Sébastien Soriano (IGN) veut tenir tête à Google Maps

En fait. Le 27 septembre, Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, a présenté la « feuille de route » de l’Etat pour « l’ouverture, la circulation et la valorisation des données publiques ». Exemple : l’IGN prône la souveraineté des géodonnées face à Google Maps.

En clair. L’ancien président de l’Arcep, Sébastien Soriano, est depuis mi-décembre 2020 directeur général de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). Celui qui voulait « barbariser la régulation pour réguler les barbares » (1), comprenez les GAFAM, a eu beau se mettre au vert, il se retrouve à nouveau face aux Google, Apple, Facebook ou encore Microsoft qui nourrissent l’ambition de cartographier le monde entier en 3D et d’y capter toutes les géodonnées. Google Maps, par exemple, raisonne « global » et « gratuit » alors que l’IGN a vocation à être « national » et «monopole » – la Commission européenne ayant tout de même demandé il y a dix ans à la France d’abroger le droit exclusif (2) dont il bénéficie depuis un décret du 22 novembre 2004.
Depuis, l’ère de l’open data des données publiques pousse l’Etat à rendre accessible gratuitement sa « mine d’or » d’informations et en particulier depuis le 1er janvier 2021 les géodonnées du « Plan IGN ». Les géoportails français (3) et européen (4) contribuent à cette démocratisation de la cartographie. Sinon, les géants du numérique en Europe, tous américains, imposeront leurs Google Maps, Facebook Live Maps (projet Aria compris), Apple Maps et autres Microsoft Maps (Azure Maps inclus) aux GPS grand public, à l’environnement ou encore à la voiture autonome. « Les géodonnées sont une véritable mine d’or ; les géants du numérique l’ont compris. […] Ces derniers ont développé leur propre système cartographique. Mais aussi pratique que soit Google Maps, là ne résident pas les clés d’une compréhension du monde utile au sursaut nécessaire de l’humanité face au péril écologique », prévient Sébastien Soriano dans un point de vue paru le 15 septembre dernier dans Ouest-France.
Et le directeur général de l’IGN d’ajouter : « C’est par l’intelligence collective en France et en Europe que nous pourrons construire des “communs” numériques en contrepoint des silos de données des GAFA. [Et] par l’accès libre et gratuit aux données » (5). Pour assurer à l’Etat une « souveraineté des géodonnées » et des « géocommuns », outre la création d’une « géoplateforme » hébergée chez OVHcloud (lire p. 5), l’IGN a entrepris de modéliser en 3D l’Hexagone, par télédétection au laser – ou Lidar (6) – et avec l’intelligence artificielle, moyennant un investissement de 60 millions d’euros sur trois ans. @

Open data des décisions judiciaires et administratives : des avancées mais encore des zones floues

Le 30 juin a été publié au J.O. le décret de mise à disposition du public des décisions judiciaires et administratives. Soit près de quatre ans après la loi « pour une République numérique » annonçant l’open data de ces décisions. Mais il faudra des arrêtés et des circulaires pour y voir plus clair.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

La loi « pour une République numérique » du 16 octobre 2016, en annonçant l’open data des décisions de justice (1), marquait une étape décisive dans le processus de l’accès au droit pour tous. Mais il aura fallu attendre la loi « de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice » du 23 mars 2019 pour rouvrir le dossier de l’open data des décisions judiciaires (2). Et encore une année de plus pour que le décret pour « la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives » du 29 juin 2020 soit publié.

Occulter les données ou pas, c’est selon
Ce décret de mise à la disposition du public, sur Internet, des décisions judiciaires et administratives apporte quelques précisions complémentaires. Pour autant, dans sa formule « a minima », le dispositif prête à beaucoup d’interrogations et laisse de grandes zones d’ombres. En attendant les arrêtés et circulaires à suivre, un point d’étape s’impose. S’agissant tout d’abord de la responsabilité de la collecte et de la diffusion des décisions de justice sous format électronique, celle-ci est confiée respectivement à la Cour de cassation pour les décisions de l’ordre judiciaire, et au Conseil d’Etat pour les décisions de l’ordre administratif. C’est une bonne chose et cela est conforme au souhait exprimé par le Conseil national des barreaux (CNB) dans une déclaration signée avec la Cour de cassation en juin 2019 et avec le Conseil d’Etat en juin 2020. En effet, cette règle devrait mettre un terme à la délivrance « sauvage » des copies aux tiers qui a permis à certains de constituer un fonds documentaire, dans le cadre d’accords bilatéraux avec certains greffes.
Désormais, la délivrance des copies aux tiers ne pourra concerner que des décisions « précisément identifiées » (3). Pour les décisions de l’ordre judiciaire, le refus de délivrance ou le silence gardé pendant deux mois pourra donner lieu à un recours gracieux devant le président de la juridiction. Enfin, le greffier devra occulter les éléments permettant l’identification des personnes physiques de nature à porter atteinte à leur sécurité ou au respect de la vie privée des personnes ou celles de leur entourage, précision donnée que cette occultation sera automatique lorsqu’elle a été faite pour la mise à disposition du public. Le recours contre cette décision sera possible, par requête présentée par un avocat, devant le président de la juridiction auprès de laquelle le greffier exerce ses fonctions. Le président statuera par ordonnance, le demandeur et les personnes physiques, parties ou tiers, mentionnées dans la décision, si possible entendus ou appelés. En revanche, les questions relatives à l’exhaustivité et l’intégrité de la base de données demeurent entières alors que les résultats d’une recherche peuvent être différents selon la constitution de la base de données. Imaginons un instant que les décisions collectées soient toutes du Nord de la France sans tenir compte des jurisprudences d’autres régions.
S’agissant ensuite de l’occultation des données à caractère personnel, l’objectif consiste à trouver le juste équilibre entre le droit à l’information du public et le droit au respect de la vie privée des personnes concernées par les décisions de justice. La loi du 23 mars 2019 a prévu que les noms et prénoms des personnes physiques, parties ou tiers à l’affaire, seraient systématiquement anonymisés (4). Quant aux autres éléments identifiants, ils devront être occultés par le juge lorsque leur « divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage ». La décision d’occultation peut également porter sur tout élément de la décision dont la divulgation est susceptible de « porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation » (5).

