Basculement historique : Le Monde aura vendu en 2018 plus de journaux numériques que d’exemplaires papier

Le centre de gravité du Monde bascule dans le digital : les ventes en France des versions numériques du quotidien deviennent majoritaires au cours de ce second semestre 2018. Les marges étant supérieures à celles du papier, le patron Louis Dreyfus se dit satisfait et veut plus d’abonnements numériques.

Les ventes du quotidien Le Monde sont en train de basculer dans le numérique. L’année 2018 marquera une étape importante,
où les versions numériques payées seront désormais plus nombreuses en France que celles de l’édition papier – toutes diffusions payées en France (abonnements, ventes au numéro
ou par tiers). Selon les estimations de Edition Multimédi@, en prenant en compte le déclin du « print » (journal imprimé) et la croissance du digital (le même journal au format de type PDF), c’est au cours de ce second semestre 2018 que plus de 50 % des ventes du Monde
en France se feront en versions numériques.
Ce taux atteignait déjà 44,5 % en moyenne sur un an à la fin du premier semestre 2018, d’après les chiffres certifiés de l’ACPM (ex-OJD), soit 126.171 journaux digitaux vendus par jour (incluant 789 vendus indirectement) sur une diffusion payée totale en France de 283.678 exemplaires payés (imprimés et numériques). Rien qu’en août, ce taux est passé à 49,1 %, avec 139.608 versions numériques (1). Ce ratio a surtout nettement progressé en six mois en faveur de la dématérialisation du titre, par rapport
à la moyenne quotidienne de 40,1 % constatée sur 2017 (114.171 versions numériques sur un total payé de 284.738 exemplaires).

Plus de la moitié des ventes du Monde se font désormais avec l’édition digitale
Ce déplacement du point de gravité du « quotidien de référence » fondé par Hubert Beuve-Méry en décembre 1944 est historique et illustre le profond changement de paradigme que vit la presse.
D’autres quotidiens ont déjà franchi ce cap, comme le New York Times dès fin 2015,
au moment où il dépassait plus de 1 million d’abonnés digitaux. Aujourd’hui, à fin juin,
le quotidien de référence new-yorkais comptait 2,89 millions d’abonnés uniquement numériques sur un total de 3,8 millions – soit un ratio de… 76 % en faveur du digital ! Louis Dreyfus (photo), le président du directoire du groupe Le Monde et directeur de la publication, n’a pas évoqué explicitement ce basculement historique du Monde dans le digital devant l’Association des journalistes médias (AJM), dont il était l’invité le 19 septembre. Mais c’était tout comme, tant les abonnements numériques sont désormais au cœur de la stratégie du groupe appartenant au duo Pigasse-Niel.

165.000 abonnés numériques au Monde
Pour le quotidien en particulier, le dirigeant du Monde a fait état de 165.000 abonnés numériques, soit un chiffre bien au-dessus de la diffusion payante digitale certifiée par l’ACPM (3). « L’abonnement au Monde à 1 euro est notre offre numérique de départ
sur un mois, sur six mois pour les étudiants. Comme le prix est bas, ces abonnements à 1 euro ne sont pas “OJDifiés” [comprenez, comptabilisés dans la diffusion payante certifiée par l’ACPM, ndlr]. Cela explique la différence entre les 165.000 abonnés numériques payants que nous atteignons et les 136.000 de l’OJD », a expliqué Louis Dreyfus. Alors que le nombre d’abonnés numériques augmente de 13,8% sur un an en France, la croissance atteint 20 % si l’on y ajoute cette porte d’entrée à 1 euro. Et selon le directeur de la publication, « le taux de conversion est assez fort ». Lorsque Louis Dreyfus est arrivé à la tête du Monde il y a huit ans, le portefeuille était de 25.000 abonnés numériques avec un panier moyen de l’ordre de 6 euros ; il est aujourd’hui
de 165.000 abonnés avec un panier moyen « très largement supérieur ». « On ne fait pas du dumping [tarifaire] car nous n’avons pas intérêt à vendre un maximum d’abonnements à 1 euro ; il en va de mes revenus. On me dit que nous cassons les prix, mais en réalité ce n’est pas le cas », s’est-il défendu.
Globalement, la progression du portefeuille du Monde – hors promotions et net du churn (attrition) – se situe autour de 200 abonnés par jour. En revanche, le journal papier continue de décliner. Sur un an, à fin juillet, les ventes « print » en France ont reculé de 5,8 %. Mais le patron du Monde se veut confiant pour l’avenir malgré cette dématérialisation accélérée. « Comme je ne suis plus propriétaire de mon imprimerie,
la question (de la proportion entre print et digital) n’est pas mon sujet. L’abonnement papier résiste ; l’été a été bon ; l’entretien-événement en mai avec Daniel Cordier [97 ans, Résistant et ancien secrétaire de Jean Moulin, ndlr] a fait un très bon score de ventes ; la diffusion du « M » est en bonne position : le papier garde sa fonction », assure-t-il. Si le quotidien imprimé perd de l’argent, la marque Le Monde – constituée du quotidien, de son site web et du magazine M – est, elle, rentable. Les derniers résultats, présentés au conseil de surveillance présidé depuis un an par Jean- Louis Beffa (ex-président de Saint Gobain), ont confirmé le redressement du groupe – sans plus. « On ne sera pas en hausse cette année car 2017 avait été une année exceptionnelle avec les élections (4), mais on reste avec une progression forte de nos abonnés digitaux. Et la diffusion payée du Monde devrait être en croissance, comme
en août où elle a été de 2,7 %. Nous avons des fondamentaux qui restent solides », s’est félicité Louis Dreyfus. Même si les abonnements numériques tirent les revenus
à la baisse, la marge, elle, augmente : « L’abonnement digital du Mondea une valeur faciale qui est la moitié de l’abonnement print. Sa rentabilité est à peu près 5 % à 10 % supérieure. Donc, si mon chiffre d’affaire baisse parce que 100 % de mes abonnés
print deviennent 100 % de mes abonnés numériques, ma rentabilité aura augmenté ». Toutes proportions gardées, la croissance numérique du Monde est, d’après Louis Dreyfus, à peu près en ligne avec celle du New York Times. « Nous avons le premier portefeuille numérique en France, a-t-il déclaré. La vraie question est de savoir si l’on va heurter un plafond ou pas. Pour l’instant, le nombre des abonnés numériques est
en croissance. Cela ne se fait pas sans investissements, dont beaucoup dans la rédaction ». En 2010, il y avait 310 journalistes au Monde (quotidien, site web et magazine). Aujourd’hui, ils sont 440. L’enjeu est maintenant de développer l’abonnement numérique à l’échelle du groupe, lequel inclut Télérama, Courrier International, La Vie, L’Obs ou encore Le HuffPost – mais sans aller sur « les kiosques numériques [LeKiosk, ePresse, SFR Presse, …, ndlr] qui détruisent de la valeur » (dixit Louis Dreyfus). Sa préoccupation est notamment de savoir « comment et pourquoi [s]es enfants, qui ont neuf et douze ans, paieront pour un titre du groupe dans quinze ans ». Le lecteur du Monde, print ou digital, a 44 ans en moyenne et l’éditeur estime qu’il n’a pas à baisser cette moyenne d’âge. « En revanche, la génération qui vient est bien moins exposée au papier. C’est pourquoi nous avons lancé il y a deux ans une édition sur Snapchat Discover que 1 million d’adolescents français regardent tous les jours.
Si j’en garde d’ici cinq ans ne serait-ce que 10 %, ce sera le jackpot ! », a expliqué le patron du Monde. L’équipe dédiée « Snapchat » est actuellement de sept ou huit personnes, soit moins de 2 % de la rédaction. La monétisation se fait par le partage des recettes publicitaires, majoritairement pour l’éditeur. « Ce n’est pas un investissement démesuré par rapport à l’une de nos priorités qui est d’amener cette génération qui vient à payer pour nos contenus dans dix ans ».

