Suppression de 1.700 postes : les syndicats de SFR dénoncent « un scandale social, économique et financier »

Sur les 9.500 emplois que compte encore le 2e opérateur télécoms français SFR, 1.700 postes vont être supprimés en 2021 sur la base du volontariat. C’est près de 18 % des effectifs « télécoms » de la filiale française d’Altice. Les syndicats, eux, sont vent debout contre ce projet « Transformation et ambitions 2025 ». Blocage.

Depuis la première réunion de négociation du 10 mars dernier entre les syndicats de SFR et la direction générale du 2e opérateur télécoms français, c’est le black-out total. Aucune date de nouvelle rencontre n’est prévue. « La direction a fermé la porte des négociations ; elle boude, c’est le blocage », regrettent le 18 mars les représentants syndicaux, contactés par Edition Multimédi@. La CFDT, la CFTC et l’Unsa Com ont dénoncé ce 10 mars « un scandale social, économique et financier ». Ils l’ont fait savoir dans un « manifeste pour la vérité« , dans lequel ils ont fait connaître « leur opposition à une négociation ouverte sur la base d’un tissu de mensonges travestissant la réalité économique de SFR » et « sur la base d’une construction artificielle et inacceptable de “nouvelles” orientations stratégiques ». Alors que SFR en est à son troisième plan social en moins de dix ans (2), dont 5.000 emplois supprimés en 2017, celui-ci – avec sa destruction de 1.700 emplois – ne passe pas. « Cette invitation à la négociation d’une réduction des effectifs est faite alors que justement les excellents chiffres de la période, au contraire des autres entreprises françaises, auraient dû conduire SFR à organiser une discussion autour d’un partage des résultats », s’insurgent les organisations syndicales, rappelant que Patrick Drahi (photo), le patron fondateur de la maison mère Altice, s’était dit « sensible » au dialogue social au sein de l’entreprise.

Les télécoms pourtant préservées par la crise
Au lieu de cela, les négociations démarrent, selon les syndicats, sur des « bases tronquées, anti-économiques et antisociales ». Et les syndicats représentatifs de SFR d’enfoncer le clou : « Il serait en effet particulièrement intolérable que dans un secteur préservé par la crise, les pouvoirs publics puissent faire preuve d’un “turbulent silence”, face à des suppressions d’emplois qui vont peser sur les comptes sociaux de la nation, alors que l’entreprise est prospère ». En croissance de 2,4 % sur un an, l’opérateur SFR est la vache à lait d’Altice France, dont il génère 97 % du chiffre d’affaires total (lequel est de 10,9 milliards d’euros en 2020), avec un ratio de rentabilité opérationnelle de 39,8 % (Ebitda télécoms).
La volonté de SFR d’embaucher parallèlement 1.000 jeunes d’ici 2025 ne suffit pas à apaiser le courroux des syndicats. Ce millier de nouvelles recrues sur quatre ans se fera « sur les nouveaux métiers qualifiés du numérique, par exemple liés à la sécurité, l’analyse de la donnée ou l’IA ». Ce que la direction présente comme « un grand plan de recrutement » de 1.000 « jeunes diplômés » rend d’autant plus indigeste pour les syndicats la suppression de 18 % des effectifs de SFR, même si « l’embauche de jeunes est une nécessité ».

« Transformation et ambitions 2025 »
En annonçant le 3 mars son projet stratégique « Transformation et ambitions 2025 », SFR a justifié son objectif de 1.700 suppressions d’emplois par, d’une part pour 400 d’entre eux, la baisse de fréquentation dans les boutiques (- 30 %) et la progression continue des actes en ligne, et, d’autre part pour 1.300 d’entre eux, l’évolution du réseau de boutiques ramené à 568 magasins d’ici fin 2022. En outre, dans le cadre de ses obligations légales qu’il affirme déjà dépasser, le groupe Altice France-SFR – incluant les médias BFM et RMC – s’est engagé à créer 1.000 contrats d’apprentissage par an. « A l’heure où nous sommes déjà dans une phase d’investissements massifs pour la fibre et la 5G, nous devons, en tant qu’acteur sur lequel repose toute l’économie numérique, nous mettre en ordre de marche et nous fixer des objectifs élevés pour faire face à ce niveau d’exigence », a expliqué Grégory Rabuel, directeur général de SFR. Le deuxième opérateur télécoms en France revendique 25 millions de clients.
L’un des points d’achoppements entre direction et syndicats réside dans la demande des seconds à ce que l’emploi soit maintenu jusqu’en 2025 au niveau où il est début 2021. Pour la direction, ces exigences « posées en préalable à toute négociation » sont « incompatibles avec la situation de l’entreprise et la nécessité de sa transformation » (3). Pour les syndicats, il ne s’agit pas d’un « péalable » mais d’un contre-projet à négocier. Nul ne sait maintenant quand la direction présentera son plan de réorganisation. La dernière entrevue entre les syndicats de SFR et le président d’Altice Europe, Patrick Drahi, accompagné de son directeur opérationnel Armando Pereira, remonte au 16 décembre 2020. Les deux dirigeants auraient alors assuré aux organisations syndicales leur « attachement à un dialogue social de qualité ». Mais ces dernières ont rapidement déchanté, constatant début février « que le dialogue social est en mode totalement dégradé et qu’il n’existe plus d’interlocuteur faisant un lien entre les salariés, leurs représentants et vous [Drahi et Pereira] ».
La vente au groupe espagnol Cellnex de la filiale Hivory, qui se présente au sein d’Altice comme « la 1ère Tower Co en France » avec son parc de plus de 10.000 points hauts pour les antennes mobiles 3G, 4G et 5G (pylônes, châteaux d’eau, toits-terrasses, …), est aux yeux des syndicats révélatrice de l’absence de concertation et d’information préalable. Les partenaires sociaux ont appris la nouvelle par voie de presse (4). Hivory a comme principal client SFR, mais travaille aussi avec Bouygues Telecom et Free. Autres signes de dégradation du climat social et des conditions de travail : le recours massif au télétravail, sous prétexte de crise sanitaire, s’est fait sans concertation et sans accompagnement (5) ; le recours au chômage partiel pour des milliers de salariés a permis des économies substantielles pour le groupe. Depuis l’annonce du plan social le 3 mars, le dialogue de sourds s’est installé et la réunion du 10 mars a donné le coup d’envoi du bras de fer social. La direction de SFR, elle, défend son projet stratégique « Transformation et ambitions 2025 » auprès de ses « partenaires sociaux » en invoquant « l’accélération de la digitalisation des usages constatée par tous depuis le début de la crise sanitaire », « de[s] revenus captés par d’autres acteurs » (les GAFAN), « de[s] tarifs toujours très bas » et « une fiscalité spécifique au secteur extrêmement lourde ». Le groupe Altice France-SFR entend « poursuivre sur le long terme sa politique d’investissements efficace ». Il s’agit, selon la direction, de pouvoir absorber le trafic qui ne cesse d’augmenter chaque année (+35 % de trafic pour SFR en 2020) et de s’adapter aux évolutions technologiques récurrentes, comme la fibre et la 5G. Côté fibre : « Altice France-SFR poursuivra le déploiement de l’infrastructure fibre du pays et se fixe comme objectif le raccordement de plus de 90 % des foyers français en 2025 » et « vise 5 millions de nouveaux clients FTTH ». Côté 5G : « Altice France- SFR appuiera ses efforts de déploiement 5G et couvrira 98 % des villes de plus de 10.000 habitants en 5G », dont Paris depuis le 19 mars.

