En France, les contenus culturels génèreraient près de 1,3 milliard d’euros pour les acteurs du Net

Directement et indirectement, les contenus culturels participeraient jusqu’à 61 % des revenus des intermédiaires du numérique (moteurs de recherche, médias sociaux, bibliothèques personnelles, plateformes vidéo ou audio, agrégateurs
de contenus). Manque à gagner pour les industries culturelles ?

Le Groupement européen des sociétés d’auteurs et compositeurs (Gesac) – dont sont membres 32 sociétés d’auteurs européennes, parmi lesquelles la Sacem (musique), la Scam (multimédia) ou encore l’Agagp
(arts graphiques) en France, pour un total de 1 million d’auteurs et de créateurs représentés – a cherché à évaluer le « transfert de valeur » entre les industries culturelles et les acteurs du Net.

Impacts directs et indirects
Dans l’étude qu’elle a commanditée au cabinet Roland Berger et rendue publique
fin septembre, il ressort que les contenus culturels (musiques, films, livres, jeux vidéo, journaux, programmes télé, radios, arts visuels, …) contriburaient directement et indirectement à hauteur de 61 % du chiffre d’affaires global annuel (1) réalisés en France par les acteurs du Net (moteurs de recherche, médias sociaux, bibliothèques personnelles, plateformes vidéo ou audio, agrégateurs de contenus, …).
Cela représente sur l’année considérée près de 1,3 milliard d’euros, dont 23 % obtenus
« directement » et 38 % « indirectement » (voir tableau ci-dessous). L’impact direct désigne les revenus générés grâce à la monétisation ou le commerce en ligne des contenus culturels (B2C) ou aux revenus publicitaires générés par l’inventaire (les espace publicitaires disponibles) lié aux contenus culturels (B2B). Par exemple, selon Roland Berger, YouTube en profite directement dans la mesure où 66 % des vues vidéo en Europe (19 % pour la France) ont des contenus culturels, lesquels génèrent des revenus publicitaires. Pour Facebook, ce sont 51 % des contenus publiés ou partagés sur Facebook en Europe (39 % en France) qui sont liés aux contenus culturels. L’impact indirect, lui, correspond au rôle additionnel joué par les contenus culturels dans le modèle économique de l’intermédiaire de l’Internet (par exemple a d h é rence p o u r le s u t i l i s a teurs , développement de l’utilisation, …). Au niveau européen,
la proportion est quasiment la même – 62 % (23 % directement et 40 % indirectement) – mais porte cette fois sur un chiffre d’affaire global annuel de 21,9 milliards d’euros.

Le Gesac, présidé par Christophe Depreter (photo), directeur général de la Sabam
(la « Sacem » belge) et doté de trois vice-présidents parmi lesquels Jean-Noël Tronc (directeur général de la Sacem), a fait du « transfert de valeur » sont cheval de bataille – et de lobbying – auprès de la Commission européenne, laquelle a finalement fait un pas vers les industries culturelles en présentant le 14 septembre dernier un projet de réforme du droit d’auteur susceptible de remédier à ce value gap – ou perte de valeur – pour les ayants droits (2) (*) (**). « Contrairement aux fournisseurs d’accès, les plateformes en ligne ne rémunèrent pas ou très peu les créateurs pour l’exploitation
de leurs œuvres. (…) Ces plateformes revendiquent le statut de simples intermédiaires techniques (3) n’ayant aucune obligation de rémunérer les créateurs », affirme le Gesac. Dans son lobbying intensif à Bruxelles, elle-même basée à Bruxelles, cette organisation professionnelle exige que cette situation cesse. @

Charles de Laubier

Le Centre national du livre (CNL), pour ses 70 ans d’existence cette année, prend un coup de jeune

Etablissement public du ministère de la Culture et de la Communication, le Centre national du livre est né en 1946 sous le nom de « Caisse nationale des lettres ». Sa dernière étude porte sur les jeunes et la lecture. Ils sont près de 20 % à lire des livres numériques, et même 27 % chez les lycéennes.