L’Obs et Le Huffpost testent des podcasts
Par ailleurs, sont menés des tests de podcasts natifs : L’Obs a fait une série audio cet été (« Au coeur du crime »), diffusée sur iTunes et SoundCloud, et Le HuffPost deux programmes depuis juin (« Quoi de neuf Le Huff ? » et « Coach à domicile ») accessibles de l’enceinte connectée Amazon Echo. Quant au site Lemonde.fr (77,3 millions de visites en août), il va être refondu pour fin octobre. @

Charles de Laubier

Imposition : l’Europe veut taxer l’économie numérique sans attendre le consensus international

Alors que l’OCDE et le G20, lequel se réunit en avril en Argentine, se donnent jusqu’à 2020 pour trouver un consensus international sur la fiscalité du numérique dans le monde, la Commission européenne veut accélérer le mouvement en proposant de taxer les GAFA sans attendre au sein des Vingt-huit.

La Commission européenne a proposé le 21 mars dernier de nouvelles règles pour garantir que
les activités des entreprises numériques soient imposées dans l’Union européenne (UE) d’une manière « équitable et propice à la croissance ». Elle part du contact que les règles d’imposition des sociétés en vigueur au niveau mondial existent depuis plus de cent ans et ne sont plus adaptées à l’essor de l’économie numérique. Ces règles fiscales ont été conçues pour des entreprises physiques traditionnelles et impliquent qu’une société doit être physiquement présente dans un pays pour y être imposée. C’est là que le bât blesse.

OCDE et G20, pour un consensus d’ici 2020
Alors que les entreprises exerçant des activités en ligne créent de la valeur et se développent beaucoup plus rapidement que l’économie dans son ensemble, les règles existantes ne permettent pas de les imposer efficacement sur les bénéfices générés en grande partie grâce à l’exploitation des données de consommateurs. La Commission européenne constate que cette situation crée une distorsion fiscale importante : « Le taux d’imposition effectif des entreprises numériques – telles que les entreprises du secteur des médias sociaux, les plateformes collaboratives et les fournisseurs de contenu en ligne – est de moitié environ inférieur à celui des entreprises traditionnelles, et est souvent encore bien plus bas. En moyenne, les entreprises du numérique sont imposées à un taux effectif d’imposition de 9,5 % seulement, contre 23,2 % pour les modèles d’affaire traditionnels ». L’Europe estime que si les bénéfices réalisés par les entreprises du numérique – au premier rang desquels les GAFAM américains mais aussi les BATX asiatiques – ne peuvent être taxés, « les recettes fiscales des Etats membres de l’UE risquent d’être menacées ». Alors que le marché unique numérique est une priorité absolue de Jean-Claude Juncker (photo de gauche), président de la Commission européenne, l’impôt sur les sociétés n’est pas adapté au digital justement et met à mal les recettes publiques qui financent les écoles, les hôpitaux ou encore les transports. La proposition présentée le 21 mars consiste en une taxation de l’économie numérique dans l’UE, laquelle permettrait aux Vingt-huit (bientôt Vingt-sept) d’imposer les bénéfices réalisés sur leur territoire, même si l’entreprise n’y est pas présente physiquement. « Une nouvelle taxe provisoire sur les services numériques serait appliquée pour remédier aux lacunes et aux failles les plus manifestes constatées en matière d’imposition des activités numériques. Cette mesure garantit que les activités qui ne sont actuellement pas imposées de manière effective commenceraient à générer immédiatement des recettes pour les Etats membres », est-il expliqué. La Commission européenne est ainsi la première autorité publique dans le monde à prendre des mesures sur l’imposition du numérique. Elle fait même figure de pionnière pour élaborer une solution mondiale qu’elle appelle de ses voeux, y compris en soutenant les travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui doit rendre en avril – lors du sommet du G20 en Argentine – un rapport final sur « les défis fiscaux soulevés par la numérisation » : « Les propositions de l’UE en matière d’imposition de l’économie numérique devraient également inspirer et stimuler les travaux internationaux en cours dans le cadre du G20 et de l’OCDE sur la fiscalité du numérique. Dans le même temps, toute solution proposée au niveau de l’UE doit également tenir compte de la dimension mondiale : l’OCDE s’est engagée à présenter un rapport sur les prochaines étapes au niveau international d’ici 2020 ».
L’OCDE a déjà publié un rapport intermédiaire sur les défis fiscaux soulevés par la numérisation, le 16 mars dernier (1), juste avant un « G20 des Finances » qui s’est tenu mi-mars à Buenos Aires. Le problème est qu’il n’y a pas de consensus international sur le sujet. Chargée plus globalement par le G20 de piloter un groupe de 110 pays sur
« l’érosion des bases fiscales et les transferts de bénéfices » ou BEPS (2), ce rapport intermédiaire s’est contenté de faire état des positions des différents pays et d’énumérer les différentes mesures envisagées.

