Dette, fiscalité, nationalité, … : l’image floue de Patrick Drahi, bientôt n°2 des télécoms en France

C’est un milliardaire franco-israélien discret mais aussi l’entrepreneur le plus endetté du moment. Patrick Drahi n’attend plus que le feu vert de l’Autorité de la concurrence, d’ici la fin de l’année, pour fusionner SFR et Numericable sous sa holding financière Altice, basée au Luxembourg. Mais des questions se posent.

Par Charles de Laubier

Patrick DrahiCela fait maintenant trois mois que Vivendi a accepté l’offre du câblo-opérateur Numericable français et de sa maison mère luxembourgeoise Altice, afin d’acquérir SFR pour 13,5 milliards d’euros cash, auxquels pourront s’ajouter 750 millions d’euros. L’opération, dont « l’accord définitif » a été signé le 20 juin dernier, devrait aboutir fin 2014 ou début 2015, une fois que l’Autorité de
la concurrence aura donné son feu vert.
Un lien entre le cédant et l’acquéreur sera maintenu car le groupe Vivendi, désormais présidé par Vincent Bolloré, recevra une participation de 20 % dans le futur nouvel ensemble SFR/Numericable que dirigera Patrick Drahi (photo).
Ce dernier, discret milliardaire franco-israélien né au Maroc il y aura 51 ans au mois d’août et polytechnicien ingénieur télécom passionné, s’est retrouvé en quelques mois sous le feu des projecteurs.

Pris les pieds dans le câble en France depuis 20 ans
Ce financier autodidacte doit encore lever des milliards – via sa holding Altice et sa filiale Numericable – pour être en mesure de finaliser l’acquisition de SFR, qui demeure pour quelques mois encore la filiale télécoms de Vivendi.
Pour payer une partie de la note salée, 12 milliards d’euros ont été levés en avril à travers des emprunts obligataires. Plus récemment, fin juin, Altice a levé près de 1milliard d’euros dans le cadre d’une augmentation de capital. Cette opération permettra à la holding de Patrick Drahi de monter à près de 75 % dans Numericable
(1) – contre 40 % auparavant – et de réduire sa dette nette.
Altice a prévu de s’endetter à hauteur de 3 milliards d’euros. Numericable, qui doit ensuite boucler le financement de l’acquisition de SFR par un emprunt et une augmentation de capital pour un montant total de 4,7 milliards d’euros, rachète en outre Virgin Mobile pour 325 millions d’euros. Ainsi jongle Patrick Drahi avec l’argent, alors que rien ne prédisposait cet X-Télécom à jouer le financier de haute voltige. Le virus
l’a pris il y a vingt ans lorsqu’il s’est lancé dans le câble en France en créant, dans le Vaucluse, Sud Câble Services, qui sera ensuite racheté par le câblo-opérateur américain InterComm. L’année suivante, en 1995, il crée Media-réseaux à Marne-la-Vallée, dans lequel il convaincra la société américaine UPC d’y investir, tout en conservant 0,4 % du capital.

Mal vu par Arnaud Montebourg
Puis c’est en 1999 qu’il débute sa carrière chez UPC, en s’installant à Genève –
« à la demande de son employeur », affirmera-t-il. Il rachètera en France une première brochette de câblo-opérateurs : RCF, Time Warner Cable, Rhône Vision câble, Videopole et InterComm France. En 2001, il revend ses parts UPC et crée en mai 2001 son fonds d’investissement, Altice, qui avalera une deuxième série d’opérateurs de câble français : Est Vidéocommunication, Numericable, Noos, France Télécom Câble, TDF Câble et UPC France (2). Ainsi est né le nouveau Numericable, un monopole du câble coaxial, qui réussira avec la norme Docsis à faire passer son réseau pour de la fibre à domicile de type FTTH (3). Tandis que la Commission européenne soupçonne depuis un an Numericable d’avoir bénéficier d’aides d’Etat de la part de 33 municipalités qui lui ont cédé gracieusement leur réseaux câblés entre 2003 et 2006.

Et en 2014, malgré les réticences du gouvernement, Patrick Drahi convainc Vivendi de lui racheter SFR au nez et à la barbe de Bouygues qui avait pourtant la préférence du ministre du Redressement productif. Arnaud Montebourg ira jusqu’à lancer sur Europe 1, quelques heures avant que Vivendi n’officialise Altice comme repreneur de SFR (4) : « Il y a un problème fiscal puisque Numericable a une holding au Luxembourg ; son entreprise est cotée à la Bourse d’Amsterdam ; sa participation personnelle est à Guernesey dans un paradis fiscal de Sa Majesté la Reine d’Angleterre ; et que lui-même est résident suisse. Il va falloir que M. Drahi rapatrie l’ensemble de ses possessions et biens à Paris, en France » ! Et dans la soirée, après que Vivendi ait officialisé son choix, le ministre enfonçait le clou sur France 2 : « Il va falloir qu’il fasse preuve de patriotisme fiscal »…