Les livres numériques sont connus par presque tous les jeunes (95 %) interrogés par le Centre national du livre (CNL). Ils sont plus nombreux à les connaître lorsqu’ils sont dans les lycées qu’en primaire. Ce sondage, réalisé par l’institut Ipsos pour le compte du CNL – présidé par Vincent Monadé (photo) – et publié fin juin (1), montre en outre que près de deux jeunes sur dix (19 %) en ont déjà lus. Mieux : ce sont surtout les lycéennes (27 %) qui sont les plus adeptes de la lecture d’ebooks dans les transports. Là aussi, sans surprise, les livres numériques sont plus lus dans les lycées qu’en primaire.

Les lycéennes lisent plus d’ebooks
Et lorsqu’ils sont lecteurs de livres numériques, ils sont 12 % à en avoir lu plusieurs :
14 % chez les filles, 10 % chez les garçons. Le taux de réponse sur ce point monte à 20 % lorsqu’ils s’agit de filles au lycée. C’est donc l’une des révélations de cette étude : les filles de plus de 15 ans se sont plus appropriées les livres numériques que ne l’ont fait les garçons. Les contextes de lecture diffèrent entre filles et garçons et selon l’âge : les plus jeunes, et surtout les garçons, lisent davantage les livres numériques en vacances ; les plus âgés, et surtout les filles, privilégient la lecture de livres numériques le soir ou en mobilité. « L’intérêt pour la lecture de livres numériques varie fortement selon que le jeune ait testé ou non ce mode de lecture. Les lecteurs actuels déclarent aimer pour les deux tiers mais leur enthousiasme n’est que modéré. Là encore ce sont les lycéennes qui sont les plus convaincues. Les non lecteurs semblent beaucoup plus réfractaires : seulement trois sur dix aimeraient tester ce type de lecture », tempère les auteurs de l’étude.
Dans les résultats, cela se traduit ainsi : 63 % des jeunes lecteurs déclarent aimer ce type de lecture mais seuls 15 % déclarent « adorer » ; 75 % des jeunes filles de plus de 15 ans aiment lire des livres numériques ; seulement 32 % des non lecteurs aimeraient tester ce type de lecture. Plus des trois quart (76 %) des jeunes lecteurs de livres numériques les lisent sur des supports mobiles : tablette principalement, mais aussi liseuse et smartphone (voir les équipements et les loisirs de ses lecteurs d’ebooks ci-contre). Là encore, les lycéennes se démarquent comme étant des lectrices d’ebooks sur smartphone (32 %), surtout si elles sont au lycée (44 %). Les jeunes lecteurs d’ebooks les lisent principalement chez eux (90 %), dans leur chambre (74 %), lorsque ce n’est pas à l’extérieur (41 %), dans les transports (21 %).
Si les livres numériques sont des livres que l’on achète ou télécharge le plus souvent sur Internet et que l’on peut lire sur un écran, les livres audio sont, eux, des histoires que l’on peut écouter avec un CD ou un fichier numérique. Ces derniers sont également connus par presque tous les jeunes (93 %) et plus de deux jeunes sur dix (21 %) en ont déjà écoutés. Ils écoutent encore essentiellement des livres audio sur CD (80 %), contre moins d’un tiers (28 %) de façon dématérialisée. Comme pour les livres numériques, ils les écoutent principalement chez eux (83 %), dans leur chambre (66 %).
Un peu plus du tiers d’entre eux les écoutent également hors de leur domicile, essentiellement en mobilité, dans les transports (18 %). Et comme pour le livre numérique, l’intérêt pour les livres audio varie fortement selon que le jeune ait déjà testé ou non ce mode de lecture. Quant à la question du piratage de livres numériques, elle n’est pas du tout abordée dans le sondage Ipsos/CNL.