Deux temps d’appréciation sont prévus
Pour la mise en œuvre de ce dispositif, le décret du 29 juin 2020 prévoit deux temps d’appréciation. Le premier temps se situe à la suite du prononcé du délibéré : le juge ou le président de la formation prend la décision d’occulter les informations indirectement identifiantes présentant l’un des deux risques précités (6). Le deuxième temps se situe après la publication en ligne de la décision : tout intéressé peut alors introduire, auprès d’un membre du Conseil d’Etat désigné par le vice-président du Conseil d’Etat (pour les décisions administratives) ou auprès d’un membre de la Cour de cassation désigné par le premier président (pour les décisions judiciaires), une demande d’occultation ou de levée d’occultation des éléments d’identification. Outre le fait qu’il en résulte une charge complémentaire pour les magistrats, ce mécanisme laisse au juge une marge très importante – trop ? – d’appréciation sur les informations dont la divulgation serait de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée des personnes citées dans la décision. Jusqu’à la publication sur Internet, les parties devraient pouvoir disposer d’une fenêtre de tir contrainte pour contester la décision d’occultation ou de non-occultation. Cependant, le décret ne précise rien à cet égard… Après la publication en ligne, le recours est le même pour tout intéressé, qu’il s’agisse d’une partie ou d’un tiers. La demande d’occultation ou de levée d’occultation des éléments d’identification est portée auprès du membre du Conseil d’Etat désigné par le vice-président du Conseil d’Etat ou auprès du membre de la Cour de cassation désigné par le premier président. Leur décision est elle-même susceptible de recours : pour les décisions de l’ordre administratif, il s’agit de « recours de plein contentieux » ; pour les décisions de l’ordre judiciaire d’un « recours devant le premier président de la Cour de cassation dans les deux mois suivant sa notification ».

Garanties et algorithmes : le CNB alerte
Malheureusement, le décret n’apporte aucune précision notamment au regard de mesures provisoires, par exemple la suspension de la publication dans l’attente que soit tranchée la question de l’occultation ou de la non-occultation. Or, nous savons que le temps de communication sur l’Internet n’est pas celui du temps judiciaire, posant là une simple question d’efficacité. Sera-t-il utile de requérir une occultation après que la décision aura été rendue publique et aura circulé sur les réseaux du Net ? Pour ces différentes raisons, le Conseil national des barreaux (CNB) a demandé des garanties en termes d’information des parties, de débat contradictoire et de droit de recours (7). Sur le premier point, le CNB demande que soient précisées les modalités d’information des parties quant à la décision prise concernant l’occultation, pour leur permettre d’initier, le cas échéant, un recours avant la mise en ligne de la décision ou avant la délivrance au tiers, afin de garantir réellement le respect du principe du contradictoire et de leur vie privée. Sur le deuxième point, il demande que les avocats puissent engager une discussion contradictoire sur l’occultation, dès leurs premières écritures et au plus tard, dans leur plaidoirie, pour permettre au juge de rendre une décision éclairée et au plus proche des enjeux du respect de la vie privée et de la sécurité des personnes. Enfin, troisième point, la notification aux parties de la décision d’occultation devrait être faite dans un temps raisonnable pour leur permettre d’initier, le cas échéant, un recours avant la mise en ligne de la décision.
Au-delà de ces garanties qu’il serait souhaitable d’apporter, le cadre juridique de l’open data des décisions judiciaires laisse encore de nombreuses questions sans réponse. L’encadrement du recours aux algorithmes n’est toujours pas d’actualité, ouvrant un large champ d’exploration aux acteurs privés qui s’y sont engouffrés. S’agissant de la justice et donc d’un service public « pas comme les autres », la régulation du marché des algorithmes est une priorité. Le CNB n’a de cesse de rappeler la nécessaire vigilance à avoir quant à l’utilisation qui sera faite des décisions de justice ainsi mises à disposition et la nécessité de garantir la transparence et l’éthique des algorithmes utilisés pour leur exploitation. Dans cet objectif, l’institution représentative des avocats formule une proposition de constitution ou de désignation d’une instance publique chargée de la régulation et du contrôle des algorithmes utilisés pour l’exploitation de la base de données des décisions de justice ainsi que de la réutilisation des informations qu’elle contient (8). Le CNB souhaite en être membre, aux côtés des plus hautes autorités de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif. Il préconise également que les appels d’offres à destination des acteurs privés incluent systématiquement le rappel de principes éthiques, à l’exemple de ceux proposés par le Conseil de l’Europe (9) via sa Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), ou encore des sept principes posés par la Commission européenne pour une « IA de confiance » (10), mais aussi, pourquoi pas, de règles co-construites au sein de l’institution à créer ou à désigner. Les prérequis pour la conception des algorithmes pourraient s’inspirer des règles ethic by design ou legal by design.
La question de l’accès aux données intègres pour les avocats n’est pas non plus traitée. En effet, le décret du 29 juin 2020 est muet sur les autorisations d’accès au flux intègres. Les magistrats auront-ils accès aux décisions intègres – c’est-àdire non anonymisées et non occultées – ou auront-ils accès aux décisions anonymisées et occultées ? Dans le premier cas, l’accès différencié pour les magistrats et les avocats conduirait à une inégalité inacceptable. L’avocat, auxiliaire de justice (11), ne peut pas être assimilé au « public » visé par la loi du 29 mars 2019. A ce titre, l’institution représentative des avocats a tenu à rappeler, dans sa résolution du 14 décembre 2019, que « les avocats doivent, à l’instar des magistrats du siège comme du parquet, aussi auxiliaires de justice, avoir accès aux décisions intègres, sans anonymisation ni occultation des éléments indirectement identifiants, au nom de l’égalité des armes consacrée par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ». La seule alternative acceptable serait que nous ayons, avocats et magistrats, accès à l’open data des décisions judiciaires, dans les mêmes conditions.