Tant qu’à faire, le ministre du « Made in France » aurait pu évoquer le fait que Patrick Drahi a tenté en 2013 de renoncer à sa nationalité française, comme l’a révélé le 13 mars dernier Challenges, le magazine n’ayant pas pu intégrer le milliardaire du câble dans son « Top 500 » des plus grandes fortunes de France. « Patrick Drahi n’est plus Français », avait justifié son avocat Alexandre Marque (cabinet Franklin), mais l’entourage de l’intéressé explique aujourd’hui le contraire. Arnaud Montebourg n’est pas loin de penser, comme Xavier Niel, que Patrick Drahi est un évadé fiscal. « Patrick Drahi devrait redevenir résident fiscal français. Je trouverais cela très sympathique, mais en a-t-il l’intention ? », avait déclaré aux Echos le patron du groupe Iliad-Free. Quelques jours plus tard, Patrick Drahi réplique : « J’ai ma famille en Suisse. Je n’ai pas prévu de faire rentrer ma famille en France ». Mais le roi du câble n’en aurait pas fini avec le fisc français puisque, selon BFM Business, Bercy aurait diligenté une enquête sur sa situation et sa résidence fiscales…

Les interrogations du gouvernement se portent aussi sur le risque de surendettement du tandem Altice- Numericable. Le rachat de SFR se fait essentiellement par la dette. C’est un levier que Patrick Drahi connaît bien, pour avoir financé ainsi ses acquisitions successives. Numericable fut le plus gros LBO (5) de France. Cette technique financière de rachat d’entreprise par endettement ne semble pas avoir de limite pour
ce fils de professeurs de mathématiques et matheux lui-même.
Au 31 mars, le groupe Numericable affiche une dette nette de plus de 2,5 milliards d’euros qui doit être progressivement remboursée d’ici à février 2019. Quoi qu’il en soit (6), Arnaud Montebourg s’inquiète de voir « une entreprise de 5 milliards qui s’endette
à hauteur de 10 milliards pour acheter plus gros que lui ». Le ministre craint « le surendettement, c’est-à-dire ce qu’on appelle les LBO : vous achetez à crédit, et si le marché se retourne (…) ce sont ensuite les entreprises qui tombent et licencient leur personnel » (7). Autrement dit, Patrick Drahi aurait les yeux plus gros que le ventre.

Mais une autre question taraude : comment ce virtuose de la dette a-t-il pu convaincre Jean-René Fourtou, alors président du conseil de surveillance de Vivendi, et son successeur d’aujourd’hui Vincent Bolloré, que son offre était la meilleure par rapport
à celle de Martin Bouygues, pourtant soutenu par le gouvernement ? Mediapart a avancé le 17 mars la thèse du « petits arrangements entre amis » où deux autres administrateurs de Vivendi – Jean-François Dubos (alors président du directoire de Vivendi) et Alexandre de Juniac (actuel PDG d’Air France- KLM) – se seraient vu promettre un poste d’administrateur au sein de la future entité SFR-Numericable. Tandis que Jean-René Fourtou pourrait en prendre la présidence… Ce que Patrick Drahi s’est empressé de démentir. Reste que l’image du nouveau numéro 2 des télécoms en France – suspecté d’évasion fiscale, de surendettement et d’affairisme – apparaît pour le moins floue.

Il lui reste à avoir « bonne presse »
Est-ce pour avoir « meilleure presse » dans l’Hexagone que la 119e plus grande fortune mondiale (au patrimoine estimé à 10,9 milliards de dollars) a décidé de voler au secours de Libération – dont il détiendra 50 % moyennant 18 millions d’euros ? Est-ce pour se rappeler au bon souvenir de ses camarades de promotion à l’école Télécom ParisTech qu’il a consenti 10 millions d’euros à l’Institut Mines-Télécom ? A suivre… @

Bruno Lasserre n’est pas contre un retour à un triopole, pourvu qu’il y ait « un Maverick de type Free »

Nommé il y a dix ans par décret du président de la République à la tête de ce qui s’appelait encore le Conseil de la concurrence, et entamant un nouveau mandat de cinq ans, Bruno Lasserre n’est pas hostile à un retour au triopole, à condition que Free – alias « Maverick » – empêche ou limite la hausse des prix.

Bruno Lasserre« Lorsque le Maverick [comprenez un franctireur ou un original à l’esprit libre et nonconformiste, ndlr] est un opérateur indépendant de type Free, on voit que le niveau des prix dépend beaucoup de la présence de Maverick – des gens qui ont faim et qui vont gagner coûte que coûte des parts de marché en pratiquant des prix agressifs », a expliqué le président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre (photo), devant l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF) le 11 juin dernier.
S’il refuse de se prononcer publiquement sur les hypothèses de consolidation du marché français des télécoms – Orange- Bouygues Telecom ou SFR/Numericable-Bouygues Telecom –, il donne pourtant bien volontiers son avis à chacun des dirigeants concernés qui le lui ont déjà demandé et le sollicitent encore.

« Le passage de quatre à trois opérateurs mobiles est inéluctable. (…) Le retour à trois opérateurs ne fait pas disparaître la concurrence, surtout si Free – “le Maverick,
le vilain petit canard” – se maintient ». Arnaud Montebourg, ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique, qui a tenu ce propos lors de la conférence « Telco & Digital » des Echos le 12 juin 2014,
est sur la même longueur d’ondes que Bruno Lasserre

