Madrigall(Gallimard-Flammarion) adopte la solution anti-piratage de livres numériques d’Hologram Industries

Le groupe d’édition Madrigall, qui réunit Gallimard et Flammarion, vient d’adopter la solution d’empreinte numérique de la société Hologram Industries pour lutter contre le piratage de livres numériques, solution préconisée par le Syndicat national de l’édition (SNE) qui tient son AG annuelle le 25 juin.

Selon nos informations, le troisième groupe d’édition français (1), la holding familiale Madrigall qui chapeaute Gallimard et Flammarion, a finalement opté pour la solution de lutte contre le piratage d’ebooks proposée par le Syndicat national de l’édition (SNE) à ses membres depuis deux ans maintenant (2). Ce service, qui devient enfin effectif, est assuré par la société Hologram Industrie (dans le cadre d’une convention qui lie cette société au SNE) avec le soutien financier de la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia).

Coût : moins de 1 € par livre
Hologram Industrie repère les œuvres sur Internet et envoie automatiquement des notifications en cascade aux acteurs de la mise en ligne des contenus contrefaisants.
« La technologie d’empreinte numérique utilisée permet de s’assurer que le fichier trouvé est bien une contrefaçon du livre. Ce service contrôle également que le retrait
a bien eu lieu. Chaque éditeur dispose d’un accès individuel et confidentiel à son outil statistique », vient de rappeler le SNE dans la dernière note juridique envoyée à ses membres. En l’adoptant, le groupe Madrigall, que préside Antoine Gallimard (photo), donne le véritable coup d’envoi à l’utilisation de cette solution. « Ces premières souscriptions déclenchent la faculté pour d’autres éditeurs de recourir immédiatement
à un service de notification et retrait automatisé », confirme le syndicat. En effet, l’une des conditions de sa mise en oeuvre est que l’ensemble des engagements des adhérents ayant souscrits au service d’Hologram Industries atteigne au moins un total de 3.990 euros par mois (moyennant 100, 200 ou 300 euros par mois et par éditeur, avec un engagement d’un an) pour des questions d’économie d’échelle. L’adhésion
de Madrigall est décisif pour ce dispositif antipiratage puisque, outre Gallimard et Flammarion, le groupe compte une quinzaine de maisons d’édition dont Denoël, Mercure de France, les éditions Pol, Arthaud, Aubier, Autrement, ainsi que J’ai lu, GF, Fluide Glacial, Père Castor et Casterman. A noter que Gallimard et Flammarion gèrent avec d’autres éditeurs tels que La Martinière et Actes Sud la plateforme de distribution de livres numériques Eden livres. Ce qui pourrait laisser présager d’autres ralliements
à la solution d’Hologram Industrie. Cela n’empêche pas d’autres éditeurs de choisir des solutions alternatives, comme celle de l’américain Attributor retenue par Hachette du groupe Lagardère (premier éditeur français). Avec Madrigall, le SNE peut garantir le déploiement technique de la solution à un coût modéré pour chaque éditeur désireux d’offrir dès à présent à son catalogue une protection contre le téléchargement illicite.
La Sofia soutient cette initiative et subventionne les éditeurs qui adoptent cette solution à hauteur de 50 % des sommes qu’ils engagent pour la souscription à ce service. Ainsi, le coût au livre de cette technologie anti-piratage devait être de l’ordre 1 euro que la Sofia subventionne pour moitié. Lorsque le montant total mensuel atteindra 12.500 euros par mois avec de nouvelles adhésions, le coût par livre sera moindre. En 2011,
le SNE avait écarté le recours à l’Hadopi en raison du coût trop élevé de la réponse graduée (3).
En revanche, l’autre solution anti-piratage d’ebooks proposé par le SNE – à savoir la mise à disposition du site web Portailprotectionlivres.com développé par l’association anglaise des éditeurs (Publishers Association) – ne semble pas vraiment intéresser
les éditeurs, alors qu’elle revient pourtant moins cher (environ 250 à 5000 euros par
an selon le chiffre d’affaires). « Je n’ai pas connaissance d’adhésion à Portailprotectionlivres.com », a indiqué Julien Chouraqui, juriste au SNE. Il faut dire
qu’il n’y a pas avec le portail, contrairement à la solution Hologram Industries, d’automatisation des signalements.
Par ailleurs, le SNE va signer d’ici fin juin la charte d’engagement contre les sites illicites avec les acteurs du paiement en ligne. Le syndicat a déjà signé, le 23 mars dernier, la charte des professionnels de la publicité.

