L’Arcep autorise enfin le VDSL2 mais ignore le VDSL3

En fait. Le 29 avril, l’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (Avicca) s’est inquiété de l’avis favorable au VDSL2 rendu le 26 avril dernier par le « comité d’experts pour l’introduction de nouvelles techniques sur la boucle locale de cuivre » (Arcep).

Catherine Mancini, présidente du Comité d'experts de l'Arcep

Catherine Mancini, présidente du Comité d’experts de l’Arcep

En clair. La paire de cuivre téléphonique n’a pas encore
dit son dernier mot ! Mais l’Arcep et et son comité d’experts ont déjà un VDSL de retard… Alors que Fleur Pellerin, ministre déléguée à l’Economie numérique, veut enterrer la boucle locale de cuivre au profit d’une future boucle locale optique, voici que l’Arcep donne sa bénédiction à l’introduction de la technique VDSL2 – recommandation de la norme UIT-T G.993.2 homologuée depuis février 2006 – sur le réseau historique de France Télécom que louent aussi ses concurrents du dégroupage.

Course-poursuite entre VDSL3 et FTTH
Or, selon nos informations, le VDSL3 – recommandation de la norme UIT-T G.993.5 homologuée depuis avril 2010 – est déjà disponible et certains pays comme l’Allemagne ou les Etats-Unis l’ont déjà adoptée.
Le VDSL3, appelé aussi « VDSL vectoriel », permet d’offrir à l’abonné 100 Mbits/s de débit réel maximum en téléchargement, alors que le VDSL2 plafonne à 50 Mbits/s.
En Pologne, la filiale de France Télécom a déjà recours au VDSL3 sur son réseau
de cuivre et utilise le logiciel de gestion de ligne DSLAM (1) vectoriel de la société américaine Assia. Alors pourquoi pas en France, d’autant que la nouvelle Livebox Play est compatible VDSL (EM@73, p. 3) ? Le VDSL3, très haut débit peu coûteux à déployer, apparaît comme une vraie alternative au très cher FTTH (2). Pourtant… Le comité d’experts de l’Arcep, s’en tient à l’« ancienne » version du VDSL après… sept ans d’études techniques (lire EM@62). Contactée Catherine Mancini (Alcatel- Lucent), sa présidente, n’a pas souhaité nous dire si elle étudiait maintenant le VDSL3. De plus le VDSL2 sera limité en France à 16 % seulement des lignes téléphoniques où la fibre jusqu’à l’abonné ne sera pas déployée immédiatement (3).
Le régulateur cherche-t-il à préserver un avantage pour le FTTH, priorité du gouverne-ment ? Une chose est sûre : ce dernier est décidé d’« éteindre » le cuivre d’ici 2025 (4)
au profit de la fibre. Fleur Pellerin devrait officialiser après le 13 mai Paul Champsaur
(ex-Arcep) dans sa mission de « réflexion sur l’extinction de la boucle locale de cuivre » (solution également préconisée par la mission Darodes sur le très haut débit). L’Avicca, elle, voit dans le VDSL une menace pour le FTTH et non comme une opportunité nouvelle pour la paire de cuivre encore utilisée par plus de 93 % des 23,9 millions d’abonnés haut débit (la quasi-totalité) et très haut débit confondus. @

Terminaux OTT, post-smartphones

Je plonge ma main dans la poche intérieure de ma veste pour m’assurer dans un geste machinal que mon assistant est bien à sa place. Un geste tellement anodin, pour un terminal qui peut paraître presque banal. Pas de révolution technologique époustouflante, si ce n’est son autonomie étonnante, presque illimitée, grâce à un dispositif ingénieux, intégré dans les poches de mes vestes, qui transforme
mes mouvements en énergie. Pour le reste, il est tellement simple, réduit au design minimaliste d’un écran translucide de quelques millimètres d’épaisseur, qu’il est difficile de deviner d’où lui vient cette si grande puissance, d’où lui vient cette capacité à porter autant de fonctions aussi diverses. A tel point qu’on a fini par laisser tomber le terme de téléphone pour le désigner, ainsi que tous les autres dérivés comme mobile phone ou autre feature phone.