Groupe de travail « Réutilisation des données »
Le décret du 29 juin 2020 devrait être complété par d’autres textes (arrêtés, circulaires, …). La Chancellerie a annoncé la mise en place d’un groupe de travail dédié à la problématique de la réutilisation des données issues des décisions de justice. La première réunion sur ce thème, organisée par le ministère de la Justice, doit se tenir au cours cette rentrée. En espérant que le Conseil national des barreaux pourra apporter sa pierre à cet édifice qui modifie en profondeur la justice. @

* Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil
national des barreaux (CNB), est ancien
bâtonnier du Barreau de Paris, et auteure de
« Cyberdroit », paru aux éditions Dalloz.

L’Open data risque de se heurter aux droits de propriété intellectuelle des services publics

Le buffet des données publiques est ouvert, mais les administrations réfractaires à l’open data n’ont peut-être pas dit leur dernier mot avec le droit d’auteur. La loi « République numérique » pourrait leur avoir offert une nouvelle arme pour lutter contre la réutilisation de leurs données.

Marie-Hélène Tonnellier (avocat associée) & Corentin Pallot (avocat) – Latournerie Wolfrom Avocats

L’« économie de la donnée » est sur toutes les lèvres, et l’ouverture en grand des vannes des données générées par les services de l’Etat et des collectivités territoriales est présentée par beaucoup comme un sérieux levier de croissance. A voir les données déjà « offertes » au téléchargement par les administrations sur la plateforme publique Data.gouv.fr, l’on comprend aisément tout le potentiel pour les opérateurs économiques : base « Sirene » de l’ Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) donnant accès au répertoire de 9 millions d’entreprises et 10 millions d’établissements actifs, mais aussi par ailleurs données de trafic des transporteurs publics, cartes maritimes, liste des fournisseurs des départements, dépenses d’assurance maladie par les caisses primaires et départementales, etc.

Accélération du mouvement open data
Mais l’open data entend dépasser la seule sphère économique et compte s’imposer comme un véritable outil démocratique en permettant à tous, et notamment aux journalistes et aux médias, d’accéder et d’exploiter les masses colossales de données générées par l’administration. Toujours sur la plateforme Data.gouv.fr, développée et animée par la mission Etalab (voir encadré page suivante), les statistiques relatives aux impôts locaux, aux infractions constatées par département ou encore les résultats de tous les établissements scolaires privés et publics français, représentent sans conteste une source exceptionnelle mise à la disposition des journalistes de données (data journalists) pour entrer dans l’intimité du fonctionnement de l’Etat. C’est la loi « pour une République numérique » du 7 octobre 2016 (1), portée par Axelle Lemaire (alors secrétaire d’Etat chargée du Numérique et de l’Innovation), qui a souvent été présentée comme la grande réforme de l’open data. Le chantier avait en réalité été déjà bien entamé dans les mois qui l’avaient précédée. Ainsi le législateur avait-il par exemple décidé d’aller au-delà des impératifs européens en matière de tarification des données, en consacrant purement et simplement le principe de la gratuité avec la loi « Valter » (2). Mais il faut néanmoins reconnaître à Axelle Lemaire une avancée législative notable pour l’open data, qui a d’ailleurs introduit la notion de « service public de la donnée » (3). Parmi ses mesures les plus emblématiques, l’ouverture des données
des services publics industriels et commerciaux apporte un élargissement considérable à la notion d’« information publique ». Alors que la réglementation autorisait jusqu’à cette réforme l’accès à ces données mais en interdisait la libre réutilisation (4), il est à présent possible d’exploiter ces immenses gisements informationnels.
Nous pourrions également citer d’autres nouveautés d’une aide indéniable pour le développement de l’open data, comme l’obligation faite aux administrations de publier en ligne certains documents et informations, tels que les « bases de données, mises à jour de façon régulière, qu’elles produisent ou qu’elles reçoivent et qui ne font pas l’objet d’une diffusion publique par ailleurs » ou encore « les données, mises à jour de façon régulière, dont la publication présente un intérêt économique, social, sanitaire ou environnemental » (5). De même, la contrainte faite aux administrations qui souhaitent soumettre la réutilisation gratuite à des licences de choisir parmi une liste fixée par décret permettra nécessairement une plus grande facilité de réutilisation (6), même
si les administrations conservent néanmoins la possibilité d’élaborer leurs propres licences, à condition néanmoins de les faire homologuer par l’Etat.
Mais qui trop embrasse mal étreint. Et à vouloir border textuellement tous les aspects de l’open data, la loi « République numérique » pourrait avoir offert aux administrations une nouvelle arme pour lutter contre la réutilisation de leurs données, grâce à leurs droits de propriété intellectuelle.

