seulement en 2018 que Discovery, entreprise indépendante de la galaxie « Liberty » (3) mais dont il est le principal actionnaire, lance en Grande-Bretagne et en Irlande QuestOD, rebaptisé l’année suivante Dplay (4), puis encore l’année d’après les différentes plateformes SVOD disponibles dans une dizaine de pays européens – sauf en France (5) – deviennent Discovery+. La version américaine n’a été lancée qu’en janvier dernier (6).

Complexe convergence de la galaxie « Liberty »
Liberty Global s’est aussi bien implanté en Europe, depuis le rachat à Philips du câblo-opérateur néerlandais UPC au milieu des années 1990. Enchaînant ensuite les acquisitions de réseaux câblés (Unitymedia en Allemagne, Telenet en Belgique,Virgin Media en Grande-Bretagne, Ziggo aux Pays-Bas, Sunrise en Suisse, etc). La convergence video-broadband est le credo. Depuis 2015, Liberty Global est en partenariat étroit avec Vodafone – tout en ayant démenti les rumeurs de fusion. Cette alliance s’est notamment concrétisée par la co-entreprise VodafoneZiggo détenue à parts égales. Dernière grande manoeuvre en date de John Malone sur le Vieux Continent : la méga-fusion à 35 milliards d’euros entre les opérateurs télécoms britanniques Virgin Media (propriété de Liberty Global depuis 2013) et O2 (filiale de l’espagnol Telefonica depuis 2005), le nouvel ensemble détenu à 50/50 devenant rival de BT et de Vodafone.
Après avoir débuté en 1963 sa carrière aux Bell Labs d’AT&T et travaillé ensuite pour McKinsey et General Instrument, il s’est forgé par la suite une réputation d’homme d’affaire intraitable durant plus d’un quart de siècle lorsqu’il fut l’incontournable pionnier du câble aux Etats-Unis, en tant que PDG – dès 29 ans – et copropriétaire de Tele-Communications Inc (TCI) de 1973 à 1999. Cette dernière année-là, il vend le câblo-opérateur à AT&T pour plus de 50 milliards de dollars (l’ancien monopole cédera ensuite ses réseaux câblés à Charter Communications et à Comcast). Mais John Malone regrettera toujours d’avoir cédé TCI, « une erreur », dirat- il. Le groupe audiovisuel Liberty Media, lui, est né il y a trente ans, lorsque John Malone a séparé en 1991 certaines activités de TCI, qu’il présidait alors, dans le cadre d’un spin-off et pour développer Liberty Media dans la télévision par câble et par satellite par abonnement avec la chaîne premium Encore. Celle-ci fut ensuite fusionnée à la fin des années 1990 avec le network de chaînes câblées Starz pour former Encore Media, filiale de Liberty Media qui était alors retournée dans le giron de TCI et d’AT&T.
C’est à cette période où le câblo-opérateur TCI est en position dominante aux Etats-Unis que John Malone obtient des participations au capital de certains éditeurs de chaînes telles que Discovery Channel et TriStar Pictures souhaitant être distribuées sur ses réseaux câblés. TCI pris aussi une participation minoritaire dans le network Turner Broadcasting System (TBS) en difficulté. En 1995, Liberty Media et Comcast finalisent l’acquisition de QVC (abréviation de Quality Value Convenience), la chaîne de télé-achat, qui deviendra 100 % « Malone » en 2003 et sera rattachée à Qurate Retail (ex-Liberty Interactive). QVC avait commencé dans les années 1990 à télévendre aussi en Grande-Bretagne puis en Allemagne. Mais en France, ce fut un échec. Le « cow-boy du câble » ne conçoit pas l’avenir du câble sans investir dans les contenus, étant l’un des tout premiers à mettre en musique la convergence télécoms-audiovisuel. La télévision à péage devient la vache à lait de Liberty Media. Dans sa chasse aux contenus, John Malone devient même minoritaire du groupe de presse et de télévision NewsCorp de son ami Rupert Murdoch, de dix ans son aîné (7), après lui avoir revendu ses actions de Fox/Liberty Network créé en commun. Au milieu des années 2000, Malone va jusqu’à créer la surprise en montant à 18 % dans NewsCorp, devenant ainsi le deuxième actionnaire et successeur potentiel de Murdoch ! In fine, les deux magnats se sont mis d’accord pour un échange d’actions (swap), Liberty Media devenant actionnaire de l’opérateur de télévision par satellite DirecTV. A ce jour, Malone ne possède plus rien dans NewsCorp ni dans DirecTV. Convaincu surtout dans les perspectives de croissance dans la numérisation du câble et des set-top-box connectées à l’Internet grand public naissant, le visionnaire John Malone lance dès 1998 Liberty Interactive pour développer des services interactifs et pour prendre le contrôle de la filiale TCI Music qui est à l’avant-garde de l’audio et de la vidéo par câble, satellite et Internet – renommée par la suite Liberty Digital. Liberty Media sera à son tour un spin-off d’AT&T, en août 2001, soit il y a vingt ans. Puis, en juin 2005, est créé le groupe Liberty Global issu de la fusion entre Liberty Media International et UnitedGlobalCom. Participations, restructurations et acquisitions s’enchaînent. Par exemple : en février 2009, Liberty Media investit dans le bouquet de radio payante par satellite Sirius XM au bord de la faillite ; en août 2012, Liberty Media procède à un spin-off de Starz qui est introduit en Bourse ; en mai 2014, Liberty Media procède cette fois à un spin-off de ses holdings et participations dans le câble (notamment dans le câblo-opérateur Charter Communications, auquel s’est intéressé en 2017 le patron d’Altice USA, Patrick Drahi) dans une nouvelle entreprise baptisée Liberty Broadband ; en août 2015, la chaîne de télé-achat QVC rachète la plateforme de e-commerce Zulily pour 2,4milliards de dollars ; en janvier 2017, Liberty Media s’empare du groupe Formule 1 pour 4,6 milliards de dollars, un coup de maître.