Pour « le risque de l’innovation et la bataille des prix »
« Je reçois des visites (…). Quand Bouygues a proposé de racheter SFR, ils sont tous venus me voir. Quand Orange a envisagé le rachat de Bouygues Telecom, évidemment que Stéphane Richard [PDG d’Orange] est venu me voir ; Martin Bouygues est venu me voir. De même qu’Iliad est venu me voir aussi. Je ne leur ai pas donné un avis mais un sentiment et une cartographie des risques », a-t-il admis.
Bruno Lasserre les a sûrement déjà prévenus de son attachement à ce Maverick, alias Free, pour préserver aujourd’hui le jeu de la concurrence, comme l’avait fait Bouygues Telecom créé il y a vingt ans. « Méfions-nous des chiffres magiques : oui, quatre opérateur c’est mieux dans l’absolu que trois. Mais l’important est la qualité et les incitations des acteurs, et notamment la présence sur le marché d’un Maverick capable de soutenir sur le long terme la dynamique concurrentielle et de ne pas préférer le confort de la rente au risque de l’innovation et de la bataille des prix. C’est primordial », a-t-il en tout cas insisté devant l’AJEF. Une chose est sûr : si Bruno Lasserre n’exclut pas un retour au triopole mobile, près de trente mois seulement après le passage à quatre opérateurs grâce au lancement de Free Mobile en janvier 2012, il reste opposé à tout retour au duopole. Quelles que soient les opérations de concentration qui lui seront soumises, un « Maverick de type Free » devra être préservé.

Eviter à tout prix un duopole
C’est ce qu’il a déjà eu l’occasion de dire en novembre 2012 lorsque Xavier Niel et Jean-René Fourtou sont chacun venu le voir pour lui demander ce qu’il pensait du projet de Free de s’emparer de SFR. « Moi, j’ai dit “Non” à une hypothèse qui m’avait été soumise informellement. C’est le rapprochement Free-SFR. Là, j’ai dit que cela ne me paraissait pas présentable, non pas tellement parce que le pouvoir de marché réuni par ces deux entreprises aurait été excessif, mais parce que j’étais convaincu que cette opération de passage à trois préfigurait une autre opération beaucoup plus problématique de passage
à deux opérateurs : en réalité, derrière cette opération [Free-SFR], ce n’était pas un passage à trois mais à un duopole parce que Bouygues Telecom n’aurait jamais résisté
à cette configuration, aussi bien sur le fixe que sur le mobile. J’ai donc dit qu’un duopole était non présentable. (…) Mais je ne l’ai pas dit publiquement », a-t-il pour la première
fois relaté. Il l’a même redit en début d’année à Xavier Niel qui a songé une nouvelle fois
à un rapprochement entre Free et SFR, avant que ce dernier ne soit racheté par Altice-Numericable. « L’Autorité de la concurrence nous a dit en privé en novembre 2012 et l’a redit il y a quelques jours que ce n’était pas possible. Si nous rachetions SFR, c’était la disparition de Bouygues Telecom », avait en effet relaté Xavier Niel le 10 mars dernier
(lire EM@98, p. 2).
Dix-huit ans après l’invention par Bouygues Telecom du forfait mobile et douze ans après l’invention par Free du forfait triple play (à 29,99 euros), Bruno Lasserre entend bien garder un « troublion » des télécoms en France, lui qui fut directeur général des PTT
dans les années 1990 et qui a « brisé le monopole » (comme il le dit) de France Télécom et SFR à l’époque. « J’ai connu beaucoup de résistance », a-t-il rappelé.
Avec le nouveau Mercato des télécoms en marche en France, où il est devenu incontournable, cet énarque – qui a fêté ses 60 ans en janvier – prend aussi une revanche sur le passé : il se voyait déjà en 1997 président de l’Autorité de régulation des télécommunications (ART, devenue l’Arcep) qu’il avait contribué à créer. Mais il en fut écarté au profit de Jean-Michel Hubert.
Au cœur des tractations télécoms aujourd’hui, Bruno Lasserre se défend cependant de donner des « avis » mais plutôt un « sentiment ». « J’estime que je n’ai pas à être le faiseur de roi, ni à dire comme le paysagiste : “Là il faut planter un saule ou là un chêne”. Nous sommes les jardiniers et nous veillons à ce qu’un arbre n’étouffe pas les autres. Dans une économie de marché, les acteurs décident eux-mêmes de leur stratégie »,
a-t-il assuré. Le président de l’Autorité de la concurrence reste néanmoins un « jardinier » qui refuse le retour à un duopole de type « saule-chêne » ! Et lorsque le ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique, Arnaud Montebourg, milite pour un retour à trois opérateurs mobile au lieu de quatre, il n’y trouve rien à redire et ne voit pas cela comme un retour en arrière.
Faut-il alors voir la création de Free Mobile il y a deux ans et demi comme une erreur ?
« Non. Je ne crois qu’il faille voir ça comme un échec. La concurrence est un procédé disruptif, qui crée du désordre et qui redistribue les forces. Et il faut admettre cela. (…) Oui, il faut clairement envisager aujourd’hui le marché des télécoms à un tournant », a-t-il estimé. Et d’ajouter : « Je ne me prononce pas sur le point de savoir si une consolidation est désirable ou pas. Est-ce qu’elle est devenue inévitable ? C’est peut-être là aujourd’hui la question ». Bruno Lasserre ne pense pas pour autant qu’il y ait en France comme dans le monde un chiffre magique et que la concurrence serait une question de nombre d’opérateurs télécoms. « C’est une question de qualité et d’incitation des acteurs. Dans certains pays, le niveau des prix est plus bas à trois qu’à quatre opérateurs », a-t-il assuré.
Quoi qu’il en soit, le président préfèrerait un retour à trois par opération de rachat qu’il serait amené à examiner, plutôt que l’éviction d’un passage à trois par l’éviction du quatrième opérateur, Bouygues Telecom par exemple. « Il y a clairement un choix qu’il faut regarder en face. Comment faire en sorte que le marché ne parte pas en vrille », s’est-il inquiété.
Mais le plus dure reste à venir pour l’Autorité de la concurrence : comment être sûr que le « Maverick de type Free » puisse continuer à jouer l’aiguillon ou le lièvre sur un marché menacé quoi qu’il en soit de basculer à terme sous le joue d’un duopole ? Après avoir négocié en vain en avril la reprise du réseau mobile de Bouygues Telecom, Free se retrouve isolé face à des « opérateurs historiques ».