« Avec leurs propres terminaux full-OTT,
les acteurs du Net ont bousculé la chaîne de valeur
en court-circuitant les opérateurs de réseaux. »

Il est aujourd’hui clair que nous sommes entrés dans une ère post-smartphone. Près de 80 % du temps passé sur notre terminal mobile préféré est en effet consacré à d’autres activités que la communication : jouer, lire, regarder la télé, se soigner, acheter, gérer, …
à tel point que peu d’actes de notre vie quotidienne lui échappe. Ce phénomène est encore amplifié par l’existence d’un écosystème de terminaux connectés, apprenant à vivre ensemble de manière cohérente. En 2010, un terminal vendu sur deux déjà était connectable à Internet, correspondant à près de 600 millions d’équipements vendus cette même année. On en compte aujourd’hui plus de 2,5 milliards, dont 60 % sont encore des smartphones, lorsque ce ne sont pas des tablettes, des lecteurs Blu-ray, des disques durs multimédias, des consoles de jeux vidéo, des téléviseurs et des décodeurs d’IPTV. Une grande partie de leur puissance vient de leur capacité à jongler avec les deux modèles de diffusion des services qui s’affrontent depuis une dizaine d’année : services managés, ou Managed Services (MS), contre services Over-the-top (OTT). Ces derniers ont en effet peu à peu envahi le monde des terminaux, poussés par les acteurs de l’Internet qui bousculaient ainsi la chaîne de valeur en court-circuitant les opérateurs
de réseaux et en leur faisant supporter un trafic en expansion permanente – sans que
ces derniers puissent en tirer des revenus additionnels. Mais il fut rapidement clair que l’enjeu dépasserait la confrontation initiale entres les opérateurs télécoms et les géants
de l’Internet, pour déborder sur un affrontement généralisé entre l’ensemble des acteurs en mesure de prétendre aux premières places.
Cela n’est pas sans rappeler la guerre des premiers âges de l’Internet fixe pour le contrôle de la page d’accueil des ordinateurs. Après la guerre des portails du tout début, et celle
du search remportée par Google, Facebook était en passe de gagner celle des réseaux sociaux utilisés à partir d’un ordinateur. Mais pour éviter de perdre cette position lors de son utilisation sur les terminaux mobiles et être relégué au rang d’une simple application, le roi des social networks lança début 2013 le logiciel Home pour prendre le contrôle de l’interface d’un smartphone Android. Cette page d’accueil, qui présente pour Facebook les messages et les changements de statut des « amis » du mobinaute, devient stratégique pour les acteurs. La même année, Google lança son mystérieux « X Phone », fort de l’expertise de sa filiale Motorola acquise en mai 2012. Cela lui permit de mettre en place
ce fameux écosystème de terminaux connectés qui me rappelle toujours, dans un frisson de réminiscence délicieusement régressif, les équipements de Batman : un Google phone, une Google tab, une Google TV, des Google glasses, une Google car, une Google watch, … Le tout exposé dans des Google Shops ! Ce n’était pas encore un terminal full-OTT
tel que nous en avons aujourd’hui, loin s’en faut, mais une première étape qui contribua à accélérer le basculement vers des services « externes » – comme Facebook Messenger et les services associés de voix ou de vidéo – au détriment de ceux des opérateurs télécoms,. Il a suffi d’ajouter une gestion full-Cloud à nos terminaux pour que l’écosystème de nos applications, accessibles en tout lieu et n’importe quand, donnent toute sa puissance à ce petit écran qui tient dans ma poche. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : Animaux… connectés
* Directeur général adjoint de l’IDATE.

Jean-Paul Cottet, France Télécom : « Désormais, le digital est notre principal levier de création de valeur »

Directeur des nouvelles activités de croissance (NAC) d’Orange depuis un an,
Jean-Paul Cottet – directeur exécutif, marketing et innovation de France Télécom – explique en exclusivité à EM@ comment les activités de contenus, « réunies sous
le même management », participent à la croissance de l’opérateur de réseau.