En France, rien en vue depuis l’affaire « Vivendi »
A part être l’idole de Patrick Drahi – lequel lève des fonds vers 1995 auprès d’UPC pour créer le câblo-opérateur français Médiaréseaux, avant d’entrer chez UPC passé dans le giron de Liberty Global, pour en sortir en 2000 pour créer Fortel, puis Altice l’année suivante –, John Malone est un quasi inconnu en France. Et qui se souvient qu’en 2003 Liberty Media avait porté plainte contre Vivendi à qui John Malone demandait près de 1 milliard de dommages et intérêts pour « déclaration fausses et trompeuses » ? Car le cours de Bourse du groupe dirigé à l’époque par Jean-Marie Messier s’était effondré, alors que Liberty Media avait été payé peu avant en actions Vivendi (3,5 %) pour le rachat de sa participation dans le réseau de chaînes de télévision USA Networks. Après treize ans de procès, un accord à l’amiable fut finalement trouvé en février 2016 au début de l’ère Bolloré. Aujourd’hui, c’est à se demander si John Malone ne pourrait pas racheter Altice USA et Europe à Patrick Drahi… @

Charles de Laubier

La famille Mohn, propriétaire de Bertelsmann, se déleste de médias traditionnels pour faire face aux GAFAN

La discrète famille milliardaire Mohn, qui fête cette année le centenaire de la naissance de son père fondateur Reinhard Mohn, tente de faire pivoter le groupe international Bertelsmann en cédant des médias traditionnels (M6 en France, RTL en Belgique). Il s’agit d’être encore plus global et digital face aux géants du numérique.

Le plus grand groupe allemand de médias et d’édition Bertelsmann – alias « Bertelsmann SE & Co. KGaA » – est une société en commandite par actions (comme l’est par exemple Lagardère en France) et non cotée en Bourse, dont 80,9% des actions sont détenues par trois fondations (Bertelsmann Stiftung, Reinhard Mohn Stiftung et BVG Stiftung). Les 19,1 % restants sont entre les mains de la famille Mohn. C’est Christoph Mohn, l’un des deux garçons (1) de Reinhard Mohn (décédé en 2009) – le père fondateur de Bertelsmann de l’après-Seconde guerre mondiale – et de Liz Mohn (photo), qui est l’actuel président du conseil de surveillance du groupe allemand présent dans 50 pays. Liz Mohn – 79 ans (née Beckmann, elle fêtera ses 80 ans le 21 juin), est vice-présidente du directoire de Bertelsmann Stiftung et présidente du directoire de Bertelsmann Verwaltungsgesellschaft (BVG), laquelle holding familiale contrôle tous les droits de vote à l’assemblée générale de la maison mère Bertelsmann SE & Co. KGaA et, comme on dit, de « sa commanditée » Bertelsmann Management SE – dont le PDG est Thomas Rabe depuis 2012. La fille de Liz Mohn, Brigitte, est aussi à la manœuvre en tant que membre du conseil d’administration de Bertelsmann Stiftung et actionnaire de BVG.