Une directive européenne avant 2020 ?
« Ces approches vont de celle des pays qui considèrent qu’aucune action n’est nécessaire, à celle des pays selon lesquels il faut agir pour reconnaître le rôle de la contribution des utilisateurs, en passant par celle des pays qui considèrent que tout changement devrait s’appliquer à l’économie dans son ensemble », a expliqué Angel Gurría (photo de droite), le secrétaire général de l’OCDE. L’organisation travaille avec le G20 pour trouver une solution consensuelle d’ici 2020.
« Au cours de l’étude de ces changements potentiels, les membres considéreront les effets de la numérisation sur l’économie, en référence aux principes régissant l’alignement des bénéfices sur les activités économiques et la création de valeur », indique l’organisation dont le siège est à Paris (3). Quant à la directive européenne sur la taxation des géants du numérique, si le projet devait aboutir, elle ne devrait pas être transposée dans les différents Etats membres avant 2020 – même si Paris le souhaite pour 2019 en espérant un accord avec Berlin d’ici juin prochain (4). Car difficile d’imaginer que l’UE avance de son côté sur un sujet éminemment international et où l’OCDE et le G20 souhaitent parvenir à un consensus à l’horizon 2020.

Taxe immédiate de 3 % en Europe
Quoi qu’il advienne, la Commission européenne a présenté deux propositions législatives. La première d’entre elles, qui est présentée comme « la solution à long terme privilégiée », vise à réformer les règles d’imposition des sociétés de façon à ce que les bénéfices soient enregistrés et taxés là où les entreprises ont une interaction importante avec les utilisateurs par l’intermédiaire de « services numériques » (voir liste ci-dessous établie par la directive). Les Etats membres pourront alors taxer les bénéfices qui sont réalisés sur leur territoire, même si une entreprise du numérique n’y est pas présente physiquement, pour peu que la plateforme numérique satisfait à l’un des critères suivants : elle génère plus de 7 millions d’euros de produits annuels dans un Etat membre ; elle compte plus de 100.000 utilisateurs dans un Etat membre au cours d’un exercice fiscal ; plus de 3.000 contrats commerciaux pour des services numériques sont créés entre l’entreprise et les utilisateurs actifs au cours d’un exercice fiscal (voir graphique p. 11). La seconde proposition législative consiste en une « taxe provisoire sur certains revenus tirés d’activités numériques (…) où les utilisateurs jouent un rôle majeur dans la création de valeur et qui sont les plus difficiles à prendre en compte par les règles fiscales actuelles, comme les produits tirés de la vente d’espaces publicitaires en ligne, générés par les activités intermédiaires numériques qui permettent aux utilisateurs d’interagir avec d’autres utilisateurs et qui facilitent la vente de biens et de services entre eux, tirés de la vente de données générées à partir des informations fournies par les utilisateurs ».
Ce système s’appliquera uniquement à titre provisoire, jusqu’à ce que la réforme ait
été mise en oeuvre et pour éviter que certains pays européens ne prennent des mesures unilatérales pour taxer les activités numériques – ces réponses nationales seraient alors, selon la Commission européenne, « préjudiciables pour notre marché unique numérique ». Cette taxe provisoire – applicable aux entreprises dont le chiffre d’affaires annuel total atteint au moins 750 millions d’euros au niveau mondial et 50 millions d’euros dans l’UE (5) – sera perçue immédiatement par les Etats membres. Selon les estimations de la Commission européenne, 5 milliards d’euros de recettes
par an pourraient être réalisés pour les Etats membres si la taxe est appliquée à un taux de 3 %. @