Deux chartes : le SNE signataire
Un comité de suivi sera chargé d’observer la mise en oeuvre de la charte et de relever les cas de manquement à cette charte. « Ce comité sera composé paritairement. Chaque organisation représentant les professionnels de la publicité et chaque catégorie d’ayants droit auront un siège (le livre aura un siège, tout comme le jeu vidéo, la musique et le cinéma) », explique le SNE qui occupera ce siège. Une « liste noire »
de sites web majoritairement tournée vers le téléchargement illégal est établie par les ayants droit pour être la source principale des listes noires mises en oeuvre par les acteurs de la publicité et du paiement en ligne. @

Charles de Laubier

Un cadre légal attendu pour le renseignement technique

Le projet de loi explicite les finalités et les techniques associées du renseignement dans un cadre attendu d’autorisation et de contrôle renforcés, avec l’installation d’une nouvelle autorité indépendant (CNCTR) et l’instauration de voies de recours devant le Conseil d’Etat.

Christophe Clarenc (photo) et Dominique de Combles de Nayves, avocats,
cabinet Dunaud Clarenc Combles & Associés

Le gouvernement a présenté en mars dernier un projet de loi relatif au renseignement (1) qui vise à renforcer le cadre légal
et opérationnel de l’activité des services spécialisés de renseignement (2) et, en particulier, des techniques de recueil
de renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) (3).

 

Mission, finalités et techniques
Aucunement d’« opportunité » ou d’« exception », contrairement à ce que disent certains commentateurs, ce projet s’inscrit tout à l’inverse dans les recommandations des derniers rapports annuels de la Délégation parlementaire au renseignement (4), du rapport d’information de la commission des lois de l’Assemblée nationale de 2013 sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, et du rapport du Conseil d’Etat de 2014 sur « le numérique et les droits fondamentaux ». Il en va aussi des orientations du livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale, qui reconnaît depuis 2008 à la collecte du ROEM un caractère de nécessité et de priorité. Le texte amendé et voté par le Sénat le 9 juin, puis adopté en commission mixte paritaire le 16 juin, préfigure en très grande partie celui qui sera adopté le 24 juin
à l’Assemblée nationale, avant d’être déféré, comme annoncé, au Conseil Constitutionnel.
Le projet de loi rappelle que le renseignement est une politique publique concourant, sous la compétence exclusive de l’Etat, à la stratégie de sécurité nationale, à la Défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. Le texte législatif rappelle aussi que les services spécialisés, agissant sous l’autorité du gouvernement dans le respect de la loi et des orientations du Conseil national du renseignement (organisme de coordination des services de renseignement français créé en 2008),
ont pour missions, en France et à l’étranger, la recherche, la collecte, l’exploitation
et la mise à disposition des renseignements nécessaires à la connaissance et à l’anticipation des enjeux géopolitiques et stratégiques, ainsi qu’à la prévention des menaces et des risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation.