De petite maison d’édition nationale, à multinationale
Autant dire que la famille Mohn – la veuve de Reinhard Mohn en tête, elle qui détient un droit de veto – préside plus que jamais aux destinées de ce groupe aux origines presque bicentenaires. Bertelsmann est devenu une multinationale des médias et de l’édition, toujours basée à Gütersloh (en Allemagne), où sa création originelle remonte à 1835, lorsque l’aïeul Carl Bertelsmann y créé une petite maison d’édition et d’imprimerie théologique d’obédience protestante, « C. Bertelsmann », qui prospéra un temps sous le Troisième Reich avec le descendant Heinrich Mohn. Celui-ci dû démissionner en 1947 à la suite de révélations sur le passé nazi de la maison d’édition. Reinhard Mohn (l’un de ses fils) reprit alors l’entreprise avec son imprimerie pour la mettre sur la voie du succès. Décédé il y a douze ans, ce dernier a légué à sa femme Liz Mohn un un groupe médiatique international et diversifié dans la musique, l’audiovisuel ou encore la presse.

Faire face à la déferlante du streaming
Dynastie milliardaire et discrète, la famille Mohn n’en est pas moins impliquée dans les affaires opérationnelles du conglomérat, composé aujourd’hui du groupe audiovisuel RTL Group au Luxembourg, des maisons d’édition Penguin Random House et Simon & Schuster à New York, du groupe de presse Gruner+Jahr (dont Prisma Media) à Hambourg, du gestionnaire de droits musicaux BMG (3) à Berlin, de la société de services et de gestion de bases de données Arvato à Gütersloh, de l’imprimerie Bertelsmann Printing Group (BPG) à Gütersloh, de l’activité d’enseignement à distance Bertelsmann Education Group à New York, et de la société d’investissement Bertelsmann Investments (BI).
Le groupe Bertelsmann, qui emploie 132.842 personnes dans le monde, a publié le 30 mars ses résultats financiers 2020 avec un chiffre d’affaires en recul de 4,1 %, à près de 17,3 milliards d’euros, et un bénéfice net bondissant de 34 %, à 1,5 milliards d’euros (4). L’érosion des revenus montre que le vent tourne : les revenus des médias traditionnels, qui ont fait depuis l’après-Guerre la prospérité de Bertelsmann et la fortune des Mohn, est en train de s’effriter sous les coups de boutoir des GAFAN – Google, Amazon, Facebook, Apple, Netflix, pour ne citer que ces géants du numérique. Le premier groupe audiovisuel européen RTL Group, dont le directeur général est Thomas Rabe depuis 2012, voit ses recettes publicitaires s’affaisser – sur sa soixantaine de chaînes de télévision et sa quarantaine de radios – au fur et à mesure que les marques optent de plus en plus pour des annonces en ligne. En outre, Internet est devenu une plateforme TV géante, sans frontières et de plus en plus live (5).
Le quotidien belge L’Echos a révélé le 24 mars dernier que la direction luxembourgeoise avait envisagé de vendre ensemble ses filiales française Métropole Télévision détenue à 48,3 % (M6, W9, RTL, RTL2, Fun Radio, un tiers de Salto, …) et belge RTL Belgium détenue à 100 % (RTLTVI, RTL Play, Club RTL, Plug RTL, …). Mais finalement « les deux dossiers ont été scindés », la banque JP Morgan conseillant la famille Mohn – via Thomas Rabe – pour ces deux cessions stratégiques en vue. Amplifiée par la crise sanitaire, la chute des revenus de la publicité en 2020 (-14 % pour RTL Belgium et -11,5 % pour M6) précipite la réorganisation de RTL Group, dont le bénéfice net 2020 s’est effondré de -27,7 % (à 625 millions d’euros) pour un chiffre d’affaires en net recul de -9,5 % (à 6 milliards d’euros). « Il y a de solides arguments en faveur de la consolidation dans l’industrie européenne de l’audiovisuel », ne cesse de répéter Thomas Rabe depuis janvier. Dans l’édito du rapport 2020 de RTL Group publié début mars, il l’a redit et assure « invest[ir] dans l’avenir de [ses] entreprises, en particulier dans le streaming et les technologies publicitaire » (ad-tech, publicités ciblées, data, …). En France, Nicolas de Tavernost, président de M6, avait abondé dans Le Figaro daté du 16 février : « Si le marché français ne se consolide pas à brève échéance, il sera bientôt laminé par les plateformes comme Netflix ou Amazon ». Pour la vente de RTL Belgium, les acquéreurs potentiels sont le groupe de presse belge Rossel (Le Soir, La Voix du Nord, Sudpresse, …), le français TF1 ou encore le groupe audiovisuel flamant SBS Belgium. Pour la vente de M6, bien plus avancée, les candidats se bousculent au portillon : à nouveau TF1, Vivendi (Canal+), NRJ, Xavier Niel, Daniel Kretínsky (CMI), Patrick Drahi (Altice), Mediaset (Berlusconi) ou encore le trio Niel-Pigasse-Capton (Mediawan).
La famille Mohn, elle, regarde déjà au-delà des médias traditionnels et entend faire « la promotion de contenu multimédia de première classe et de solutions de service novatrices qui inspirent les clients du monde entier ». Dès 2019, afin de jouer les synergies – notamment digitales et crossmédias – entre les filiales, a été créée la Bertelsmann Content Alliance dans les contenus, dont dépend l’Audio Alliance pour produire et distribuer des podcasts sur sa propre plateforme Audio Now (6).
La transformation digitale de Bertelsmann est en marche : « Regarder la télévision sur tablette, lire sur des lecteurs électroniques, utiliser des applications pour feuilleter des magazines… la mégatendance de la numérisation change la façon dont les gens utilisent les médias. Bertelsmann aspire à être à l’avant-garde de ce changement, et par conséquent la transformation numérique de ses activités de médias et de services est une priorité stratégique pour l’entreprise » (7). Tout est dit.