Charles de Laubier

ZOOM

Liste des « services numériques » susceptibles d’être taxés en Europe
• la fourniture de produits numériques en général, en ce compris les logiciels et leurs modifications ou leurs mises à jour • les services consistant à assurer ou à soutenir la présence d’entreprises ou de particuliers sur un réseau électronique, tels qu’un site ou une page Internet • les services générés automatiquement par ordinateur sur l’Internet ou sur un réseau électronique, en réponse à des données particulières saisies par le preneur • l’octroi, à titre onéreux, du droit de mettre en vente des biens ou des services sur un site Internet opérant comme marché en ligne, où les acheteurs potentiels font leurs offres par un procédé automatisé et où les parties sont averties de la réalisation d’une vente par un courrier électronique généré automatiquement par ordinateur • les offres forfaitaires de services Internet (ISP) dans lesquelles l’aspect télécommunications est auxiliaire et secondaire, en d’autres mots des forfaits allant au-delà du simple accès à l’Internet et comprenant d’autres éléments comme des pages à contenu donnant accès aux actualités, à des informations météorologiques ou touristiques, des espaces de jeu, l’hébergement de sites, l’accès à des débats en ligne ou tout autre élément similaire •fourniture et hébergement de sites Internet • maintenance automatisée de programmes, à distance et en ligne • administration de systèmes à distance
• entreposage de données en ligne, permettant le stockage et l’extraction de données particulières par voie électronique • fourniture en ligne d’espace disque sur demande
• logiciels utilisés en ligne ou téléchargés (notamment, programmes de passation des marchés/de comptabilité, logiciels antivirus) et leurs mises à jour • logiciels servant à empêcher l’apparition de bannières publicitaires , connus également comme filtres antibannières •pilotes à télécharger, tels que les logiciels d’interconnexion entre un ordinateur et des périphériques (tels que les imprimantes) •installation automatisée
en ligne de filtres sur des sites Internet • installation automatisée en ligne de pare-feu
• consultation ou téléchargement d’éléments servant à personnaliser le «bureau» de l’ordinateur •consultation ou téléchargement de photos, d’images ou d’économiseurs d’écran • contenu numérisé de livres et autres publications électroniques • abonnement à des journaux et à des périodiques en ligne • blogs et statistiques de fréquentation de sites Internet • informations en ligne, informations routières et bulletins météorologiques en ligne • informations en ligne générées automatiquement par un logiciel, au départ de données saisies par le client, telles que des données juridiques ou financières (notamment, cours des marchés boursiers en temps réel) •fourniture d’espaces publicitaires, en ce compris de bannières sur un site ou une page Internet • utilisation de moteurs de recherche et d’annuaires Internet • consultation ou téléchargement de musique sur les ordinateurs et les téléphones mobiles • consultation ou téléchargement de sonals, d’extraits, de sonneries ou d’autres sons • consultation ou téléchargement de films •téléchargement de jeux sur les ordinateurs et les téléphones mobiles • accès à des jeux automatisés en ligne qui sont dépendants de l’Internet ou de réseaux électroniques analogues et où les différents joueurs sont géographiquement distants les uns des autres • enseignement à distance automatisé dont le fonctionnement dépend de l’Internet ou d’un réseau électronique analogue et dont la fourniture exige une intervention humaine limitée, voire nulle, y compris les classes virtuelles, sauf lorsque l’Internet ou un réseau électronique analogue est utilisé comme simple moyen de communication entre l’enseignant et l’étudiant •cahiers d’exercices complétés en ligne par les élèves, avec notation automatique ne nécessitant aucune intervention humaine. @

Le tabou de la propriété des données personnelles, éléments de la personnalité et objets de commerce

Parler de la « propriété » des données personnelles est un quasi-blasphème
pour certains. Autant dans l’entreprise, ces dernières font partie du fonds de commerce, autant pour les individus, elles ne sont pas considérées comme tel. Les contrats suffisent-ils ou faut-il créer un droit spécifique ?

Par Winston Maxwell, avocat associé, et Maxime Cordier, stagiaire*, Hogan Lovells

Les entreprises traitent régulièrement les données comme un élément de patrimoine. L’exemple le plus connu est la liste des clients, élément du fonds de commerce (1). Cette liste peut être vendue dans le cadre d’une cession de fonds de commerce,
et si une entreprise concurrente
se l’approprie sans autorisation, le propriétaire du fonds de commerce peut demander réparation en justice. La liste de clients peut figurer au bilan comme une immobilisation incorporelle. Dans les fusions et acquisitions, la valeur des données peut représenter une partie importante du prix de cession. Alors, pourquoi donc autant de difficulté à parler de la « propriété » de données ?

Propriété pour un marché plus efficace ?
La propriété des données pose question sous l’angle de la personne qui les génère,
et sous l’angle de l’entreprise qui les collecte. En ce qui concerne l’individu, le Conseil d’Etat rejette l’idée qu’une personne puisse être propriétaire de ses données à caractère personnel (2). Celles-ci sont conçues comme un élément de la personnalité, et par là, incessibles. La reconnaissance d’un tel droit limiterait pour les pouvoirs publics la possibilité de protéger les individus. Le Conseil d’Etat propose la reconnaissance d’un droit à l’« autodétermination informationnelle », sur le modèle allemand. D’autres encore appellent à une gestion collective des données personnelles, pensées comme un « bien commun » (3). Certains soutiennent que l’individu devrait disposer d’un droit de propriété afin de créer un marché et corriger le déséquilibre entre les individus et certaines grandes plateformes Internet. L’avocat Alain Bensoussan propose de passer d’une logique du don à une logique de l’échange, nécessitant la reconnaissance par les pouvoirs publics d’un droit de propriété sur les données personnelles (4). Utiliser les données comme une monnaie d’échange est reconnu dans le projet de directive européenne de 2015 concernant certains aspects des contrats de fourniture de contenu numérique : « Dans l’économie numérique, les acteurs du marché ont souvent et de plus en plus tendance à considérer les informations concernant les particuliers comme ayant une valeur comparable à celle de l’argent. Il est fréquent que du contenu numérique soit fourni, non pas en échange d’un paiement, mais moyennant une contrepartie non pécuniaire, c’est-à-dire en accordant l’accès à des données à caractère personnel ou autres » (5). Les données à caractère personnel seraient à la fois un objet de commerce et un élément de la personnalité, protégé en tant que droit fondamental.
Les droits de propriété intellectuelle classiques ne reconnaissent pas les données brutes comme un objet de protection. La protection sui generis bénéficient aux bases
de données non « créatives » si elles ont fait l’objet d’un « investissement substantiel du point de vue qualitatif ou quantitatif » (6). Néanmoins, les données en elles-mêmes ne sont pas protégées. Beaucoup de bases de données issues d’objets connectés pourraient ne pas bénéficier la protection sui generis de la directive, soit qu’elles ne sont pas créatives, soient qu’elles ne pourraient bénéficier de la protection sui generis. Certains auteurs soutiennent que la création d’objets connectés avec des capteurs n’entrerait pas dans le calcul de « l’investissement substantiel » nécessaire pour la protection sui generis des bases de données (7). En tout état de cause, cette protection sui generis ne permet pas une protection entière de la base de données, puisque des extractions et réutilisations de parties non substantielles du contenu de la base de données peuvent être réalisées tant qu’elles ne causent pas de préjudice injustifié aux intérêts légitimes du fabricant de la base.