Opposition à la libre-circulation des data
Il existait depuis longtemps un débat sur la faculté pour les administrations d’opposer
à la libre réutilisation de leurs informations publiques leurs droits de propriété intellectuelles sur les documents dans lesquels ces précieuses données figuraient (bases de données, logiciels, etc.). Certes, la Commission d’accès aux documents administratifs ( CADA ) , a u torité administrative chargée de veiller à la liberté d’accès aux documents administratifs, avait eu l’occasion de répondre par la négative à cette question (7).

Propriété intellectuelle et droit d’auteur
Mais la doctrine d’une administration ne suffit pas à faire le droit et la cour administrative d’appel de Bordeaux, en 2015, avait justement jugé le contraire, en considérant que le conseil général du département de la Vienne pouvait opposer son droit sui generis de producteur de bases de données pour s’opposer à la réutilisation des archives publiques de la collectivité (8). Le Code de la propriété intellectuelle permet notamment d’interdire l’« extraction, par transfert permanent ou temporaire de
la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit [et la] réutilisation, par la mise à la disposition du public de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu’en soit la forme » (9). Saisi de la question, le Conseil d’Etat a rejeté l’argumentaire des magistrats bordelais par un arrêt du 8 février 2017 (10). En interdisant à l’administration d’opposer un quelconque droit de propriété intellectuelle, le Conseil d’Etat apportait ainsi sa pierre à l’édifice de l’open data. Sauf qu’entre-temps le législateur avait à tout prix souhaité légiférer sur le sujet.
Visiblement inquiets, si l’on en croit les discussions parlementaires, de l’arrêt de la
cour administrative de Bordeaux précité, les rédacteurs de la loi ont cru devoir écarter expressément la faculté pour l’administration d’opposer ses droits sui generis de producteur de base de données. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions et, apparemment obnubilés par cet arrêt d’appel, les rédacteurs se sont alors contentés d’interdire aux administrations d’opposer ce droit sui generis sans faire mention des autres droits de la propriété intellectuelle – notamment le droit d’auteur. Les administrations host i les à l’open data ne manqueront probablement pas d’exploiter cette maladresse pour opposer leurs autres droits de propriété intellectuelle. Tout
aussi contraire à l’esprit d’ouverture de la loi , celle-ci cantonne ce t te interdiction d’opposer le droit sui generis de producteur de bases de données à la réutilisation
des seuls contenus de « bases de données que ces administrations ont obligation de publier ». A savoir : les « bases de données, mises à jour de façon régulière, [que les administrations] produisent ou qu’elles reçoivent et qui ne font pas l’objet d’une diffusion publique par ailleurs » (11). Cette disposition ouvre encore ici la voie à une interprétation a contrario des administrations réticentes, puisque seules certaines bases de données doivent impérativement être publiées.
La CADA a eu beau s’émouvoir de ce dangereux excès de précision, la loi a été votée et promulguée en l’état (12). Il existe donc à ce jour une marge d’interprétation et, partant, une source d’inconnu quant à la faculté pour l’administration de s’opposer à la libre réutilisation de données lorsque celles-ci sont contenues dans des documents sur lesquels elle détient des droits de propriété intellectuelle : soit parce qu’elle invoque des droits de propriété intellectuelle autres que ceux du producteur de bases de données, soit parce qu’il s’agit de bases de données dont la publication n’est pas obligatoire.