A l’affût d’acquisitions numériques
Dans la famille Mohn, il y a aussi Shobhna Mohn, la femme de Christoph Mohn. Elle aussi est à pied d’oeuvre pour faire pivoter Bertelsmann. En tant que vice-présidente exécutive de la commanditée Bertelsmann Management SE, en charge de la stratégie de croissance dans le monde et des investissements de BI, Shobhna Mohn est à l’affût d’acquisitions – « en particulier en Chine, en Inde et au Brésil », précise-t-elle sur son compte LinkedIn. Le 30 mars, Thomas Rabe a annoncé cinq priorités de croissance que sont « des médias champions nationaux, du contenu global, des services globaux, de l’éducation en ligne, et un portefeuille d’investissements ». @

Charles de Laubier

Pourquoi Matthieu Pigasse fait de Combat Médias – créé il y a 5 ans – son enseigne à la place de LNEI

La holding LNEI, fondée en juillet 2009 par Matthieu Pigasse (copropriétaire du Monde et coactionnaire de Mediawan), va être rebaptisée Combat Médias. C’est en fait la dénomination d’une holding que le banquier d’affaires a créée en octobre 2016. Celle-ci devient Combat Holding.

Les Nouvelles éditions indépendantes (LNEI), que le banquier d’affaires Matthieu Pigasse (photo) avait créées en juillet 2009 pour chapeauter ses différentes participations dans des entreprises médiatiques ou culturelles, a annoncé le 24 mars – après l’avoir révélé la veille en interne – s’être rebaptisées « Combat ». Rien à voir avec le mouvement de résistance Combat né en France durant la Second-Guerre mondiale et son quotidien clandestin éponyme, mais l’ex-LNEI n’hésite pas à y faire référence.