Le « Maverick » résistera-t-il ?
Pour Xavier Niel, le duopole existe déjà dans les faits. « Si Altice rachetait SFR,
avait-il prévenu dès le 10 mars dernier, on se retrouverait dans un scénario dans
lequel Numericable, SFR et Bouygues Telecom – grâce à l’accord de mutualisation
entre les deux derniers – feraient une seule et même entité » (lire EM@100, p. 3).
Reste donc à savoir si Iliad-Free aura les reins assez solides pour combattre une
hydre à deux têtes… @

Charles de Laubier

Neutralité du Net : les Etats-Unis et l’Europe divergent sur l’obligation de non-discrimination

Le Parlement européen a adopté le 3 avril sa position sur le nouveau règlement du marché unique des télécoms, lequel inquiète les défenseurs de la neutralité du Net menacé d’être à deux vitesses. Pourtant, l’Europe va plus loin que les Etats-Unis dans l’obligation de non-discrimination.

Par Winston Maxwell, cabinet Hogan Lovells, et Nicolas Curien, membre de l’Académie des technologies

Winston Maxwell et Nicolas CurienLa cour fédérale de Washington, DC – dans sa décision datée du 14 janvier 2014 – a annulé en partie le règlement de la Federal Communications Commission (FCC) en matière de neutralité d’Internet. Les motifs de l’annulation concernent surtout l’incohérence dans le raisonnement de la FCC par rapport à ses propres décisions antérieures.
La cour a estimé que la Commission fédérale des communications des Etats-Unis
ne pouvait pas à la fois dire que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ne sont pas considérés comme des « common carriers » en droit américain, et en même temps imposer à ces FAI des obligations caractéristiques d’un common carrier.

Réglementer la gestion de trafic du Net
Le concept de common carrier correspond approximativement au concept de service public en France (1). Aux Etats-Unis, les services de télécommunications de base, et notamment les services téléphoniques, sont classifiés comme services common carrier.
Lors de l’émergence de l’Internet, la FCC s’est bien gardée de donner une classification
à ce nouveau service, par crainte de freiner l’innovation.
Ainsi, elle a indiqué à plusieurs reprises que les services d’accès à Internet n’étaient surtout pas des services common carrier. Le problème est que dans sa décision sur
la neutralité d’Internet, la FCC a imposé aux FAI une obligation de non-discrimination similaire à l’obligation qui pèse sur les common carrier.
La FCC a estimé que ce n’était pas un problème, car elle avait la flexibilité pour imposer cette obligation au titre d’une autre disposition de la loi américaine, le Telecommunications Act de 1996, et qu’il n’y avait donc aucune contradiction pour dire à la fois qu’un FAI n’est pas un common carrier, et imposer une obligation de non-discrimination. La cour fédérale n’a pas été de cet avis. Selon elle, la FCC est libre de changer sa doctrine, par exemple en indiquant que compte tenu des changements intervenus depuis ses premières décisions, il convenait maintenant de caractériser les FAI comme des common carriers et les réguler en tant que tels. La FCC pouvait aussi expliquer pourquoi une autre disposition de la loi – l’article 706 – pouvait justifier une obligation de non-discrimination. En l’espèce, le raisonnement fourni par la FCC n’était pas suffisant pour compenser l’apparente contradiction dans son raisonnement.
Sur le fond, la cour ne critique pas l’opportunité des règles de neutralité. Elle approuve d’ailleurs les dispositions du règlement de la FCC qui traite de la transparence en matière de gestion du trafic. La cour estime que la FCC a suffisamment démontré le besoin d’adopter une régulation de ce type afin de préserver l’écosystème de l’Internet. Un juge de la cour a écrit un avis discordant. Il est d’accord pour dire que la FCC a commis une erreur manifeste en imposant des obligations de non-discrimination, tout en soutenant que les FAI ne sont pas des common carriers. Mais en plus, ce juge estime que la FCC n’a pas suffisamment montré la nécessité de réguler la neutralité d’Internet. Il adopte une approche plus économique : selon lui, l’obligation de non-discrimination est l’équivalent d’une régulation des prix qui ne serait justifiée qu’en présence d’un opérateur puissant sur le marché. Or, la FCC n’a jamais essayé de démontrer que les FAI en question disposaient d’une puissance de marché. De plus,
la Commission fédérale des communications n’a même pas tenté de définir le marché pertinent. En théorie, si le marché est concurrentiel, les clients finaux changeront d’opérateur si la qualité de service n’est pas suffisante. En théorie donc, si un FAI bloque ou ralentit certains contenus, les forces de la concurrence sanctionneront l’opérateur pour cette mauvaise conduite. Nul besoin de réguler dans ce cas.