16 % des Français piratent le livre, jeunes compris
Il faut se référer au baromètre « SNE/Sofia/SGDL » sur les usages des livres numériques, réalisé par OpinionWay (2) et paru en mars dernier, pour avoir un aperçu de ce qu’il en est : 16 % des personnes interrogées ont admis « avoir déjà eu recours à une offre illégale de livre numérique ». Ils sont 53 % à justifier le piratage d’ebooks en raison de « l’indisponibilité des titres en offre légale », 40 % parce que « l’offre légale trop chère », 32 % car « l’offre illégale globalement plus facilement accessible » ou encore par le fait que « les systèmes de protection des œuvres comme les DRM (3) trop compliqués à utiliser ou trop contraignants ». @

Charles de Laubier

Amazon, Spotify, Netflix, Steam, … : leurs algorithmes sont-ils les nouveaux prédateurs de la culture ?

Les nouveaux champions de l’industrie culturelle – les « ASNS » – ont fait des algorithmes prédictifs leur fond de commerce, de la production à la consommation en ligne. Mais le risque est de ghettoïser et de communautariser les individus, avec la conséquence pour chacun d’exclure le monde de l’Autre.

Par Fabrice Lorvo*, avocat associé, cabinet FTPA

La révolution numérique n’a pas fini de nous surprendre et nous n’en sommes probablement qu’aux préliminaires. Aux côtés des GAFA, géants du Net, voilà les ASNS (Amazon pour la librairie, Spotify pour la musique, Netflix pour la vidéo et Steam pour les jeux vidéo) qui sont les nouveaux champions de l’industrie culturelle. Ces champions ont recours aux algorithmes prédictifs tant au niveau de la production que de la consommation de contenus culturels.

Prédiction et contenus culturels
D’un point de vue général, les algorithmes sont déjà présents partout dans nos vies. Ils nous aident (par exemple le GPS) et ils nous surveillent aussi, en analysant les traces ou les signaux que nous laissons (1). Ils sont le reflet de notre vision de la société. Ils ne sont donc pas sans faiblesses. Les algorithmes ne font que reproduire les inégalités sociales car ils se contentent d’analyser et de reproduire la réalité. Ils n’aiment pas la nouveauté car ils analysent des activités passées. Ils ne comprennent pas tout (notamment pas le discours implicite) et ils n’ont pas de cœur (ils n’intègrent pas l’émotion ou le sentiment humain). Pour le moment, les algorithmes ne peuvent déceler ni la donnée erronée, ni la donnée manipulée, ce qui a pu entraîner des catastrophes, notamment dans le monde de la Bourse. Les algorithmes peuvent aussi travestir la réalité comme l’illustre le scandale du moteur diesel de Volkswagen (2). C’est pourquoi nous devons nous demander si ces algorithmes représentent aussi un danger dans le domaine culturel.
L’utilisation des algorithmes est revendiquée pour la création de contenu tant par les ASNS que par l’industrie historique du cinéma. Les algorithmes sont utilisés par Netflix pour produire de nouvelles séries. Cependant, ces algorithmes ne servent qu’à déterminer les sujets qui seront de nature à rencontrer l’adhésion d’un large public.
De l’aveu même des dirigeants de Netflix, les choix éditoriaux résultent de 70 % de données (data) et de 30 % de jugement (une « intuition informée ») (3). De plus,
une fois les thèmes retenus, la plateforme de SVOD laisse une grande latitude aux réalisateurs acteurs scénaristes pour s’exprimer dans la création de la série. Les algorithmes sont aussi utilisés dans l’industrie du cinéma aux Etats-Unis. La société britannique Epagogix (4) prétend apporter une analyse prédictive de la valeur d’un script, au box-office, en identifiant et en quantifiant comment et où améliorer leur valeur commerciale, et ce par rapport aux films passés. L’analyse s’opère donc soit par rapport aux données relatives aux goûts des abonnés, soit par rapport aux données relatives au contenu des films ayant eu un grand succès. Outre la question de savoir
si le succès d’une oeuvre doit être le seul référant (quid de son contenu ?), il faut un peu de recul pour évaluer la fiabilité de tels algorithmes.
N’avons-nous pas tendance à surestimer les capacités de ces algorithmes pour la production ? Les causes du succès sont souvent impénétrables. Certes, les algorithmes permettent d’avoir une vision plus fine des éléments caractéristiques d’une réussite mais rien n’indique que celle-ci résultera nécessairement de la réunion de ces éléments. Le succès a ses raisons que les data ne connaissent pas ! De plus, le succès réside aussi dans la nouveauté de la présentation. Reste à savoir quel sera le degré de lassitude du public et pendant combien de temps il sera réceptif au contenu composé des mêmes recettes.
Si « House of Cards » – la première série diffusée en exclusivité sur Netflix à partir de 2013 – a été un succès indéniable, la série « Marseille » produite dans les mêmes conditions par Netflix a connu en France, sur TF1, un début modeste avec une perte de 1 million de téléspectateurs entre le premier et le second épisode (5). Enfin, le numéro un mondial de la SVOD ne semble pas miser uniquement sur ce type d’algorithme pour constituer son catalogue. Il a annoncé avoir acheté les droits pour trois « petits » films français présentés lors de l’édition 2016 du Festival de Cannes (6).