Le projet instaure un encadrement complété, unifié et renforcé des techniques de renseignement, visant conjointement à circonscrire et à sécuriser leur emploi légitime par les services, sous la responsabilité du Premier ministre, et à dûment protéger les libertés fondamentales garanties sur le territoire national – en particulier le respect de
la vie privée, dans toutes ses composantes (secret des correspondances, protection des données personnelles, inviolabilité du domicile), contre toute intrusion injustifiée
ou captation disproportionnée. A cet effet, le projet précise tout d’abord les finalités
du renseignement (5), les techniques de recueil susceptibles d’être utilisées à ces
fins et les conditions de mise en oeuvre de chacune de ces techniques. Il s’agit des techniques d’interception des correspondances, notamment par dispositifs mobiles
de proximité (« IMSI catcher » (6)), de réquisition des données de connexion et de localisation, de sonorisation, de captation d’images, de captation de données informatiques, de localisation en temps réel par dispositif de « balises », de recueil
de données de connexion en temps réel, et de surveillance/détection algorithmique
sur les réseaux (à seule fin de prévention du terrorisme) (7).
Le texte définit ensuite les procédures applicables tant aux autorisations de mise
en oeuvre qu’à leur exploitation, et renforce les garanties en installant une nouvelle autorité indépendante de contrôle – la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) – aux prérogatives élargies (8) et en instaurant un contrôle juridictionnel devant une formation spécialisée du Conseil d’Etat.

Responsabilité du Premier ministre
Toute mise en oeuvre d’une mesure de recueil de renseignement par un service doit être autorisée par le Premier ministre (9). Ses autorisations sont délivrées sur demande écrite et motivée des ministres de tutelle des services (10) et après avis de la CNCTR (sauf cas d’urgence absolue) lorsqu’elles concernent le territoire national. Les mesures de surveillance internationale (communications émises ou reçues à l’étranger) font l’objet d’un régime d’autorisation distinct. Lorsqu’elle ne suit pas un avis défavorable rendu par la CNCTR, l’autorisation doit en indiquer les motifs. Le Premier ministre tient un registre des demandes et des autorisations. Il assure également la traçabilité de la mise en oeuvre des mesures autorisées, ainsi que la conformité de la centralisation,
de l’exploitation, de la conservation et de la destruction des renseignements collectés.

Contrôles : CNCTR et Conseil d’Etat
Le projet renforce les garanties en conférant à l’autorité indépendante de contrôle,
la nouvelle CNCTR, une composition et des prérogatives élargies. La CNCTR sera composée d’au moins neuf membres : deux députés et deux sénateurs, deux membres du Conseil d’Etat et deux magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation élus par leurs assemblées respectives, et une personnalité qualifiée en matière de communications électroniques nommée sur proposition du président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) (11). Le président de la CNCTR est nommé parmi les membres du Conseil d’Etat et les magistrats de la Cour de cassation élus.
L’autorité indépendante de contrôle est composée de deux formations : une plénière et une restreinte. Ses travaux sont couverts par le secret de la Défense nationale. Elle a pour mission de veiller à la conformité de la mise en oeuvre des techniques de recueil de renseignement sur le territoire national. Elle interviendra également dans le contrôle des mesures de surveillance internationale, dans des conditions précisées par décret. Elle exerce cette mission en amont, par avis sur les demandes d’autorisation et par contrôle du respect de la procédure de délivrance, et en aval, par contrôle de la mise
en oeuvre et de l’exploitation, avec plein accès (garanti notamment par la création d’un délit d’entrave) à l’ensemble des données et endroits nécessaires.
Les avis sont rendus par le président ou l’un des autres membres de la formation restreinte, en formation restreinte ou plénière pour toute question nouvelle ou sérieuse, et obligatoirement en formation plénière lorsque la demande vise un parlementaire, un magistrat, un avocat ou un journaliste. La CNCTR peut être saisie de réclamation par toute personne souhaitant vérifier qu’aucune technique suspectée n’est irrégulièrement mise en oeuvre à son égard. Elle procède aux vérifications nécessaires et notifie à l’auteur de la réclamation qu’il y a été procédé, sans confirmer ni infirmer la mise en oeuvre de la technique. Elle peut également être saisie par tout agent des services
qui aurait connaissance, dans l’exercice de ses fonctions, de faits susceptibles de constituer une violation manifeste du cadre légal (ce droit/devoir de signalement des agents faisant l’objet d’une protection expresse), avec devoir de saisir le procureur de la République si elle estime que l’illégalité est susceptible de constituer une infraction. En cas de manquement estimé dans la délivrance d’une autorisation de mise en oeuvre d’une technique, dans la mise en oeuvre d’une technique autorisée ou dans la collecte, la transcription, l’extraction, la conservation ou la destruction des renseignements collectés, la CNCTR adresse au Premier ministre, au ministre responsable et au service concerné une recommandation tendant à l’interruption de la mise en oeuvre de la technique en cause et/ou à la destruction des renseignements collectés. Elle peut
saisir le Conseil d’Etat si le Premier ministre ne donne pas suite à ses avis ou recommandations. Elle rend un rapport annuel circonstancié de son activité. Le projet renforce de plus fort les garanties, ensuite, en instaurant ainsi devant une formation spécialisée du Conseil d’Etat la possibilité d’un contentieux sur la mise en oeuvre des techniques de renseignement soumises à autorisation et des fichiers intéressant la sûreté de l’Etat. La procédure et le contradictoire sont adaptés aux exigences du secret de la Défense nationale.
Les recours sur la mise en en oeuvre des techniques sont ouverts à la CNCTR ainsi qu’à toute personne souhaitant vérifier qu’aucune technique suspectée n’est irrégulièrement mise en oeuvre à son égard et justifiant (hors requête en référé) réclamation préalable auprès de la CNCTR. Le Conseil d’Etat peut également être
saisi à titre préjudiciel par une juridiction administrative ou une autorité judiciaire
saisie d’une procédure ou d’un litige dont la solution dépend de l’examen de
la régularité d’une technique de recueil de renseignement.