Mobile aux US : la concurrence suffit
La FCC applique implicitement cet argument puisqu’elle n’a pas imposé une obligation de non-discrimination aux opérateurs mobiles américains, ce marché étant plus concurrentiel selon elle. Même dans un marché comportant plusieurs FAI concurrents,
il peut exister des freins au changement, réduisant de fait le choix des consommateurs. Ces freins doivent être étudiés, et éliminés si possible afin que la concurrence puisse jouer son rôle de régulateur. Si le marché n’est pas concurrentiel, l’opérateur disposera dans ce cas d’une puissance sur le marché qui justifierait la mise en place d’une régulation ex ante. Cependant, le juge discordant estime que la FCC n’a pas essayé de traiter le problème de puissance sur le marché de manière sérieuse et s’est contentée d’affirmer que, dans certaines parties des Etats-Unis, les consommateurs avaient peu de choix en matière de FAI.
Et qu’en plus, il existait des freins au changement. Selon ce juge, il aurait fallu examiner s’il existe une puissance sur le marché qui justifierait l’imposition d’une obligation de non-discrimination.

Réguler ou pas : le cas Cogent-Orange
L’avis discordant du juge a mis à nu quelques-uns des débats de fond sur l’opportunité de réguler les relations économiques entre les FAI, d’un côté, et les fournisseurs de contenus et d’applications en amont, de l’autre. Cela nous oblige à demander exactement pourquoi une régulation est nécessaire. Est-ce que c’est parce que les FAI disposent d’une puissance sur le marché ? Si c’est le cas, de quel marché parle-t-on exactement ?
Et pourquoi le droit de la concurrence ne serait-t-il pas suffisant pour traiter la question ? La Cour d’appel de Paris, qui a examiné l’an dernier la question du marché pertinent dans l’affaire France Télécom contre Cogent, a estimé dans son arrêt (3) du 19 décembre 2013 qu’une connexion directe en peering avec France Télécom n’était pas une infrastructure essentielle, puisqu’il existait d’autres moyens commerciaux, via d’autres prestataires, pour atteindre les abonnés de France Télécom. De plus, la cour parisienne a conclu que même si France Télécom occupait une position dominante, elle n’avait commis aucun abus en appliquant une politique de peering payante à l’égard de Cogent, puisque cette politique n’était pas discriminatoire.
Un autre argument sérieux pour une régulation de la neutralité de l’Internet concerne les dommages collatéraux que des accords commerciaux pourraient provoquer pour l’écosystème d’Internet dans son ensemble (4). En termes économiques, il s’agirait
d’« externalités négatives », à savoir des coûts pour l’écosystème d’Internet qui ne
sont pas supportés par les parties contractantes. Cet argument s’appuie sur le principe qu’Internet est un bien public, comme un parc public. Si les acteurs sont entièrement libres de conclure des accords commerciaux concernant la gestion des ressources dans le parc, chacun agira dans son intérêt propre, et l’ensemble de ces activités
« égoïstes » finira par détruire le parc. Il s’agit de la « tragedy of commons ». Ce point
a récemment été souligné dans un blog (5) par Reed Hastings, CEO de Netflix.
La majorité de la cour fédérale estime que la FCC a démontré l’existence de ces externalités et que cela constituait une justification de plus pour une intervention règlementaire. Le juge discordant n’est pas de cet avis. Là encore, il estime que la FCC
a seulement mentionné qu’il pouvait exister ce genre de dommage collatéral pour l’écosystème d’Internet, mais que l’agence n’a fait aucune démonstration sérieuse
pour étayer cette thèse. @

FOCUS

Futur règlement européen : plus loin que la FCC ?
La nouvelle proposition de règlement européen « Marché unique européen des télécommunications », qui a été adoptée par le Parlement européen le 3 avril en première lecture et qui doit encore être examinée par le Conseil de l’Union européenne (6), impose une obligation de non-discrimination – pas de blocages ni de ralentissements de services Internet, sauf « cas exceptionnels » – sur l’ensemble des fournisseurs d’accès à Internet (FAI). Elle va même plus loin que le règlement de la FCC car l’obligation s’appliquerait même aux opérateurs mobiles. Dans la philosophie de régulation européenne, le remède de nondiscrimination est normalement réservé aux opérateurs économiquement puissants. Cette approche traditionnelle rejoint l’approche discordante du juge fédéral (lire ci-dessus). Dans sa proposition, la Commission européenne ne s’attarde pas sur cette question. Elle cite une étude du BEREC (7) sur les pratiques des FAI et la divergence dans les approches européennes, pour démontrer la nécessité d’une nouvelle réglementation. Cependant, les questions de fond soulevées par les juges américains dans la décision Verizon contre la FCC ne sont pas traitées, même dans l’étude d’impact. Les défenseurs de la neutralité du Net attaquent les dispositions du règlement européen en ce qui concerne les « services spécialisés » (VOD, cloud, …), lesquels échappent aux règles sur la neutralité. Ils plaident pour l’existence « d’un seul Internet ». Les opposants au texte de la Commission européenne souhaitent également éliminer la possibilité pour les FAI d’effectuer des mesures de filtrage, notamment à l’égard des sites de téléchargement illégaux.
Le souvenir de l’accord ACTA(3) et celui des vifs débats à propos du dispositif Hadopi en France sont encore frais dans les mémoires. @

Après leur « coup de foudre », Xavier et Martin vont-ils faire dans le « Je t’aime… moi non plus » ?

Alors que Vivendi est en négociations exclusives jusqu’au 4 avril avec Altice-Numericable pour lui vendre SFR, Bouygues a relevé son offre sur ce dernier
le 20 mars en rappelant l’accord signé avec Free le 9 mars. Grâce à Xavier Niel, Martin Bouygues espère l’emporter. Sinon, seraient-ils capables de faire un mariage de raison ?