Des administrations peu enclines à partager
On sait que certaines administrations n’ont pas été particulièrement enchantées par
le mouvement l’ouverture des données publiques, pour diverses raisons : nécessaire surcharge d’activité induite par le travail de mise à disposition, refus de partager leurs précieuses données jalousement conservées depuis des décennies (ou pense notamment aux services publics industriels et commerciaux), manque à gagner puisque certaines administrations monétisaient – parfois fort cher ! – leurs données. Ces administrations ne manqueront certainement pas de s’engouffrer dans la brèche.
La grande razzia sur les données publiques que l’on nous avait annoncée se révèlera peut-être moins facile qu’on nous l’avait promise. @

ZOOM

Google, Microsoft, Orange ou encore Salesforce, partenaires d’Etalab
En France, la politique d’ouverture en ligne des données publiques (Open data) est pilotée par la mission Etalab, placée sous l’autorité du Premier ministre depuis février 2011 et, depuis octobre 2012, rattachée directement au Secrétaire général pour la modernisation de l’action publique. Etalab gère le portail unique interministériel Data.gouv.fr, lequel met « à disposition librement l’ensemble des informations publiques de l’Etat, de ses établissements publics et, si elles le souhaitent, des collectivités territoriales et des personnes de droit public ou de droit privé chargées d’une mission de service public ». Etalab rassemble en outre des acteurs de l’innovation en France au sein d’une communauté appelée Dataconnexions, dans laquelle l’on retrouve Google, Microsoft, Orange ou encore Salesforce parmi les partenaires. C’est dans ce cadre que sont organisés des concours pour encourager l’usage des données publiques et récompenser les projets les plus innovants. Six éditions ont déjà eu lieu. @

Charles de Laubier

Rapport « Numérique et Libertés » de l’Assemblée nationale : l’Etat est appelé à garder l’équilibre

La Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique avance – dans son rapport du 8 octobre 2015 – l’idée d’« infrastructures de données essentielles » et en appelle aussi à préserver « à tout prix » la liberté d’expression sur Internet, tout en s’opposant au changement de statut des hébergeurs.

Par Winston Maxwell, avocat associé, Hogan Lovells

La Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, à l’Assemblée nationale*, a rendu son rapport le 8 octobre 2015. Ce rapport (1) a pour ambition
de poser quelques principes qui doivent guider la réflexion des parlementaires lorsqu’ils examinent différents projets de lois touchant au numérique. Plusieurs points forts ressortent de
ce rapport « Numérique et Libertés ».

Open Data et liberté d’expression
Le premier constat de la commission « Droit et Libertés à l’âge du numérique » est que la loi française est en retrait par rapport à la législation américaine ou britannique en matière d’accès aux documents administratifs. Elle préconise une transparence accrue de l’ensemble des documents administratifs. Même si la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) fait bien son travail, ses avis ne sont pas toujours suivis d’effets. Par ailleurs, la loi prévoit trop de dérogations permettant à l’administration de s’opposer à des demandes de communication de documents. La commission de l’Assemblée nationale préconise le développement d’une logique d’offre de données d’intérêt public au lieu d’une logique uniquement de demande. Elle évoque l’idée d’« infrastructures de données essentielles » qui seraient mises à la disposition du public afin de libérer toutes les potentialités de l’Open Data (2). La commission souligne que la protection des données à caractère personnel ne peut pas systématiquement faire obstacle à la communication de données intéressant la vie publique. En Suède, par exemple, les citoyens ont la possibilité de demander une
copie de la fiche de paie d’un ministre ainsi que ses dépenses de représentation en
se présentant directement auprès du ministère.
Le deuxième grand chapitre de ce rapport concerne la protection de la liberté d’expression à l’ère numérique. Le rapport « Numérique et Libertés » rappelle que la liberté d’expression protège la possibilité de s’exprimer mais également de recevoir et de trouver des informations sur Internet, sans considération de frontières. En France,
le « droit commun » de la liberté d’expression est la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cette loi ne se limite pas à la presse, mais s’applique à l’ensemble des propos tenus sur une place publique ou sur Internet. Elle prévoit des sanctions pour tout abus de la liberté d’expression, mais ces sanctions sont soigneusement encadrées afin de préserver l’essence de la liberté d’expression en France. Pour la commission,
ce régime de droit commun de la liberté d’expression doit être préservé à tout prix sur Internet. Le régime dérogatoire de l’audiovisuel ne doit pas être exporté vers l’Internet. La régulation audiovisuelle encadre la liberté d’expression de manière beaucoup plus forte, mais cet encadrement se justifie en grande partie par l’utilisation de fréquences hertziennes, ressources publiques rares (3).
Par ailleurs, la commission s’oppose à ce que la loi de 1881 soit limitée aux seuls journalistes professionnels (4) et estime au contraire qu’il n’existe pas de liberté d’expression à deux vitesses, et qu’avec Internet et les moteurs de recherche, chaque internaute et bloggeur non professionnel participe aujourd’hui au moins autant que les journalistes à la vitalité du débat démocratique et à l’information publique. Il faut donc éviter une liberté d’expression « réservée » aux journalistes professionnels.