L’Etat peut être condamné
Lorsque le Conseil d’Etat constate qu’une technique de recueil de renseignement est ou a été mise en oeuvre illégalement ou que des renseignements ont été conservés illégalement, elle peut annuler l’autorisation de mise en oeuvre et ordonner la destruction des renseignements collectés. Elle en informe alors le requérant ou la juridiction de renvoi et peut condamner l’Etat à indemniser le préjudice subi. Elle avise le procureur de la République si elle estime que l’illégalité constatée est susceptible de constituer une infraction. Le projet ne semble pas envisager un accès aux réclamations devant la CNCTR et aux recours devant le Conseil d’Etat au profit des opérateurs de communications électroniques et des fournisseurs de services en ligne concernés par les techniques mises en œuvres sur le territoire national, ce qu’il aurait pu prévoir dans le cadre de leur régime de responsabilité propre au titre de ce dispositif. @

Le lancement d’Apple Music pourrait-il être fatal à Spotify ?

Jamais deux sans trois. Après Ping et iTunes Radio, Apple refait une entrée sur le marché mondial déjà très encombré du streaming musical. Le suédois Spotify pourra-t-il résister à cette nouvelle offensive de la marque à la pomme ?

(Depuis la publication de cet article le 8 juin dans le n°125 de EM@, l’opérateur télécoms suédois TeliaSonera a acquis le 10 juin 1,4 % du capital de Spotify pour 115 millions de dollars, valorisant ce dernier 8,2 milliards de dollars.)

Daniel EkCréé en 2008 le Suédois Daniel Ek (photo), Spotify – pionnier du streaming musical – n’est toujours pas rentable : il accuse une perte de 162,3 millions d’euros en 2014, pour un chiffre d’affaires qui dépasse le milliard d’euros – 1,082 milliard précisément.
Pourtant, son catalogue est fourni : plus de 30 millions de titres musicaux. Et ses clients sont nombreux dans le monde (58 pays) : 60 millions d’utilisateurs à la fin de l’an dernier, dont un quart sont des abonnés.
Le plus dur est à venir pour Spotify qui s’est résolu à se diversifier dans la vidéo et les podcasts (1) pour essayer mieux tendre vers la rentabilité. Le lancement d’Apple Music va donner à Spotify du fil à retordre sur le marché du streaming musical déjà bien encombré. D’autant que plus de la moitié des utilisateurs de Spotify sont avec des terminaux sous iOS (iPhone, iPad, iPod) : selon un sondage réalisé par Midia Research, 62 % des abonnés américains actuellement abonnés à une plateforme musicale disent qu’ils changerait pour Apple Music une fois lancé. Inquiétant pour le pionnier.