Par Charles de Laubier

Xavier Niel et Martin BouyguesXavier Niel et Martin Bouygues (photo) ont eu début mars un « coup de foudre », alors qu’ils étaient auparavant des ennemis jurés. Mais les deux milliardaires des télécoms se retrouvent Gros-Jean comme devant, depuis que Vivendi a préféré Altice – maison mère de Numericable – comme repreneur potentiel de sa filiale SFR. Du coup, le « petit poucet » (Bouygues Telecom) et le « trublion » (Free) se retrouvent isolés chacun
de leur côté face à ce qui deviendrait un duopole dominant sur le marché français des télécoms : Orange et Numericable-SFR.
A moins qu’en relevant son offre sur SFR à 13,15 milliards d’euros, Bouygues ne réussisse à convaincre Vivendi. C’est ce qui pourrait lui arriver de mieux… Car difficile, face à un Numericable-SFR, d’imaginer que Xavier Niel et Martin Bouygues, aux personnalités antinomiques et aux relations épidermiques, puissent enterrer la hache
de guerre et faire leur vie ensemble, même dans le cadre d’un mariage de raison.

Querelles du « coucou » et du « parasite »
Rappelons que les deux protagonistes ont encore croisé le fer pas plus tard qu’en février dernier : Bouygues Telecom a en effet lancé un pavé dans la marre avec une offre triple play à 19,99 euros par mois. « Dans l’Internet fixe, la fête est finie. Nous allons faire faire 150 euros d’économie par an aux abonnés du fixe qui choisiront ce service, ce qui fait une économie de 12,5 euros par mois. Qui dit mieux ? Que Xavier Niel fasse la même chose s’il en est capable ! », avait prévenu Martin Bouygues dès le mois de décembre.
Une véritable déclaration de guerre au patron de Free (1). Bouygues Telecom, déjà mis à mal depuis l’arrivée de Free Mobile début 2012, n’avait pas supporté que ce dernier se mettent à offrir à partir de Noël la 4G sans augmentation de ses forfaits mobiles. Mais Iliad a aussitôt répliqué en lançant sous la marque Alice une offre triple play à… 19,98 euros par mois, soit un centime de moins que l’offre de Bouygues Telecom !

Querelles du « coucou » et du « parasite »
Le patron du groupe Bouygues ne supporte pas non plus l’arrogance de Xavier Niel qui déclarait en décembre dans Le Journal du Dimanche : « J’admire rarement les héritiers, mais Martin Bouygues a souvent un vrai bon sens paysan et c’est un très bon dirigeant. Mais il fait un travail de lobbying exceptionnel, n’hésitant pas à utiliser le 20 Heures sur TF1 comme un outil [de communication en faveur de Bouygues Telecom]. Sur ce point,
j’ai bien évidemment une conception différente de la liberté de la presse… ». Et de traiter au passage ses concurrents avec une certaine insolence qui se le dispute au mépris : « Ils étaient très riches, ils le sont un tout petit peu moins. J’ai beaucoup de peine pour eux, je vais pleurer » (2). Ce que Martin Bouygues n’avait pas apprécié du tout. La réponse du berger à la bergère ne s’était pas faite attendre, toujours courant décembre, avec ce sens de l’à-propos : « S’agissant de TF1, il cherche à me diffamer. En 26 ans, jamais le CSA ne m’a fait de tels reproches. Ce n’est pas moi, mais Xavier Niel qui dit ‘’quand les journalistes m’emmerdent je prends une participation dans leur canard et après ils me foutent la paix’’. (…) Il n’a aucune leçon de liberté de la presse
à donner à qui que ce soit ». Les relations houleuses entre Xavier Niel et Martin Bouygues ne datent pas d’hier. En mars 2012, après le lancement de Free Mobile, le patron du groupe de BTP affirme que « Free fait le coucou sur le réseau d’Orange ». Le sang de Xavier Niel ne fait qu’un tour et poursuit même le journal ayant laissé dire cela pour diffamation (3). Il faut dire que Martin Bouygues avait fait des pieds et des mains – notamment du temps de son ami Nicolas Sarkozy, alors chef de l’Etat – pour empêcher l’arrivée d’un quatrième opérateur mobile en France. Depuis les deux rivaux n’ont eu de cesse d’avoir régulièrement des prises de becs, allant jusqu’à être chacun condamné le 22 février 2013 par le tribunal de commerce de Paris pour « dénigrement et concurrence déloyale ». Xavier Niel, qui aurait fait appel, avait été « violent et injurieux ». Free a été condamné à verser 25 millions d’euros de dommages et intérêts à Bouygues Telecom et à payer 100.000 euros d’astreinte pour chaque allégation de type « pigeons » et « vaches à lait » pour qualifier les clients des opérateurs télécoms concurrents, ainsi que « arnaque », « racket » et « escroquerie ». Quant à Bouygues Télécom, il a été condamné à 5 millions d’euros pour avoir notamment traité Free de
« coucou » n’ayant pas son propre réseau. Le quatrième opérateur mobile bénéficie jusqu’en 2018 d’un accord d’itinérance avec Orange dans la 2G et la 3G. Les deux petits derniers du marché français avaient déjà ferraillé en justice fin 2010 lorsque Martin Bouygues avait attaqué, toujours devant le tribunal de commerce de Paris, Xavier Niel pour propos injurieux tenus sur BFM TV : « Malheureusement, nos concurrents ne sont pas capables d’inventer. (…) Je qualifie ces acteurs de parasites » ! Le patron de Free n’avait jamais apprécié que Martin Bouygues déclare dès décembre 2008 : « Déployer un réseau 3G pour 1 milliard d’euros, comme l’affirme Free, me paraît impossible, sauf à faire le coucou sur le réseau des opérateurs en place » (4). Cela s’était terminé en août 2011 par une condamnation des deux à se verser chacun
1 euro de dommages et intérêts… Après avoir fragilisé Bouygues Telecom en lançant Free Mobile début 2012, Iliad aurait bien souhaité la mort de Bouygues Telecom en songeant à s’emparer de SFR mis en vente par Vivendi. Mais le « trublion » en a été dissuadé.
« L’Autorité de la concurrence nous a dit en privé en novembre 2012 et l’a redit il y a quelques jours que ce n’était pas possible. Si nous rachetions SFR, c’était la disparition de Bouygues Telecom », a relaté Xavier Niel le 10 mars dernier.