Pas touche au statut d’hébergeur
La liberté d’expression sur Internet est également garantie par le régime de responsabilité limitée des hébergeurs. La commission s’est déclarée hostile à tout changement dans le statut d’hébergeur. Reconnue aux Etats- Unis et en Europe, la responsabilité limitée des hébergeurs contribue à la liberté d’expression sur Internet. Le choix politique fait au début des années 2000 était de privilégier la liberté d’expression en permettant aux plateformes d’héberger toutes sortes de contenus fournis par les utilisateurs, sans crainte de voir leur responsabilité engagée. Les abus sont signalés et traités a posteriori. Certes, la distinction entre hébergeur et éditeur n’est pas toujours facile à tracer dans un environnement aussi évolutif que le numérique. Les tribunaux ont fait preuve d’une grande adaptabilité et ont su faire vivre la distinction hébergeur/éditeur et l’appliquer à de nouveaux business models. Par ailleurs, le statut d’hébergeur n’enlève rien au pouvoir du juge d’ordonner des mesures appropriées pour limiter la diffusion de contenus illicites. En résumé, la commission « Droit et Libertés à l’âge du numérique » a estimé que changer les règles sur les hébergeurs pourrait mettre en danger l’équilibre délicat trouvé au début des années 2000 entre la liberté d’expression et la protection contre des contenus illicites.

Le rôle du juge doit être réaffirmé
En matière de lutte contre les contenus illégaux sur Internet, la commission souligne
la nécessité d’impliquer un juge à chaque fois. L’autorité judiciaire est seule légitime
à sanctionner des abus à la liberté d’expression et notamment ordonner le retrait de contenus illicites. La commission met en garde contre le contournement du pouvoir
des autorités judiciaires par la création d’autorités administratives chargées de réguler des contenus sur Internet. Elle préconise en revanche un renforcement des moyens d’action de la justice, notamment par la création de procédures judiciaires accélérées, d’un parquet spécialisé et d’un pôle de compétences numériques au sein du ministère de la Justice. En matière de protection des données à caractère personnel, les recommandations de la commission vont dans le sens du futur règlement européen,
à savoir une conception très large de ce qu’est une donnée à caractère personnel, l’encouragement des techniques de privacy by design, et de gouvernance (accountability). La commission est favorable à la reconnaissance d’un droit au déréférencement, mais souligne la nécessité de prévoir une procédure contradictoire permettant notamment à l’éditeur du site dont le déréférencement est demandé de
faire valoir ses observations. Le rôle du juge doit être réaffirmé en matière de déréférencement puisqu’il s’agit d’une limitation de la liberté d’expression. Les modalités d’application du droit au déréférencement, et notamment son étendue territoriale, doivent obéir au principe de proportionnalité et tenir compte de la nécessité de maintenir un niveau élevé de protection de la liberté d’expression sur Internet au niveau mondial.
La commission « Droit et Libertés à l’âge du numérique » n’a pas dégagé un consensus en matière de la régulation des plateformes. Pour la majorité de ses membres, les potentiels abus commis par les plateformes numériques justifient la création d’une nouvelle obligation de loyauté. Pour certains de ses membres, dont l’auteur de cet article, le Code de la Consommation et le Code du Commerce prévoient déjà des obligations de loyauté et de transparence, et il est donc inutile de créer une nouvelle couche de législation visant spécifiquement les plateformes numériques. Par ailleurs, l’idée de créer une réglementation spécifique pour les « plateformes majeures » ferait double emploi avec le droit de la concurrence, qui est déjà bien outillé pour traiter diverses formes d’abus. Certains souhaitent transposer aux plateformes numériques la réglementation en matière de communications électroniques et le concept d’opérateur
« puissant ». Or, pour l’auteur de cet article, la réglementation des communications électroniques ne peut pas être transposée aux plateformes numériques car nous ne sommes pas dans un contexte de transition d’un monopole vers l’introduction de la concurrence, mais plutôt dans un domaine où la concurrence a toujours été vive (5). Enfin, la commission « Droit et Libertés à l’âge du numérique » souligne les contradictions entre d’une part les exigences de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) et d’autre part des lois françaises sur le renseignement. Après l’arrêt « Digital Rights Ireland » du 8 avril 2014 de la CJUE, la loi française concernant la conservation des données de connexion semble contraire à la Charte européenne des Droits fondamentaux. Cependant, la France n’a pas essayé de modifier sa loi et au contraire a renforcé les pouvoirs des services de renseignement prévoyant notamment la possibilité d’examiner des données de connexion de l’ensemble des citoyens afin
de détecter des signaux faibles. Après les attentats du 13 novembre 2015, le gouvernement et le Parlement introduiront probablement de nouvelles mesures pour renforcer les pouvoirs des services de la police et du renseignement. Le rapport de la commission aura sans doute peu d’effet dans ce débat compte tenu de la nécessité absolue de combattre le terrorisme. Cependant, le rapport montre qu’en matière de protection des données à caractère personnel, la France n’est pas un bon élève lorsqu’il s’agit des pouvoirs de ses services de renseignement. La législation française permet la collecte et le traitement massif de données sans l’intervention d’un juge,
ce qui est exactement reproché aux Etats-Unis. Certaines entorses aux droits fondamentaux sont nécessaires dans une société démocratique pour faire face à des menaces graves pour la sécurité publique.