La protection du secret des affaires
La directive européenne de 2016 sur le secret des affaires (8) permet de protéger le détenteur de données personnelles contre l’acquisition, l’usage et la divulgation illicite de certains secrets. Cependant, son champ d’application se limite aux informations
qui « ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles ». Pour certains auteurs (9), il n’est pas assuré que les données produites par les capteurs des objets connectés puissent être protégées. Les données ne seraient d’ailleurs protégées que contre certaines actions illégales. Les prérogatives issues de la protection par le « secret des affaires » ne peuvent être qualifiées de droit de propriété, mais ce droit consacre néanmoins une certaine protection, à l’instar de la protection accordée à une liste de clients d’une entreprise (10).

Créer un droit de propriété spécifique ?
Cependant, faut-il nécessairement un droit de propriété spécifique ? Certains ne le pensent pas, car le marché des données fonctionne très bien uniquement sur la base de contrats (11). Ils citent le cas des droits sportifs. Dans de nombreux pays, les événements sportifs ne bénéficient pas d’un droit de propriété intellectuelle. Et pourtant les droits de rediffusion se négocient à prix d’or ! La raison est liée à la possibilité technique de contrôler l’accès au stade. L’organisateur de l’événement sportif peut autoriser un seul diffuseur à accéder au stade pour filmer l’événement, créant ainsi une rareté qui se monnaie. Selon le centre de recherche de la Commission européenne, le Joint Research Centre (JRC), les données seraient comme un match de foot : pas de droit de propriété intellectuelle spécifique, mais une maîtrise technique de l’accès aux données qui permet une négociation efficace par voie contractuelle. « Je donne accès
à mes données à Alice, mais pas à Bob ». Si le marché s’organise efficacement autour de contrats – comme c’est le cas pour les événements sportifs – aucun besoin de créer un droit de propriété spécifique. Le règlement général sur la protection des données,
dit RGPD et applicable à partir du 25 mai 2018, reconnaît une série de droits pour l’individu, et impose une série d’obligations au responsable du traitement pour garantir le respect des droits de l’individu (lire encadré ci-dessous). Le RGPD n’utilise jamais
le terme « propriété » pour caractériser les droits de l’individu ou des droits du responsable du traitement. Et pourtant, selon le JRC, le RGPD reconnaît implicitement un droit de propriété pour le responsable de traitement (12). Il s’agit d’un droit de propriété implicite pour l’ensemble des droits résiduels liés aux données. @

Maxime Cordier est étudiant
« Data Protection Officer » (DPO), à l’université Paris II
Panthéon-Assas, et stagiaire au département
« droit et contrats des données » de Hogan Lovells.

ZOOM

D’après le RGPD, le propriétaire des données est le responsable du traitement
Le règlement général sur la protection des données (RGPD), applicable à partir du
25 mai 2018, répartit les droits sur les données personnelles entre deux acteurs : le responsable de traitement et la personne concernée. La personne concernée dispose du « pouvoir d’initiative » dans la création et la mise à disposition de droits sur ses données personnelles (13). Parmi ces droits, les plus significatifs sont le droit d’obtenir une information préalable, le droit d’accès ou le droit de rectification. Le responsable
de traitement est lui le « gardien des données » et dispose de tous les « droits » qui ne sont pas affectés à la personne concernée, ou qui ne sont pas limités par d’autres droits de la personne concernée. En reconnaissant que le responsable du traitement détient le droit de déterminer la finalité et les moyens de traitement, le RGPD confère un degré de sécurité juridique à son statut de « propriétaire » des données.
Propriétaire des droits résiduels , le responsable du traitement reste néanmoins fortement limité dans son exploitation des données. Les contraintes sont d’origine réglementaire : le RGPD, la directive « ePrivacy », le secret bancaire, le secret
médical, … D’autres textes réglementaires limiteront sa marge de manœuvre. Mais
les contraintes peuvent également être d’origine contractuelle, notamment en cas de partage de données entre plusieurs responsables du traitement, chacun lié par un contrat définissant précisément son rôle. Dans un consortium lié à l’Internet des objets, il pourra exister plusieurs responsables du traitement, chacun responsable pour l’exploitation des données en vue de la réalisation d’une finalité spécifique : recherche, amélioration du produit, sécurité, publicité…

Les quatre couches de la propriété des données
La « propriété » des données pour un responsable du traitement peut s’analyser en quatre couches : la première concerne le contrôle technique de l’accès aux données
(il s’agit de l’équivalent des clés du stade, si l’on prend l’exemple des droits sportifs) ;
la seconde a trait à l’existence ou non de droits de propriété intellectuelle pour les données en question (droit sui generis sur les bases de données, secret des affaires) ; la troisième couche porte sur les contraintes réglementaires qui pèsent sur
l ‘ exploitation des données par le responsable du traitement, dont la liberté en tant
que « propriétaire » des données sera réduite (les droits de l’individu au titre du RGPD seront parmi les plus grandes contraintes , mais d’autres pourraient exister, par exemple en droit de la concurrence, ou en application d’un texte spécifique tel que la directive « Services de paiement en matière bancaire », par exemple) ; la quatrième couche concerne les contraintes liées aux contrats auxquels le responsable du traitement est partie (dans le contexte de l’Internet des objets ces contrats seront nombreux, et délimiteront l’étendue des droits de chaque entreprise membre du consortium, identifiant pour chacun la finalité que l’entreprise pourra poursuivre,
et les mesures de protection que celle-ci mettra en place).
L’empilement de ces quatre couches permet de comprendre la « propriété » des données dans un projet spécifique, comme la création d’une ville intelligente, par exemple. Lorsque de nombreuses entreprises interviennent dans le projet, le contrôle physique des données (première couche) sera particulièrement controversé. Dans certains cas le contrôle physique pourra être confié à une entreprise commune qui gérera l’accès pour le compte de l’ensemble des membres du consortium. Dans ce cas, la gouvernance de l’entreprise commune sera déterminante. @

En fêtant les 10 ans de Mediapart, son cofondateur Edwy Plenel (65 ans) se prépare à passer la main

Ancien directeur de la rédaction du Monde où il a été journaliste durant 25 ans (1980-2005), Edwy Plenel célèbre les dix ans de Mediapart qu’il veut quitter « avant [ses] 70 ans ». Le site de presse en ligne entame une seconde décennie, après s’être imposé avec succès – et indépendance – dans le paysage médiatique français.