Propos recueillis par Charles de Laubier

JPCEdition Multimédi@ : Cela fait un an (au 1er février) que vous avez pris en charge les Nouvelles activités de croissance (NAC) de France Télécom-Orange. Que recouvrent précisément ces activités et pour quelle croissance en 2012 ?
Jean-Paul Cottet :
Les Nouvelles activités de croissance rassemblent nos activités dans le domaine du divertissement et
de l’audience. Elles comprennent la télévision, la vidéo, la musique, les jeux, les portails Internet et les régies publicitaires. Nous ne communiquons pas de chiffre d’affaires sur ces activités. Elles sont en croissance,
et même forte pour certaines. Par exemple, notre nombre d’abonnés TV d’Orange en France et à l’international est passé de 4,8 millions en septembre 2011 à 5,7 millions en septembre 2012. Notre nombre d’abonnés à OCS [nouveau nom d’Orange Cinéma Séries depuis septembre, ndlr] a quant à lui plus que doublé, de 400.000 à plus de 800.000 entre fin 2011 et fin 2012.

« Le marché américain est bien sûr une grosse priorité pour Dailymotion, mais nous n’avons pas fixé de cadre
trop restreint à la recherche d’un partenaire. Il peut être américain, ou non. »

EM@ : Ces activités de contenus et d’audiences ont-elles vocation à être réunies
au sein d’une même entité que certains en interne désignent comme « Orange Digital » ?
J-P. C. :
Nous n’avons pas prévu de fusionner les différentes entités d’Orange qui ont
des activités digitales (technocentre, marketing du groupe, lignes de business, …).
Ces activités sont déjà réunies sous un même management, et travaillent étroitement ensemble, ce qui permet de partager les mêmes priorités. Désormais, le digital est présent partout. C’est notre principal levier de création de valeur, aussi bien pour les activités traditionnelles d’opérateur, que pour les nouvelles activités.

EM@ : Portail Orange.fr, Orange Advertising, TV d’Orange, OCS , OPTV, Dailymotion, Deezer, Skyblog, Cityvox ou encore l’ex-Orange Sport…
Les écosystèmes de France Télécom sont très éclatés, comparés à
l’univers d’Apple bien identifié avec iTunes : Orange est-il en mesure de
rivaliser avec Apple ou Google sur le marché en pleine croissance des OTT ?
J-P. C. :
Nous ne nous plaçons pas en concurrence avec Apple ou Google. Nous travaillons avec eux. Et nous nous complétons. Notre premier objectif est avant tout
de proposer à nos clients le meilleur accès au meilleur réseau. Et ceci signifie désormais le meilleur débit. Et ensuite, nous nous attachons à leur proposer des services où nous avons une légitimité et un savoir-faire fort.
Pour ce qui est des contenus, nous avons clairement affiché que nous souhaitions être les meilleurs agrégateurs et distributeurs. Et nous le faisons soit au travers d’accords commerciaux, soit au travers de prises de participations, essentiellement dans des plateformes comme Deezer ou Dailymotion. L’écosystème Orange est avant tout cela : quelques services où nous pensons pouvoir jouer un rôle, par exemple le cloud, des partenariats forts avec le monde des contenus, et une expérience multiécrans à la maison comme en mobilité.

EM@ : Qu’est-ce qu’apporte justement la nouvelle Livebox Play disponible depuis le 7 février ?
J-P. C. :
La nouvelle Livebox Play illustre notre stratégie. Orange Cloud, Deezer, Dailymotion, Cloud Gaming y sont parfaitement intégrés dans une expérience
beaucoup plus unifiée. Par exemple, vous pouvez prendre une photo sur votre smartphone, la stocker instantanément dans le cloud d’Orange et la regarder
sur une télé.