Contre la surveillance généralisée
Le rapport « Numérique et Libertés » de la commission met en garde contre un glissement irréversible vers un régime de surveillance généralisée. Selon la commission, à chaque fois qu’une loi exceptionnelle donne de nouveaux outils aux services de renseignements, cette démarche est en pratique irréversible. Ce qui est donné aux services de renseignements n’est jamais retiré par la suite. Dans ce sens, l’évolution de la loi est à sens unique, et les parlementaires doivent en tenir compte. @

* La Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, à l’Assemblée nationale, a été présidée par Christiane Féral-Shuhl, avocate et ancienne bâtonnière de Paris, et par Christian Paul, député de la Nièvre. En plus des deux co-présidents, cette commission a rassemblé 13 parlementaires issus de différents groupes politiques, ainsi que 13 personnalités qualifiées, dont l’auteur de cet article.

République numérique et démocratie participative : la donnée en débat

Après un exercice inédit – pour un projet de loi – de démocratie participative, le gouvernement ajuste son texte, attendu en Conseil des ministres le 9 décembre prochain et au Parlement en janvier 2016, sur l’ouverture des données publiques et la protection des données personnelles. Le plus dur sera de passer de la théorie à la pratique.

Par Ariane Samson-Divisia, avocate au barreau de Paris, cabinet K&L Gates

C’est sous l’URL www.republique-numerique. fr, pleine
de promesses, qu’a été lancée le 26 septembre dernier,
la consultation sur le projet de loi « pour une république numérique », dit « Lemaire », du nom de la secrétaire d’Etat chargée du Numérique. Au 18 octobre, date de clôture de la consultation, le site Internet faisait état des chiffres de cette démocratie participative à la française : 147.710 votes et 8.501 contributions (1), parmi lesquelles des centaines de propositions d’articles (2).

Open data : les questions en suspens
La question de l’ouverture des données publiques (open data) a particulièrement retenu l’attention des citoyens, entraînant dans son sillage la question de la protection des données personnelles, traitée dans le projet de loi quelques articles plus loin, et plus largement dans le projet de règlement européen (3) sur la protection des données
à caractère personnel (« Privacy »), actuellement en discussion. Le projet de loi
« Lemaire » s’ouvre sur un chapitre premier intitulé « Economie de la donnée », qui parle assez peu d’économie(s) et beaucoup de données. Il retient pour principe de mettre à disposition – sur un « standard » en ligne ouvert – des documents administratifs et données produites et reçues par les administrations, en ce compris
les services publics industriels et commerciaux (Spic), doublé d’un principe de facilitation de la réutilisation des données « de référence » (base nationale des adresses, cadastre, base Sirene des entreprises Insee, etc) dans le cadre d’un nouveau « service public de la donnée ». Certains ont pu y reconnaître un outil de transparence financière : « la donnée de l’économie et des économies ! ». D’autres,
un nouveau souffle pour l’innovation numérique. D’autres encore y voient une porte ouverte à une exploitation lucrative de ces données par les GAFA (4) et autres géants du Web. Comment, demandent-ils, protéger ou rentabiliser ce patrimoine collecté,
trié et mis à disposition aux frais du contribuable français ? Légitime question d’un encadrement à l’ère de la circulation instantanée et mondiale des données, à laquelle
le projet de loi ne répond pas, en l’état. Si le projet d’ouverture des données publiques recueille une large majorité de votes positifs, les citoyens se posent néanmoins des questions bien concrètes sur sa mise en oeuvre :
• 1-Quelle ouverture technique des données publiques ?
L’utilisation d’un format standard, commun à tous les services publics industriels et commerciaux ou administratifs, serait plus efficace et permettrait une mise à disposition effective et sans discrimination. Mais cela pourrait engendrer des coûts de matériels et humains de production non prévus dans les budgets des acteurs publics concernés. Le vote d’un budget supplémentaire est-il prévu pour financer la diffusion gratuite du patrimoine informationnel de l’Etat ?
• 2-Quel encadrement de l’ouverture des données publiques ?
Certains souhaitent une ouverture totale et sans discrimination. D’autres préfèreraient que la loi opère une distinction entre bénéficiaires publics et bénéficiaires privés des données. En cause, les grands acteurs du Big Data en ligne, mais également l’ensemble des entreprises privées, qui pourraient réaliser des bénéfices grâce à l’exploitation de ces données qu’elles ont obtenu gratuitement, et par là même se positionneraient en tant que concurrents des services publics grâce aux bases de données financées et publiées gratuitement par ces derniers.

Laisser les GAFA à la porte de l’Hexagone numérique ?
Rappelons ici que l’ouverture des données a pour but annoncé de permettre, dans le meilleur des mondes, de redonner un souffle à l’innovation française et de réaliser pleinement son potentiel en matière de technologies et de numérique. Dans le meilleur des mondes ? Ou dans la meilleure des France ? Plusieurs contributeurs ont suggéré de limiter l’accès aux données publiques aux personnes physiques et morales situées en France. On en comprend bien la raison : laisser les géants américains du Web à la porte de l’Hexagone numérique. Quid, alors, du marché unique européen et de la libre circulation des données ? On sent ici le manque de profondeur de la réflexion stratégique. Rendre accessible ou diffuser mondialement, ce n’est pas la même chose. Dans un cas, on observe les usages et on peut les réguler. Dans l’autre, on observe les dommages et on peut les regretter.