Difficile dans ces conditions, après ces passes d’armes et ces noms d’oiseaux, de croire que le « coup de foudre » de début mars soit sincère. En fait, Xavier Niel et Martin Bouygues sont tombés sous le charme par conseils interposés ! « Maxime [Lombardini, directeur général d’Iliad] a passé un coup de fil à un avocat et cela a déclenché un certain nombre de choses… », a relaté Xavier Niel, lors de la présentation des résultats annuels du groupe Iliad. Maintenant que Bouygues Telecom n’a plus de raison de vendre son réseau mobile et ses fréquences à Free, ce dernier
se retrouve le plus isolé. « Si Altice rachetait SFR, on se retrouverait dans un scénario dans lequel Numericable, SFR et Bouygues Telecom – grâce à l’accord de mutualisation entre les deux derniers – feraient une seule et même entité », avait mis en garde Xavier Niel. C’est en effet le 28 février que SFR et Bouygues Telecom avaient annoncé un accord de mutualisation d’une partie de leurs réseaux mobiles via la création d’une co-entreprise, afin de couvrir ensemble 57 % de la population française d’ici 2017.

Quatre opérateurs mobile : un de trop ?
Que Vivendi décide dans quelques jours de céder SFR à Altice-Numericable ou d’introduire SFR en Bourse, le résultat pour Martin Bouygues et Xavier Niel sera le même : il y aura toujours quatre opérateurs mobile en France. « Et au final, soit Free soit Bouygues, sera à ramasser à la petite cuillère avec des milliers d’emplois perdus »,
selon les propos d’Arnaud Montebourg dans Le Parisien dès le 9 mars. A moins que le coup de poker de Martin Bouygues, associé à la Caisse des dépôts (lire p. 3), JCDecaux et Pinault, sur fond d’accord avec Free, ne rafle la mise… @

Charles de Laubier

Jean-Yves Charlier, SFR : « A quoi servent les réseaux très haut débit s’il n’y pas de nouveaux contenus et applications ? »

PDG de SFR depuis août dernier, Jean-Yves Charlier estime que la filiale télécoms de Vivendi, bientôt séparée du groupe, ne doit plus se contenter de déployer de la 4G et de la fibre. L’opérateur doit aussi faire le pari de proposer des contenus et services en « extra » : VOD avec Canal+, musique avec Napster ou encore TV avec Google.

Par Charles de Laubier

Jean-Yves Charlier siteA la question de savoir si SFR pourrait prendre des participations, notamment minoritaires, dans des fournisseurs de contenus, comme l’a fait par exemple Orange dans Deezer, le PDG de la filiale de Vivendi, Jean-Yves Charlier (photo), a clairement répondu à Edition Multimédi@ : « Cela ne fait pas partie de notre stratégie qui consiste à nouer des partenariats forts et innovants comme nous venons de le faire avec Google et le décodeur TV que nous avons lancé le 19 novembre. Il s’agit d’innover et de le faire en partenariat ».
La filiale de Vivendi a en effet annoncé qu’il est le premier opérateur en Europe à proposer un décodeur TV basé sur Android, donnant accès aux services de Google – dont YouTube – sur la télévision. Proposé en option de la box, moyennant 3 euros par mois,
ce décodeur TV est aussi le premier pas de SFR vers un acteur dit Over-The-Top (OTT).

Avec Google, premier grand pas de SFR vers les OTT
« C’est un signe que les opérateurs télécoms sont désormais prêts à signer des partenariats avec de grands OTT, comme a pu aussi l’exprimer Belgacom – mono-pays comme SFR – qui veut se développer à l’international avec des services OTT », nous a confié Gilles Fontaine, directeur général adjoint de l’Idate(1).
Cela montre aussi que l’état d’esprit des opérateurs de réseaux vis à vis des géants du Net commence à changer : ils ne sont plus seulement ceux que l’on doit faire payer pour l’utilisation des infrastructures réseaux, mais ils deviennent désormais des partenaires possibles dans les contenus.

« Nous ne pensons pas chez SFR que notre rôle est de créer des contenus mais de créer les plates-formes qui vont pouvoir accueillir ces contenus. Je crois qu’il faut des partenariats beaucoup plus forts entre les opérateurs mobile et ces acteurs de contenus et de services Over-The-Top. C’est pour cela que les offres 4G que nous déployons avec Canal+ dans la VOD, Naptser dans la musique ou Coyote dans l’aide à la conduite, par exemple, sont des exclusivités. C’est aussi pour cela que nous avons travaillé dix-huit mois avec Google pour amener en France le premier décodeur TV », a expliqué Jean-Yves Charlier, également membre du directoire de Vivendi, lors de son intervention au DigiWorld Summit de l’Idate à Montpellier le 20 novembre dernier. « Car nous pensons qu’il est absolument essentiel d’intégrer dans notre réseau à la fois YouTube de manière ‘’simless’’ et aussi Google Play. Pour un opérateur télécoms comme SFR, ce n’est pas tant de promouvoir ses propres offres que d’intégrer de manière intelligente et sans couture, avec un service impeccable en mobilité comme à la maison, ces nouveaux usages », a-t-il ajouté.