Par Charles de Laubier

Qui va succéder à Edwy Plenel (photo) à la présidence de Mediapart ? Cette question taraude le microcosme médiatique depuis des mois, voire des années. Du moins depuis que le cofondateur de ce site de presse en ligne à part avait annoncé
en 2014 qu’il prendrait sa retraite à l’horizon 2017. Or, au moment où il fête les 10 ans de la mise en ligne – le 16 mars 2008 précisément – de Mediapart.fr, Edwy Plenel est toujours là !
A 65 ans, il a repoussé l’âge de sa retraite… En marge de la conférence de presse annuelle de Mediapart, qui s’est tenue le 6 mars dernier pour présenter le bilan de 2017 et, cette fois, des dix ans écoulés, Edition Multimédi@ lui
a demandé quand il envisageait de passer la main puisqu’il venait de rappeler l’engagement des cofondateurs à transmettre le contrôle économique de Mediapart
à son équipe. « On verra quand ce sera prêt. De toute façon les cofondateurs partiront ensemble. Je ne sais pas si ce sera avant les 70 ans », nous a-t- il répondu.

Vers un fonds de dotation ou d’une scop, versus « la presse d’industrie »
Il y a un an presque jour pour jours, l’ancien directeur de la rédaction du Monde faisait part de sa volonté de se retirer de la présidence de Mediapart avant ses 70 ans qu’il atteindra en août 2022 : « Ce sera dans un an ? Dans trois ans ? Quatre ou cinq ans ? Je dirais, à la louche, pas au-delà de mes 70 ans. C’est donc dans cinq ans [quatre ans maintenant, ndlr], voilà : à la prochaine présidentielle [au printemps de 2022, ndlr], mais où je ne serai pas candidat ! ». Edwy Plenel – Hervé Plenel à l’état civil – avait fait cette réponse lors des 10èmes Assises du journalisme à Tours (1), en mars 2017, interviewé par un Youtuber.
Il y précisait alors les conditions de son prochain départ à la retraite, sans qu’il ne soit plus question d’exercer ce droit avant fin 2017 : « Je prendrai vraiment ma retraite quand l’on pourra transmettre à l’équipe le capital Mediapart que nous les fondateurs, après s’être endettés pour faire vivre Mediapart, ne voulons pas vendre – ce n’est pas spéculatif – ni léguer à des enfants ». Les quatre cofondateurs – que sont Edwy Plenel (président), Marie-Hélène Smiejan (directrice générale), François Bonnet (lequel vient de céder sa fonction de directeur éditorial à Carine Fouteau et à Stéphane Alliès), et Laurent Mauduit – détiennent ensemble 42,08 % du capital de Mediapart.

Alternative à « la presse d’industrie »
En y ajoutant la « Société des Amis et amis individuels » (16,79 % du capital), des investisseurs individuels (1,54 %) et la Société des salariés (1,46 %), ce que Mediapart appelle « le pôle d’indépendance » atteint près de 62 % du capital (3). Et ce, depuis
un an maintenant. Tout l’enjeu de l’année 2018 : finaliser dans les meilleures conditions le passage de témoin – plus délicat financièrement à réaliser que prévu – entre les fondateurs de Mediapart et son équipe. « Nous voulons inventer une solution qui permette de sanctuariser le capital, qui soit non cessible, non achetable, non spéculable. Nous travaillons pour cela sur deux pistes qui permettraient de le transmettre à l’équipe », a expliqué le 6 mars Marie-Hélène Smiejan, tout en regrettant de ne pouvoir en faire l’annonce à l’occasion du dixième anniversaire de Mediapart.
Et Edwy Plenel de poursuivre : « La transmission du capital prendra quelques années et doit se faire dans la continuité de notre histoire, sans rupture ni déchirure. Notre modèle est The Guardian qui est contrôlé par un trustee garantissant l’indépendance
du quotidien britannique » (4). Mais ce modèle d’indépendance n’existe pas en France. Aussi, le président cofondateur de Mediapart attend d’ici fin avril de l’administration fiscale le rescrit fiscal – à savoir la réponse, ou la non réponse qui vaudrait acceptation, sinon le refus – à sa demande, posée fin octobre 2017 par cabinet d’avocats interposé – de pouvoir recevoir des dons défiscalisés dans le cadre d’une structure juridique qui s’inspire du statut de fonds de dotation créé dans la culture par la loi de 2008 sur la modernisation de l’économie (5). « Le fonds de dotation a la souplesse juridique des associations et financière des fondations. Il s’agit de créer un fonds pour la presse libre, dont le but est d’intérêt général. Cela permettra de sanctuariser 100 % du capital de Mediapart, d’une part, et de pouvoir recevoir des dons défiscalisés qui aiderait non
pas Mediapart mais – comme nous l’avons fait avec Mediacités et Marsactu – l’indépendance et le pluralisme de la presse, sans logique de domination (prises de participation minoritaire, subventions, prêts bonifiés, …) », a expliqué Edwy Plenel. Cette structure originale a pour but aussi de créer un modèle alternatif à ce qui existe déjà partout en France : d’une part, le mécène industriel qui ne vient pas des médias (6) – tels que Serge Dassault/Le Figaro. Matthieu Pigasse/Xavier Niel/Le Monde/Le Nouvel Observateur, Bernard Arnault/Le Parisien/Les Echos, Arnaud Lagardère/Europe 1/Paris Match/Le Journal du dimanche, Patrick Drahi/Libération/L’Express, François Pinault/Le Point ou encore Vincent Bolloré/CNews/Canal+ – et, d’autre part, les subventions de l’Etat. Dans le cas où le fonds de dotation ne fonctionnerait pas, Mediapart étudie comme « plan B » le statut de Scop – société coopérative et participative. Lorsque cette structure et sa gouvernance sera prête, Edwy Plenel tirera alors sa révérence.
Il y a un an, lors des Assises du journalisme déjà évoquée, Edwy Plenel justifiait la démarche : « Le jour où ce sera prêt, je laisserai mon poste de président, de tête de gondole, de crieur de journal de Mediapart, mais je ne serai jamais loin car c’est notre histoire et l’équipe le souhaite ». Mediapart joue la transparence jusque dans ses comptes (https://lc.cx/AH6H) : avec un effectif de 45 journalistes et de 37 personnes dans ses autres services opérationnels, Société éditrice de Mediapart a réalisé en 2017 un chiffre d’affaires de 13,6 millions d’euros et atteint au 31 décembre 140.426 abonnés. Bénéficiaire depuis 2011, elle a dégagé l’an dernier un bénéfice net proche
de 2,2 millions d’euros. @