Appliquer une redevance d’exploitation ?
Au-delà d’un encadrement technique par la localisation de l’utilisateur, un encadrement contractuel complémentaire paraît souhaitable. Une licence « open data » permettrait en effet de contrôler en amont la mise à disposition des données et d’éviter que celle-ci ne devienne contre-productive. Elle fixerait des limites volumétriques d’extraction et/ou un système d’enrichissement automatique des données par le bénéficiaire afin de préserver le secret des affaires tout en maintenant une concurrence saine entre Spic et acteurs privés. Elle permettrait également de définir une redevance raisonnable, basée principalement sur les bénéfices réalisés avec l’exploitation de cette matière première du XXIe siècle.
• 3-Quelle sécurité pour les données ?
Il s’agit notamment d’éviter que des informations stratégiques sur les infrastructures essentielles de la France ne tombent dans de mauvaises mains. Il s’agit aussi d’éviter que les données personnelles des citoyens, résidents et assurés sociaux ne tombent dans toutes les mains. L’article 1er du projet prévoit bien l’anonymisation des données personnelles, « sauf si une disposition législative ou réglementaire autorise leur diffusion sans autorisation préalable ou si la personne intéressée y a consenti ».
Cette exception particulièrement vague, lue à l’aune de la loi sur le renseignement promulguée en juillet dernier (5), devra être réécrite pour être conforme à la protection européenne des données personnelles. Concernant cette fois la donnée personnelle, élément du patrimoine immatériel du citoyen, l’article 16 du projet de loi propose d’ajouter à l’article 1 – à vocation introductive – de la loi du 6 janvier 1978 dite
« Informatique et Libertés », le droit pour toute personne « de décider des usages
qui sont faits de ses données à caractère personnel et de les contrôler, dans les conditions et limites fixées par les lois et règlements en vigueur ». Comme les participants à la consultation, on ne pourra que s’interroger sur l’intérêt de cette disposition particulièrement large, qui semble n’être destinée qu’à venir compléter la déclaration qui constitue actuellement l’article 1er de la loi « Informatique et Libertés », selon laquelle l’informatique ne doit pas porter atteinte à l’identité humaine, aux droits de l’homme, à la vie privée, ou aux libertés individuelles ou publiques. Au-delà d’un droit d’être informé des usages qui sont faits de ses données et à s’y opposer, voire
d’y consentir explicitement, droits déjà consacrés par la loi « Informatique et Libertés » et la directive européenne de 1995 sur la protection des données (6), de quel nouveau « droit de décider des usages qui sont faits de ses données » parle-t-on ici ? L’exemple fourni par le gouvernement sur le site de la consultation vise les conditions générales d’utilisation (CGU) des sites web affirmant leur droit de propriété sur les données des utilisateurs. Avec ce simple ajout, l’individu serait seul propriétaire de ses données personnelles, qu’elles aient été ou non mises en ligne par celui-ci. Les données personnelles seraient donc des biens immatériels du patrimoine de l’individu, attachées à un droit de la personnalité inaliénable mais démembrable, l’usage en étant partagé entre l’individu et des centaines ou milliers d’entités dans le monde, et les fruits presque exclusivement entre ces centaines ou milliers d’entités.
Si l’on comprend bien l’idée d’un refus de l’appropriation des données personnelles
par les acteurs de l’Internet, on comprend moins la portée concrète de cet article. Comment et dans quelle mesure le contrôle de l’individu sur ses données sera-t-il
accru ? A défaut de précisions complémentaires, cette disposition semble déjà dépassée par le projet de règlement européen « Privacy », qui prévoit de poser en règle le consentement explicite de l’individu à la collecte et aux utilisations de ses données. Dans la même veine, le projet de loi offre à l’individu la possibilité de régler
le sort des données personnelles qu’il a mises en ligne après son décès, autrement dit d’organiser sa « mort numérique ». Si cet article, qui prend sur cet aspect une avance certaine sur le droit européen, est nettement plus détaillé que les précédents, on imagine mal comment il pourra être mis en oeuvre simplement et efficacement en pratique.

Enfin, pour mieux protéger ce patrimoine, la Commission nationale de l’informatique
et des libertés (Cnil) verrait ses pouvoirs de contrôle étendus… envers celui qui s’y soumet volontairement. Dans le cadre de l’approche « Privacy by Design » soutenue par le projet de règlement européen, le législateur pourrait soumettre à l’avis de la
Cnil les propositions de loi concernant la protection ou le traitement des données personnelles. Quant aux entreprises, elles pourraient demander à bénéficier d’un
« accompagnement à la mise en conformité », à travers la délivrance par la Cnil d’un
« certificat de conformité ». Ces dispositions vont dans le sens du futur droit européen. Une question demeure et se répète parmi les contributions à la consultation : les moyens financiers et humains de la Cnil seront-ils accrus en conséquence ?

Dans le cadre du règlement européen
Ces projets de dispositions – qu’ils soient relatifs aux données publiques ou aux données personnelles – partent certainement d’une bonne intention, mais ils se positionnent dans un cadre technologique et règlementaire européen en pleine évolution. Gageons que la démocratie participative permettra de rendre ce projet moins théorique, si le gouvernement veut bien sortir des principes et écouter ceux qu’il a sollicités. @