Algorithmes face à la pluralité de l’offre
Les ASNS ont pour point commun d’aider leurs clients à faire un choix par l’utilisation d’un algorithme. L’objectif affiché est d’améliorer l’expérience utilisateur des clients
en proposant des contenus adaptés aux goûts et aux habitudes de chacun. Ce type d’algorithme prédictif est un outil indispensable mais qui a des effets pervers. Les ASNS répondent particulièrement aux nouvelles exigences de consommation permises par le numérique (« Je consomme ce que je veux et quand je veux ») qui supposent une offre conséquente de produits culturels, ce qui rend paradoxalement le choix très difficile (trop de choix tue le choix). Si l’utilisateur doit passer des heures à consulter
les catalogues pour choisir un produit culturel, il est peu probable qu’il utilisera régulièrement ce service.

La nouveauté peu recommandable
Pour Netflix, présent dans 190 pays avec plus de 75 millions d‘utilisateurs, l’objectif est de présenter le catalogue le plus important possible puis de le réduire à 50 titres à partir desquels il sera procédé à une sélection efficace. Son algorithme – qui est dorénavant mondial et non plus adapté à chaque pays – utilise les données relatives à son abonné, lesquelles sont comparées avec les données des autres abonnés. Les données analysées sont le profil de l’abonné (ses notations et ses recherches) mais aussi les données passives de connexion (combien de personne ont regardé telle série, à quel rythme, sur combien d’épisodes pour chaque programme, combien l’ont regardée en entier, avec ou sans pause, à quelle heure, etc.).
Pour Spotify, la recommandation utilise trois types d’éléments : l’environnement de l’utilisateur, les comportements de l’utilisateur et des autres abonnés, ainsi que la compréhension des sentiments de l’utilisateur. En partant du postulat que les plateformes en cause sont neutres et qu’elles ne détournent pas les algorithmes prédictifs pour proposer leurs produits, le premier effet pervers est structurel (c’est le
« départ à froid »). Si la recommandation suppose la popularité, une oeuvre nouvelle n’aura pas d’évaluation et ne sera donc pas recommandée. De plus, l’algorithme est
de nature à ghettoïser, à communautariser les individus et à les renforcer dans leurs propres visions des choses. L’algorithme de Netflix utilise une classification du catalogue en plus de 76.000 catégories. Elle tient compte notamment de la couleur de peau ou de l’orientation sexuelle de l’abonné. Cela le conforte dans son monde, ce qui a souvent pour conséquence d’exclure le monde de l’Autre.