EM@ : France Télécom est monté à 100 % dans le capital de Dailymotion et
cherche « d’ici la fin du premier semestre 2013 » un actionnaire, quitte à y redevenir minoritaire : discutez-vous avec un ou plusieurs investisseurs ? Sera-t-il forcément américain ?
J-P. C. :
Nous sommes montés effectivement à 100 % du capital de Dailymotion en janvier 2013. Nous cherchons maintenant à accompagner le développement de Dailymotion au-delà du périmètre géographique d’Orange, et cela peut en effet passer par un partenariat, y compris capitalistique avec un acteur international. Le marché américain est bien sûr une grosse priorité pour Dailymotion, mais nous n’avons pas fixé de cadre trop restreint à la recherche d’un partenaire. Il peut être américain, ou non. Nous sommes ouverts sur la meilleure formule qui garantira l’avenir de Dailymotion.

EM@ : Netflix pourrait-il être ce partenaire, puisque Dailymotion se lance aussi dans la SVOD ?
J-P. C. :
Pourquoi pas Netflix. Mais c’est à Netflix qu’il faut poser la question.

EM@ : Quand OCS sera disponible sur Dailymotion ?
J-P. C. :
La distribution d’OCS est bien prévue sur Dailymotion et la négociation est actuellement menée avec les ayants droits comme pour toutes les autres nouvelles plateformes. Nous ne pouvons donc pas nous engager sur un planning précis.

EM@ : Comment Orange – actionnaire minoritaire de Deezer (lequel a levé
100 millions d’euros auprès d’Access Industries (30 % du capital) – perçoit l’idée d’une contribution des opérateurs Internet au financement de la musique comme pour le cinéma avec le Cosip du CNC ?
J-P. C. :
L’idée d’une contribution au financement de la musique visait davantage me semble-t-il les géants du Net. L’idée de taxer un acteur comme Orange relève d’un raisonnement biaisé selon lequel Orange profiterait d’une manne de revenus, sans contribuer ni investir dans le financement de la musique. La réalité est à l’exact opposé. En effet, nous investissons volontairement des sommes significatives dans la musique. En tant que distributeur d’un service innovant comme Deezer, aussi bien en France que dans d’autres pays où est présent Orange, mais également comme éditeur d’une offre
de SVOD musique. Nous soutenons aussi la production musicale avec France Ô dans l’émission musicale « The Ring ». Mais je pourrais parler également des concerts que nous organisons avec les labels, de l’opération Orange Rockcorps, ou encore de la retransmission en 3D de concerts. Opposer les fournisseurs d’accès à Internet (FAI)
et l’industrie musicale n’est pas la bonne méthode. Il faut plutôt inciter les FAI à être les meilleurs distributeurs des offres payantes de musique, comme cela se passe entre Deezer et Orange. En période de crise économique, surtaxer des acteurs qui investissent, innovent et contribuent déjà beaucoup à la création française serait
contre-productif.

EM@ : Le groupe France Télécom a-t-il l’intention en 2013 de procéder à des acquisitions ou d’autres prises de participation dans les NAC ?
J-P. C. :
Nous ne communiquons pas sur nos intentions éventuelles de prises de participations. Tout dépendra des opportunités qui pourraient se présenter. Mais nous avons déjà annoncé que notre politique d’investissement serait très précautionneuse.

EM@ : Le livre numérique est-il aussi pour vous une activité de croissance ?
J-P. C. :
Nous sommes déjà présents dans le livre numérique au travers de notre offre Read & Go, ainsi qu’avec le projet MO3T [Modèle Ouvert Trois Tiers, comprenez des mondes de l’édition, de la librairie et du numérique, ndlr]. Ce dernier, tout à fait dans l’esprit de notre politique de partenariats, réunit 18 partenaires pour la mise en oeuvre d’une plateforme ouverte de distribution en ligne de livres numériques. La première maquette
de MO3T est en cours de présentation/validation auprès des partenaires. Sa présentation publique devrait intervenir avant l’été. @

Louis Pouzin, co-créateur du Net, ne croit pas Google

En fait. Le 5 décembre, le Français Louis Pouzin – dont les travaux sur le datagramme ont inspiré en mars 1973 l’Américain Vinton Cerf Français pour co-inventer Internet – ne croit pas au bien-fondé du lobbying de Google dans sa campagne pour un Internet libre et ouvert. Il explique pourquoi à EM@.