Rumeur : Apple serait intéressé pour racheter Spotify !
Préoccupant aussi pour les challengers tels que le rappeur Jay-Z qui a lancé récemment sa plateforme de streaming Tidal Hifi après voir racheté en février dernier un autre suédois, Aspiro, pour 56 millions de dollars. Tidal se présente comme la plateforme des artistes pour les artistes, avec la volonté d’être une alternative aux offres musicales – de type Spotify ou Deezer – contrôlées par les majors du « disque ».
Spotify, qui reverse quand même 70 % de son chiffre d’affaires aux ayants droit (soit plus de 2 milliards de dollars depuis sa création il y a sept ans), a déjà été critiqué – voire boycotté – par des artistes tels que Thom Yorke (Radiohead) et Taylor Swift (star de la pop américaine) qui lui ont reproché de ne pas assez les rémunérer.
Apple va devoir aussi s’attaquer à la citadelle musicale de YouTube qui est en cheville avec Continuer la lecture

Les industriels financent la presse française, engagée dans une course à l’audience et à l’instantanéité

La presse française, cas unique dans le monde, est détenue en partie par des industriels. Sa course à l’audience sur Internet et à l’actualité instantanée nécessite des capitaux. Mais l’argent des Bernard Arnault, Bergé-Niel-Pigasse
et autres Patrick Drahi soulève des questions sur l’indépendance.

C’est la course à l’échalote. Les hommes de pouvoir et d’argent ont, depuis l’après-Seconde Guerre mondiale, trouvé dans la presse française leur « danseuse », à l’image de feu Marcel Dassault et son Jours de France dans les années 1950, suivi aujourd’hui de son fils Serge avec Le Figaro qu’il possède depuis dix ans (1).

Cumuler les titres et les audiences
Dernier rebondissement en date dans la presse « industrielle » : Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France et d’Europe, a confirmé – via son groupe LVMH, déjà propriétaire du quotidien Les Echos (racheté pour 240 millions d’euros en 2007) – être entré en négociations exclusives avec le groupe Amaury pour racheter Le Parisien et son édition nationale Aujourd’hui en France. Les discussions, portant sur un montant d’acquisition d’environ 50 millions d’euros, devraient aboutir en septembre ou octobre. Ce mouvement de concentration de la presse est aussi marqué par les investissements du milliardaire Patrick Drahi, propriétaire de Numericable-SFR via sa holding Altice :
il a sauvé l’été dernier Libération en en devenant coactionnaire après y avoir injecté
18 millions d’euros, suivis de 10 millions d’euros supplémentaires (2) ; il a en outre racheté en février dernier L’Express et l’Expansion au groupe belge Roularta (3). Ainsi est né Altice Media Group, qui intègre par ailleurs la chaîne d’information en continu israélienne i24 News. Auparavant, en janvier 2014, c’est Le Nouvel Observateur qui passait sous le contrôle du trio « BNP » – comprenez le milliardaire Pierre Bergé, l’industriel Xavier Niel (fondateur de Free et patron d’Iliad) et le banquier Matthieu Pigasse (banque Lazard). Ensemble, ils l’ont acheté 13,4 millions d’euros à son fondateur Claude Perdriel qui en conserve 35 %. Outre Le Nouvel Obs rebpatisé
depuis L’Obs, l’acquisition inclut le site de presse en ligne Rue89. Ces titres vont rejoindre ceux du groupe Le Monde (Le Monde, Télérama, Courrier International,
La Vie Catholique), que le trio « BNP » avait acquis en 2010 pour 100 millions d’euros. Le tout est placé au sein du nouveau groupe de presse « Le Monde Libre », lequel aura son futur siège près de la Gare d’Austerlitz à Paris : déménagements prévus au cours de l’été 2017. Citons encore le milliardaire François Pinault (fils de François-Henri) qui détient Le Point depuis 1997 via sa holding Artemis, ou encore le Crédit Mutuel qui possède le groupe de presse régional Ebra (L’Est Républicain, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Le Progrès, Le Dauphiné Libéré, …). Sans oublier Bernard Tapie qui est devenu le propriétaire de La Provence, rachetée en janvier 2014 à la famille Hersant, puis de Corse- Matin, tout en étant par ailleurs le soutien financier de la coopérative Nice-Matin. Le paysage « industriel » de la presse français ne serait pas quasi complet sans Valeurs Actuelles qui est passé depuis les années 1990 entre les mains du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, de l’industriel Serge Dassault (4) et de Pierre Fabre (du groupe pharmaceutique éponyme).