Charles de Laubier

FOCUS

Edwy Plenel a imposé le nom « Mediapart » envers et contre tous
« Le nom de Mediapart, c’est ma seule décision autoritaire dans l’histoire de Mediapart. Tout le monde trouvait ça effroyable. Personne ne voulait de ce nom ! Il fallait trouver
un nom de domaine disponible dans plusieurs déclinaisons. J’aurais bien aimé appeler Mediapart : “La Presse”, “La Démocratie” ou encore “Le Journal”. Mais c’était déjà pris. Internet, c’est sans frontières – autre que la langue. Si vous créez un journal, il faut qu’il soit en .fr, en .ch, en .be, mais aussi en .com, en .uk, .us. et ainsi de suite. Il faut acheter l’ensemble de ces domaines. Il faut donc inventer un nom, et je me suis dit pourquoi pas “Mediapart” », a raconté en mars 2017 Edwy Plenel, le cofondateur de
ce pure player de la presse en ligne, lors des 10es Assises du Journalisme. Pourquoi «Mediapart » ? « Car on n’allait pas être seulement un journal, mais un média avec le multimédia – du son, de l’image, de la vidéo, de la radio, etc. – et participatif. Mediapart, pour “média participatif”, avec un journal et un club, mais aussi de façon sous-jacente un média à part. Ce nom est compréhensible dans plusieurs langues ». Et l’ancien directeur de la rédaction du Monde de se rappeler : « Toute l’équipe disait que c’était lai comme nom et pas beau du tout. Or le plus vieux journal en France est Le Figaro – un personnage de Beaumarchais ! Appeler un journal “Le Figaro”, ça a dû paraître bizarre au début ; aujourd’hui, cela ne gêne personne. On a donc imposé ce nom “Mediapart” et depuis Mediapart s’est imposé ». @

Uber : un service électronique d’intermédiation de transport, mais pas de la société de l’information

Le 20 décembre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt (1) important qui tranche une incertitude au niveau de la qualification juridique des services proposés par la nouvelle économie numérique. Uber est concerné au premier chef, mais il n’est pas le seul.

Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

Rappelons ce truisme selon lequel la révolution numérique
a profondément modifié le monde économique. Mais aussi
le monde juridique. A quelle catégorie juridique existante rattacher ces nouveaux « services » ? On rappellera que la qualification juridique est le pain quotidien des juristes ; elle consiste à rattacher un acte ou un fait à une catégorie et lui appliquer la règle de droit afférant. Ce processus se décompose en deux phases : d’abord choisir les éléments caractéristiques du fait ou
de l’acte, puis le rattacher à une catégorie existante et lui appliquer la règle de droit.

Service mixte d’Uber : de quel droit ?
Pour reprendre la belle métaphore de la commode (2) : il faut d’abord choisir l’étoffe que l’on souhaite ranger, pour déterminer, ensuite, le tiroir dans lequel elle sera rangée. Or, le numérique a dématérialisé l’étoffe ou lui a rajouté une étape, de sorte que l’on est confronté à des difficultés pour choisir le tiroir ! C’est Uber et son modèle économique qui, une fois de plus, posaient des interrogations. Après celles du droit de la concurrence, de la protection des consommateurs et du droit de travail, il s’est posé la question de savoir si le fonctionnement d’Uber relevait du droit de l’Union européenne (UE) ou des Etats membres. Les faits sont simples et la question s’est posée dans de nombreux pays européens.
En 2014, une association professionnelle de chauffeurs de taxi de la ville de Barcelone (Espagne) a assigné devant un tribunal espagnol Uber Systems Spain SL, société liée à Uber Technologies Inc., en prétendant que cette dernière fournit une activité de transport sans autorisation. On rappellera que le numéro un mondial des services de voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) fournit, au moyen d’une application pour téléphone intelligent, un service rémunéré de mise en relation de chauffeurs non professionnels utilisant leur propre véhicule avec des personnes souhaitant effectuer des déplacements urbains. Le service proposé par Uber est mixte. Une partie est réalisée par voie électronique (la réservation, l’approche, le paiement), et l’autre est réalisée physiquement par une opération traditionnelle de transport (le trajet proprement dit). Dans tous les cas, ni Uber ni ses chauffeurs non professionnels des véhicules concernés ne disposent des licences et des agréments prévus par le droit espagnol. L’association professionnelle a considéré que les activités d’Uber constituaient des pratiques trompeuses et des actes de concurrence déloyale et a demandé au tribunal de commerce espagnol d’interdire à Uber d’exercer cette activité
à l’avenir. Le juge espagnol a considéré que la solution du litige dépendait du point de savoir si Uber devait, ou non, disposer d’une autorisation administrative préalable en Espagne.
A cette fin, il convenait de déterminer si les services fournis par cette société doivent être regardés comme étant des services de transport (compétence des Etats membres), ou des services propres à la société de l’information (droit de l’UE), ou une combinaison de ces deux types de services. Le juge espagnol a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) une question préjudicielle portant uniquement sur la qualification juridique du service en cause. La CJUE a relevé qu’un « service électronique d’intermédiation » – consistant à mettre en relation un chauffeur non professionnel utilisant son propre véhicule et une personne qui souhaite effectuer un déplacement urbain – constitue, en principe, un service distinct du service de transport qui consiste en l’acte physique de déplacement de personnes ou de biens d’un endroit à un autre au moyen d’un véhicule. De plus, chacun de ces services, pris isolément, est susceptible d’être rattaché à différentes directives ou dispositions du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) relatives à la libre prestation de services.