LNEI bientôt renommé Combat Médias
Sans remonter à 1941, la dénomination « Combat » n’est en réalité pas nouvelle pour Matthieu Pigasse. En octobre 2016, soit il y a près de cinq ans, l’ex-associé de la banque Lazard Frères à Paris avait créé deux entités portant déjà ce nom : Combat Holding et Combat Médias, la première société par actions simplifiée (SAS) et la seconde société anonyme par action simplifiée à associé unique (SASU), toutes deux présidées par Matthieu Pigasse et établies à Paris rue Maurice Grimaud (1). Contacté par Edition Multimédi@, le directeur administratif et financier de la SAS LNEI, Mathieu Levieille, nous indique que « Combat Médias a été renommée Combat Holding au mois d’août dernier » et qu’« LNEI sera renommée Combat Médias dans les prochaines semaines ». Matthieu Pigasse préside LNEI depuis sa création en juillet 2009. Comme LNEI, Combat Médias regroupera l’hebdomadaire Les Inrockuptibles (sur le point de passer mensuel), la radio Nova (doté d’un nouveau site web), le festival Rock en Seine, le magazine en ligne féministe Cheek (au contenu intégré dans lesinrocks.com), Nova Production (société de production créée en 1982, année de création de la radio libre), la société de production sonore Nova Spot, et les Editions Nova (livres), sans oublier les activités de live, d’événements et de publicité.
Alors que Matthieu Pigasse (bientôt 53 ans) dirige depuis un an le bureau parisien de la banque d’affaires américaine Centerview Partners, après avoir quitté six mois plus tôt la banque Lazard, son groupe change d’enseigne et se met en ordre de bataille. Combat – alias Combat Média (2) – a annoncé fin mars sa réorganisation « autour de cinq pôles d’expertises » : les activités print et digitales du groupe au sein de « Combat éditions » (Les Inrockuptibles, les Editions Nova) ; les activités de productions radio, audiovisuel et audio au sein de « Combat studios » (Radio Nova, Nova Production, Nova Spot) ; les programmations cultuelles, artistique et événementiels dans « Combat live » (Rock en Seine, Les Inrocks Festival, événements Nova) ; les régies, la communication et le publishing dans « Combat solutions » ; l’accompagnement des talents, artistes, créatifs, musiciens et mode dans «C factory » (3). La pandémie a poussé le groupe à innover pour ses festivals, quitte à faire du « phygital » (jauge des 5.000 spectateur et diffusion multimédia), tandis que l’audience de lesinrocks.com a fait un bond : « + 17 % sur l’écoute en direct et + 40 % sur l’écoute à la demande (podcasts natifs, replays) ». Sous la houlette des Inrockuptibles sont lancés « Les Inrocks Radio » en DAB+ à Paris, Marseille, Nice et Rennes « et partout dans le monde sur les supports numériques », ainsi qu’un service de SVOD prévu « cet été », à l’occasion du prochain Festival de Cannes » (4).
Lors de la nomination d’Emmanuel Hoog (ex-président de l’AFP et de l’INA) il y a près de deux ans, Matthieu Pigasse avait déclaré : « Nous allons essayer de nous développer à l’étranger, que ce soit en Europe ou en dehors, notamment en Afrique », et par croissance organique ou par acquisitions. En octobre 2018, le groupe CMI – Czech Media Group (5) – de l’oligarque tchèque Daniel Kretínsky, a racheté à Matthieu Pigasse 49 % du capital de la holding Le Nouveau Monde que ce dernier contrôle via LNEI et qui porte la participation du banquier d’affaire dans le groupe Le Monde. L’oligarque tchèque est depuis indirectement copropriétaire du Monde. A l’époque, les deux hommes avaient indiqué que cette transaction allait « permettre aux deux groupes de bénéficier de leurs expertises respectives dans le domaine des médias en Europe, de faire ainsi jouer leurs complémentarités et de générer des synergies opérationnelles ».