Altice Europe n’a plus la cote
Quant à la maison mère d’Altice France-SFR, Altice Europe, elle n’est plus cotée à la Bourse d’Amsterdam depuis le 27 janvier dernier. Le milliardaire Patrick Drahi a repris le contrôle (plus de 92 % du capital) du groupe de télécoms et de médias qu’il a fondé et dont il était déjà actionnaire majoritaire. Son opération de rachat d’actions avait pour objectif de ne plus être pénalisée par les investisseurs inquiets de sa dette, bien que ramenée à 28,5 milliards d’euros (6). @

Charles de Laubier

Le New Deal Mobile promet « la 4G pour tous » au 31 décembre mais… pas dans les zones blanches

Le gouvernement et le régulateur nous le promettent sur tous les tons : tous les réseaux mobiles fonctionnant encore aujourd’hui uniquement en 2G et/ou en 3G devront avoir basculé en 4G d’ici la fin de l’année. Il serait temps ! Mais des zones blanches persisteront jusqu’à fin 2022.

« L’Arcep mènera dans le courant du premier semestre 2021 des enquêtes pour vérifier l’atteinte des échéances de généralisation de la 4G et de couverture des axes routiers prioritaires », nous indique le régulateur des télécoms présidé par Sébastien Soriano (photo de gauche). Mais on le sait déjà : au 31 décembre 2020, ce ne sera pas « la 4G pour tous », alors que les opérateurs mobiles nous proposent déjà la 5G et que les équipementiers télécoms préparent la 6G !