LP petitEn clair. « Depuis mai-juin 2012, les Etats-Unis ont fomenté
une campagne anti-UIT qui atteint son maximum au cours de cette réunion [des 3 au 14 décembre à Dubai, ndlr]. Ensuite la baudruche va se dégonfler, et ils diront partout qu’ils ont sauvé Internet. Google est le plus bruyant agitateur, et a d’évidentes raisons pour cela. Ils ont besoin de dorer leur blason en prenant le rôle de défenseur d’un Internet libre soi-disant menacé de censure par la révision des RTI [Règlement des télécommunications internationales] », nous éclaire Louis Pouzin (notre photo). Il dénonce même « le contenu fallacieux du tocsin Google », dont Vinton Cerf est l’un des représentants. Les deux hommes se connaissent depuis 1973 et pour cause (1).

« Google est le champion de l’arrogance »
Mais cela n’empêche pas Louis Pouzin de garder sa liberté de penser : « Google est le champion de l’arrogance et de la désinformation. (…) Actuellement, il n’y a pas tant de différence entre l’attitude de Google et celle des Etats-Unis. La position dominante de Google sur le marché de la publicité en ligne n’est en aucun cas une garantie de qualité et de neutralité. [Le géant du Net] confond ses intérêts particuliers avec les grands idéaux comme la libre information pour tous », met-il en garde dans son commentaire déposé le 2 décembre sur le blog de l’UIT (2).
Et dans un forum sur la gouvernance d’Internet, il rappelle le 4 décembre que, pendant ce temps-là, Google est « empêtré dans des procédures judiciaires : évasion fiscale, refus de payer des amendes, piratage d’information ou collecte illégale de données personnelles »…

L’Icann, le bras armé des Etats-Unis
De plus, Vinton Cerf était membre de l’Icann (3), dont il a été président de novembre 2000 à novembre 2007. L’organisation américaine est aux yeux de Louis Pouzin et de nombreux pays le bras armé des Etats-Unis qui ne signeront pas le nouveau RTI pour garder le contrôle de l’Internet. « A l’UIT, il n’y a pas de vote gagnant/perdant, il n’y a que du consensus à base de compromis et de ‘’pour étude ultérieure’’. Ceci élimine les propositions excessives (4), mais n’a guère d’effet sur les obstinés du statu quo, comme la gouvernance unilatérale de l’Internet par les USA », nous rappelle-t-il.
Pire : « Les plus dangereuses menaces sur la liberté d’information viennent des Etats-Unis, avec des projets de lois comme SOPA, PIPA, CISPA négociées secrètement par des lobbies internationaux (5) et ceux qui ont échoué avec l’ACTA », prévient Louis Pouzin. @

Les opérateurs télécoms veulent une meilleure rémunération pour le trafic Internet

Les opérateurs historiques, font du lobbying au niveau mondial – via leur association ETNO – pour que les échanges de trafic Internet soient mieux rémunérés. Mais une « terminaison data » semble impossible, tant qu’il n’existe
pas de levier réglementaire au niveau européen.

Avertissement : cet article est paru dans EM@ n°64 daté du 17 septembre, soit quatre jours avant la décision « Cogent contre Orange »de l’Autorité de la concurrence datée du 20 septembre.

Par Winston Maxwell, avocat associé Hogan Lovells LLP

Cet été la ministre déléguée en charge de l’Economie numérique, Fleur Pellerin, a mis en garde contre une interprétation de la neutralité du Net qui favoriserait trop les acteurs américains de l’Internet, au détriment des opérateurs télécoms français. Implicitement, elle soutient l’idée d’une rémunération équitable pour les opérateurs français dans le cadre de leurs relations avec des acteurs de l’Internet. Ce commentaire « ministériel » fait écho de la proposition de l’association ETNO (1), laquelle souhaite voir inclure dans le traité de l’Union internationale des télécommunications (UIT) un principe de rémunération raisonnable en faveur des opérateurs de réseaux qui acheminent du trafic en provenance du Net. Il s’agit d’un tarif de « terminaison data » similaire au tarif de terminaison pour les appels téléphoniques.