Compétences publicitaires et numériques
Se renforcer sur le Vieux Continent est la priorité. « Nous sommes un groupe original en Europe, à la fois acteur, observateur, prescripteur et critique de la vie culturelle », a expliqué fin mars Emmanuel Hoog. L’ex-président de l’AFP a recruté en janvier Laurence Delaval, ex-directrice commerciale France de l’AFP, comme directrice déléguée de LNEI Solutions, devenant Combat solutions. En mai 2020, il avait nommé comme directrice du numérique et de la diffusion du groupe (6) Alix de Crécy, ex-marketing au Figaro et ancienne cheffe de produit numérique de Mediapart. @

Charles de Laubier

Réseaux sociaux : Macron les prend très au sérieux

En fait. Le 19 février, le duo influenceur « Mcfly et Carlito » aux plus de 6,4 millions d’abonnés sur YouTube ont dévoilé une vidéo que le président de la République, Emmanuel Macron, a prise pour leur lancer un défi : faire un clip sur le respect des gestes barrières anti-covid, en les invitant à l’Elysée si…

En clair. « Si vous avez 10 millions de vues, je prends un engagement : vous venez tourner à l’Elysée ! 10 millions de vues pour abattre le virus. A vous de jouer, merci », a lancé comme défi à relever le chef de l’Etat à « Mcfly et Carlito », en se prenant lui-même en vidéo à partir de son smartphone. Le duo influenceur sur YouTube font part, « deux ou trois jours » après la réception de cet appel vidéo présidentiel, de leur stupéfaction d’avoir reçu une telle demande (1).
C’est Joé Naturel, responsable du service de la communication numérique à la présidence de la République qui les a prévenus. Après avoir repris leurs esprits, Mcfly et Carlito demandent à leur interlocuteur – « pour que le coup en vaille la chandelle » – de tourner à l’Elysée un « concours d’anecdotes » – comme le duo de Youtubers a l’habitude de le faire avec des personnalités – mais cette fois au « Château » avec Emmanuel Macron ! « Ok, bon, écoute… Top », acquiesce le « Monsieur digital » de l’Elysée. Les deux compères du Net réalisent en deux jours leur clip gestes barrières intitulé « Je me souviens » (qui se finit, n’en déplaise à Macron, par l’arrestation de « M&C » jouée par deux policiers municipaux…) et la publie le 21 février (2). En à peine trois jours, le défi présidentiel des 10 millions de vues est relevé. Au 5 mars, le compteur affichait plus de 13,8 millions de vues. En prévision de cette rencontre potache et amicale au sommet de l’Etat, le député (LFI) François Ruffin a, lui, lancé le 24 février sur sa chaîne YouTube un défi à Mcfly et Carlito (3) : à savoir placer dans leurs échanges vidéo à l’Elysée avec Macron une dizaine de mots tels que « Benalla », « RSA jeunes », « Gillets jaunes », etc. Quoi qu’il advienne, à quatorze mois de la présidentielle de mai 2022, Emmanuel Macron (43 ans) cherche à faire mouche auprès des Millennials et de la génération Z (jusqu’à 23 ans), voire de la génération Y (24-39 ans), tous « Génération covid » et… électeurs potentiels.
La dernière offensive du chef de l’Etat sur les réseaux sociaux remonte à décembre 2020 via une longue interview accordée au média en ligne Brut (4) (*), suivie de questions-réponses sur Snapchat. Et ce, après qu’un autre média en ligne Loopsider ait diffusé dès le 26 novembre une vidéo du tabassage à Paris d’un musicien noir (Michel Zecler) par des policiers (5)… Macron s’était dit « très choqué ». @

De « Red Rupert » à « Blue Rupert » : l’héritier de gauche devenu magnat de droite

Lorsque son père meurt d’un cancer, il a 21 ans et doit quitter Oxford en Angleterre, où il étudie au Worcester College (université d’Oxford) et où il a développé une sensibilité de gauche (membre au Parti travailliste), avec comme surnom « Red Rupert ». De retour au pays, le jeune Rupert va reprendre en main les affaires de son père Keith Murdoch, qui, proche des conservateurs (1), fut journaliste et patron de presse influent dans les années 1920 (Melbourne Herald, The Register, Adelaide News, The Daily Mail, …).