Des centres-bourgs toujours sans 4G
Ces villages de France qu’il est convenu d’appeler « les zones blanches centres-bourgs » n’auront, eux, toujours pas cette chance d’avoir du « très haut débit mobile » – au moment où l’« ultra haut débit mobile » de la cinquième génération dresse ses antennes dans les grandes villes. Le Père Noël, lui, n’a pas signé le New Deal Mobile en juin 2018… A l’époque, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free s’étaient engagés à couvrir en 4G 75 % de ces centres-bourgs – symboles de la fracture numérique en France. La Fédération française des télécoms (FFTélécoms) a indiqué, elle, que ce taux de « basculement » des sites situés dans ces zones blanches atteignait 68 % au 1er novembre – y compris, selon nos informations, en tenant compte de Free Mobile qui n’est pas membre de cette organisation professionnelle. Il restait donc à cette date-là 7 points de couverture à combler en deux mois et dans un contexte de crise sanitaire. Ce n’est pas gagné !
« Le New Deal Mobile est (…) une réalité sur le terrain ; les opérateurs sont tous mobilisés pour atteindre cet objectif. Il a certes été ralenti pendant la crise sanitaire mondiale mais les opérateurs et leurs techniciens ont continué, dans la mesure du possible, à déployer notamment durant le premier confinement », assure la FFTélécoms, présidée par Nicolas Guérin (photo de droite), par ailleurs secrétaire général du groupe Orange. Dans la dernière ligne droite, ce dernier joue l’apaisement après les escarmouches entre celui qui a été son prédécesseur jusqu’en juin dernier, Arthur Dreyfuss, et le président de l’Arcep, Sébastien Soriano. Ce dernier avait appelé en avril dernier les opérateurs mobiles à ne pas prendre prétexte du confinement pour ne pas être « au rendez-vous de leur responsabilité ». Une mise en garde du régulateur qui avait fait perdre son sang-froid au secrétaire général de SFR (1). En janvier 2018, l’Arcep et le gouvernement annonçaient des engagements des opérateurs pour accélérer la couverture mobile des territoires. Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free Mobile se sont engagés à investir plus de 3milliards d’euros dans les zones rurales. En échange de quoi, l’Etat a renouvelé leurs fréquences mobiles pour dix ans dans les bandes 900 Mhz, 1800 Mhz (sauf Free Mobile) et 2,1 Ghz. En effet, leurs autorisations arrivent à échéance entre 2021 et 2024 concernant les réseaux mobiles 2G, 3G et 4G. Les « lauréats » ont dû signer à l’époque le New Deal Mobil en faveur de l’aménagement numérique du territoire – y compris dans les zones rurales, synonymes de « zones blanches », sans aucune couverture mobile et encore moins de 4G. Il s’agit notamment de « généraliser la réception en 4G, ce qui implique de l’apporter à plus de 1 million de Français sur 10.000 communes, en équipant en 4G tous les sites mobiles » et de « couvrir les principaux axes routiers et ferroviaires ». Ce fut un accord donnant donnant et présenté comme « historique » (2), même si ce New Deal Mobile leur laisse jusqu’à 2026 pour achever pleinement le déploiement de 5.000 nouveaux sites mobiles, à raison de 600 à 800 sites par an. Ces engagements sans précédents ont été dans la foulée retranscrits dans leurs licences actuelles afin de les rendre juridiquement opposables.
Autrement dit, les centres-bourgs – au nombre de près de 5.000 sur les quelque 36.000 communes de l’Hexagone – pourront potentiellement attaquer les opérateurs mobiles qui n’auraient respecté leurs engagements de leur apporter la 4G. Mais ces villages ne pourront pas engager une action avant le 31 décembre 2022, date à laquelle ces mêmes opérateurs mobiles se sont engagés à couvrir les 25 % restants de ces zones blanches dites centres-bourgs.

De la « 4G fixe » à défaut de fibre
En outre, d’ici la fin de l’année, les quatre opérateurs mobiles devront avoir aussi assuré la couverture en voix/SMS et en 4G de tous « les axes routiers prioritaires » de l’Hexagone : soit un total de 55.000 km de routes, dont 11.000 km d’autoroutes et 44.000 km d’axes routiers principaux reliant, au sein de chaque département, le chef-lieu de département (préfecture) aux chefs-lieux d’arrondissements (sous-préfectures), et les tronçons de routes sur lesquels circulent en moyenne annuelle au moins cinq mille véhicules par jour. Les opérateurs mobiles assurent qu’ils se sont engagés, pour ces axes routiers notamment, dans un « ambitieux programme de construction de nouveaux pylônes mutualisés au travers du dispositif de couverture ciblée ».
Pour l’instant, toujours au 1er novembre selon la FFTélécoms, « 462 pylônes ont d’ores-et-déjà été construits au titre de ce nouveau dispositif, qui s’étendra jusqu’en 2027 ». La route est longue… Pour jouer la transparence, la fédération a mis en place un « compteur » du déploiement de la 4G censé être remis à jour chaque trimestre, mais le dernier décompte (3) s’est arrêté au 30 juin dernier, à 8.228 sites encore à passer en 4G. A quand le prochain relevé au 30 septembre ? « D’ici fin décembre, avec trois mois de décalage habituels », nous répond la FFTélécoms.