Vers une régulation des contenus ?
La proposition de l’ETNO, qui réunit depuis 20 ans la plupart des opérateurs télécoms historiques européens, a déclenché de vives réactions. Les opérateurs américains, et même le gouvernement américain, s’opposent à toute modification du traité de l’UIT qui légitimerait l’idée d’une régulation de l’Internet. Ils craignent en effet la généralisation d’une régulation économique de l’Internet – notamment par l’instauration d’un régime de « terminaison data » dans certains pays – et encore plus l’idée d’une régulation fondée sur les contenus pouvant conduire à de la censure.

L’idée d’une régulation de l’Internet fondée sur les contenus n’est pas totalement exclue en France. Le CSA (2) examine des moyens pour appliquer à certains acteurs de l’Internet la réglementation de l’audiovisuel en vigueur dans l’Hexagone. La Commission européenne conduit, elle aussi, une étude sur la télévision connectée (3). L’idée d’une régulation économique de l’Internet est également à l’étude. L’Arcep (4), l’ORECE (5) et la Commission européenne examinent les pratiques de différenciation du trafic mises en oeuvre par les opérateurs de réseaux, ainsi que les mesures de transparence pouvant aider le consommateur à mieux comprendre ces pratiques.
En exposant les pratiques au grand jour, les régulateurs espèrent que la pression du marché sera suffisante pour empêcher l’émergence de pratiques abusives, évitant ainsi une régulation plus contraignante. La Commission européenne étudie également les problèmes des barrières au changement d’opérateur (switching costs). Les offres composites, de type « multi play » incluant la télévision, rendent le changement parfois difficile (6). Les régulateurs étudient également les conditions d’échange de trafic entre opérateurs pour savoir s’il faut réguler l’accès aux grands « tuyaux » du réseau des réseaux. C’est le cas en France de l’Arcep, dont la démarche est contestée par deux opérateurs – AT&T et Verizon – qui estiment que cette collecte d’informations dépassent la compétence de l’Arcep et qu’elle est disproportionnée compte tenu de l’absence de problèmes, et de l’absence de régulation, dans ce secteur. Il est vrai que très peu de problèmes se sont manifestés.
En France, la société Cogent a saisi l’Autorité de la concurrence concernant un différend dans la négociation de son accord « peering » avec France Télécom. Mais France Télécom s’est engagé à rendre les relations avec son activité « Open Transit » plus transparentes (7). Hormis cet incident, les conditions d’échange de trafic Internet en amont n’ont jamais fait l’objet de procédures ou de régulation en France.

Deux voies possibles en Europe
En Europe, le régulateur polonais a tenté de réguler les conditions d’échange de trafic Internet, mais il a aussitôt essuyé un refus de la part de la Commission européenne qui lui a opposé son veto. Aux Etats- Unis, la Federal Communications Commission (FCC) n’a jamais tenté de réguler ces échanges, lesquels s’effectuent dans la grande majorité de cas sans contrat écrit, sur la base d’une « poignée de main ». Est-ce que ces échanges peuvent faire l’objet d’une régulation ? En Europe, il n’existe que deux voies pour une régulation de l’interconnexion de trafic Internet, et aucune de ces deux voies n’est ouverte : • La première voie exige de démontrer l’existence d’un opérateur « puissant sur le marché ». La puissance signifie que l’opérateur est incontournable. Or, dans le cadre d’accords d’échange de trafic Internet, personne n’est incontournable (8). Dans l’affaire Cogent, France Télécom a refusé d’augmenter la capacité d’un lien de peering avec Cogent sans contrepartie financière. Que s’est-il passé ? Le trafic excédentaire a emprunté d’autres chemins pour entrer dans le réseau de France Télécom. Le service n’a été que peu impacté.
En théorie, un opérateur de boucle local comme France Télécom pourrait fermer toutes les portes et exiger un paiement de tous les prestataires en amont. S’il s’agissait de France Télécom, les abonnés Orange ne pourraient plus accéder aux sites web de leurs choix. Ce serait impensable commercialement pour France Télécom. En d’autres termes, aucun acteur – même l’opérateur en bout de chaîne qui contrôle l’accès à l’abonné final – ne semble remplir les critères d’ »opérateur puissant ».
La seconde voie de régulation nécessite la présence, non pas d’un opérateur puissant, mais d’un problème de connectivité de bout en bout. Si la connectivité est menacée, l’Arcep et d’autres régulateurs peuvent intervenir au titre d’une régulation dite « symétrique » (9). Mais dans le contexte de l’échange de trafic Internet, la connectivité ne semble jamais menacée en raison des milliers de noeuds d’interconnexions qui permettent au trafic et aux paquets de données de contourner tous les obstacles. La mise en place d’un tarif réglementé pour une « terminaison data » semble donc impossible car il n’existe pas de levier réglementaire dans le cadre européen.