Le renforcement de ses propres goûts se fait au détriment de la découverte. Il crée chez l’individu un avatar statique qui annihile sa singularité (7). Il réduit aussi les occasions de confrontation à l’Autre, qui n’est pas toujours celui que l’on veut voir. L’algorithme ne fait que réduire l’horizon culturel de l’abonné et peut le confiner dans une tour d’ivoire virtuelle.
En conséquence, limiter sa consommation culturelle aux suggestions d’un algorithme cantonnera l’abonné aux mêmes styles, qu’il a certes appréciés dans le passé mais qui l’empêchera de découvrir d’autres produits en dehors de ceux qu’il a déjà consommés. En d’autres termes, et sous l’angle culinaire, si un algorithme analyse vos antécédents d’achats de nourriture et note que vous achetez souvent des pommes de terre, il vous proposera de la purée, des chips, des frites, etc. La suggestion sera cohérente par rapport à ce que vous aimez mais ce manque de diversité ne sera pas forcement du meilleur effet sur votre santé !
En conclusion : l’algorithme prédictif est un outil indispensable. Cependant, en fonction de sa programmation, il peut tout à la fois « favoriser la découverte et la diversité qu’enfermer les individus dans des goûts stéréotypés ou des horizon très limités » (8). Si l’algorithme devient indispensable, et que son efficacité suppose une coopération pleine et entière de l’abonné, encore faut-il que l’algorithme soit transparent et que la relation avec l’abonné soit basée sur la loyauté, la confiance et l’éthique. Cette relation est à construire. En 2014, le Conseil d’Etat invitait déjà à « définir un droit des algorithmes prédictifs » (9).
Dans tous les cas, il ne faut pas que les algorithmes prédictifs culturels nous dispensent de faire l’effort d’aller vers l’inconnu et, par là même, qu’ils nous privent de la joie de nous laisser séduire ou surprendre. L’écrivain André Dhôtel nous a appris que ce qui distingue l’homme des robots, « ce serait que les robots ne se promènent jamais » (10). La culture est un domaine qui permet, plus qu’aucun autre, de faire des promenades. Ne nous en privons pas volontairement. On doit aussi se demander si le risque, pour
la culture ne se situe pas autre part. Elle joue un rôle fondamental, tant au niveau individuel que collectif, qui justifie des dérogations au fonctionnement des règles naturelles du marché (notamment par des quotas de production ou de diffusion de 60 % d’œuvres européennes dont 40 % françaises) pour assurer une diversité culturelle.

Des quotas dans les algorithmes ?
Dans ces conditions, les ASNS ne devraient-elles pas s’engager volontairement à soutenir cette diversité culturelle en intégrant dans leurs algorithmes les quotas imposés pour protéger la création européenne et française et, ainsi, éviter ou retarder une américanisation de la culture ou sa globalisation/mondialisation/uniformisation ? @

* Auteur du livre « Numérique :
de la révolution au nauvrage ? » , paru chez Fauves Editions

Copie privée : industriels contre l’extension au cloud

En fait. Le 16 février prochain, le projet de loi « Création » sera voté au Sénat. Dès le 5 février, les industriels du numérique – réunis au sein de l’Afnum, du Sfib, de Tech in France (ex-Afdel) et de Digital Europe – se sont inquiétés des risques de l’extension de la redevance copie privée aux services de cloud.

En clair. Les industriels de l’électronique grand public – Samsung, Apple, Sony, IBM, Cisco, … – ne veulent pas que la rémunération pour copie privée soit étendue aux services de cloud, lesquels permettent aux internautes et aux mobinautes qui le souhaitent de stocker à distance dans le « nuage informatique » leurs contenus multimédias.
Réunis à Paris au sein de l’Afnum, du Sfib et de Tech in France (ex-Afdel), ainsi qu’à Bruxelles dans l’association Digital Europe, les fabricants et importateurs d’appareils numériques – dont ceux qui permettent l’enregistrement numérique et sont de ce fait assujettis à la taxe « copie privée » – ont réagi dès le 5 février pour mettre en garde
le gouvernement contre toute extension de cette redevance pour copie privée « en affectant l’ensemble des services numériques en ligne ». Selon eux, « cette disposition engendrerait un risque juridique pour l’écosystème des oeuvres culturelles numériques et économique pour les entreprises concernées ». Les industriels réagissaient à un amendement daté du 21 janvier (« Com-5 »), adopté par la commission de la Culture du Sénat pour devenir l’article « 7 bis AA » – modifié ensuite lors des débats du 10 février (1) – du projet de loi « Création ». Il soumet à la taxe « copie privée » tout service de communication au public en ligne lorsque celuici fournit à une personne physique, et par voie d’accès à distance, la possibilité de faire elle même des copies
ou des reproductions d’oeuvres ou de programmes audiovisuels, lesquelles « sont stockées sur un serveur distant contrôlé par l’éditeur concerné ». Cette disposition prévoit donc que l’intervention d’un tiers dans l’acte de copie n’interdit pas de considérer que ces copies puissent être qualifiées de copie privée, remettant ainsi
en cause la jurisprudence dite « Rannou-Graphie » de 1984 qui subordonne jusqu’à maintenant l’application du régime de la copie privée à une personne qui est soit celle réalisant la copie, soit la bénéficiaire de la copie réalisée (2) – ce qui excluait jusqu’à maintenant le cloud de la taxe pour copie privée au grand dam des ayants droits (3).
« Descendez de mon nuage ! », a aussi lancé le 5 février l’association Digital Europe qui s’est alarmée des projets législatifs d’« une France faisant cavalier seul » et qui exhorte le gouvernement français à travailler plutôt avec la Commission européenne pour réformer la copie privée. @