Le mouvement de concentration de la presse en France, sur fond de crise publicitaire historique et de concurrence de l’Internet, suscite ainsi – plus que jamais – l’appétit de milliardaires et d’industriels. Ces derniers sont en quête d’influence, tandis que les éditeurs sont en quête d’audience. Face à l’érosion de la diffusion du journal imprimé,
le numérique apparaît comme un relais de croissance : à la baisse du lectorat papier,
la course à l’audience en ligne. « Une combinaison du quotidien d’infos générales et
du journal de l’économie afficherait une diffusion d’environ 500.000 exemplaires et près de 10 millions de lecteurs numériques », a justifié Francis Morel, PDG du groupe Les Echos. LVMH va davantage sur le digital, notamment sur Le Parisien qui est en retard sur ce terrain-là (5). Comme milliardaires et industriels ne sont pas philanthropes, l’objectif de ces mouvements de concentrations est de constituer des groupes de médias de taille critique – tant papier que web – pour « vendre » aux annonceurs des audiences cumulées conséquentes. A l’heure de l’audience de masse sur Internet et de la publicité programmatique sur les sites web ou les mobiles en Real Time Bidding (6), l’agrégation des inventaires publicitaires est de mise. La concentration des titres peut aussi aboutir à la mutualisation des rédactions papier-web, afin de réduire les coûts.

Capitaux et conflits d’intérêt
Mais la digitalisation demande des capitaux, que les chiffres d’affaires des ventes,
des abonnements et de la publicité ne suffisent pas à fournir. Contrairement à la presse anglo-saxonne, le recours aux « business angels » industriels – avec le risque de conflits d’intérêts évidents – ne fait pas débat en France depuis bien longtemps… @

Charles de Laubier

Radio numérique terrestre (RNT) : la France osera-t-elle suivre l’exemple de la Norvège ?

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) va lancer une consultation publique pour recueillir les prises de position en vue des prochains appels à candidatures – prévus en septembre – pour l’extension de la RNT dans vingt villes – au-delà de Paris, Marseille et Nice déjà desservies depuis un an.

Après Paris, Marseille et Nice, la radio numérique terrestre (RNT) pourrait être étendue à vingt autres villes que sont Nantes, Lyon, Strasbourg et Lille, Béthune-Douai-Lens, Mulhouse, Metz, Valenciennes, Nancy, Bayonne, Le Havre, Grenoble, Brest, Bordeaux, Toulouse, Rennes, Clermont- Ferrand, Montpellier, Rouen et Toulon. Si l’appel à candidatures était bien lancé à partir de septembre prochain, les émissions pourraient démarrer alors en octobre 2016, selon le calendrier avancé par le CSA, le temps que les sociétés candidates sélectionnées s’installent sur leur multiplexe pour être diffusées.