Le confinement, pas prétexte à retards
En outre, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free Mobile sont tenus – depuis le 1er janvier 2019 – de proposer des offres dites « 4G fixes » au grand public dans les zones géographiques identifiées où d’autres solutions de très haut débit fixe sont inexistantes. « Le gouvernement peut demander aux opérateurs d’ouvrir, dans les zones qu’ils couvrent déjà en très haut débit mobile et dans un délai de quatre mois, une offre 4G fixe, si l’ouverture de cette offre ne dégrade pas la qualité du service de 4G mobile », prévoit l’Arcep. Ce service d’accès fixe à Internet sur leurs réseaux mobiles à très haut débit doit être fourni dans les zones que les opérateurs mobiles identifient et rendent publiques et dans les zones listées par arrêté ministériel. « Par ailleurs, précise le régulateur, Orange et SFR sont tenus de participer au dispositif d’extension de la couverture 4G fixe. A ce titre, ils seront chacun tenus de fournir un service de 4G fixe sur un maximum de 500 zones identifiées par arrêté du ministre chargé des communications électroniques, grâce à l’installation de nouveaux sites 4G » (4) (*). En l’occurrence, deux arrêtés datés du 23 décembre 2019 sont venus préciser les zones où les opérateurs mobiles sont tenus de fournir la 4G fixe depuis mai dernier (dont 236 zones pour Orange et 172 zones pour SFR) – « sauf indisponibilité dûment justifiée d’une capacité suffisante pour assurer la préservation d’une qualité de service satisfaisante pour les utilisateurs mobiles » (5).
Selon le tableau de bord « 4G pour tous » de l’Arcep mis à jour le 8 décembre avec les données au 30 septembre dernier (6), Free Mobile est l’opérateur mobile qui ne dépassait pas les 97 % de population couverte en 4G (avec 17.381 sites équipés en 4G sur 18.478 déployés), là où les trois autres atteignaient chacun 99 % de population couverte en 4G (23.822 sites équipés en 4G sur 25.537 déployés pour Orange, 20.772 sites équipés en 4G sur 22.473 déployés pour SFR et 19.834 sites équipés en 4G sur 21.257 déployés pour Bouygues Telecom). Si la finalisation laborieuse du déploiement de la 4G mobile – notamment de 75 % des centres-bourgs d’ici fin 2020, et a fortiori les 100 % d’ici fin 2022 – ne doit pas être retardée sous des prétextes de crise sanitaire, elle doit être atteinte jusque dans la moindre bourgade. Le gouvernement a même rajouté, moins de quatre mois après le premier confinement de mars à mai derniers, une liste complémentaire de zones à couvrir les opérateurs mobiles d’ici la fin de l’année. Comme les précédentes listes, celle-ci a été établie par arrêté. Il est daté du 1er octobre 2020 – paru au Journal Officiel du 8 octobre (7) – et complète « les listes des zones à couvrir par les opérateurs de radiocommuni-cations mobiles au titre du dispositif de couverture ciblée pour les années 2018 et 2019 » par « de nouvelles zones à couvrir par les opérateurs de téléphonie mobile au titre de l’année 2020 dans le cadre du dispositif de couverture ciblée ». Ces nouvelles zones identifiées correspondent à la création de nouvelles obligations pour les opérateurs mobiles (en matière de sites, de zone à couvrir ou de mutualisation).
Ces nouvelles obligations de « couverture ciblée » figurent aussi dans les autorisations d’utilisation de fréquences qui leur ont été délivrées par l’Arcep. Bouygues Telecom a affirmé qu’il avait atteint le seuil des 75 % dès le 5 novembre. Les trois autres ne sont pas encore prononcé avant la première ligne d’arrivée de fin 2020. Pour voir si un centre-bourg est couvert – ou pas – par la 4G, notamment au 31 décembre, il faut se référer en ligne au « tableau de bord du New Deal Mobile » qui n’est cependant pas en temps réel puisque le régulateur met à jour les données à un rythme trimestriel (8). Pour autant, les utilisateurs ont une voie de recours possible en se connectant à Jalerte.arcep.fr, car l’Arcep est justement chargée du contrôle de l’avancement des obligations de déploiement des opérateurs mobiles.

Pour les « sans 4G », la 5G est un comble
Pendant ce temps-là, New Deal Mobile ou pas, des « patelins » enragent de ne pas avoir le très haut débit mobile, alors que l’ultra-haut débit mobile de la 5G défraie la chronique depuis plusieurs mois et commence à être commercialisée. « La 4G, ça devrait être un acquis pour tout le monde. On paie des impôts comme les autres, on travaille, on devrait avoir accès aux mêmes services », pestait en novembre Blandine Decker (9), infirmière libérale habitant dans le village Montigny, en Meurthe-et-Moselle. @

Charles de Laubier

Altice lâche la marque SFR pour tenter de redorer son blason en France et faire bonne figure face aux GAFA

Altice devient la marque unique du groupe de Patrick Drahi dans le monde. Les trois lettres SFR, héritées de la « Société française du radiotéléphone » créée il
y a 30 ans, passent par pertes et profits. Son image a été « abîmée ». Selon nos calculs, SFR a perdu 3,5 millions d’abonnés depuis son rachat en 2014.

Par Charles de Laubier

« La marque SFR a été un peu abîmée en France au cours des années qui viennent de s’écouler parce que l’on a été déceptifs vis-à-vis de nos clients. De plus, le groupe a évolué depuis quelques années dans sa stratégie en passant d’un opérateur de télécoms à un opérateur global : télécoms, médias, publicité. Et il n’intervient plus uniquement en France mais dans de multiples pays », a expliqué Michel Combes (photo), directeur général d’Altice, la maison mère de l’opérateur télécoms SFR dont il est le PDG, devant l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef), le 17 mai dernier, soit six jours avant que Patrick Drahi n’officialise de New York l’abandon de la marque SFR pour Altice assorti d’un nouveau logo. A noter que Michel Combes s’était refusé
à confirmer ce jour-là l’information selon laquelle Altice devenait la marque unique du groupe. « Je ne vous ai pas dit de nom…, quel qu’il soit. Et si l’on devait en changer, nous le ferions avec beaucoup de délicatesse. J’ai fait beaucoup de changement de marques dans ma vie antérieure (Orange, Vodafone, …) », s’était-il contenté de dire devant l’Ajef. Altice sera donc bien cette marque unique, qui était avancée comme « logique » dans Les Echos dès avril (1) et qui a bien été annoncée en mai comme l’avait indiqué Satellifax (2). SFR va être rebaptisé Altice France, comme il existe déjà Altice Portugal, Altice Caribbean ou encore Altice Africa.

En finir avec le patchwork de marque et bénéficier d’économies d’échelle
Cette transformation sur tout le groupe sera menée d’ici à fin juin 2018. C’est que le groupe Altice, à force d’acquisitions tous azimuts, se retrouve avec une multitude de marques. Outre SFR en France, il y a Hot en Israël, Meo et M4O au Portugal, Tricom dans la République Dominicaine, ou encore Suddenlink et Optimum depuis les acquisitions aux Etats-Unis de Suddenlink et Cablevision (3), sans parler des marques secondaires dans tous ces pays. A ce patchwork s’ajoute le fait qu’en République Dominicaine, Altice utilise la marque Orange dans le cadre d’un accord de licence avec son premier concurrent en France. Les marques Numericable et Virgin Mobile, elles, ont disparu. « Ce que nous observons, avait poursuivi Michel Combes, c’est que beaucoup de nos concurrents sont issus du monde digital et sont allés vers des marques uniques au niveau mondial pour pouvoir bénéficier d’effets d’échelle ». Cependant, demeureront les marques médias telles que BFM, RMC, Libération, L’Express ou encore i24News, ainsi que d’autres commerciales comme Teads dans la publicité vidéo et Red dans le mobile en France. Alors qu’Altice Media avait été rebaptisé SFR Presse en octobre 2016, ce sera bientôt l’inverse ! Alain Weill en restera le dirigeant.