Rencontres du cinéma à Dijon : Action ou Coupez ?

En fait. Du 22 au 24 octobre derniers, se sont tenues les 10es Rencontres cinématographiques de Dijon (25es si l’on y ajoutent celles de Beaune auparavant), organisées par l’ARP, société civile des Auteurs- Réalisateurs-Producteurs. Edition Multimédi@, qui y était, a constaté une certaine fébrilité.

En clair. Malgré les engagements de ses deux plus grands argentiers, Canal+ et France Télévisions, le cinéma français s’inquiète plus que jamais pour son avenir,
au point d’en être fébrile. « On sort des trente glorieuses du cinéma », a lancé Michel Hazanavicius, réalisateur-producteur (« The Artist » entre autres) et vice-président
de l’ARP. Alors que les mémoires « A mi-parcours » d’André Rousselet, le fondateur
de Canal+, sortaient en librairie (1) au moment même de ces 25es Rencontres cinématographiques, rappelons qu’il a trente ans le cinéma craignait déjà le pire avec le lancement à cette époque de « la chaîne du cinéma ». Les professionnels de la « filière ‘cinéma », avec lesquels André Rousselet se rappelle « des discussions complexes, et qui seront parfois houleuses », pensaient que la quatrième chaîne cryptée voulue par François Mitterrand allait vider les salles de cinéma. Il n’en fut rien. Trois décennies plus tard : rebelote ! Internet est le « Canal+ » d’aujourd’hui : une menace pour les salles et tout l’écosystème du cinéma. « Le préambule doit être sur le vol de films sur Internet. (…) Tant qu’il n’y aura pas quelque de chose de sûr contre la piraterie, cela sera compliqué de parler d’offre légale », a prévenu Michel Hazanavicius, qui a lancé le 5 novembre avec d’autres cinéastes LaCinetek, un site de VOD consacré aux « films classiques ». Pour abonder, Maxime Saada, le nouveau DG du groupe Canal+, a affirmé que la chaîne cryptée a «un manque à gagner d’à peu près 500.000 abonnés, soit 10 % de notre parc, à cause du piratage ». Le successeur de Rodolphe Belmer (depuis juillet) a même ajouté que « lorsque l’on aura réglé le problème du piratage,
on pourra rediscuter de la chronologie des médias, … dans dix ans, dans cinq, même dans deux ans »… Il est même catégorique : il n’a pas de sens économique « à introduire dans la chronologie des médias des exploitations par Internet » : « Y a-t-il
un marché ? Je ne le crois pas ». Fermez le ban ! Quant aux GAFA, ils sont accusés
de faire du cinéma un produit d’appel sans contribuer à son financement – « grâce » à leur statut d’hébergeur. La menace vient aussi de la Commission européenne, dont la réforme en cours du droit d’auteurs est agitée comme un épouvantail. Seule invitée, l’eurodéputée Viviane Reding (2) : elle a tenté de rassurer en disant que « cette réforme n’ira pas droit dans le mur parce qu’elle n’aura pas lieu ! ». La territorialisation des droits ne sera pas remis en cause. @