Les « extras » Google, Canal+, Naptser, …
SFR revendique le fait d’avoir été le premier opérateur télécoms en France à lancer la 4G (à Montpellier en 2012 lors du précédent DigiWorld Summit). Il revendique aussi être le premier opérateur à lancer la fibre à 1 Gbit/s. Mais « à quoi servent d’ailleurs ces nouveaux réseaux [très haut débit] si nous n’avons pas de nouvelles applications et de nouveaux contenus à proposer à nos abonnés ? », s’est demandé le nouveau patron de SFR, nommé en août dernier. Pour lui, il ne s’agit plus de déployer déployer des réseaux pour simplement déployer des réseaux. « Nous avons fait le pari de favoriser les usages. C’est pour cela qu’au sein de nos offres 4G, on a inclus des nouvelles applications pour favoriser justement ces usages. On le voit bien avec cette stratégie des ‘’extras’’ : il y a énormément d’intérêt de nos clients pour ces nouvelles applications, comme la VOD avec Canal Play, la musique avec Napster ou encore l’aide à conduite avec Coyote. Résultat, SFR revendique plus de 600.000 abonnés 4G », s’est félicité Jean-Yves Charlier. Participant de la volonté de SFR de se repositionner sur le marché, ces « extras » ont ainsi convaincu le marché. Dans le fixe, l’annonce d’un nouveau décodeur TV avec Google participe également de cette stratégie des « extras ». L’offre d’accès ne se conçoit plus comme une fin en soit ; l’offre de contenus et de services tend à s’imposer si l’on veut séduire les internautes et les mobinautes avec le très haut débit. Au-delà, SFR s’est déjà positionné comme un acteur sur de nouveaux services tels que le cloud avec son investissement dans Numergy – coentreprise avec Bull – ou la domotique avec son offre Home. « Le premier challenge pour l’industrie va être de réussir le pari, sur la 4G notamment, de pouvoir monétiser l’explosion des usages, lesquels sont chez SFR en croissance d’environ 50 % par an. Mais le débat sur la 4G est en fait un débat sur le très haut débit à la fois fixe et mobile, sur la convergence. Car les consommateurs de demain vont vouloir avoir un service sans couture en mobilité ou dans leur foyer. C’est pourquoi nous investissement à la fois sur la 4G et sur la fibre », a-t-il déclaré.

Plus largement, SFR estime que les pouvoirs publics doivent aussi s’engager avec plus de vision dans le développement des usages et promouvoir les nouvelles applications
des technologies à très haut débit. « Il faut dès maintenant développer les services qui donneront à ces réseaux un vrai pouvoir démultiplicateur auprès des citoyens, des entreprises et des collectivités en France, à l’instar de ce que font d’autre pays dans
l’e-learning, l’e-santé ou l’e-administration par exemple. Après avoir passé la dernière décennie à connecter toutes les personnes et tous les lieux, l’opportunité qui s’offre à nous est maintenant de connecter des milliards d’objets, de deuxième ou troisième écrans à ces réseaux, et d’inventer des nouveaux services ».

Et pour favoriser les nouveaux usages et le déploiement de réseaux à très haut débit, SFR renforce les partenariats en France avec les pouvoirs publics comme c’est le cas avec la signature en octobre dernier d’une convention très haut débit avec Lille Métropole. Dans le cadre de cet accord, les collectivités territoriales se sont engagées à faciliter le déploiement de la fibre optique et surtout à contribuer directement aux développements des nouveaux usages numériques. « Les pouvoirs publics doivent jouer un rôle beaucoup plus visionnaires que de simplement dire : ‘’Il faut fibrer’’ ou ‘’Il faut déployer la 4G’’.
Les pouvoirs publics doivent investir eux-mêmes pour favoriser ces nouveaux usages
et ces nouvelles applications », a-t-il insisté. @

Charles de Laubier

ZOOM

« SFR n’a pas besoin de s’adosser à d’autres opérateurs télécoms »
Interrogé en marge de son intervention au dernier DigiWorld Summit sur l’espoir des actionnaires de Numericable, tout juste entré en Bourse, d’opérer un rapprochement avec SFR en 2014, le PDG de SFR, Jean-Yves Charlier, a écarté cette idée : « Nous pensons qu’avec ces accords et de nos 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires, de nos 20 millions de clients mobile et de 5 millions de foyers que nous connectons déjà aujourd’hui, SFR est un des grands opérateurs mono-pays en Europe et a donc tous les atouts pour mener sa stratégie sur le moyen et le long terme sans devoir s’adosser à d’autres opérateurs – aussi bien dans le mobile que dans le fixe ». SFR n’aurait donc besoin de personne pour prendre seul son envol l’an prochain, une fois que l’AG annuelle de Vivendi en juin 2014 aura voté le projet spin-off – scission entre Vivendi et SFR (1). « Nous avons à mener un projet stratégique avec Bouygues Telecom et Orange dans la mutualisation des réseaux mobile et fixe, ainsi qu’un projet ambitieux avec Vivendi de split du groupe. Je pense que c’est un agenda très encadré pour SFR et on s’en tiendra à cet agenda-là », a insisté le nouveau patron, qui se demande quand même s’il y a un modèle économique pour quatre réseaux mobile en France… @