Il y a urgence à redorer le blason
Dans son rapport annuel 2016 publié le 10 avril dernier, le groupe avait indiqué qu’il
« évaluait les bénéfices supplémentaires que pourrait générer l’adoption d’une marque globale, laquelle permettrait de communiquer plus clairement sur la stratégie globale d’Altice comme acteur innovant, disruptif et fournisseur de meilleurs services de nouvelle génération à ses clients ». Cette stratégie monomarque va donc passer par
« une harmonisation et un changement de marques existantes dans les pays où le groupe opère pour partager une nouvelle identité globale ». La marque Altice a l’avantage de ne pas être entachée de discrédit auprès d’une partie des clients français et de bénéficier d’une notoriété internationale. Certes, le siège social du groupe du milliardaire franco-israélien Patrick Drahi n’est pas en France mais basé aux Pays-Bas (après l’avoir été au Luxembourg). L’entreprise est cotée en Bourse à Amsterdam (4), pas à Paris, et il est prévu que des actifs soient cotés aux Etats-Unis.
Mais Altice permettrait de tourner la page des années peu reluisantes de SFR en matière de relation clientèle et d’investissement dans son réseau, notamment lorsque l’opérateur télécoms était la pleine propriété de Vivendi de 2011 jusqu’à son rachat par Altice en avril 2014. Selon les calculs de Edition Multimédi@, le nouveau propriétaire
a été confronté à la perte de plus de 3,5 millions d’abonnés cumulés depuis trois ans
– dont 84,8 % dans le mobile et 15,2 % dans le fixe. Même si l’érosion de la base de clientèle a été freinée depuis le début de l’année, le parc total de clients a encore baissé sur un an au premier trimestre 2017, à 20,043 millions dans le mobile (14,513 million de particuliers et 5,529 millions de professionnels) et à 6,078 millions dans le fixe (voir tableau ci-dessous). A ce train-là, le groupe de Patrick Drahi pourrait repasser en France sous la barre des 20 millions de clients dans le fixe et sous les 6 millions dans le mobile – si ce n’est pas déjà fait à l’heure où nous publions. Selon l’Association française des utilisateurs de télécommunications (Afutt), plus de la moitié des plaintes sont émises en 2016 par les clients de trois marques du groupe : SFR, Red et Numericable. Il y a donc en effet urgence à redorer le blason. Le rebranding est toujours une opération à risque et la filiale française d’Altice, à l’instar de toutes les autres entités du groupe concernées par ce changement d’image, va devoir investir
des dizaines de millions d’euros pour asseoir la nouvelle identité. Cette uniformisation génèrera aussi des économies d’échelle. C’est Publicis aux Etats-Unis qui a conçu le nouveau logo d’Altice.
La marque SFR, créée il y a 30 ans – en février 1987 sous le nom de Société française du radiotéléphone – par la Compagnie générale des eaux (devenue en 1998 Vivendi),
a vécu. La disparition de la marque au carré rouge aura aussi l’avantage de faire oublier les sanctions que lui a infligées l’Autorité de la concurrence telles que l’amende de 40 millions d’euros prononcée le 8 mars dernier pour non-respect de ses engagements pris lors du rapprochement Numericable- SFR  et atteinte à la concurrence (5). L’an dernier, SFR avait aussi écopé le 19 avril d’une amende de 15 millions d’euros engagements pris à La Réunion et à Mayotte.

54 milliards d’euros de dettes
Par ailleurs, SFR est synonyme de suppression d’emplois (6) et de grèves dans les boutiques SFR (en mars dernier). La multinationale Altice, créée en 2001 au Luxembourg, a réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de 20,7 milliards d’euros pour une perte nette de 1,8 milliard d’euros et un effectif de 49.732 personnes. Son endettement atteint près de 54 milliards d’euros. @

Charles de Laubier

Neutralité du Net : la décision de la FCC ne répond pas à la question du financement des réseaux

La décision du régulateur américain datée du 26 février sur la « Net Neutrality » est-elle si « historique » ? Pas vraiment, tant sa position est identique depuis des années. Or, ne fallait-il pas au contraire de nouvelles règles pour prendre en compte l’asymétrie des échanges – comme l’envisage l’Europe ?

Par Rémy Fekete, avocat associé, Gide Loyrette Nouel

Rémy Fekete

La neutralité du Net peut se définir comme le principe selon lequel les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) sont tenus de transporter tous les flux d’information de manière neutre, c’est-à-dire indépendamment de leur nature, de leur contenu, de leur expéditeur ou de leur destinataire (1). Théorisé au début des années 2000 par Tim Wu (2), le principe de neutralité des réseaux a largement prévalu dans la construction d’Internet, bien avant le développement des applications commerciales apparues avec la création du Web dans les années 90 (3).