En 1972, Murdoch tourne casaque
Rupert hérite de la société de presse News Limited dans laquelle son père avait pris une participation au capital trois ans avant sa mort. Y est édité The News qui sera le point de départ fondateur du futur magnat des médias. S’ensuivront des rachats de quotidiens et autres périodiques dans la plupart des grandes métropoles australiennes, dont The Daily Mirror à Sydney. Puis News Limited lance en 1964 The Australian, le premier quotidien national en Australie. En 1972, The Daily Telegraph tombe dans l’escarcelle de Rupert Murdoch. Son empire médiatique est lancé avec succès. C’est durant cette année-là, notamment lors des élections, que le magnat de presse australienne tourne le dos définitivement à ses idées de gauche. Après avoir soutenu le candidat du Parti travailliste du pays, il tourne casaque et devient un supporter du Parti libéral conservateur.
En 1987, The Herald and Weekly Times entre dans la galaxie Murdoch. Parallèlement, à partir de 1969, Rupert Murdoch fera ses emplettes de journaux à Londres (News of the World , The Sun, The Times, The Sunday Times, …), à San Antonio aux Etats-Unis (The San Antonio News) et à New-York (The New York Post). En 1974, l’Australien s’installe à New York et se fait onze ans plus tard naturaliser citoyen américain, abandonnant sa citoyenneté australienne. Et ce, afin de pouvoir posséder un réseau de télévision aux Etats-Unis.
Entre temps, en 1979, le magnat a créé News Corporation qui est la nouvelle maison mère de News Limited puis du studio de cinéma 21st Century Fox lors de son rachat en 1985. Le devenu Américain s’empare alors en 1985 du network de télévisions de Metromedia pour établir les bases de la Fox Broadcasting Company. L’empire Murdoch s’élargit à l’éditeur HarperCollins, au quotidien économique et financier The Wall Street Journal. En Grande-Bretagne, après avoir créé en 1981 la filiale News International basée à Londres et éditrice de ses journaux et tabloïds britanniques, l’ex-« Red Rupert » prend le contrôle l’année suivante de Satellite Television qui devient Sky Channel puis sept ans plus tard un bouquet de chaînes par satellite baptisé Sky Television, formant BSkyB avec son concurrent en 1990. A Hong Kong, Star TV entre dans le giron de News Corp. En 1995, le groupe fonde aux Etats- Unis The Weekly Standard, un magazine néoconservateur (revendu en 2009). En 1996, Fox Entertainment Group lance la chaîne d’information en continu Fox News pour concurrencer CNN (Time Warner). En 2003, une participation est prise dans DirecTV (ex-Hughes Electronics), opérateur de télévision par satellite (revendu par la suite à Liberty Media). En 2005, News Corp rachète Myspace, pionnier des réseaux sociaux, pour 580 millions de dollars, revendu à perte six ans plus tard pour 35 millions seulement. En 2011, Rupert Murdoch investit 30 millions de dollars dans un nouveau quotidien en ligne créé pour l’iPad, The Daily (qu’il arrête moins de deux ans après sur un échec). La même année, éclate le scandale du piratage téléphonique de personnalités – jusqu’au Premier ministre britannique et la famille royale – à des fins de « scoops ». News Corp décide alors de fermer News of the World. Cette même année, à l’été 2011, l’empire News Corp est scindé en deux sociétés : d’un côté les activités de presse et d’édition (nouveau News Corp), de l’autre celles de télévision et de cinéma (21st Century Fox), chacune cotée en Bourse (2). Dans le même temps, l’entité historique News Limited – presque centenaire, toujours basée à Adelaide (Sud de l’Australie) et éditrice aujourd’hui de 140 journaux australiens – est rebaptisée News Corp Australia.

Reventes d’actifs à Disney et à Comcast
En 2019, Rupert Murdoch cède les studios et des télévisions de la 21st Century Fox (chaînes FX et National Geographic comprises) à Disney pour 71,3 milliards de dollars, ainsi que sa participation dans la plateforme de streaming Hulu. Le reste, à savoir ses chaînes de télévision par câble comme Fox News (en tête des audiences aux Etats- Unis), Fox Sports ou encore Fox Business, relève de la nouvelle entité newyorkaise Fox Corporation que dirige son fils Lachlan Murdoch. Quant à la participation de 39 % détenue par Fox dans Sky en Europe, elle est revendue en 2018 à Comcast pour 16 milliards de dollars. La dynastie « Blue Rupert » s’est repliée sur l’information, distillant ses opinions (néo)conservatrices aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Australie. @