Intermédiation avec le monde physique
En effet, un service électronique d’intermédiation – qui permet la transmission au moyen d’une application pour téléphone intelligent des informations relatives à la réservation du service de transport entre le passager et le chauffeur non professionnel utilisant son propre véhicule qui effectuera le transport – répond, en principe, aux critères pour être qualifié de « service de la société de l’information » (3). Et ce, dès lors qu’il s’agit d’un « service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services ». Dans ce cas, aucune autorisation ne doit être demandée à l’Etat membre. En revanche, un service de transport urbain non collectif, tel qu’un service de taxi (service physique), doit être qualifié de « service dans le domaine des transports » et relève de la compétence de l’Etat membre.

Uber a créé son propre marché
Dans ces conditions, faut-il faire une application distributive ou appliquer un seul régime si une prestation était considérée comme l’accessoire de l’autre. Dans ce dernier cas, quel serait le service qui prévaudrait, le service électronique ou le service physique ? D’après la CJUE, la prestation d’Uber ne se résume pas à un service électronique.
En effet, le fournisseur de ce service d’intermédiation crée en même temps « une
offre de services de transport urbain, qu’il rend accessible notamment par des outils informatiques, tels que l’application en cause au principal, et dont il organise le fonctionnement général en faveur des personnes désireuses de recourir à cette offre aux fins d’un déplacement urbain ».
La CJUE considère que l’application d’Uber crée son propre marché car elle fournit
« une application sans laquelle, d’une part, ces chauffeurs ne seraient pas amenés à fournir des services de transport et, d’autre part, les personnes désireuses d’effectuer un déplacement urbain n’auraient pas recours aux services desdits chauffeurs ». C’est bien là la différence des services d’Uber avec d’autres services d’intermédiation qui vendent par exemple des billets d’avion ou des nuitées d’hôtel. Dans ce dernier cas, le marché est autonome. Sans ces applications, vous pourrez toujours acheter les mêmes prestations directement auprès de la compagnie d’aviation ou de l’hôtel. À l’inverse, sans application d’Uber, les services des chauffeurs non professionnels (c’est-à-dire sans licence) ne pourraient pas être sollicités ou seraient qualifiés de taxis clandestins. La plateforme d’Uber constitue donc le seul moyen de commercialiser leurs services.
La CJUE a été plus loin car elle a constaté d’autres particularités dans la prestation d’Uber qui ont permis de caractériser un lien indissociable entre le service électronique et le service de transport. En effet, Uber exerce « une influence décisive sur les conditions de la prestation de tels chauffeurs » car Uber établit, au moyen de son application, « à tout le moins le prix maximum de la course, que cette société collecte ce prix auprès du client avant d’en reverser une partie au chauffeur non professionnel du véhicule, et qu’elle exerce un certain contrôle sur la qualité des véhicules et de leurs chauffeurs ainsi que sur le comportement de ces derniers, pouvant entraîner, le cas échéant, leur exclusion ». La CJUE relève donc que l’application d’Uber est indissociablement liée à un service de transport. Il ne s’agit pas d’un simple service électronique, qui mettrait en relation une offre et une demande. La prestation est globale, Uber contrôlant ou ne pouvant que contrôler la plupart des maillons de la chaîne.
Comme l’a relevé l’avocat général (4), « Uber est un véritable organisateur et opérateur de services de transport urbain dans les villes dans lesquelles il est présent ». En conséquence, la CJUE juge que le service d’intermédiation d’Uber doit donc être considéré comme faisant partie intégrante d’un service global dont l’élément principal est un service de transport et, partant, comme répondant à la qualification non pas
de « service de la société de l’information », mais de « service dans le domaine des transports », or ce dernier service est exclu du principe de la liberté de prestation de services et relève de la compétence exclusive des Etats membres. La décision préjudicielle rendue par la CJUE devrait donc conduire les juridictions espagnoles à considérer qu’Uber et ses chauffeurs non professionnels exercent leurs activités en violation du droit espagnol qui soumet cette activité à une autorisation. Il est donc probable qu’Uber sera condamné pour pratiques trompeuses et actes de concurrence déloyale (5). Le dossier à l’origine de l’arrêt remonte à 2014. C’est maintenant à la justice espagnole de trancher en fonction de la décision préjudicielle de la CJUE. Cette affaire judiciaire est suivie de près par la France, mais aussi par la Grande-Bretagne, ainsi que par l’ensemble des pays européens confrontés au modèle économique d’Uber.
S’agit-il d’un coup de grâce juridique donné par un vieux monde qui refuserait les bouleversements de la société numérique ? Nous ne le pensons pas. L’analyse faite par l’avocat général est très riche d’enseignement.

Liberté de prestation de services
Pour pouvoir être qualifié de « service de la société de l’information », et bénéficier
de la liberté de prestation de services, il faut : que la prestation soit exclusivement composée d’un élément fourni par voie électronique ; que, dans le cas de services mixtes (composés d’un élément fourni par voie électronique et d’un autre qui n’est pas fourni par cette voie), l’élément fourni par voie électronique soit économiquement indépendant, ou principal, par rapport au second. L’utilisation du numérique dans une prestation ne doit pas être une caution pour dispenser les nouveaux acteurs des contraintes que pèsent sur ceux qui exercent la même activité sans le numérique. @

* Auteur du livre « Numérique : de la révolution au naufrage ? »,
paru en 2016 chez Fauves Editions.