Les compétences de la FCC
Toutefois, la valeur de ce principe est aujourd’hui remise en cause à de nombreux égards. Aux Etats- Unis, le débat porte depuis quelques années sur la compétence
de la Federal Communications Commission (FCC) à émettre des règles pour faire respecter la neutralité du Net sur le réseau américain. Le Communications Act (4) distingue les services d’information, placés sous le Titre I, des services de télécommunications (« common carriers »), placés sous le Titre II, et exclut toute régulation des premiers par le régulateur. En 2007, la FCC choisit de définir l’Internet haut débit sans fil (« wireless broadband Internet ») comme un service d’information et de le classer in fine sous le Titre I (5). C’est pourquoi les juridictions ont sanctionné à plusieurs reprises l’adoption de règles contraignantes en matière de neutralité du Net par le régulateur américain. Ce fut le cas en 2010 lorsque la Cour d’appel du District
de Columbia annula une décision de la FCC qui sanctionnait la gestion de trafic de l’opérateur Comcast aux heures de pointes (6). Quelques mois plus tard, le régulateur américain édicte l’Open Internet Order qui dispose notamment des principes d’interdiction de blocage et de discrimination entre les contenus. Toutefois, dans une décision du 14 janvier 2014, la Cour d’appel fédérale du DC Circuit a estimé qu’en rédigeant l’Open Internet Order, la FCC avait de nouveau outrepassé la compétence que lui conférait le Communications Act (7).

A la suite de cette décision, Tom Wheeler, président de la FCC, décide de modifier les règles relatives à la « Net Neutrality » en prévoyant la rédaction d’une nouvelle version de l’Open Internet Order qui permettrait enfin à la FCC de justifier légalement sa compétence. Une notice publiée le 15 mai 2014 propose une série de mesures soumises à consultation publique afin de définir de nouvelles règles en la matière (8). Le 26 février 2014, à l’appui de 4 millions de contributions, le régulateur américain des communications a finalement décidé – le 26 février 2015 – de reclasser l’Internet sous le Titre II du Communications Act : l’autorité devient ainsi légalement chargée d’édicter et de faire respecter les règles s’appliquant à l’Internet (9), notamment en matière de neutralité de l’Internet. La notice publiée le 15 mai 2014 évoquait la possibilité de mettre en place des négociations « commercialement raisonnables » entre les fournisseurs de contenus et d’applications (FCA) et les FAI. Prévue comme une exception au principe de non-discrimination sur le réseau, cette disposition aurait permis à un FCA de négocier individuellement la priorisation de ses contenus sur le réseau d’un FAI. Il s’agissait donc bien d’une exception au principe de neutralité du Net. Cette proposition ne figure pas dans la version finale de l’Open Internet Order adoptée le 26 février 2015. Le principe de non-discrimination est réaffirmé et la priorisation de contenus en fonction des négociations menées entre FAI et FCA est explicitement interdite (« no paid priorization ») (10).
C’est pourquoi cette décision ne revêt pas forcément le caractère « historique » qu’on lui prête. Si la FCC avait mis en place la faculté de négocier une priorisation de contenus pour les FCA, cela aurait en effet constitué une décision sans précédent
dans le cadre de la régulation de la neutralité du Net.

Asymétrie croissante des échanges
Or, la nouvelle version de l’Open Internet Order demeure similaire aux positions du régulateur américain depuis plusieurs années. On peut regretter que ce choix d’un statu quo ne prenne que trop peu en compte les évolutions récentes du marché et l’asymétrie croissante des échanges au sein du réseau. Entre 2012 et 2013, le volume de données échangées sur Internet a augmenté de 81 % : la croissance moyenne annuelle de 2014-2018 se situerait autour de 20 % par an (11). De plus, seuls vingt-cinq FCA représentent 80 % (12) du trafic. A la lumière de ces chiffres, il semblerait logique que le modèle économique ayant prévalu jusqu’alors sur Internet soit remis en question. L’hypothèse selon laquelle un FCA pourrait négocier la priorisation de ses contenus
sur le réseau devrait être envisageable. La contribution financière des acteurs les plus consommateurs en bande passante permettrait d’entrevoir de nouveaux moyens de financer le développement d’infrastructures propres à acheminer le trafic.