Patrice Gélinet (CSA) y croit
Mais les oppositions sont nombreuses, à commencer par les grandes radios privées – RTL, Europe1/Lagardère Active, NRJ, BFM/ NextradioTV – qui ne croient pas du tout
à la RNT, lui préférant la radio sur IP (webradio). Réunis dans Le Bureau de la Radio, elles sont vent debout contre cette nouvelle technique numérique de radiodiffusion car, selon elles, non seulement les auditeurs ne seraient pas prêts à investir dans de nouveaux récepteurs, mais surtout la RNT n’aurait pas trouvé son modèle économique (1). « Surtout ne faisons rien ! Surtout ne modifions pas les équilibres financiers »,
a lancé Denis Olivennes, président du directoire de Lagardère Active, qui possède Europe 1, RFM et Virgin Radio, lors d’une table ronde organisée le 13 mai dernier
par la commission de la Culture, de l’Education et de la Communication du Sénat.
Et l’ancien haut fonctionnaire d’ajouter : « Patrice Gélinet se trompe complètement. Pourquoi, diable, se lancer dans ce projet ? Un produit numérique qui au bout de 20 ans a si peu de pénétration… Il faut s’interroger. N’ajoutons pas d’investissements inutiles. Nous commettrions une erreur sur cette technologie dépassée ». Car s’il y a bien quelqu’un au CSA qui croit dur comme fer à la RNT, c’est bien Patrice Gélinet (photo). Membre du collège du régulateur de l’audiovisuel depuis janvier 2011, ce dernier est un ardent défenseur de radio numérique par voie hertzienne : « Il n’est pas question de nier le succès d’Internet. Mais ce n’est qu’un moyen parmi d’autres pour écouter la radio. Si l’auditeur n’écoute pas la RNT, c’est tout simplement qu’elle existe seulement à Paris, Marseille et Nice. Et puis, il ignore jusqu’à l’existence même de la RNT », a-til regretté lors de la même table-ronde. Selon un sondage exclusif OpinionWay pour Raje, réseau de radios locales associatives, 45 % des Français ont entendu parler de la RNT et nombreux sont ceux qui comprennent son intérêt. Ce nouveau moyen de diffusion mériterait d’être promue par le gouvernement, ce qu’il ne fait pas, et de concerner aussi Radio France, ce qui n’est pas le cas (2). D’autant que le coût de diffusion en RNT est bien moindre que celui des grandes ondes et de la FM : 10.000 euros par an et par zone. Patrice Gélinet admet qu’elle progresse lentement en Europe, mais assure qu’elle commence à s’imposer. Ainsi, la Norvège vient de décider de basculer de l’analogique à la RNT en 2017. Le gouvernement norvégien a été convaincu par la qualité sonore, les coûts de transmission moins élevés et les nouvelles fonctionnalités du DAB+. D’ici deux ans, tous les Norvégiens auditeurs devront avoir changé de récepteur radio – au nombre de 8 millions, dont plus de la moitié sont déjà
à la norme DAB (Digital Audio Broadcasting). Ce sera une première en Europe (3). D’autres pays en Europe et dans le reste du monde pourraient suivre la Norvège sur laquelle tous les regards radiophoniques se portent. Le Royaume-Uni, qui a lui aussi lancé la RNT il y a 20 ans et où près des deux tiers des véhicules neufs intègrent le DAB+ en standard, pourrait à son tour renoncer à la bande FM. Cela pourrait aussi être le cas du Danemark (où 26 % de l’écoute radio est déjà numérique), de la Suède, de la Suisse ou encore de la Corée du Sud. Et pourquoi pas la France ?

Voie de retour en vue
Le WorldDMB, organisation qui fait la promotion au niveau mondial de la RNT, en vante la technologie et l’écosystème jusque dans l’automobile. Surtout que la technologie DAB devrait s’enrichir d’ici à cinq ans d’une voie de retour pour permettre l’interactivité par voie hertzienne en mode IP. De quoi être à terme une sérieuse alternative à la radio sur Internet. « Il ne faut pas jouer les apprentis sorciers en disant qu’en deux ans ou cinq ans, la France va faire comme la Norvège, alors que cela lui a pris vingt ans pour en arriver là », nuance Xavier Filliol, co-organisateur des Rencontres Radio 2.0 consacrées à l’avenir de ce média. Raison de plus pour ne pas tarder… @

Charles de Laubier