Les opérateurs deviennent des CDN
Mais les opérateurs télécoms ne semblent pas démunis pour autant. Dans le monde Internet, le nerf de la guerre est le temps d’affichage d’une page web, et les opérateurs télécoms commencent à faire concurrence aux CDN (10) globaux tels que Akamai (11), Edgecast ou Highwinds pour offrir des services de stockage de contenus en local, dans des « points bas » du réseau, proche de l’abonné (12). L’Arcep fait état de ce développement dans son rapport au parlement sur la neutralité de l’Internet (p. 43).
La Commission européenne touche à ces questions dans son questionnaire de juillet portant sur le même thème (p. 12), dans le cadre de sa consultation publique jusqu’au 15 octobre 2012. C’est peut-être là la rémunération raisonnable souhaitée par l’ETNO, et indirectement par la ministre française en charge de l’Economie numérique.
Faut-il s’en inquiéter sur le plan réglementaire ? Les principes de Net neutralité exigent un traitement nondiscriminatoire des contenus, du moins pour la prestation de l’accès à l’Internet. Un accord exclusif entre un opérateur de réseau et un fournisseur de contenus pour stocker le contenu de ce fournisseur en des « points bas » du réseau serait problématique car éventuellement contraire au principe de nondiscrimination. Mais si l’opérateur offrait cette prestation à l’ensemble des fournisseurs de contenus sur une base non-discriminatoire, la situation ne serait pas différente de celle d’aujourd’hui.
Un fournisseur de contenu peut en effet aujourd’hui améliorer le temps d’affichage en s’adressant à de nombreux prestataires. Il existe même une start-up française, Cedexis, dont le métier est d’aiguiller en temps réel le trafic des fournisseurs de contenus entre les différents prestataires selon leur performance à un instant T. Il existe déjà un écosystème de CDN, dont l’objectif est de réduire le temps d’affichage des pages web de leurs clients, et il paraît normal qu’un opérateur télécoms puisse également devenir acteur dans cet écosystème. A moins que l’opérateur local, en offrant un stockage en « points bas » du réseau, n’offre une prestation que personne d’autre ne peut répliquer.

La question de l’ « opérateur puissant »
Cet opérateur deviendrait dès lors « puissant » pour cette prestation, et une régulation pourrait se justifier (13). Le remède réglementaire serait alors classique : obliger l’opérateur puissant à offrir à ses concurrents une prestation de gros permettant aux concurrents de répliquer sur le plan technique et tarifaire la prestation de détail offerte par cet opérateur puissant aux fournisseurs de contenus (14).
Il est trop tôt pour juger si une telle réglementation sera souhaitable, ou même possible compte tenu des difficultés de définition du marché. Il faudrait démontrer que la prestation en « points bas » du réseau n’est pas substituable à une prestation CDN classique. Si du point de vue des fournisseurs de contenus les prestations sont substituables, les prestations appartiennent au même marché, et l’opérateur local ne sera plus considéré comme étant seul sur le marché. Il ne sera pas « puissant » et la régulation sera impossible. @