S’inspirer du cinéma et du CNC
Pour comprendre, il est intéressant de faire une analogie entre le marché de l’Internet et celui du cinéma. Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) contribue à la construction, l’entretien et la rénovation des réseaux de salles de projections en France par le biais du « soutien automatique à l’exploitation ». Dès lors qu’une salle décide de s’équiper d’une technologie, le CNC en finance une partie : c’est par exemple le cas pour la mise en place de systèmes de projection de films en 3D.Lorsque les œuvres cinématographiques sont diffusées dans ces salles, une taxe prélevée sur le prix du ticket d’entrée – taxe dite TSA(3) – est reversée au CNC. Cette taxe permet entre autres de continuer à rénover et moderniser le réseau de salles français.
Il s’agit du même principe sur Internet. Les modèles économiques des FCA demandent une augmentation constante des capacités de réseau. Les FAI continueront d’investir afin que les contenus puissent être acheminés avec la même qualité vers les utilisateurs. Sur le même modèle que le réseau de salles de cinéma, les FCA pourraient être tenus de contribuer à ce financement et cesser, à l’heure où les modèles économiques ont été bouleversés par l’avènement de l’Internet commercial, de se comporter comme des passagers clandestins du réseau.
En interdisant aux FCA de négocier avec les FAI une priorisation de contenus sur le réseau, la FCC sacralise la position dominante des FCA sur la chaîne de valeur de l’économie numérique. En effet, cette application de la Net Neutrality signifie que les FCA continueront d’emprunter le réseau sans payer de contrepartie financière, malgré la croissance exponentielle des capacités nécessaires pour acheminer leurs contenus. Or, si les FAI américains sont très peu développés hors des Etats-Unis, les « OTT » (13) opèrent dans un contexte international et bénéficient de larges parts de marché dans la plupart des pays où ils sont utilisés. Eviter que ces derniers contribuent au financement des « tuyaux », c’est aussi leur donner les moyens de pérenniser leur position dominante dans l’économie de l’Internet. Ainsi, les entreprises américaines
ne seront pas tenues de contribuer au financement du réseau, aux Etats-Unis, mais aussi partout où cette décision pourrait potentiellement avoir un écho.
En Europe, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne sont en négociations autour du projet de règlement « Marché unique des télécommunications ». Dans un premier temps, le Parlement avait adopté une définition de la neutralité du Net ne prévoyant que de rares exceptions à son application (14). Dans un communiqué daté du 4 mars 2015 (15), le Conseil européen a confirmé que le principe de non-discrimination entre les contenus serait inscrit dans le règlement. Cependant, des exceptions semblent finalement être envisagées : le communiqué laisse entendre que des accords seront autorisés pour les « services requérant un niveau spécifique de qualité ». En imaginant que ces accords impliquent des contreparties financières, les FCA contribueraient indirectement au financement de l’agrandissement des capacités du réseau nécessaire à l’acheminement des contenus les plus consommateurs de bande passante. Cette solution pourrait permettre d’atteindre un certain consensus
sur le marché des télécoms.

La Justice américaine est saisie
Aux Etats-Unis, au contraire, les nouvelles règles adoptées par la FCC souffrent déjà de nombreuses contestations. Le 23 mars 2015, deux requêtes en révision ont été déposées devant les juridictions américaines : Alamo Broadband, un câbloopérateur basé au Texas, et USTelecom, un groupe représentant plusieurs opérateurs de télécoms américains, considèrent que la nouvelle version de l’Open Internet Order
doit être annulée pour « excès de pouvoir » (16) et du fait de son caractère « arbitraire et fantasque ». Bien qu’attendue, cette rapide contestation devant les juridictions illustre les problèmes que peut soulever l’adoption de règles trop éloignées de la réalité du marché. En effet, si la décision de la FCC semble préserver l’essor de ses géants du numérique, elle ne permet guère de répondre à la question de leur participation au financement du réseau. @

David Kessler devra aider le groupe Orange à clarifier sa stratégie dans les médias et les contenus

C’est l’ancien conseiller pour la culture et la communication du président de la République : David Kessler prend le 1er décembre ses fonctions à la fois de DG d’Orange Studio et surtout de « conseiller de la direction générale sur la stratégie médias et contenus » du groupe Orange. Vers un nouveau revirement stratégique ?

Par Charles de Laubier

David KesslerLa stratégie de partenariats dans les contenus, adoptée par Stéphane Richard il y a quatre ans avec son plan « Conquêtes 2015 », était-elle la bonne ? C’est la question à laquelle devra répondre David Kessler (photo), le nouveau « Monsieur médias et contenus » du groupe Orange, également nommé directeur général de la filiale de coproduction de films Orange Studio – laquelle est présidée par Christine Albanel, qui fut elle aussi conseiller à l’Elysée, pour la Culture et l’Education.
Face aux offensives des géants du Net – les « GAFAN », si l’on y ajoute Netflix – dans les contenus, l’ex-France Télécom s’interroge au moment où les revenus de ses réseaux fixe et mobile décroissent.

Dilemme : être partenaire ou producteur de contenus ?
Les services OTT – Over-The-Top – des nouveaux entrants de l’Internet captent de plus en plus de valeur dans le numérique, au détriment des infrastructures elles mêmes.
Le groupe Orange doit-il monter dans la chaîne de valeur, quitte à être OTT lui-même ? A l’approche de l’échéance, l’an prochain, du plan « Conquêtes 2015″, un revirement stratégique d’Orange n’est donc pas à exclure dans les contenus et les médias.
C’est le 5 juillet 2010 que Stéphane Richard, alors directeur général depuis quatre mois de l’opérateur encore appelé France Télécom, présente sa nouvelle stratégie : fin de la diversification du groupe dans la production de contenus et recentrage sur son métier d’ »éditeur de réseaux » et d’« agrégateur intelligent » de contenus (1). Orange ne sera plus lui-même producteur de contenu et s’en tiendra à des partenariats avec de possibles « prises de participation minoritaire ». Le haut fonctionnaire venu du ministère de l’Economie (2) prend ainsi le contre-pied de celui qui était encore le PDG de France Télécom, Didier Lombard, lequel avait au contraire investit massivement dans les contenus, le cinéma et le sport. Après avoir injecté 203 millions d’euros rien que dans les droits 2008-2012 de la Ligue 1 de football et 80 millions d’euros sur trois ans dans
le préachat de films, tout en lançant ses propres chaînes payantes (Orange Cinéma Séries et Orange Sport), France Télécom opère alors un revirement stratégique.

L’affaire « Dailymotion » a laissé des traces
Dailymotion, qui n’est pas encore à ce moment-là contrôlé à 100 % (ce sera le cas
en janvier 2013), est présenté comme l’illustration de cette nouvelle stratégie de partenariats. L’opérateur télécoms historique, qui investissait à l’époque environ 400 millions d’euros par an dans des contenus, tire un trait sur sa politique d’exclusivités
– d’ailleurs très critiquée par la Justice, l’Autorité de la concurrence et le rapport Hagelsteen (3). Stéphane Richard se met en quête de partenaires. En juin 2010,
il se dit « intéressé » par un partenariat numérique avec « Le Monde Interactif »,
puis présente avec le patron du Nouvel Obs, Claude Perdriel, et l’espagnol Prisa une offre conjointe pour acquérir Le Monde (mais c’est l’offre Pigasse-Niel-Berger qui l’emportera). En juillet 2010, Deezer, le site de streaming musical, annonce qu’il va accueillir dans son capital France Télécom (à hauteur de 11 %). Devenu PDG du groupe en mars 2011, Stéphane Richard continue de poser ses jalons dans les contenus. En novembre 2011, le groupe prend 34,15 % du capital des activités web
de Skyrock.
Mais l’empilement des partenariats ne fait pas forcément une stratégie des contenus cohérente. France Télécom s’interroge sur les synergies possibles, quitte à envisager en 2012 de regrouper sur un seul site géographique – dans un nouveau département qui aurait été baptisé « Orange Digital » – les activités contenus et audiences liés à Internet, jusqu’alors identifiées sous le sigle NAC (Nouvelles activités de croissance) (4). On y aurait retrouvé le portail Orange, Orange Advertising, la TV d’Orange, Orange Cinéma Séries (OCS), OPTV (Orange prestations TV), Dailymotion (détenu à 49 % à l’époque), Deezer (11 %), Skyblog (49 %), Cityvox (100 %) ou encore l’ex- Orange Sports. Seule Studio 37 – la filiale de coproduction de films devenue Orange Studio – serait restée à l’écart. Mais le projet « Orange Digital », qui ne devait pas être une filiale comme Telefonica Digital en raison de l’hostilité des salariés de France Télécom, ne fera pas long feu à la suite de rivalités managériales sur les contenus au sein du groupe (5). Orange s’intéresse aussi au livre numérique, au-delà de son kiosque Read & Go, tout en poussant le projet MO3T de distribution en ligne d’ebooks. Ainsi va la stratégie contenus et médias d’Orange : tous-azimuts. Un événement ajoutera de la confusion : l’affaire « Dailymotion ». Au printemps 2013, Bercy – alias le ministre du Redressement productif – émet son veto à une vente de 75 % du capital de Dailymotion à Yahoo qui s’était porté acquéreur. La stratégie de Stéphane Richard dans les contenus, qui aurait pu s’étendre jusqu’aux Etats-Unis grâce à ce géant américain du Net, est mise à mal au plus haut sommet de l’Etat – lequel reste son actionnaire de référence (6). Plus d’un an et demi après cette affaire et 30 millions d’euros investis depuis par Orange dans la plateforme vidéo, le concurrent français de YouTube en est au même point dans sa recherche d’un partenaire outre-Atlantique. Microsoft est prêt depuis le début de l’année à investir dans la plateforme vidéo, à condition qu’il y ait un troisième partenaire. Le 26 novembre dernier, Stéphane Richard a rencontré le hongkongais Hutchinson. Et selon nos informations (lire p. 3), Dailymotion ne laisse pas indifférent RTL Group. Cela aurait pu être Canal+, mais la filiale de télévision de Vivendi souhaitait en prendre le contrôle.

Canal+, justement, est un partenaire privilégié d’Orange. Depuis fin 2011, les deux groupes ont créé une coentreprise, OCS, détenu à 66,66 % par Orange (via Orange TV participations) et à 33,33 % par Canal + (via Multithématiques). Mais en vertu d’une des injonctions prononcées le 23 juillet 2012 par l’Autorité de la concurrence, Canal+ devait céder sa participation dans OCS (7) ou – comme Orange s’est opposé à la cession par Canal+ conformément à leur pacte d’actionnaire – ne plus avoir d’administrateurs dans cette co-entreprise (ce fut fait en février 2013). Avec un partenaire « neutralisé » au sein d’OCS, Orange se retrouve seul maître à bord. Un nouvel accord avec la chaîne américaine HBO a même été signé en septembre 2013 pour diffuser sur une chaîne OCS « Home of HBO » des séries dès le lendemain de leur diffusion aux Etats-Unis – ce qui avait provoqué, selon nos informations, le courroux de Canal+ non tenu informé de cette nouvelle exclusivité !

179 millions d’euros dans le cinéma
En revanche, ses obligations de financement du cinéma français et européens – renégociées il y a un an avec les organisations du cinéma français (Blic, Bloc dont l’APC, l’ARP et l’UPF) et signées avec le CSA le 20 décembre 2013 – ne sont pas, elles, « neutralisées » malgré des menaces de « gel » de la part d’Orange : pas moins de 179 millions d’euros seront investis sur cinq ans (2014- 2018), dont 81 % pour les seuls films français. C’est Orange Studio qui co-produit et acquiert des films français et européens. Pour cette année, cela représente 33 millions d’euros dans le cinéma, dont 27 millions dans des films français.
David Kessler est le troisième dirigeant d’Orange Studio en moins d’un an, après Frédérique Dumas (productrice de cinéma) et Pascal Delarue (ex-TF1). Un casting pour le moins hésitant… @